On l’aime ou on le déteste

José Mourinho a griffé le football du 21e siècle. Le Portugais a collectionné les trophées avec le FC Porto, Chelsea, l’Inter Milan et le Real Madrid. Le mois prochain, celui que l’on a surnommé le Special One fêtera ses 50 ans.

Au début de la saison, José Mourinho a modifié son surnom, The Special One en The Only One. Car après tout, il est  » le seul à avoir été champion dans les trois compétitions les plus importantes du monde  » comme il le dit si bien lui-même.

De simple interprète à ses débuts, l’homme est devenu un grand entraîneur. En l’espace de douze ans à ce poste, il a accumulé les trophées, toutes nations et compétitions confondues. Sans faire toujours honneur, pour autant, à l’un de ses autres sobriquets, Mou. Car le Portugais ne fait pas dans la dentelle. Un ponte de l’UEFA l’a traité, un jour, d’ennemi du football. La Catalogne le hait pour ses provocations incessantes.

Depuis ses débuts dans la corporation des coachs, JM a déjà versé un million d’euros en amendes, généralement pour avoir insulté l’arbitre et invectivé ses adversaires. Sa philosophie est simple : gagner. Il se veut à la fois tacticien, motivateur, leader, communicateur et psychologue. On le traite d’égoïste, de narcissique, de macho et de cynique. Mais il s’en fout car sa méthode a du bon. Et est manifestement transposable tous azimuts.

Il gagne plus que ses joueurs car c’est lui le patron

Mourinho travaille partout de la même façon, avec grossièreté et arrogance vis-à-vis du monde extérieur, mais solidaire et cordial en interne. Dans le vestiaire, il ne tolère pas le moindre compromis et il peut être extrêmement dur mais il est également honnête. Tout est question de communication. Au moment de son passage à l’Inter Milan, il étudie par exemple l’italien à raison de cinq heures par jour, histoire de pouvoir travailler efficacement avec tout son noyau. Il envoie aussi constamment des sms à ses joueurs, afin de les motiver. Sans compter qu’il défend son équipe en toutes circonstances.

Un exemple, qui ressemble à s’y méprendre avec sa montée sur le terrain, voici peu, avant le derby contre l’Atletico, histoire de braver tout seul la bronca de ses propres fans : quand il est revenu pour la première fois à Benfica, son précédent employeur, avec le FC Porto, il est monté seul sur le terrain, avant le match, pour se faire huer par les 70.000 supporters de Lisbonne. Il gréait ainsi une minute de colère aux supporters les plus critiques mais, les larmes aux yeux, Mourinho a vu au contraire les spectateurs les plus féroces l’acclamer.

Ses joueurs lui témoignent une loyauté à toute épreuve.  » Je jouerais avec une jambe cassée pour Mourinho « , a déclaré Didier Drogba. Comme à Chelsea, comme à l’Inter Milan, le Portugais a tout mis en oeuvre pour que les joueurs madrilènes forment une grande famille. Il a notamment contraint les joueurs, les staffs technique et médical à dîner ensemble à midi. Mourinho est très proche de ses joueurs mais, quand c’est nécessaire, il se place au-dessus d’eux. Il veut également gagner davantage que ses joueurs pour leur signifier qui est le véritable patron.

Il s’en tient aussi à une autre recette éprouvée : être en discussion permanente avec les journalistes, pour qu’ils parlent de lui et non de ses joueurs, afin de protéger au maximum ceux-ci. Mourinho a mué Valdebebas, le complexe d’entraînement du Real, en une espèce de camp militaire. L’équipe est complètement isolée du public et, surtout, de la presse. Feu Sir Bobby Robson, qu’il assistait en tant qu’interprète au Barça, jadis, lui a appris à gérer les stars.

Du coup, Mou leur fait comprendre l’utilité de certaines mesures et les convainc petit à petit, en les encourageant à participer à sa réflexion et en leur faisant délibérément commettre des erreurs. Il écarte sans pitié les vedettes qui minent son autorité. Les réservistes savent à quoi s’en tenir aussi, puisqu’il leur explique pourquoi ils ne jouent pas. Ou pourquoi on embauche un nouveau concurrent.

Un général qui prépare ses troupes à la guerre

La psychologie est un des piliers de la méthode Mourinho. Il est un brillant manager, un meneur, un général qui prépare ses troupes à la guerre. Et un homme qui sait invariablement trouver les mots qu’il faut. La preuve par ce passage tiré de l’autobiographie de Jurek Dudek, l’ex-gardien de Feyenoord et du Real. Contexte ? La défaite du Real par 5-0, au Camp Nou, en novembre 2010. Ce soir-là, certains joueurs pleuraient dans le vestiaire, tandis que d’autres fixaient le sol, atterrés.

 » Mourinho est alors entré. Il a réalisé à quel point cette gifle nous avait fait mal. Et il a déclaré : je comprends. Pour beaucoup d’entre vous, c’est la pire défaite de votre carrière. Barcelone est fou de joie mais le chemin est encore long jusqu’au titre. Je vous donne un jour de congé mais ne restez pas chez vous. Sortez en famille, montrez-vous en ville, montrez que vous avez digéré ce revers. Cette nuit-là, j’ai compris quel entraîneur fantastique et quel fin psychologue Mourinho est, observe Dudek.

