« On m’adresse facilement des reproches »

Pourquoi le meneur de jeu belgo-yougoslave tarde-t-il à trouver le bon rythme?

On n’a pas encore beaucoup parlé de Dejan Mitrovic cette saison, si ce n’est pour des déclarations malheureuses dans un quotidien néerlandophone en début de saison. Sur le terrain, on n’a souvent vu que le fantôme du talentueux footballeur belgo-yougoslave. Les blessures à répétition dont il a été l’objet ne sont pas étrangères à ce faible rendement. Depuis la semaine dernière, il se réentraîne avec le groupe, mais il admet qu’il n’est pas encore à 100%. « Cela va mieux, mais lorsque je dois démarrer, je ressens encore une gêne. Alors, si l’entraîneur n’a pas absolument besoin de moi, je préfère m’abstenir ».

Les petits bobos se succèdent depuis que vous êtes à Mouscron.

Dejan Mitrovic: En effet. En mai 2000, au terme de ma dernière saison à Westerlo, j’avais été opéré au ménisque. Le chirurgien m’avait averti que ma course allait s’en trouver modifiée. Est-ce de là que proviennent tous mes ennuis? C’est possible. Avant cela, je n’avais jamais été blessé. A Westerlo, on devait courir derrière moi pour que j’accepte de passer sur la table de massage. Mais, depuis cette opération, j’ai sans cesse des problèmes au dos, à l’aine ou au quadriceps.

On vous a reproché, en début de saison, de ne pas vous être bien préparé.

Je n’y peux rien. Lorsque je suis revenu de vacances, j’étais au point. Après sept jours de préparation, j’ai commencé à souffrir du dos. J’ai dû observer quelques jours de repos. Nous sommes alors partis en stage aux Pays-Bas, et lors du premier match amical contre NEC, j’ai été tacklé très durement au tendon d’Achille. J’ai dû observer une nouvelle semaine de repos. Je n’étais donc pas en condition optimale pour commencer le championnat. C’est logique: lorsque l’on perd deux semaines de préparation sur les cinq qui étaient prévues, on ne peut pas être au sommet de sa condition. Je n’ai pas pu trouver le rythme. Mais je n’admets pas que l’on puisse mettre ma conscience professionnelle en cause. Je suis père de famille, j’ai une épouse et deux enfants, je mène une vie équilibrée. Je me soigne comme un sportif doit le faire. On ne me verra pas tous les soirs dans une boîte de nuit. J’ai simplement été victime de blessures encourues en match.

Vous avez surtout fait parler de vous en dehors du terrain.

Il y a eu ce fameux article de presse publié après le match d’Alost qui a mis tout le monde en émoi. En fait, j’avais simplement répété ce que l’entraîneur avait déclaré la saison dernière. A savoir, que l’une des raisons pour lesquelles Mouscron n’avait pas décroché un ticket européen était l’indisponibilité, pour une période plus ou moins longue, de joueurs comme Francky Vandendriessche, Gordan Vidovic, Tonci Martic, Nenad Jestrovic et moi-même. Le hasard a voulu que, dans le lot, il y avait une majorité de joueurs d’origine serbo-croate. Comme je n’avais pas été sélectionné pour le match d’Alost et que Tonci Martic avait été remplacé à la mi-temps, le journaliste m’a demandé si l’entraîneur n’appréciait pas les Yougoslaves. J’ai répondu que cela m’étonnerait. Car, après tout, c’était Hugo Broos qui était venu nous chercher. Seulement, dans l’article, il en est ressorti des phrases du style: -Hugo Broos n’apprécie pas les Yougoslaves, ou encore: -Sans les joueurs yougoslaves, Mouscron est une équipe moyenne. Sur le fond, je persiste et signe: l’Excelsior a effectivement besoin des joueurs précités pour atteindre son meilleur rendement. Mais cela n’a aucun rapport avec la nationalité des joueurs, puisqu’il y a aussi un Belge dans le lot en la personne de Francky Vandendriessche.

L’incident est-il définitivement clos?

Je le pense, oui. Je m’en suis directement entretenu avec l’entraîneur. Il m’a compris et m’a demandé d’être prudent à l’avenir dans mes déclarations, car avec les mauvais résultats, la presse allait forcément être à l’affût de toute maladresse.

Vos relations avec vos coéquipiers ont-elles été altérées par cet incident?

Je n’en ai pas l’impression. En tout cas, mes coéquipiers ne m’ont pas adressé de reproches. Je leur ai expliqué ce qui s’était passé et j’ai le sentiment qu’ils m’ont cru.

Depuis lors, cependant, vous n’avez plus souvent eu droit au chapitre.

Les ennuis physiques ont continué pour moi. A St-Trond, je n’aurais en principe pas dû jouer. J’avais été blessé la semaine précédente contre le RWDM -un tackle sur mon gros orteil- et j’ai joué au Staaienveld avec une infiltration. Heureusement, nous avons gagné. Mais après, j’ai de nouveau dû observer une semaine de repos. Je n’ai rejoint le groupe que le lundi et le mardi suivants, pour m’aligner tant bien que mal contre le GBA. On m’a administré une nouvelle infiltration. Je n’ai pas livré une prestation étincelante contre les Anversois, mais j’avais droit à des circonstances atténuantes. Heureusement, nous avons encore gagné. Après, contre Westerlo, tout s’est hélas ligué contre nous. Les Campinois ont eu trois demi-occasions et en ont converti deux. Du coup, tout est redevenu noir. Le mécontentement a regagné nos rangs. Je ne comprends pas ce défaitisme.

Admettez tout de même que Mouscron ne joue pas bien cette saison.

C’est vrai. Tout a commencé à Alost. Notre prestation là-bas avait été catastrophique et nous méritions des critiques. Celles-ci ne doivent quand même pas être exagérées. Alost a démontré, depuis lors, qu’il possédait une équipe très valable. Après ce couac initial, nous avons perdu plusieurs rencontres de façon malheureuse. Chaque fois par un petit but d’écart. Cela signifie que nous n’avons jamais été dominés. Les résultats furent décevants, et j’en suis le premier navré car je n’avais encore jamais perdu cinq rencontres d’affilée durant ma carrière, mais il n’est pas nécessaire d’encore jeter de l’huile sur le feu. Nous avons besoin de sérénité. Or, beaucoup de gens se plaignent de notre rendement dans l’entourage de l’équipe. Cela ne contribue pas à ramener la confiance. Je conçois qu’on peut difficilement avoir une ambiance joyeuse autour de l’équipe lorsque les défaites s’accumulent. Mais il faut laisser les joueurs faire leur métier. Lorsque je joue mal, je suis suffisamment lucide pour m’en apercevoir. Je n’ai pas besoin qu’on me le répète à tout bout de champ.

Etes-vous d’accord si l’on affirme que vous jouez par à-coups?

Oui, car un joueur de mon style ne peut pas jouer vingt matches d’affilée à un même niveau. Figo et Rivaldo connaissent aussi des moments creux. Mais lorsqu’ils réalisent un coup d’éclat, ils font la différence. Je ne veux pas me comparer à ces joueurs-là, c’est pour donner un exemple. Si vous voulez un exemple en championnat de Belgique, prenez le cas de Marc Degryse. Il est, à mes yeux, le meilleur joueur belge de tous les temps avec Enzo Scifo. Il y a aussi des moments où on ne le voit pas. Seulement, sur un coup de patte, il se montre décisif. Les joueurs qui sont réguliers, ce sont des éléments comme Yves Vanderhaeghe: des joueurs sans panache et sans audace. Ce n’est pas péjoratif d’affirmer cela, car ils sont utiles à l’équipe. Mais ils ne sont pas décisifs. Ils récupèrent des ballons et les cèdent au partenaire le plus proche. Au coup de sifflet final, ils sont fiers d’affirmer qu’ils n’ont perdu aucun ballon. Ce serait malheureux d’en perdre, lorsqu’on n’adresse que des passes à deux mètres, quand ce n’est pas en retrait! Qu’ont-ils apporté à l’équipe? Ils courent 90 minutes, tacklent sans arrêt, mais ne sont jamais à la base du but décisif ou de l’assist décisif. Il n’y a aucun effet de surprise dans leur jeu. Des joueurs comme cela, il y en a beaucoup dans le championnat de Belgique. Et même aux Pays-Bas. Lorsque je vois évoluer Johan Vogel, je me demande si le PSV Eindhoven avait réellement besoin de débourser autant d’argent pour ce footballeur suisse. Des centaines de Néerlandais doivent être capables de faire ce qu’il fait, non? Il ne récupère aucun ballon, n’organise pas le jeu, ne marque pas et n’adresse aucune passe décisive. Il se contente de réceptionner le ballon d’un coéquipier et de le céder à un autre partenaire positionné à cinq mètres, tout au plus. Je ne veux pas paraître prétentieux: j’ai au moins le mérite de tenter des actions. Cela ne réussit pas toujours. Parfois, j’essaye de dribbler cinq adversaires et je perds le ballon. Mais lorsque je parviens à m’infiltrer, c’est but!

