» On m’a traité de fils de pute pendant 18 ans « 

A 38 ans, la grande brute n’a plus de contrat avec l’Inter. Face à face sur une carrière qui n’a pas marqué que les esprits.

Que signifie l’Inter pour toi ?

Marco Materazzi : Dix ans de ma vie. A partir de 2005-2006, l’Inter a explosé, et j’ai explosé avec elle. Mais le fait d’être devenu amoureux du club n’est pas dû au fait qu’on ait beaucoup gagné mais au fait que nous ayons beaucoup perdu. Je pense qu’on s’attache plus aux personnes dans la défaite. Quand tu gagnes, c’est plus facile. Moi, les quatre ou cinq premières années, j’ai mangé ce que mangeaient tous nos tifosi : du caca.

Quels souvenirs gardes-tu de cette période où vous ne gagniez jamais ?

C’était toujours la même histoire. Tu savais déjà qu’avant d’affronter certaines formations – et même si ces formations étaient supérieures techniquement -, elles allaient avoir un petit avantage. On ne gagnait pas, pour toutes les raisons que nous avons découvertes par la suite. Même si les plus anciens comme Javier Zanetti ou Ivan Cordoba disaient : – Nous ne devons pas penser à ça, sinon on ne gagnera jamais. On est en train de s’inventer des excuses parce qu’on n’arrive pas à gagner. Pour nous, c’était presque devenu un alibi. Quand on a fini par comprendre ça, on a gagné la Coupe d’Italie. Et puis, tout le bordel est sorti d’un coup.

Le Calciopoli, ça a été une surprise ?

La surprise, ça a été l’ampleur du truc. Mais ce qui se passait, non. Ça n’a pas vraiment été une surprise… On s’en rend compte sur le terrain et on se sent impuissant. Parce que quand tu fais le maximum pour gagner et qu’on ne te siffle pas des penaltys évidents… Prends 2002, l’année où nous avons perdu le championnat à la dernière journée, le 5 mai. Quelques exemples… Contre Chievo, on ne nous accorde pas un penalty que tout le monde avait vu. Contre Venise, on siffle un penalty contre nous. Même l’attaquant qui avait subi la faute a déclaré qu’il n’y avait absolument rien. Lors de l’avant-dernier match de la saison, l’Udinese va gagner à Lecce grâce à un penalty inexistant à la 85e minute. Le match d’après, c’était Udinese-Juventus. Bon, une fois, deux fois, trois fois… Au fond de nous, on avait compris. Mais on ne pouvait pas vraiment savoir avant que tout ne soit sorti. On ne pouvait pas être sûr.

Au-delà de ce sentiment d’impuissance, au bout d’un moment, il n’y avait pas un peu de haine ?

Envers ce système, oui, il y avait de la haine. Mais pas vis-à-vis des autres joueurs de la Juventus que je côtoyais en sélection. Avec eux, je n’ai jamais eu aucun problème. D’ailleurs si ça se trouve, ils n’auraient même pas eu besoin de tricher pour gagner. Ils étaient tellement forts.

On a dit que le Calciopoli vous a aidé à gagner la Coupe du Monde 2006, que le scandale avait renforcé le groupe…

Ce n’est pas vrai. Ça faisait deux ans qu’on se préparait et qu’on ne pensait qu’à une chose : aller sur le terrain et gagner huit matches. Fabio Cannavaro savait qui j’étais, je savais qui était Fabio Cannavaro. Nous étions déjà unis. Et cinq jours avant notre départ pour l’Allemagne, personne ne savait rien du Calciopoli.

2006, c’est le grand moment de ta carrière. Tu t’es déjà demandé ce que serait ta vie si Alessandro Nesta ne s’était pas blessé contre la Tchéquie en match de poule ? Tu n’aurais sans doute pas joué et rien de ce qui s’est passé ensuite ne serait arrivé…

On ne peut jamais savoir. On n’aurait probablement pas marqué deux buts par le biais d’un défenseur – les miens. Mais nous aurions peut-être eu quelque chose de plus au niveau défensif. Avec Alessandro, nous aurions peut-être encaissé quelques buts en moins. Mais bon, je suis content que ça se soit passé comme ça.

Quand tu entres en jeu contre la Tchéquie à la 17e minute, tu ressens quoi ?

D’abord, de la peur. Parce que je venais de l’échec de la Coupe du Monde en Asie. En 2002, j’étais jeune, je n’avais pas bien joué, et l’équipe non plus. Moi, j’avais fait une seule apparition après une vingtaine de minutes contre la Croatie durant laquelle nous avons perdu 1-2. À mon avis, ce n’était pas uniquement de ma faute, il s’agissait plutôt d’une suite d’erreurs. Mais quand la presse et l’opinion publique doivent trouver un coupable, entre un joueur très expérimenté et un autre qui vient d’arriver, c’est sur le petit dernier que ça tombe. Ce mondial au Japon, je m’en souviendrai toujours. A l’époque, Cannavaro était venu me voir, et il m’avait dit : – Ecoute, moi, mon premier match avec Nesta, c’était Italie-Chili. Zamorano a marqué deux buts. On m’a massacré.Massacré. Mais j’ai eu la force de grandir en tant qu’homme. J’ai l’impression que depuis ce match contre le Chili, Fabio ne s’est pas loupé très souvent. Alors, quand je suis rentré sur le terrain contre la Tchéquie quatre ans plus tard, je me suis souvenu de cette phrase. Et j’en ai fait un trésor.

Les Italiens d’Allemagne voulaient la peau de la Mannschaft

La demi-finale contre l’Allemagne en 2006 t’a visiblement beaucoup marqué. Beaucoup d’immigrés italiens vivant en Allemagne étaient venus vous parler avant le match pour vous dire qu’il fallait absolument gagner…

Pour moi, la finale, c’était ce match contre l’Allemagne. Sans rien enlever à la France. Contre l’Allemagne, c’était plus qu’un enjeu sportif. C’était l’occasion pour notre peuple et nos immigrés de prendre une revanche. Un Italien immigré qui a son entreprise, en Allemagne, il doit y en avoir un ou deux. La majorité trime. Ils ne sont pas forcément dans la misère, mais ce sont des ouvriers. Perdre ce match, ça aurait voulu dire humilier nos amis.

Cet aspect extra-sportif, vous en avez parlé entre vous avant d’entrer sur le terrain ?

Bien sûr. Surtout que les Allemands nous avaient provoqués en parlant de pizzas. C’est simple : nous, quand on va à l’étranger, c’est mafia, pizza, spaghetti. Alors dans cette pizza qu’ils brandissaient, on leur a montré qu’il y avait du foot : on a gagné 2-0. On a disputé une très belle demi-finale mais même si nous avions perdu, c’aurait été une expérience inoubliable. A l’hôtel, les serveurs et les réceptionnistes étaient tous italiens. Quand on rentrait des matches, ils pleuraient. Dans ces moments-là, tu comprends vraiment la portée de ce que tu fais sur le terrain. On ne logeait pas dans un hôtel huit étoiles, mais là où nous avions nos racines. C’est une chance, ou un éclair de génie de la part du Mister, ou de celui qui a choisi l’hôtel. Lors du Mondial, nous étions contre tout le monde, et contre tout en général.

Quel était ton rapport avec Marcello Lippi ?

Un vrai rapport fort. Lippi dit les choses en face. Chaque matin avant les matches, il annonçait la liste des joueurs qui allaient être titulaires : – Untel joue, untel joue, untel joue… A part pour le premier match où l’équipe était déjà définie à l’avance, j’avais le sentiment de pouvoir être titulaire à chaque fois. Parce qu’à tout moment, Lippi pouvait mettre un gars au repos, venir te voir, et te dire : – C’est toi qui joues. Il y avait une petite déception quand je voyais que je n’étais pas dans le onze de départ. Mais contre l’Allemagne, j’étais dedans. Un peu par chance, un peu par talent. Parce qu’il y avait aussi Andrea Barzagli, qui avait bien joué contre l’Ukraine le match d’avant.

Et la finale ?

On a fait une belle première mi-temps mais en deuxième mi-temps, on n’a pas été très bons. Sur ce match, la France était supérieure. Elle avait quelque chose de plus. Mais notre groupe était peut-être plus fort. Et on a la chance d’égaliser très vite, parce que si on était rentré au vestiaire en étant mené, ça aurait pu mal se terminer pour nous.

L’affaire Zidane n’est pas finie

Tu as dit un jour que tu ne pouvais pas jouir pleinement de ton titre de champion du monde à cause de l’épisode avec Zidane. Tu es finalement heureux d’être champion du monde ?

Je suis heureux, et je m’en rappelle comme si c’était hier. Mais après la Coupe du Monde, on a diminué ma valeur et la valeur de Zidane. Zidane était un grand joueur qui avait fait une grande connerie. Et moi, j’étais celui qui avait fait une grande connerie, mais pas un grand joueur. Je n’étais pas celui qui a marqué deux buts dans une finale (NDLR, il compte son tir au but). Quand Zidane a marqué deux buts en finale en 1998, on l’a porté en triomphe comme si c’était le Roi Midas. Ce qu’il avait justement été pour la France. Huit ans plus tard, avec moi, ça ne s’est pas passé comme ça. Pourtant, moi aussi j’ai marqué deux buts en finale. On aurait pu faire preuve de plus d’équilibre dans le jugement. Parce que ce n’était pas la première fois que des choses de ce genre se produisaient, ni pour lui, ni pour moi. Tous les deux, nous avions déjà fait ce genre d’erreur. En ce qui me concerne, c’est un épisode désagréable. Pour beaucoup, c’est moi qui l’ai frappé. Alors que c’est le contraire : il aurait pu me faire très mal. Car un coup de tête de ce genre après 110 minutes d’effort… Quand un homme en touche un autre, il a toujours davantage tort que celui qui n’a dit que quelques mots. Nous savons tous les deux ce qui s’est passé, nous en avons parlé ensemble.

Tu parles de votre rencontre fortuite de l’hiver dernier à Milan, à l’occasion du match Milan AC-Real Madrid ?

Il a dit qu’il ne m’avait pas reconnu, qu’il pensait avoir eu affaire avec un supporter ;… j’en doute. Moi, je me souviendrai toujours de lui. Comme d’un grand joueur, mais aussi comme de quelqu’un qui m’a donné la possibilité de remporter un Mondial. Et lui, il se souviendra sans doute de moi parce que je lui ai fait perdre un Mondial, au-delà de mon but, ou de son geste. Je ne peux pas penser que quelqu’un qui m’a mis un coup de tête ne me reconnaisse pas, ou puisse penser que je sois un supporter. Moi, en tant qu’homme, j’étais content de l’avoir affronté entre quatre yeux. Il était avec son frère et un ami à lui ; moi, j’étais aussi avec un bon ami à moi. Je venais voir José Mourinho, lui venait voir le Real Madrid, nous nous sommes retrouvés dans un parking privé de l’hôtel, bref, la chose est venue naturellement. Cette poignée de main était probablement plus bénéfique pour lui que pour moi. Parce que tout le monde aurait dit : – Zidane est un seigneur, il a donné la main à cette merde. Au contraire, Zidane a dit : – Je ne l’ai pas reconnu, j’ai cru que c’était un supporter. À mon avis, c’est un petit but contre son camp qu’il s’est marqué… Cela ne l’honore pas. Moi, à sa place, je me souviendrais très bien de la personne qui devant tout le monde a ruiné ma carrière.

Vous avez parlé de quoi dans ce parking ?

Pour moi, ça n’aurait pas dû sortir. Parce que ce qui se passe entre deux personnes naît et meurt entre quatre yeux. Mais on s’est tendu la main, et j’ai dit : – Ecoute, je suis désolé de ce qui s’est passé, c’est fini. Et lui m’a dit : – Non, non, pas de problème, ne t’inquiète pas. On s’est serré la main et c’était fini. D’homme à homme, c’est ce qu’il y a de plus beau. Parce que faire la paix devant la FIFA, devant Sepp Blatter, c’est de la publicité. Mais faire la paix dans le parking d’un hôtel, là, c’était comme deux amis ou deux ennemis qui se rencontrent, se serrent la main, et voilà. Ça n’aurait pas pu mieux se passer. C’était une très belle chose, pleine de spontanéité. Quand même, cette histoire aurait pu éclater comme une bulle de savon. Si ça avait été le cas, il serait encore le plus grand joueur du monde dans l’absolu. Il aurait pu mieux s’en sortir.

Qu’est-ce que tu penses de la façon dont la FIFA a géré l’affaire ?

On en a fait des tonnes ! J’ai quand même été suspendu pour avoir provoqué ! Ça me fait bien rire. C’est la première et la dernière fois que ça arrive dans l’histoire du football. Il n’y a pas eu d’égalité. La FIFA m’a convoqué mais n’a pas permis à mon avocat de discuter avec la commission de discipline ou ceux qui jugent, ça veut dire que la décision était déjà prise. Ils avaient juste besoin de préserver Zidane, et de me faire passer pour le méchant. Ça ne pouvait pas être plus sale. Je n’ai pas été défendu. Je parle de l’homme, pas du footballeur. Blatter, je l’ai vu cette année lors du Mondial des Clubs à Abu Dhabi. J’ai demandé à parler avec lui. Il s’est approché de moi avant la finale. J’ai dit : – On se voit après le match. Bon, après le match, on ne s’est pas vus. Ensuite, sa secrétaire a appelé le club pour demander de quoi je voulais parler. J’ai répondu que je voulais parler de 2006. Pour éclaircir quelques points. Mais je n’ai jamais eu la possibilité de le faire. Patience… On se reverra. En plus il parle italien, on pourra échanger quelques mots tranquillement. Tôt ou tard, ça arrivera.

Pourquoi a-t-il mis un masque de Berlusconi ?

En janvier 2010, l’Inter bat le Milan, et tu fêtes la victoire en allant sur la pelouse avec un masque de Silvio Berlusconi…

Ça a fait scandale parce qu’on a pris ça pour un geste politique. Alors que ça n’était pas du tout mon intention. Je n’ai jamais été inscrit à aucun parti et je te mentirais si je te disais que je vote. Je suis inscrit sur les listes électorales à Pérouse, mais ça fait plusieurs années que je n’y vais pas. Bref. C’était carnaval, j’étais au supermarché avec mes enfants. Mon fils à l’intérieur du caddy et ma petite dans le petit siège qu’il y a dans le caddy. On a vu ce masque. Il y avait le derby. – Allez papa, allez, prends-le, prends-le. Bon je prends le masque, et je leur dis : – Vous savez quoi, si on gagne, je le mets. Le jour du match, j’ai quand même hésité. Je me disais : – Quand même, ça peut être mal interprété d’un point de vue politique. Mais un ou deux joueurs sur le banc savaient que j’avais acheté ce masque. Tu sais comment ça fonctionne : – Si tu ne le mets pas, t’es pas un homme, et patati, et patata. C’était comme un défi. Alors j’ai mis le masque, et je me suis dit : – Tant pis, advienne que pourra. Après, les lèche-bottes de Berlusconi m’ont massacré dans leurs journaux. Et ils sont nombreux, même si aujourd’hui, vu ce qu’il se passe autour de Berlusconi, ils se font bizarrement moins remarquer. Moi j’ai pris mon téléphone, j’ai appelé Berlusconi et je lui ai dit : – Mais vous êtes le premier à faire des blagues, non ? Et lui : -Mais Marco tu rigoles, c’était fantastique, à l’occasionon dînera ensemble et on se racontera des blagues, il n’y a aucun problème. Et c’était fini. Cette fois, ça a éclaté comme une bulle de savon. Parce que lui aussi est un farceur. Quand on gagne le derby, il vient toujours nous voir dans les vestiaires pour nous complimenter. On a toujours blagué ensemble. Moi, il me charrie tout le temps sur mes tatouages : – T’en as combien, t’en as combien ?

Tu as l’impression que le football est trop sérieux ?

Plus que sérieux, il est faux. Berlusconi n’est pas dupe : les fayots, il les regarde de haut. Il y a des types qui portent la chemise et la cravate. Mais peut-être que Berlusconi me préfère moi, avec mes tatouages. Parce que je dis les choses comme elles sont, et comme je les pense.

C’est quoi le talent ?

Tu as dit un jour : -Je suis la preuve vivante que le travail peut pallier le manque de talent. Quand t’étais en Sicile et que tu galérais à Trapani ou Marsala, tu t’imaginais pouvoir gagner Scudetto, Coupe du Monde et Champions League ?

Non, ça non. J’en rêvais, mais je ne l’imaginais pas vraiment. Je suis trop réaliste. Je sais que je ne suis pas aussi rapide que Cannavaro, Lilian Thuram, Nesta. Mais j’ai dépassé cela parce que je pense très vite. Autrement, je n’aurais jamais pu marquer Thierry Henry dans une finale de Coupe du Monde. J’ai toujours marqué des gens rapides alors que j’ai toujours été lent. Pour rester au marquage sur des gens comme ça, il faut penser vite, très vite. Et il faut jouer avec passion. Un jour, quand je jouais dans les divisions inférieures, je suis allé faire un déplacement en Calabre. Il n’y avait pas de vestiaire, de l’eau partout. Et bien, je préfère me souvenir de ces choses-là plutôt que de ce que j’ai vécu par la suite en devenant international, où tout semble un peu trop parfait. Parce qu’à la fin, les vrais terrains de foot, ce sont ceux-là.