Le mot-clef de Mou ? Ambition. Il veut être le meilleur, en tout, partout. WesleySneijder, Zlatan Ibrahimovic, Frank Lampard, Didier Drogba, tous parlent de leur collaboration avec le Portugais comme si c’était une relation amoureuse. Dans sa biographie, Moi, Zlatan, Ibrahimovic explique les raisons de sa loyauté envers Mourinho.  » Lors d’une fête, il s’est dirigé vers ma femme et lui a murmuré quelque chose à l’oreille. Il lui a dit : – Helena, tu as un objectif : assure nourriture, sommeil et bonheur à Zlatan. J’ai fait en sorte de ne plus le décevoir.  »

Mourinho a d’abord mis ses idées en pratique au sein de la petite équipe de province d’Uniao Leiria. Il mesurait déjà l’importance de la psychologie.  » J’ai expliqué aux joueurs que je travaillerais un jour pour un des trois principaux clubs portugais et qu’ils avaient tous une chance de m’y accompagner « , a-t-il déjà raconté.  » Du coup, l’ambiance a été formidable.  » Mourinho a également l’art de hausser le bagage footballistique des joueurs. Au FC Porto, il est entré en conflit avec Maniche. Mourinho savait le médian très émotif mais avait également remarqué son côté indolent. Durant les deux semaines qui précédaient un grand match, il l’a régulièrement laissé sur le banc. Quand l’international est revenu dans l’équipe, il a tout fait pour prouver à l’entraîneur qu’il avait eu tort. Ce truc marche à tous les coups.

Mourinho raffole aussi des jeux de l’esprit, des jeux destinés à insulter ses détracteurs ou à affûter ses joueurs. Il a souvent recours à la presse pour parvenir à ses fins.

Il sait à tout moment ce qu’il fait et pourquoi

Mourinho prépare chaque journée, chaque match et chaque entraînement dans les moindres détails. Il respecte scrupuleusement ses schémas, il sait à tout moment ce qu’il fait et surtout pourquoi. Son autobiographie, José Mourinho, Made in Portugal, parue en 2005, révèle à quel point il est méthodique. Tous les joueurs savent cinq jours avant le match s’ils seront alignés ou pas et ce qu’ils devront faire. Ce n’est donc pas un hasard si les équipes de Mourinho marquent fréquemment au départ de phases arrêtées : celles-ci sont répétées et discutées.

Les séances de Mourinho ne durent jamais plus d’une heure et demie. On dit qu’il possède une farde de 250 exercices, tous avec ballon car nul n’a jamais vu un pianiste jouer sans piano, a-t-il coutume d’affirmer. Il oblige ses joueurs à visionner des vidéos de leurs actions, pour qu’ils se rendent compte des dégâts que peut provoquer un mauvais positionnement. Même pendant les entraînements normaux, Mourinho attache de l’importance à l’esprit d’équipe ; les joueurs qui sont sur la touche pendant la première partie d’un petit match doivent observer celui qui évolue à leur place et lui prodiguer des conseils. Mourinho apprend ainsi à ses joueurs à réfléchir à la manière de dominer le jeu. Le lendemain de chaque partie, les joueurs du Real sont confrontés à leurs erreurs. Mourinho affiche des photos montrant qui a opéré un choix nuisible à l’équipe, où et comment. Il élève rarement la voix.

Dans son livre Simplement Tout, Claude Makélélé fait entendre un autre son de cloche, remontant à l’époque où tous deux militaient à Chelsea :  » Pendant deux ans, de 2004 à 2006, nous avons formé une bande de copains. Puis Mourinho a perdu son emprise sur le groupe, suite à l’arrivée d’une volée de vedettes. Je suis sûr qu’il n’avait pas demandé certaines d’entre elles. Il a pris ses distances et le vestiaire s’est divisé en clans. Roman Abramovich nous a demandé d’afficher plus de plaisir de jouer. Têtu, Mourinho a continué à travailler comme il l’entendait. Quelque chose s’était brisé en lui et cela s’est reflété sur les joueurs. J’avais l’impression qu’il cherchait à se placer lui-même sous les feux de la rampe et qu’il nous oubliait.  »

Mou semble avoir épuisé sa magie à Madrid

Les rapports de force au sein d’un grand club : Mourinho les comprend mieux que nul autre. Bobby Robson a toujours dit qu’il aurait également réussi en politique. Ce n’est pas un hasard s’il a conféré tant d’importance à MarcoMaterazzi dans le vestiaire de l’Inter Milan ni qu’il a entamé son mandat à Madrid en louant Raul, la légende du club. Il tient aussi compte de son environnement dans le choix de ses adjoints, en sélectionnant toujours un qui connaît le club de l’intérieur.

Pourtant, il semble avoir épuisé sa magie à Madrid. Auparavant, il n’a tenu plus de deux ans qu’à Porto et à Chelsea. Il a quitté l’Inter Milan après le triplé. Sa méthode ne peut s’étendre sur plus de quelques saisons. La critique prend de l’ampleur au Real. Les socios estiment que ses disputes nuisent à l’image du club. Il n’est pas un Madridista mais un Mourinhista, disent-ils.

Mourinho ne parle pas de son avenir. Il plaisante, renvoie les journalistes à Florentino Perez, le président, ou rappelle qu’il aimerait retravailler en Premier League. Il veut une troisième Ligue des Champions mais ensuite, il retournera sans doute en Angleterre. D’année sabbatique, il n’est pas question car il veut être le meilleur entraîneur de tous les temps avant ses 65 ans.

PAR SÜLEYMAN ZTÜRK

Les socios du Real voient en lui un Mourinhista plutôt qu’un Madridista. Lisez : un opportuniste.

Tous ses exercices se font avec ballon car personne n’a jamais vu un pianiste jouer sans piano.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire