« On m’a proposé de perdre contre St-Trond et Alost »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Deux ans avec les pros l’ont convaincu que le bonheur était dans les divisions inférieures.

Les internautes du Centre ont désigné le meilleur Loup de la saison: Didier Xhardez récolte plus de 30% de leurs voix. Suivent Thans, Bryssinck, Olivieri, Turaci, Simundza, etc. Un an après avoir joué un tour final parfait, Xhardez est considéré comme l’un des principaux acteurs du sauvetage de La Louvière.

Ce sauvetage, il l’a célébré à sa manière: en annonçant qu’il quittait le Tivoli, où on lui offrait pourtant un nouveau contrat de deux ans, à des conditions revues à la hausse. Les dirigeants et Daniel Leclercq n’ont pas trop insisté pour que leur gardien de but change d’avis: ils savent que quand ce garçon prend une décision, elle a été mûrement réfléchie. Xhardez (31 ans) n’a connu le professionnalisme que durant deux ans. Suffisant pour cerner « les vraies valeurs de ce milieu ». Il empoignera bientôt son attaché-case de représentant pour une firme pharmaceutique et défendra les buts de Visé, en D2.

Didier Xhardez: Le président, le manager et l’entraîneur étaient au courant de mes intentions depuis quelques semaines. Je ne les ai annoncées qu’après le dernier match de la saison parce que je ne voulais pas perturber la sérénité du noyau. Quand j’en ai parlé à Daniel Leclercq, il m’a dit, très simplement: -Ça m’emmerde, mais c’est ta vie. Je respecte ta décision et je te souhaite bonne chance. Si j’avais eu 17 ou 18 ans, il aurait essayé de m’influencer en pensant que j’agissais sur un coup de tête. Mais là, il a compris que j’avais bien réfléchi. J’ai mis tous les éléments à plat: l’aspect purement sportif, les spécificités du foot pro, ma vie privée, mes nouvelles perspectives professionnelles. J’ai pris du recul, pesé le pour et le contre. Et j’en suis arrivé à la conclusion que je serais plus heureux en retournant dans les divisions inférieures. C’est là que se trouvent mes meilleurs souvenirs de joueur. Les amateurs ont parfois beaucoup plus de conscience professionnelle que ceux qui se disent pros.

Devenir professionnel et être titulaire en D1, c’était quand même un rêve de gosse?

Tout à fait. J’ai sacrifié beaucoup de choses pour concrétiser ce rêve. Quand Marc Grosjean m’a proposé de venir à La Louvière, il y a deux ans, j’étais comme un coq en pâte à Virton. J’avais un boulot à responsabilités et un salaire intéressant dans une société qui commercialisait du gros matériel sportif. J’étais heureux comme gardien de Virton en D3. Ma femme travaillait comme comptable au Luxembourg: je ne dois pas vous faire un dessin (il rit)… Et nous avions un cadre de vie idéal à Arlon. Quand nous avons abandonné tout cela pour nous rapprocher de La Louvière, neuf personnes sur dix m’ont traité de fou. Je me suis dit que je n’aurais plus une opportunité pareille à 40 ans. Je ne voulais pas vivre avec des regrets. Aujourd’hui, les gens ne comprennent pas que j’abandonne le football professionnel après m’y être enfin imposé. Je suis l’homme des décisions inattendues… Mais je ne me suis pas épanoui comme je l’espérais dans le métier de footballeur, alors je pars pour faire autre chose. Quand je suis allé chez mes futurs patrons pour une interview d’embauche, ils ne comprenaient pas non plus. Ils m’ont dit: -Mais vous êtes quand même gardien de but en première division! Et vous voulez vraiment quitter le football? (Il rit).

Que reprochez-vous au monde du football professionnel?

Je ne l’ai vraiment découvert que cette saison. L’année dernière, les joueurs de La Louvière étaient déjà professionnels, mais les résultats étaient tellement bons qu’ils ne permettaient pas aux petits problèmes de germer. Il faut passer par des périodes difficiles pour découvrir ce qui est moins rose. Ce fut le cas cette saison. Je me suis rendu compte que ce milieu n’avait rien à voir avec ce que j’avais connu dans les séries inférieures, qu’il n’était pas fait pour moi. J’ai besoin d’un contexte favorable pour être parfaitement heureux. Je ne le trouvais plus en D1. Et comme je pars du principe que la vie est trop courte pour s’ennuyer, je préfère me lancer dans autre chose. J’ai eu peur de signer un nouveau contrat à La Louvière car j’aurais été terriblement malheureux dans six mois ou dans un an si je m’étais rendu compte que j’avais fait une très grosse erreur. J’ai l’habitude d’anticiper les événements, pas de les subir.

Qu’est-ce qui vous a déçu, concrètement, cette saison?