Le fait d’avoir un père entraîneur, ça a été une pression supplémentaire ?

Jusqu’à un certain point. Quand j’ai commencé, tout le monde pensait que j’étais un pistonné. Normal. Je me souviens de coéquipiers qui l’avaient mauvaise. Des spectateurs accoudés aux rambardes. Mais au final, quand tu sais au fond de toi que personne ne t’a recommandé, tu peux tracer ta propre route. Jouer en championnat régional, en quatrième division, en Serie A, ou jouer une Coupe du Monde.

C’est vrai que quand tu étais petit, ton père ne venait jamais te voir jouer ?

Oui. Ce sont des choses qui restent. Mais il y a aussi quelque chose de positif dans tout ça… Je ne sais pas, vous êtes déjà allés voir un match de gamins sur un terrain de banlieue ? Les enfants s’amusent et jouent au football. Derrière, les parents hurlent – Tire, Passe, ils s’engueulent avec les autres parents parce que ci, parce que ça. C’est horrible. Les gamins n’arrivent pas à exprimer leur talent, parfois leur envie de jouer au foot se consume avant même qu’elle ne commence. Les entraîneurs de ces équipes en savent quelque chose : ils doivent se battre avec les parents.

L’unité italienne lui manque

A propos d’enfance, tu es né à Lecce, mais du fait que ton père était entraîneur, tu as habité partout dans le pays. C’est quoi ton rapport à l’Italie ?

Je remercie ma mère de m’avoir fait en Italie. Je suis fier de notre nation. C’est d’ailleurs sûrement pour ça que je suis peu aimé des supporters adverses. Moi, je suis un homme qui épouse des causes. Par exemple en Italie, j’ai épousé l’Inter, et l’Inter est tout pour moi. A l’étranger, je sais que la grande majorité des Français ne m’aime pas. Peut-être pour ce qui s’est passé lors de la finale de Berlin ou peut-être parce que je dis les choses en face. Moi, je ne suis pas quelqu’un qui semble beau et qui en fait est moche à l’intérieur. Trouvez-moi moche autant que vous voulez. Ceux qui me connaissent savent que je suis ce que je suis, et que je suis aussi quelqu’un de vrai. Avec tous mes défauts.

Avant la Coupe du Monde 2010, la Ligue du Nord avait déclaré qu’elle ne supporterait pas l’équipe nationale. L’Italie n’a pas l’air d’être un pays très uni…

J’envie une chose aux Français : l’unité. Aux Français, et aux Américains. Vous, vous avez une chose de plus que nous : vous avez un sentiment d’appartenance à votre nation qui n’a pas peut-être pas d’égal, à part en Amérique. Et ça, je pense que c’est la plus belle chose pour un peuple. Ce sentiment n’existe pas en Italie. Ça me fait mal de le dire, car il y a de quoi avoir honte. Et j’aime beaucoup l’Amérique. Ils ont moins d’histoire que nous, mais ils ont beaucoup plus de liberté que nous. Si Thierry Henry ou Marco Materazzi vont aux Etats-Unis, ce ne sera pas pareil que s’ils vont à Paris, Londres ou Barcelone où tu ne peux pas marcher dans la rue. Alors que si Titi ou Marco vont aux Etats-Unis avec leurs camping-cars (ce que j’aime personnellement beaucoup faire), ils peuvent se balader en slip après la douche avec les enfants et personne ne les reconnaît. Ah, ce sentiment de liberté, d’être quelqu’un comme les autres.

Toi qui as joué au sud et au nord de l’Italie, comment tu expliquerais la différence entre ces deux régions ?

Le nord a des ressources en termes d’entreprises et d’emploi. Mais le nord n’a pas la terre. Ni la chaleur des gens. Penses-y : si tu sépares le nord du sud, où le nord va-t-il acheter ses fruits et ses légumes ? Au sud. Sans eux, nous ne pourrions pas vivre. Sans eux, nous devrions acheter nos fruits et nos légumes en Amérique du Sud, ou je ne sais où, peu importe : combien tout cela coûterait ? C’est un exemple banal et stupide. Mais c’est la réalité. On ne pourrait rien faire sans eux. Ni eux sans nous. Enfin sans nous… Vous savez, moi, je me considère comme un bouseux, un terrone(NDLR- nom péjoratif donné par les Italiens du nord à ceux du sud). Ah ? Les bouseux et les gitans : ce sont avec eux que je m’entends le mieux. En France, je pourrais bien m’entendre avec les Marseillais. Des gens candides, des gens de port, des gens qui se lèvent tous les matins et suent au travail pour ramener le pain. Les Parisiens sont probablement un peu plus tirés à quatre épingles.

