» ON L’APPELAIT MINI »
Avec trois superbes buts, Danijel Milicevic est le meilleur buteur de Gand en Ligue des Champions. A Bellinzona, on n’est pas surpris par la réussite du milieu de terrain suisse, d’origine serbe. Souvenirs d’une époque où » Mili » s’appelait encore » Mini « .
Pour Danijel Milicevic, homme en vue des Buffalos, le chemin vers le sommet aura été long et semé d’embûches, comme en témoignent tous ceux que nous avons rencontrés à Bellinzona, où tout a commencé pour lui autrefois: son père Vladó, sa mère Dragica, ses amis d’enfance Branko, Zdravko et Bojan, sa cousine Daniela et son ancien entraîneur chez les jeunes, Martino.
VLADÓ: Le football était le seul centre d’intérêt de Daniel. Il n’avait pas besoin d’autres jouets. En revanche, lorsqu’on lui offrait une nouvelle paire de chaussures de foot, il était aux anges. Lorsque le nouveau modèle n’était pas disponible à Bellinzona, sa maman se rendait en voiture à Milan pour le lui acheter. La capitale de la Lombardie n’est éloignée que de 80 kilomètres.
DRAGICA: Danijel était plein d’énergie, il ne restait jamais en place. Son passe-temps favori, c’était de tirer au but. Il essayait même d’expédier le ballon dans les filets depuis la plateforme de la station-service.
VLADÓ: C’est ainsi qu’un jour, il a cassé la vitre d’une toute nouvelle Audi 80. Je ne compte plus les vitres brisées par un ballon.
DANIELA: Danijel a un mois de plus que moi, mais j’ai toujours été plus grande que lui. On l’appelait Mini.
VLADÓ: Sa petite taille le handicapait au football.
DRAGICA: Mais pas à l’école. Là, Danijel était un artiste: il adorait peindre.
VLADÓ: Un jour, il nous a même aidés à peindre une voiture dans le garage. Je m’étais en effet cassé la jambe durant un tournoi. Mais c’est la première et la dernière fois que je lui ai demandé de donner un coup de main au garage. (il rit)
MARTINO: Il avait 12 ou 13 ans lorsque je suis devenu son entraîneur. Ballon au pied, on pouvait le comparer à LionelMessi. Toutes proportions gardées, bien entendu. Lors de son premier match, il a marqué quatre buts. Chaque semaine, ou presque, il en marquait deux ou trois. Je me souviens qu’un jour, il a envoyé le ballon dans les filets depuis le milieu du terrain. Il n’avait pas besoin de recevoir beaucoup de consignes. Lui dire qu’il jouait en n°10 suffisait amplement. Mon frère entraînait les jeunes de la catégorie supérieure, et nous avons rapidement décidé de le surclasser. Un an plus tard, il est parti à Lugano.
PLAN A ET PLAN B
A 15 ans, Danijel fréquente l’école de Tenero: c’est là qu’est situé le centre national d’entraînement pour les jeunes sportifs. Branko, un ami d’enfance de Danijel qui est devenu champion de Suisse de natation en plein air, l’a accompagné là-bas.
BRANKO: Ce furent des années très intenses.
DRAGICA: Danijel se levait à six heures et ne rentrait à la maison qu’à 21h30.
BRANKO: Le matin, il se rendait d’abord d’Osogna à Bellinzona, où il prenait le train pour Tenero. Il allait à pied de la gare à l’école. Après les cours, il reprenait le train pour Bellinzona, d’où il poursuivait vers Lugano où il allait s’entraîner. En tout, le trajet faisait 120 kilomètres. Mais il savait où il voulait aller. Danijel voulait à tout prix réussir dans le football, s’en est donné les moyens et a tout fait pour que son rêve devienne réalité. Mais il avait aussi un plan B. Ainsi, après ses humanités, il a travaillé pendant un an dans un bureau.
VLADÓ: Lorsqu’il avait 17 ans, il a remporté un tournoi à San Remo avec Lugano. Le Genoa lui a fait une proposition, mais j’ai refusé qu’il y aille: » Termine d’abord tes études « , lui ai-je dit. » Après, tu iras où tu voudras. » Il ne faut pas atteler la charrue avant les boeufs. Un diplôme, c’est important pour se lancer sur le marché de l’emploi. »
Danijel a joué en équipe Première à Lugano, alors en deuxième division, mais c’est lors de son passage à Yverdon, qui évoluait parmi l’élite, qu’il a signé son premier contrat professionnel. A cette époque, ses amis Branko, Bojan et Zdravko ont joué un rôle très important.
BRANKO: Le week-end, nous étions tous là-bas et nous sortions ensemble. Après quelques mois, nous connaissions plus de monde à Yverdon qu’à Bellinzona.
BOJAN: Son premier coach à Yverdon, Roberto Morinini a également joué un rôle important. Il était originaire du Tessin, parlait l’italien et était un homme sensible, qui comprenait les émotions. Pour Danijel, qui est devenu international Espoir sous sa direction, il incarnait une figure paternaliste. Malheureusement, le club est descendu. Danijel a voulu partir, mais le président voulait toucher de l’argent pour son transfert. Danijel a alors décidé de casser son contrat. Il est resté sans club durant six mois.
BRANKO: Les agents lui ont jeté de la poudre aux yeux. A les croire, Danijel pouvait même signer en Angleterre ou en Allemagne. Mais leurs promesses ne se sont jamais concrétisées. Danijel a, certes, passé une semaine à l’essai à Blackpool, mais sans contrat à la clef.
DANIELA: Ce fut la période la plus difficile de sa vie. Il s’est dit : j’ai 22 ans, et si je ne trouve pas un club endéans les six mois, je devrai peut-être faire une croix sur ma carrière. Mais il savait ce qu’il voulait, et s’est entraîné individuellement à Osogna, au milieu des montagnes. Son ancien club de Lugano l’a aussi autorisé à s’entraîner avec les U21.
UNE PRÉDICTION DEVENUE RÉALITÉ
Grâce à l’agent de joueurs italien Alessandro Beltrami, il a finalement atterri en 2008 à l’AS Eupen, en D2 belge. Le club était alors dirigé par un autre agent italien, Antonio Imborgia.
BRANKO: C’était une sorte de pari. Cela passait ou cela cassait. Danijel a tout laissé derrière lui et a tenté le coup. Il croyait en son rêve.
BOJAN:Mijat Maric, qui est également originaire du Tessin, lui a été d’un grand secours. A l’époque, déjà, il entretenait son corps dans les centres de fitness, et faisait appel à un nutritionniste. Il a encouragé Danijel à l’imiter. C’était sa première expérience à l’étranger et nous sommes évidemment allés lui rendre régulièrement visite à Eupen.
BRANKO: Un soir, nous avons même croisé IvanRakitic dans une discothèque à Dusseldorf. Il jouait à l’époque à Schalke 04. Ce soir-là, un chanteur serbe très connu donnait un concert dans cette salle. Danijel et Ivan se connaissaient pour s’être fréquentés en équipe nationale suisse U21.
En Belgique, Danijel a également gravi les échelons marche après marche. D’Eupen, il est parti à Charleroi, et est aujourd’hui l’un des joueurs-clefs de Gand, qui brille en Ligue des Champions.
VLADÓ: Lorsque Danijel a inscrit le but victorieux contre le Zenit, j’ai vu toute sa carrière défiler en un éclair.
Bojan: Ceux qui le connaissent bien savaient qu’il allait marquer. Cela se lisait dans ses yeux. Il était sûr de lui. Danijel a la testa dura. La tête dure. Quand il veut quelque chose…
DANIELA: Lorsqu’il était enfant et grand supporter de l’AC Milan, il a déclaré: un jour, j’évoluerai aussi à ce niveau. Cette prédiction est devenue réalité. Mais il le doit, à 50%, au soutien de sa famille. Dans le Tessin, il a pu grandir dans un environnement calme et stable. Il a pu se concentrer sur ses objectifs et les a finalement atteints. En Serbie, lorsque nous-mêmes étions jeunes, c’était beaucoup plus difficile. Mais nos parents nous ont transmis les valeurs de l’ex-Yougoslavie : l’importance de la famille, le dur labeur, l’indépendance et l’esprit d’entreprise.
BRANKO: La combinaison des deux cultures a été bénéfique pour Danijel: à la maison, il baignait dans la culture serbe, et à l’école, on lui enseignait la culture suisse. Il a également hérité de la mentalité des Balkans : il fait avec passion ce qu’il a envie de faire, il ne renonce pas lorsque cela ne réussit pas du premier coup. Il a aussi un petit côté italien: il vit pour le football, pour l’instant présent et pour l’émotion.
DANIELA: Danijel aime beaucoup l’Italie: la musique italienne, les pizzas, les sorties entre amis. Mais il aime aussi rester à la maison, afin de se relaxer après un entraînement. Prendre un bain à la lumière des bougies. Et faire du shopping, cela le détend. Il avoue un faible pour les chaussures. Danijel veut être parfait, il est toujours le dernier à sortir de la salle de bains. (elle rit) Enfin, il rêve de fonder une famille et d’avoir des enfants, mais il n’est pas pressé.
SALUTE, ZIVELLI, CHEERS, SANTÉ !
BRANKO: Il a eu une petite copine pendant quatre ou cinq ans, mais depuis sa dernière saison à Charleroi, il est redevenu célibataire. Je pense que cette relation lui coûtait trop d’énergie. Aujourd’hui, il profite mieux de la vie et a moins de problèmes. Il gagne aussi plus d’argent, mais au fond de lui, il n’a pas changé.
DANIELA: Lorsqu’il revient ici pendant l’été, nous organisons toujours un barbecue pour plus de vingt personnes. On mange, on boit, on rit, et on joue au football dans le but qu’il utilisait lorsqu’il était enfant. Il est toujours heureux de retrouver la famille et les amis.
BRANKO: Et il nous rend heureux. Nous sommes fiers de lui. Après son but contre le Zenit, j’étais très ému. Je ne dis pas que j’ai pleuré, mais c’était une sensation très forte. Nous sommes comme des frères. Zdravko devait travailler ce jour-là. Après le boulot, il a pris le volant et s’est tapé huit heures de route afin d’aller assister au match à Gand. Au coup de sifflet final, il a refait le trajet en sens inverse, afin d’être à temps pour reprendre le travail à Bellinzona.
Cette année, la finale de la Ligue des Champions aura lieu à Milan, dans le stade où Danijel s’est si souvent rendu lorsqu’il était enfant. Il a toujours rêvé d’y jouer.
BRANKO: Rendez-vous à Milan, donc! On peut toujours rêver… (il rit)
Salute! Ziveli! Cheers! Santé! On trinque avec un verre d’Amaro Montenegro, à la santé de Danijel et des exploits à venir.
PAR CHRISTIAN VANDENABEELE EN SUISSE – PHOTOS PG
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