» On m’a liquidé car je gênais « 

Plus aucun endroit du globe n’est épargné : le cartel asiatique des paris a déployé ses tentacules partout, du cercle polaire au plus profond du continent noir. A trois reprises, le chemin de notre compatriote Tom Saintfiet a croisé celui des falsificateurs de rencontres.  » Sans cela, ma carrière aurait été tout autre.  »

Février 2011. Le truqueur de matches Wilson Raj Perumal, un ressortissant de Singapour, est arrêté à Helsinki. Cet été-là, il est condamné à deux ans de prison pour avoir faussé au moins 28 matches du championnat de Finlande. Onze joueurs sont suspendus pour six à vingt mois. Parmi eux, neuf Zambiens et deux Géorgiens. Hormis deux Zambiens qui évoluent à l’AC Oulu, tous jouent à RoPS. Le joueur-entraîneur Zeddy Saileti l’échappe belle : il se réfugie en Zambie et continue à nier. Le directeur général Jouko Kiistala démissionne. Tampere United, un grand club, est exclu de la compétition pour avoir blanchi 300.000 appartenant à Exclusive Sports Limited, une société-fantôme dirigée par Perumal.

Eté 2008, Finlande

Début janvier 2008, Tom Saintfiet atterrit à Rovaniemi, chef-lieu de la Laponie finlandaise. A l’époque, le club de football local, Rovaniemi Palloseura, RoPS, en abrégé, vient à peine de rejoindre l’élite, la Veikkausliiga et a rencontré notre compatriote par le biais du manager finlandais de celui-ci. Le palmarès du club est pratiquement vierge, si ce n’est qu’en 1986, il a remporté la Coupe de Finlande pour se hisser, dans la foulée, en quarts de finale de la Coupe d’Europe, où il a affronté Marseille.

Comme, en hiver, il était impossible de jouer à Rovaniemi, RoPS avait vendu aux Français son droit d’évoluer à domicile. Les deux matches avaient donc eu lieu au Stade Vélodrome. Cette astuce et les droits de télévision avaient rapporté une belle somme d’argent que le club avait intelligemment investie dans l’achat d’un immeuble situé en plein coeur du quartier commerçant. Au rez-de-chaussée : une agence de paris. Et aux étages, des appartements que le club louait afin d’équilibrer son budget. De plus, il avait ainsi toujours un endroit où loger ses joueurs étrangers, pour la plupart des Zambiens. Mais ceux-ci étaient aussi de bons clients des tables de bingo du rez-de-chaussée.

RoPS n’a jamais été un club riche. En raison de sa situation géographique d’abord, dans le grand Nord, à mille kilomètres d’Helsinki, avec des déplacements coûteux à la clé. Et à cause de ses conditions climatiques avec de la neige d’octobre à avril et un thermomètre flirtant parfois avec les -25 degrés.  » Quand on sait que les salaires varient de 700 à 3000 €, on comprend pourquoi il est très difficile de convaincre un joueur de signer à Rovaniemi », dit Saintfiet.

C’est pourquoi, il y a 20 ans, le directeur général JoukoKiistala, avec l’aide d’un Zambien qui étudiait à Londres avec son fils, se lança dans l’import de joueurs zambiens. D’abord quelques-uns, puis de plus en plus.  » ZeddySaileti fut le premier, en 1994, l’année où la Zambie disputa la finale de la Coupe d’Afrique des Nations « , dit Saintfiet.  » C’était un très bon joueur, réputé sur le plan international mais qui est toujours resté à Rovaniemi, où il était devenu l’homme de confiance de Kïistala et où on lui avait offert un contrat à vie. Il a joué jusqu’en 2009 tandis que, petit à petit, d’autres Zambiens arrivaient au club.  »

Sapés comme des princes

En Finlande, la saison correspond à une année civile. Le championnat débute en avril et, avant cela, on dispute la Coupe de la Ligue indoor, sur terrain synthétique. Le joueur le plus connu de l’équipe de Saintfiet s’appelle Mika Nurmela. Il a été international à 71 reprises et a porté le maillot de Heerenveen, ainsi que celui de Kaiserslautern. Sur les conseils de l’entraîneur belge, le club recrute un gardien ukrainien, un défenseur central estonien, un ailier camerounais et un attaquant nigérian. Ses Zambiens arrivent début février.

