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 » On m’a pris pour un gosse de 13 ans « 

Absent du Mondial pour cause de blessure, l’idole du peuple tunisien l’assure : Eupen n’est qu’un trampoline pour mieux rebondir. Entretien du tac au tac, langue de bois au vestiaire.

Débarqué dans les Cantons de l’Est le mois dernier, prêté sans option depuis Doha et Al-Duhail, Youssef Msakni fait rapidement connaissance avec sa nouvelle terre d’accueil. Résultat : une grippe et des terrains belges pas assez bons à son goût. Mais il compte bien s’y faire.

Le joyau tunisien, considéré comme le meilleur de sa génération, minimum, vient à Eupen pour se remettre en forme et se relancer. Un choix surprenant pour l’ailier de 28 piges, qui dit avoir refusé Cardiff, en Premier League, mais aussi un retour dans le club de son coeur, l’Espérance Tunis.

 » J’aime mon équipe, mais ce n’est pas le moment de revenir à Tunis « , confesse l’international aux 46 sélections.  » Un jour, peut-être, j’y retournerai. Mais ils viennent de prendre la Champions League, qu’est-ce que je peux leur apporter de plus ?  »

On parle souvent de Tunis comme d’un endroit où il fait bon vivre. Quelle connexion gardes-tu avec ta ville natale, que tu n’as finalement quittée qu’en 2013 ?

YOUSSEF MSAKNI : Je ne l’ai jamais vraiment quittée ( il sourit). Avec l’équipe nationale, j’y retourne assez souvent. Donc ça ne me manque pas tellement. On y est bien, trop bien, même… Au Qatar, le temps était quasiment le même. Je n’étais pas trop perturbé, un peu plus ici ( rires). Les plus beaux souvenirs que j’ai à Tunis sont ceux que j’ai engrangés avec l’Espérance ( club de la capitale tunisienne, ndlr). Les championnats, les coupes, la Ligue des Champions ( de la CAF, ndlr), la Coupe du monde des clubs… Je suis plutôt bien titré à Tunis ( il sourit).

Personne ne veut payer pour quelqu’un qui vient du Qatar.  » Youssef Msakni

Ton plus beau titre…

MSAKNI : ( Il coupe, directement) C’est la Champions League. On gagne en finale contre le Wydad Casablanca ( en 2011, ndlr). Malheureusement, on a été trois fois de suite finalistes, mais on a soulevé le trophée qu’une fois. Tu me diras, c’est déjà pas mal. Contre le Wydad, le match retour se tenait à Tunis, devant plus de 60.000 personnes… C’était incroyable ( grand sourire). On n’a pas fait un grand match, mais on a gagné 1-0, juste ce qu’il fallait. Tout le monde attendait de remporter à nouveau la Champions League ( depuis 1994, ndlr).

Une famille foot

Un an plus tard, en 2012, ton grand frère Iheb te rejoint à l’Espérance. Le foot, c’est une affaire de famille ?

MSAKNI : On était déjà ensemble au Stade tunisien ( son club formateur, ndlr). C’était bien. C’est mon frère, donc je le connais plutôt bien ( rires). On jouait ensemble au street, dans la rue. Mais aujourd’hui, je ne veux plus qu’il touche à mes crampons, mes chaussures. Il essaye toujours de me les prendre ( rires). On a hérité cette passion de notre père. Il a joué dans quatre clubs de Tunis, dont l’Espérance. J’ai deux autres frères, qui jouent aussi. Aziz a 23 ans et joue en deuxième division quand Skander, le petit ( 20 ans, ndlr), joue avec la réserve de l’Espérance. On est une vraie famille de football. Imagine comment c’était dur pour notre mère…

Quand tu quittes Tunis, ton dernier match est une finale perdue de la Ligue des Champions contre les Egyptiens d’Al Ahly. Tu n’es pas parti sur un sentiment d’inachevé ?