Je n’ai rien à reprocher au club ou à ses dirigeants. C’est la mentalité générale de la D1 qui n’est pas faite pour moi. J’ai commencé à y réfléchir lors des dernières semaines de Marc Grosjean chez nous. C’était devenu intenable et j’étais soulagé quand je montais dans ma voiture après l’entraînement. Chaque défaite était facile à expliquer: c’était la faute de l’entraîneur. J’ai vu le vrai visage de certaines personnes à ce moment-là. Les joueurs qui avaient une certaine expérience auraient dû prendre les choses en mains, garder le bateau à flots. Ils ne l’ont pas fait. Au contraire, ils n’ont pensé qu’à eux. En face de Marc Grosjean, tout le monde était bien gentil et lui donnait l’impression que tout le groupe allait se battre pour lui. Mais, dès qu’il avait tourné les talons, quelques joueurs s’acharnaient à l’enfoncer. Je n’avais pas une relation particulière avec Grosjean, mais j’étais au moins conscient que, sans lui, je ne serais peut-être jamais devenu professionnel.

Heureusement que le nouvel entraîneur possède une très forte personnalité. Daniel Leclercq a vite vu où étaient les problèmes. Il s’était bien renseigné et avait vu les cassettes de nos matches. Il avait compris qu’il y avait du talent dans notre noyau, on s’en est rendu compte tout au long du deuxième tour. Mais la mentalité était catastrophique. Daniel Leclercq a mis les joueurs face à leurs responsabilités. Avec un entraîneur moins autoritaire, notre chute aux enfers se serait sans doute poursuivie. Le visage de l’équipe a complètement changé en quelques jours: ça veut tout dire. Ce n’est quand même pas en deux semaines que certains ont appris à jouer au football…

Grosjean a-t-il été saboté?

Je n’irais pas aussi loin. Je pense que le groupe n’était quand même pas assez vicieux ou crapuleux pour en arriver là. Mais il n’y avait pas une vraie solidarité chez nous. Aujourd’hui, je ne suis plus sûr qu’on puisse considérer le football comme un sport d’équipe, en D1. Jean-Marie Pfaff dit que ça devient une discipline individuelle au plus haut niveau: je suis d’accord avec lui. J’attendais des leaders du noyau qu’ils relancent la machine: j’étais trop naïf. Trop idéaliste. Les valeurs qu’on m’a enseignées et mes expériences dans les séries inférieures étaient en décalage total avec ce que je vivais à La Louvière. A Virton, j’ai appris l’identification à un club, l’altruisme, la solidarité. C’était une véritable école de vie. Les valeurs de cette région ne sont plus tout à fait en phase avec le football actuel, même amateur. Virton avait le plus petit budget de tous les clubs de D3 mais il monte maintenant en D2. Cette montée, c’est d’abord la victoire d’une mentalité. Presque tous les héros d’aujourd’hui portaient déjà le maillot de Virton en 1ère Provinciale. C’est en conservant une équipe qu’on crée des liens d’amitié et qu’on se donne des chances de gagner. Dans le football professionnel, on renouvelle les noyaux chaque saison.

Vous reprochez aux joueurs de La Louvière de ne pas s’identifier à leur club?

A certains, en tout cas. En arrivant, ils allaient eux-mêmes trouver les journalistes pour qu’on écrive qu’ils étaient des parfaits clubmen, qu’ils avaient les couleurs de La Louvière dans le sang, qu’ils étaient prêts à mourir pour ce club. Ils savent que les médias ont le pouvoir de construire ou de détruire très vite un joueur. J’ai très vite vu clair en parlant avec eux dans le vestiaire. Ces gars-là sont obsédés par ce que le grand public pense d’eux. Il y avait un terrible décalage entre leurs déclarations et leur vraie mentalité. Ils se sont mis à genoux pour que La Louvière leur offre un bon contrat. Une fois que le salaire tombe, ils l’oublient et pensent déjà à leur prochain transfert. Des girouettes, des gars qui font leur show et utilisent carrément La Louvière pour aller plus haut, j’en ai rencontré quelques-uns cette saison. Et ces joueurs-là sont dangereux parce que leur mentalité peut faire tache d’huile à tout moment dans le groupe.

Le football et le monde des affaires ont pas mal de points communs. Je m’en suis plus d’une fois rendu compte en discutant avec des hommes d’affaires qui investissent dans le foot. La différence, c’est que dans le business, on sait encore respecter la parole donnée. En football, c’est démodé. Un joueur peut donner son accord verbal un jour et signer ailleurs le lendemain. La mentalité de certains jeunes m’a aussi choqué. Après trois bons matches, ils se voient à Anderlecht, ils s’imaginent en Ligue des Champions. L’arrêt Bosman a mis les joueurs en position de force et permet toutes les dérives. C’est malsain.

Comment avez-vous vécu les doutes de certaines personnes au moment où La Louvière remontait au classement?

C’est clair que nos bons résultats ont étonné pas mal de monde. Mais si on revoit les cassettes de nos matches, on se rend vite compte que nous ne devons rien à personne. Notre victoire au Lierse a suscité des interrogations. Ce soir-là, notre adversaire s’est créé un paquet d’occasions, nous avons eu énormément de chance et exploité un contre tout en fin de match. C’est le football.

On a aussi fait remarquer que Westerlo n’avait pas joué à La Louvière.