 » Je suis allé les chercher moi-même à l’aéroport, avec quelques autres personnes du club « , dit-il.  » J’ai été frappé par la façon dont ils étaient sapés ! Et je ne parle pas de leurs iPhone dernier cri ou de leurs montres. Tout cela avec un salaire mensuel de 900 €…  »

Selon Saintfiet, en vingt ans, une bonne douzaine de Zambiens a débarqué à Rovaniemi. « Kiistala était particulièrement fier d’eux. C’étaient ses Zambiens. Au fil du temps, il avait laissé Saileti s’occuper du recrutement. Les deux hommes avaient une confiance aveugle l’un dans l’autre. Zeddy était Mister Rovaniemi. En Finlande, tout le monde le connaissait. Toute forme de communication avec les Zambiens passait par lui. Il était leur exemple, leur parrain. Avec moi, il était plutôt introverti. Il disait toujours oui et refusait toute responsabilité.  »

Aujourd’hui, il y voit plus clair.  » Certains joueurs, comme StephenKunda et ChandaMwaba n’étaient pas mauvais. Il n’est pas normal, dès lors, qu’ils aient signé un contrat de longue durée pour 900 € par mois. Pourquoi tous ces Zambiens qui ont atterri à RoPS ne sont-ils jamais partis dans un autre club finlandais, où ils auraient pu gagner le double.  »

Avant cela, en été 2005, Saintfiet avait déjà failli travailler en Finlande. Il regardait la télévision dans sa chambre d’hôtel lorsque Gaston Peeters, alors manager du Lierse, apparut à l’écran en compagnie de Zheyun Ye, le Chinois qui avait fui la Belgique après avoir corrompu le Lierse et La Louvière et qui visait à présent la Veikkausliiga. Tampere United n’avait pas osé lui faire confiance mais Allianssi s’était lancé dans l’aventure. La suite est connue. Sous la direction de Thierry Pister, une équipe composée pour moitié de joueurs belges s’était inclinée 0-8 face au FC Haka. Le scandale éclatait et Allianssi allait faire faillite.

Saintfiet :  » Lorsque j’ai signé à RoPS, une annexe de mon contrat faisant au moins dix pages avait trait au trucage de matches. Depuis le passage de Ye, la fédération oblige chaque joueur et chaque entraîneur à certifier par écrit qu’il ne s’est jamais adonné à cette pratique. En signant cela, je signais mon arrêt de mort si jamais un jour j’étais impliqué dans un tel scandale. Les Zambiens n’ont-ils pas dû le faire ?  »

Pour Saintfiet, il s’est passé trop de choses pour que cela ne soit dû qu’au hasard.  » Je suis convaincu que je gênais quelqu’un et que c’est pour cela que j’ai dû partir. Je n’étais pas une marionnette.  »

Deux ans après la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, un rapport de la FIFA fait état d’indication sérieuse de tricheries pendant la campagne de préparation du pays organisateur. Les matches visés sont ceux contre la Thaïlande (4-0), la Bulgarie (1-1), la Colombie (2-1) et le Guatemala (5-0). Tous ont eu lieu en mai 2010, moins d’un mois avant le coup d’envoi de la Coupe du Monde. Ces matches étaient organisés par Football4U, une société-écran appartenant à Wilson Raj Perumal et qui avait engagé des arbitres venus du Kenya, du Togo ou du Niger. En décembre 2012, la fédération sud-africaine suspend cinq officiels, dont son président. Un mois plus tard, le ministère des Sports annule la sanction. L’enquête se poursuit et on attend les suites. Entretemps, l’arbitre nigérien Ibrahim Chaibou a atteint l’âge de la retraite. Samuel Lagat est suspendu par la fédération kényane et ne fait plus partie de la liste FIFA depuis 2010. Selon la FIFA, aucun joueur ne serait impliqué.

Mars 2010, Afrique du Sud

Le 3 mars 2010, Saintfiet et la Namibie rencontrent l’Afrique du Sud en match amical dans le magnifique stade Moses Mahbida de Durban, entièrement rénové en vue de la Coupe du Monde. Le gratin de la FIFA, emmené par Sepp Blatter et Jérôme Valcke, se trouve dans la tribune d’honneur tandis que l’hôtel Hilton est rempli d’huiles et d’anciennes vedettes. Sport/Foot Magazine a effectué le déplacement et se rend, comme prévu, au desk de la FIFA afin d’y rencontrer le team manager namibien. Deux Asiatiques plutôt marrants portant un maillot de football font exactement la même chose.

Ils passeront le reste de la journée dans le lobby de l’hôtel et leur présence n’échappera pas à Saintfiet.  » Je les ai vus parler à quelques-uns de mes joueurs à la réception. Ils se sont notamment adressés à mon gardien, qui est sourd-muet. Deux Asiatiques portant un maillot de foot : j’ai trouvé ça suspect. Quand j’en ai parlé aux joueurs, ils m’ont dit qu’on leur avait proposé des contrats pour aller jouer à Singapour. J’en ai directement informé le président et le team manager. Ce n’était sans doute pas une bonne idée mais je ne l’ai su que par la suite.

J’ai demandé qu’on établisse un document disant que les joueurs et le staff s’engageaient à ne pas s’adonner au trucage de matches sous peine d’une amende et de poursuites en justice. Le président n’a pas voulu. J’ai alors pris les choses en main et j’ai sermonné les joueurs. Je les ai menacés de ne plus jamais jouer au football si jamais la moindre chose éclatait.  »

Les mots de Saintfiet font effet. Les médias spéculent sur une lourde défaite de la Namibie mais le match se termine sur un score nul (1-1). Les Brave Warriors, loin d’être ridicules, ont même mené au score…

Le son des vuvuzelas s’est à peine estompé qu’au Zimbabwe, pays voisin de l’Afrique du Sud, la CEO Henrietta Rushwaya est suspendue. La Mata Hari de la fédération zimbabwéenne semble avoir co-organisé quelques tournées asiatiques truquées de l’équipe nationale avec Wilson Raj Perumal. Fin 2009, en Extrême-Orient, le Zimbabwe s’était incliné en Thaïlande (3-0) et en Syrie (6-0). Plus tôt dans l’année, il avait perdu deux fois contre la Malaisie avec une sélection qui n’était en fait que l’équipe de Monomotapa United, plusieurs fois championne nationale. Depuis deux ans, l’enquête piétine. Une centaine de joueurs, officiels et journalistes ont écopé de peines diverses, allant de l’amende à la suspension à vie, mais la FIFA hésite encore à les faire appliquer.

Septembre 2010, Zimbabwe

L’année de la Coupe du Monde, Saintfiet quitte l’équipe de Namibie pour celle du Zimbabwe, un pays dont une douzaine de joueurs évolue dans des championnats européens, dont Honour Gombani et Vusumuzi Nyoni en Belgique, notamment.

A cette époque, le Zimbabwe est en plein coeur de l’Asiagate, le scandale de trucage des matches de son équipe nationale. La CEO Henrietta Rushwaya est déjà suspendue mais on attend encore les résultats définitifs de l’enquête. Lorsque Saintfiet arrive à Harare, la capitale du pays, le président fédéral Cuthbert Dube joue la montre et reporte la signature du contrat de dix jours.

 » Il était mis sous pression par Robson Sharuko, de The Herald, le plus grand journal du Zimbabwe, qui écrivait chaque jour des choses négatives à mon sujet et se demandait pourquoi on écartait Norma Mapeza, l’intérimaire local. On dit que Sharuko a fait chanter Dube parce que celui-ci aurait acheté sa présidence. C’est ce qu’il m’a dit lorsqu’il m’a fait signer.  »

Car le contrat est finalement célébré et Saintfiet dévoile sa première sélection pour le match face au Cap Vert. Vingt des vingt-cinq joueurs sélectionnés évoluent à l’étranger.  » Je me suis longtemps demandé pourquoi on mettait ce Mapeza en avant. J’ai regardé qui il avait sélectionné pour le match précédent, face au Libéria : vingt joueurs locaux et cinq étrangers, dont aucun jouant en Europe. J’ai alors découvert que son frère était agent de joueurs. Les locaux devaient donc être sélectionnés pour pouvoir être transférés en Europe.  »

Saintfiet n’est encore en place que depuis deux jours que TheHerald titre : Sainfiet deported today ? Il allait soi-disant être expulsé du pays pour une question de permis de travail. L’homme donne un coup de fil à la fédération, où on le rassure : tout va s’arranger. Mais une heure avant sa première conférence de presse, le secrétaire général le rappelle.  » Il m’a demandé d’annuler la conférence de presse parce qu’on allait m’arrêter en pleine salle de presse. Ils voulaient en faire un show médiatique.  »

Une heure plus tard, alors qu’il est sur le terrain, le même secrétaire général débarque en courant.  » Il m’a dit d’arrêter directement. Le ministère des Affaires Etrangères l’avait prévenu que je devais être à l’aéroport deux heures plus tard, sous peine d’être arrêté et expulsé. La police et l’armée en avaient reçu l’ordre parce que je travaillais sans permis. Nous avons sauté dans l’auto. La seule option possible, pour moi, consistait à quitter le pays en voiture. Mais que se passerait-il si la police m’arrêtait ? Personne ne pouvait me le dire.  »

A la tombée de la nuit, un chauffeur le conduit au Botswana. Arrivé là-bas, Saintfiet se dit encore qu’il sera sur le banc quatre jours plus tard face au Cap Vert mais le dimanche arrive et il n’a aucune nouvelle. Impuissant et fâché, il retourne en Namibie où son amie est restée dans leur maison de Windhoek.  » Après deux matches, Norma Mapeza est redevenu sélectionneur national. C’était quelques semaines avant que les noms des personnes impliquées dans l’affaire de corruption ne soient connus. Le sien y figurait. Un an et demi après mon départ, il a perdu son job et a été suspendu. Tout comme Robson Sharuko, le journaliste qui a eu ma peau et qui était sur le banc lors des matches truqués face à la Syrie et la Thaïlande. Mapeza et Sharuko étaient impliqués jusqu’au cou mais ils ont eu ma peau. Pourquoi ? Parce que je dérangeais leur business. « ?

PAR JAN HAUSPIE

 » J’ai été frappé par la façon dont les Zambiens étaient sapés. Tout ça pour 900 a par mois !  »

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