MSAKNI : J’étais malade. J’ai été opéré de l’appendicite la veille du match aller de la finale. Du coup, je ne l’ai pas joué, mais j’étais là pour le retour, même si je ne m’étais pas entraîné. Sur le terrain, je me suis senti faible. C’était difficile de tout donner. Mais je n’étais pas spécialement déçu. On a quand même été trois ans de suite finalistes, surtout que chaque année, on avait au moins un titre, championnat ou coupe. Partir là-dessus, ça va ( il sourit).

Sous la tunique des Aigles de Carthage.
Sous la tunique des Aigles de Carthage.© BELGAIMAGE

Pourquoi choisir le Qatar ?

MSAKNI : Je voulais sortir de Tunis. J’avais tout fait à l’Espérance. Il y a un moment où il faut sortir. Mon président était d’accord mais il voulait que je signe en juin pour partir en janvier et jouer la finale de la Champions League. Je n’étais pas contre mais aucun club n’a accepté l’idée, mis à part le Qatar ( sic). Moi, je voulais absolument partir. Même en Afrique ( il sourit). Sinon, à un moment donné, j’allais régresser.

Cinq ans au Qatar

Lille et Monaco étaient aussi intéressés par ton profil.

MSAKNI : Il y avait Nice aussi, un peu. Il y avait même une équipe en Russie mais pour moi, c’était impossible. Il fait trop froid là-bas. Tous me faisaient quasiment la même offre. Au final, il ne restait plus que le Qatar, parce que c’était le seul à bien vouloir me recruter en juin pour ne me voir qu’en janvier. C’était la condition et moi, j’étais juste content de partir ( il signe à Lekhwiya, devenu Al-Duhail en 2017, ndlr).

Tu étais jeune et promis à un bel avenir. À 22 ans, tu n’avais pas peur de t’enterrer ?

MSAKNI : Tout le monde m’a dit ça… Que j’allais perdre mon niveau, surtout à l’international. Mais on l’a vu, avec l’équipe nationale, j’ai marqué des buts, j’ai répondu présent. J’ai même progressé au Qatar, même si j’y suis resté cinq ans. Chaque année, j’ai reçu des offres. Mais elles n’étaient pas assez bonnes. C’était n’importe quoi. Ce n’était jamais assez bien, ni pour moi, ni pour le club. En fin de saison dernière, le président m’a dit :  » La Coupe du monde approche. Si tu fais une bonne Coupe du monde, tu pars en Europe, direct « .

Et puis, finalement, tu te fais les croisés, deux mois avant…

MSAKNI : ( Sourire gêné, il marque une pause) Oui… C’est du passé.

On sent quand même que tu en souffres encore.

MSAKNI : ( Il souffle) Les croisés, ce n’est pas si grave. Mais là, deux mois avant la Coupe du monde, c’est dur. C’est le foot, il faut l’accepter. Qu’est-ce que tu veux faire d’autre ?

Une offre de Cardiff

Au pays, et partout ailleurs, on parlait de toi comme le meilleur élément de la Tunisie, le joueur-clé de la sélection. Où et comment as-tu vécu cette Coupe du monde ?

MSAKNI : J’étais avec le groupe. Le premier match, j’étais cuit.

Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

MSAKNI : Là, j’ai senti… ( il hésite) J’ai senti que j’avais manqué quelque chose. Quelque chose de grand. ( il marque pause) Il faut quand même être fort pour oublier.

Avant la blessure, comment tu voyais ton avenir ?

MSAKNI : La Coupe du monde pouvait être un tremplin. J’en avais parlé avec mon président, qui n’était pas contre un départ, mais qui préférait que je la joue pour me mettre en valeur. Je me suis blessé et on a discuté à nouveau. Il m’a dit que j’étais maître de mon destin. S’il y avait une bonne offre, je pouvais partir. J’en ai reçu une de Premier League.

C’était Brighton ?

MSAKNI : Non, non… N’importe quoi. Tu sais pourquoi on a dit ça ? Parce que j’étais trois jours à Londres, comme ça, avec ma femme. J’ai posté des snaps et on a dit que je passais ma visite médicale à Brighton… ( rires) Non, ce club de Premier League, c’était Cardiff. L’offre était bien, mais j’ai réfléchi. Même si c’est le championnat dans lequel j’aimerais évoluer, je n’avais pas encore joué, je sortais d’une blessure de neuf mois et là-bas, il y a un rythme infernal… C’était impossible. Donc j’ai accepté de venir ici.

Remise en forme

Tu passes quand même de Cardiff, en Premier League, à Eupen…

MSAKNI : Oui, mais si je pars là-bas, je ne joue pas une minute. C’est quoi l’objectif ? Ici, ce n’est pas la Premier League. Déjà, on ne joue qu’une fois par semaine. Je vais pouvoir reprendre le rythme, me remettre à niveau, prendre du temps de jeu…

Il n’y a pas d’option sur ton prêt.

MSAKNI : ( Il coupe) Bien sûr qu’il n’y en a pas. L’objectif, ce n’est pas de rester à Eupen. C’est de partir ailleurs. Tout le monde est au courant.

Le Kehrweg, c’est un peu un centre de remise en forme pour toi…

MSAKNI : ( il rit) Ici, je n’ai pas de garanties non plus, mais je sais que je peux jouer. Je peux commencer doucement. Dix minutes, vingt minutes… Combien de mois il reste sur la saison ? Quatre ou cinq. Après, il y a la Coupe d’Afrique. Il faut pouvoir être prêt.

La CAN, c’est l’objectif principal ?

MSAKNI : Bien sûr. Et ce n’est pas la même chose si tu viens d’Eupen, en Belgique, ou du Qatar. Ce n’est pas pareil. À chaque Coupe d’Afrique, je fais tout, mais je reçois des offres… ( il soupire) On dirait qu’elles sont destinées à un gosse de treize ans. Pourquoi ? Parce que je viens du Qatar. Personne ne veut payer pour quelqu’un qui vient du Qatar. Mais, maintenant, je joue en Belgique. Il y a le rythme, le haut niveau.

Donc, finalement, tu t’ennuyais quand même un peu au Qatar…

MSAKNI : Non, franchement. Il y a quatre ou cinq matches intéressants. Il y a quand même du rythme. Trois ou quatre clubs du championnat ont un bon niveau. Et même aujourd’hui, tu le vois, le Qatar vient de remporter la Coupe d’Asie contre le Japon. Les clubs qataris sont aussi toujours présents en quarts ou en demi-finales de la Ligue des champions asiatique.

Tremplin belge

Tu restes assez méconnu en Europe. Pourtant, en Afrique et surtout en Tunisie, tu es une idole. Ça ne t’a pas desservi de signer au Qatar et d’y rester si longtemps ?

MSAKNI : On va voir… Si je ne suis pas bon ici, je vais rentrer au Qatar. Si je fais des bons matches, je pars dans un grand club. Je ne dis pas qu’Eupen n’en est pas un, mais je parle d’un club qui joue des matches de Champions League.

En signant à Eupen, tu as gardé le même contrat qu’à Al-Duhail ?

MSAKNI : Non, j’ai pas mal perdu.

Tant que ça ?

MSAKNI : Oui, un peu, quand même. Mais cinq mois, c’est rien. Je suis arrivé ici en janvier. Mais on peut déjà oublier ce mois. ( Il compte) De février à juin, ça fait cinq mois, cinq salaires. Ça va. Après, je vais dans un autre club. Enfin, j’espère. L’objectif d’Eupen, c’est aussi ça, maintenant : gagner de l’argent, en vendant des jeunes talents. Moussa Wagué, qui est parti à Barcelone, est un bon exemple.

Tu as 28 ans, tu n’es plus tout jeune…

MSAKNI : Et alors ? Drogba a percé sur le tard ( l’Ivoirien signe à Chelsea à 26 ans, ndlr). Tout peut aller très vite. Je suis sûr qu’il y aura quelque chose de bien pour moi. Ici, c’est un tremplin. Tout le monde regarde la Belgique. Enfin, toute l’Europe, du moins ( sourire).

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