Autre reproche que l’on vous adresse fréquemment: vous ne défendez pas.

C’est vrai, je l’admets: je n’ai pas été formé pour défendre. Dans mes équipes précédentes, j’ai toujours eu quelqu’un derrière moi qui se chargeait de cette tâche. J’essaye de faire mon boulot en récupération, mais ce n’est pas évident pour moi. Ce réflexe ne vient pas naturellement. Lorsqu’on a pris certaines habitudes à 16 ans, c’est difficile d’en changer.

A Mouscron, vous avez souvent dû jouer sur le flanc gauche, qui n’est pas votre poste de prédilection.

Je m’en accommode. Ma meilleure place est celle d’attaquant en retrait. J’avais toutefois déjà joué sur le flanc gauche et même sur le flanc droit en Yougoslavie. Je ne veux pas invoquer cela comme excuse.

Votre place de prédilection, au n°10, est désormais occupée par un gamin de 17 ans: Jonathan Blondel. Est-ce difficile à accepter pour vous?

Non. Partout où je suis passé, j’ai eu des jeunes joueurs à mes côtés et j’ai toujours été disposé à les aider. Nous avons déjà évolué côte à côte, Joke et moi, cette saison: lui comme meneur de jeu et moi sur le flanc gauche. C’est logique, car Tonci Martic était blessé et Joke ne peut pas jouer ailleurs qu’en meneur de jeu. C’est très bien qu’il remplisse actuellement le rôle de n°10 car je ne suis pas encore physiquement apte à tenir ma place. Si je l’étais, et que Tonci Martic est fit également, j’estime néanmoins que je devrais jouer. J’accepterais difficilement que Joke soit titulaire pendant que je ne serais que remplaçant. Pour l’instant, je suis capable d’apporter beaucoup plus que lui à l’équipe. Quand a-t-il été décisif, cette saison? A l’Antwerp, lorsqu’il a été à la base du penalty transformé par Marco Casto. C’est à peu près tout. Je l’apprécie beaucoup, il a énormément de qualités, mais je trouve néanmoins qu’on lui pardonne beaucoup. Moi, on m’adresse facilement des reproches: chaque fois que je laisse passer mon homme, on me montre du doigt: -Encore une fois Dejan, il n’a de nouveau pas défendu! Trouvez-vous que Joke défend plus que moi?

Il a 17 ans, n’est-ce pas normal qu’on lui accorde du crédit et qu’on lui pardonne plus facilement certaines erreurs qu’à un joueur expérimenté comme vous?

Non. Si on veut qu’il devienne un grand joueur, il faut mettre le plus rapidement possible le doigt sur les erreurs qu’il commet. Ce n’est pas à 27 ans qu’il prendra les bonnes habitudes. Je suis bien placé pour en parler. Il a « déjà » 17 ans. J’ai personnellement débuté à 16 ans au plus haut niveau et on ne m’a jamais appris à défendre. Aujourd’hui, je le regrette car mes lacunes me poursuivent. Or, en Belgique, on accorde beaucoup d’importance aux tâches de récupération. Ce qui compte, ici, c’est « travailler dur ». La technique vient presque au dernier rang des priorités. Il y a un problème au niveau de la formation en Belgique. Les jeunes devraient être éduqués par d’anciens grands joueurs. Ce n’est pas normal que les jeunes de 10 ans -un âge crucial pour la formation- soient pris en charge par d’anciens joueurs de 2e Provinciale. Comment voulez-vous qu’ils enseignent aux gamins ce qu’ils n’ont jamais pu faire eux-mêmes? Pour cette raison, c’est une bonne chose que Lorenzo Staelens ait été engagé à Mouscron. J’espère que Joke deviendra un jour un grand joueur, mais il faut le protéger. Il ne faut pas encore en faire une star parce qu’il a adressé cinq bonnes passes depuis le début de la saison.

Daniel Devos

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