Tu t’entends bien avec Rino Gattuso, non ?

Oui, on s’est connus chez les jeunes de Pérouse. Rino, c’est la parfaite synthèse du gitan et du bouseux. Donc oui, on s’entend bien. Mais mon plus grand ami dans le football, c’est Antonio Cassano. On se voit chaque semaine. Lui aussi, de ce point de vue, il est parfait (rires). Il est né à Bari, une ville où j’ai vécu dix ans. Nous avons treize ans d’écart mais c’est une personne tellement vraie qu’on croit presque qu’il fait semblant. Devant le Président de la République ou dans son quartier, il se comportera de la même façon. Dire les choses en face ne lui pose aucun problème. Sur ça, Antonio n’a pas d’égal.

Tout sur les clashes milanais

Tu penses que c’est le football italien qui n’a pas compris Cassano, ou que tous les problèmes qu’il a eus sont de sa faute ?

Antonio le dit lui même : s’il avait eu la tête bien faite, il serait en train de jouer seul sur la lune. Quelqu’un comme lui qui n’est pas en condition physique, mais qui marque quatre, cinq buts et qui fait dix passes décisives sans être titulaire comme il l’a fait à Milan, c’est quelqu’un qui a quelque chose de plus que les autres.

Il paraît que tes fils sont milanistes.

Un de mes fils, oui. J’essaie de l’amener du bon côté, et je suis peut-être en train de réussir. Mais c’est très difficile, ça fait déjà trois ou quatre ans. Il était amoureux de Kaká et de Pato, c’est un homme de goût…

Comment tu expliquerais la différence entre Milan et l’Inter ?

Nous, on est plus famille. Eux ressemblent plus à une entreprise. Même si j’ai failli passer au Milan en 2006. A l’époque, je ne jouais pas, et j’ai eu deux opportunités : Bologne ou Milan. Et il y avait la Coupe du Monde au bout de la saison. J’ai appelé Lippi. Je lui ai expliqué la situation. Il m’a dit : – Ne t’inquiète pas, il suffit que tu joues de temps en temps, sache que tu as ta place dans les 23 qui partiront en Allemagne. Alors je n’ai pas hésité, j’ai écouté mon c£ur et je suis resté.

Tu as eu quel type de relations avec Massimo Moratti ?

Je le considère presque comme un père. Il n’a jamais refusé de m’entendre. Il m’a toujours vu comme quelqu’un sans tatouages. Comme quelqu’un à écouter. Il peut très bien dire : – Non, ça c’est une connerie, mais il écoute. Il est déjà arrivé que je lui dise des choses vraies, crues, moches, belles, mais jamais je n’ai trahi.

Parlons de ses conneries

Pour un défenseur, tu marquais beaucoup de buts…

Une saison avec Pérouse j’en ai mis douze. C’est le record pour un défenseur en Serie A. J’en suis heureux, mais je regrette d’avoir enlevé ce record à Giacinto Facchetti (NDLR- Immense défenseur latéral de l’Inter des années 60, devenu ensuite dirigeant). Parce que Facchetti, c’est quelqu’un qui me comprenait. C’est lui qui m’a materné lors de mes premières années à l’Inter. Surtout dans les moments difficiles. Quand je faisais le con, il était toujours à mes côtés.

Quand tu parles de conneries, tu penses à quoi ?

Je pense surtout à Bruno Cirillo. C’était lors d’un Inter-Sienne, le 1er février 2004. J’étais blessé et j’ai dit à un de mes coéquipiers de jouer sur Cirillo parce que selon moi, c’était le plus faible de l’équipe adverse. J’étais sur le bord du terrain, je n’aurais pas dû dire ça. Bref, Cirillo s’est énervé. Dans les vestiaires, il a voulu se faire justice et on s’est battus. Je l’ai frappé et Giacinto ne m’a pas condamné. Il m’a juste dit de ne pas faire appel de la punition, quelle qu’elle soit.

L’inoubliable Mourinho

Avec José Mourinho, ça s’est passé comment ?

Mourinho, c’est le Special. Il m’a fait vivre ce que j’ai vécu au Mondial pendant deux ans. Et ça, ce n’est pas facile. Un Mondial, en tout, c’est deux mois. Alors qu’en deux ans, tu dois affronter beaucoup de difficultés. C’est dans ces moments qu’on voit les grands entraîneurs. Tu dois transmettre de la force, faire en sorte que tout le monde se sente sur un pied d’égalité, tu dois être capable de remplacer untel par untel sans ambiguïté, que personne n’ait l’impression que ce qu’il a eu est acquis. De ce point de vue, Mourinho a été au top.

Il y a cette fameuse vidéo où on te voit pleurer dans ses bras après la finale de la Champions…

Ça m’énerve quand je la revois parce qu’avec lui la saison dernière, on aurait pu refaire ce qu’on a fait il y a deux saisons. C’est-à-dire tout gagner. Il avait construit un groupe tellement fort, chacun était au bon moment au bon endroit. À mon avis, avec lui, les trois coupes (Supercoupe, Supercoupe d’Europe, Mondial des Clubs), on les aurait gagnées. Et même le Scudetto. On aurait tranquillement dit ce qu’on avait à dire sur le terrain. Bon, on aurait peut-être eu quelques difficultés en Champions League parce que la gagner deux fois de suite, ça n’est arrivé à personne. Mais contre Schalke, même si on avait accumulé beaucoup de fatigue, avec lui on serait passé. Pour revenir sur cette embrassade, je me dis qu’au fond, il se dit la même chose.

Vous vous appelez ?

Oui, tout le temps. Je suis son plus grand supporter en Espagne et je lui souhaite de tout gagner.

Qu’est-ce qui n’a pas marché la saison dernière à l’Inter ? Benitez et l’Inter, ça ne fonctionnait pas ?

J’ai dit ce que je pensais (NDLR- dans la presse italienne, Matrix a comparé Benitez à un agent de la circulation au volant d’une formule 1 et dit qu’il avait fait disparaître le sourire à l’équipe). On a dit que c’était parce que je ne jouais pas et que j’en avais après lui. Mais moi à mon âge, jouer un match de plus ou de moins, ça change pas grand-chose dans ma carrière. Avec Mourinho, je ne jouais pas non plus. Mais j’étais extrêmement respecté, donc pas de problème. Là, voir mon équipe partir à la dérive… Benitez disait, et c’était une sacro-sainte vérité, que nous étions une équipe d’anciens, et de vieux. Eh bien, une équipe de vieux, tu la fais travailler comme elle travaillait avant. Si tu changes tout, il est normal qu’il y ait quelques soucis. On courait d’une certaine manière, on a dû courir d’une autre manière, on a eu quelques pépins lors de la mise au vert, et les trois, quatre premiers mois. Il y avait des rechutes, des problèmes musculaires… Je ne donne pas la faute à Benitez pour ce qu’il a fait. Je dis juste : -Pourquoi avec une équipe que tu sais vieille n’as-tu pas continué à faire ce qu’elle faisait l’année dernière ?

En revanche, il y a un joueur qui a fait une grosse saison, c’est Samuel Eto’o…

Eto’o a une intelligence tactique et une vitesse d’exécution que peu ont. Trouver une personne d’un autre continent, aussi disciplinée tactiquement que lui, ça n’est pas facile (sic). Loin de moi l’idée d’être raciste, hein, Samu est mon frère. Mais je pense que d’un point de vue physique, l’Afrique, le continent noir, est tellement supérieur à nous qu’elle pourrait nous manger. Sauf que nous, nous pallions ce manquement par la tactique. S’ils avaient tous la tactique de Samuel Eto’o, ils gagneraient le Mondial les yeux fermés. Ils seraient trop forts. Et Samu englobe les deux choses. Physiquement, c’est un animal – animal au sens fort, comme j’aime, comme je voudrais être -, et en plus il a la tactique. Je crois que c’est le mix parfait pour faire n’importe quel sport.

Le jour où il a frappé Balotelli

A propos de racisme, Balotelli, que tu as côtoyé à l’Inter, fait débat.

Mario est le seul garçon que je connaisse qui réussit à changer les matches morts, et ça déjà quand il avait 18 ans. Matches morts, ça veut dire des matches où tu es mené 2-0, 3-0, ou quand il y a 0-0. Lui, il rentre et il déchaîne la tempête. Il allume l’étincelle. Je me revois en lui sur beaucoup de points. C’est facile de dire que c’est un provocateur. Mais si tu as un match où c’est le calme plat, tu dois faire quelque chose pour essayer de casser l’équilibre. Ça peut être envoyer une balle en tribune, ou alors se précipiter vers l’arbitre quand il siffle une demi-faute alors qu’il n’y a rien. Toi tu y vas, tu fais sentir ta présence, les gens se mettent avec toi, ils sont de ton côté. En cela, Mario, est un phénomène.

Il était comment dans le groupe ?

C’est un garçon très tranquille. Bon, on s’est déjà embrouillés, je l’ai frappé. Mais Mario m’appelle encore et m’envoie des messages. Il ne peut pas ne pas devenir un grand. Mais il ne doit pas croire que tout lui est dû. En demi-finale de FA Cup, City-United, tout le monde voulait le frapper, mais qui avait gagné ? Manchester City. Qui avait perdu ? La grande puissance, Manchester United. Tu vois ce que je veux dire ? Mario, on peut ne pas l’aimer. Mais lui, il a obtenu son résultat, et s’est qualifié pour sa finale. Et il a cassé l’équilibre du match. Anderson ou Vidic devaient penser : – C’est un gamin, je vais le bouffer, et c’est lui qui bouffe tout le monde… C’est de l’intelligence, ça, ce n’est pas de la stupidité. Il est prêt à tout pour arriver où il veut arriver. Et il y est toujours arrivé.

Toutes ces histoires de chants en Italie sur lui, c’est du racisme selon toi ?

C’est comme quand ils chantent -Marco Materazzi fils de pute. Lui, on en fait une chose politique, on met des amendes, des sanctions, parce qu’il y a des cris de singe. Moi, ça fait 18 ans qu’on me traite de fils de pute, et jamais personne n’a levé le petit doigt. C’est aussi une forme de racisme mais moi, je vois ça comme : – Je gagne, je dérange, ils ont peur de moi. Quand ils arrêteront de me traiter de fils de pute, ça voudra dire qu’ils n’en auront plus rien à foutre de moi. Et Mario, c’est pareil. Il est fort, des abrutis font des cris de singe pour qu’il joue mal. Mais pourquoi ? T’as peur qu’il joue bien ? À un anonyme, ils ne font pas de cris de singe. C’est peut-être plus de l’ignorance que du racisme. Chez nous, c’est différent. Certains ne veulent pas de Thiago Motta en sélection alors qu’il est blanc et d’origine italienne. Ils ne veulent que des Italiens. Pourquoi ? S’il a choisi l’Italie… Que ce soit parce qu’il ne peut pas jouer au Brésil ou parce qu’il se sent vraiment italien, il n’y a que lui qui le sait. On doit croire ses paroles, on doit croire ses sentiments.

Toi, quand tu as joué à Everton, tu as souffert de racisme ?

C’était il y a très longtemps. A l’époque, quand un étranger allait travailler en Angleterre, il était vu comme quelqu’un qui allait voler le salaire des Anglais. Parfois, il y avait des blagues. Mais le travail, on me l’avait proposé. Et je suis allé là-bas pour des raisons économiques, pas parce que j’aime le football anglais. À Everton, on me proposait dix fois plus qu’à Pérouse, où j’arrivais au terme de mon contrat. Qu’est ce que je devais faire ? Et ça m’a plu comme expérience. Puis, je suis retourné en Italie parce que je voulais jouer avec la Nazionale. Parce qu’il y a dix, quinze ans, quand tu allais à l’étranger, on ne t’appelait pas en sélection. Maintenant c’est fini, il y a Giuseppe Rossi à Villarreal. Mais à l’époque ça ne marchait pas comme ça.

PROPOS RECUEILLIS PAR LUCAS DUVERNET-COPPOLA ET STÉPHANE RÉGY

 » Si Thierry Henry ou Materazzi vont faire du camping aux Etats-Unis, ils peuvent se balader en slip après la douche et personne ne les reconnaît. « 

 » Après notre dernière rencontre, Zidane a dit : ‘Je ne l’ai pas reconnu, j’ai cru que c’était un supporter’. Moi, à sa place, je me souviendrais très bien de la personne qui a ruiné ma carrière. « 

 » Les bouseux et les gitans : ce sont avec eux que je m’entends le mieux. Si on se place en France, je pourrais bien m’entendre avec les Marseillais. « 

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