Westerlo a justement voulu jouer le jeu, contrairement à tous nos adversaires directs. Nous avons pris cette équipe à la gorge dès les premières minutes et elle n’a jamais trouvé son rythme. Il ne faut pas regarder dans l’assiette de Westerlo pour expliquer le sauvetage de La Louvière!

Avez-vous été confronté à la corruption?

Oui! Un type m’a téléphoné et proposé de laisser filer les matches contre St-Trond et Alost, au deuxième tour. Je me suis senti attaqué, j’ai été très direct et notre conversation n’a pas duré plus de 30 secondes. Il n’a pas insisté.

Filippo Gaone reproche au noyau de ne pas avoir bien accueilli certains nouveaux joueurs.

Je n’ai pas ressenti de rejet. Mais bon, je répète que je suis un peu naïf, et je ne cherche jamais à mettre mon nez dans les petits problèmes. Il est possible que les joueurs menacés par ces transferts n’aient pas fait le maximum pour que tout se passe bien.

N’auriez-vous pas pu faire abstraction de tout cela et poursuivre votre carrière en D1?

C’était impossible. Je ne suis sûrement pas parfait, mais j’ai au moins le mérite de rester moi-même en toutes circonstances. Je n’ai jamais dû changer de trottoir pour éviter une personne que j’aurais trompée. Quand je discute avec une crapule, avec un type qui serait prêt à tuer son père et sa mère pour aller plus haut, j’ai envie de lui coller mon poing sur la figure, pas de lui tenir un discours rassurant. Je ne sais pas être diplomate avec ces gens-là. Certains le font. Benoît Thans n’apprécie pas la mentalité de tous les joueurs, mais il sait prendre du recul et parler normalement avec tout le monde. Moi, je suis incapable de mettre un masque. Je n’aurais pas pu rester en D1 en n’étant plus moi-même. Mais je n’ai pas de regrets. Je voulais me tester dans le football professionnel et je l’ai fait. Aujourd’hui, je pars le coeur léger, en étant très satisfait de ma mini-carrière en D1. J’ai aidé La Louvière à monter, puis à se maintenir. Personne ne peut me reprocher quoi que ce soit: c’est parfait. Le professionnalisme, ça ne me manquera pas.

Quels grands souvenirs garderez-vous de votre passage-éclair en D1?

Nos matches contre Anderlecht, le Standard et Bruges. La joie du sauvetage à Gand. Les retransmissions sur Canal+ qui me permettaient de revoir mes arrêts ou les buts encaissés sous quatre ou cinq angles différents. Alors qu’avant d’arriver à La Louvière, je devais zapper sur les télés régionales pour découvrir quelques images de mes matches. Malgré mes 30 ans, j’ai vécu ces soirées-là avec les yeux d’un gosse. Certaines personnes diront sûrement que Xhardez est vite content. Peut-être. En tout cas, tout ce que j’ai vécu, je l’ai vécu à fond. Aussi bien mes entraînements que mes matches. J’ai emmagasiné le maximum de bons souvenirs. J’étais parfaitement heureux sur le terrain.

Quelle image voudriez-vous que l’on garde de vous?

Ma réputation ne n’obsède pas. Je n’ai jamais recherché la publicité; simplement la reconnaissance. Je veux être perçu comme je suis vraiment: un gardien de but pas vraiment doué, mais travailleur et correct.

Vous n’étiez pas un footballeur professionnel comme les autres: vous avez décroché un diplôme d’études supérieures, vous ne planez pas après un bon match, vous n’avez pas de GSM, les voitures de luxe ne vous intéressent pas…

C’est vrai, je suis atypique. Je suis sans doute trop différent de la plupart des joueurs et c’est pour cela que je ne me suis jamais senti à l’aise dans le monde des pros. J’ai reçu une éducation dans laquelle on n’accorde qu’une importance très relative à tout ce qui est matériel. Dans la vie, il y a des choses tellement plus importantes qu’une grande maison ou une belle voiture. Il y a, à La Louvière, un joueur de 19 ans qui veut s’acheter une magnifique Mercedes avec toutes les options. Tant mieux pour lui s’il peut s’offrir son rêve, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’a pas choisi les bonnes valeurs.

Je n’ai jamais accepté qu’on mette les joueurs sur un piédestal. Pas mal de gens m’ont déjà avoué qu’ils étaient étonnés parce que je reste accessible, terre à terre, et parce que je peux parler d’autre chose que de football. Faut-il vraiment se prendre pour Dieu-le-Père parce qu’on joue en première division? Ce n’est quand même que la D1 belge… J’ai eu la chance d’arriver très tard dans ce monde, avec une maturité et un vécu acquis en dehors du football. Quand un gamin débarque dans ce milieu où tout va si vite, où on paye très bien, je peux comprendre qu’il perde le sens des réalités et qu’il s’imagine au-dessus des autres. On le persuade qu’il est le plus fort, le plus grand, le plus beau. Les managers se mettent à tourner autour de lui en lui proposant encore plus d’argent. Et il se laisse embobiner. C’est compréhensible mais inacceptable. J’ai conseillé à certains jeunes de La Louvière de se méfier, je leur ai fait remarquer que la chute pouvait être aussi vertigineuse que leur ascension.

Pierre Danvoye

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire