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 » On joue pour avoir la balle, pas pour lui courir après « 

Les crampons sont encore au pied, mais les idées futures sont déjà claires. Luis García évoque ses cours d’entraîneur, le football qu’il aime et celui qu’il vit sur nos pelouses. Cris du coeur d’un amoureux du ballon.

À quelques mois de son trente-huitième anniversaire, le capitaine d’Eupen reçoit dans les Cantons de l’est pour une interview tournée vers le futur. Ces derniers mois, en profitant d’une blessure qui l’a écarté des terrains lors des play-offs 2, Luis García s’est rendu en Espagne pour y passer ses diplômes d’entraîneur. Dans un groupe d’anciens joueurs qui sent bon la Roja et les trophées, en compagnie de légendes ibères comme Raúl, Marcos Senna ou Xabi Alonso, le maître à jouer des Pandas a affûté les armes d’un avenir déjà bien préparé.

En Belgique, les joueurs ou les équipes qui lisent bien les moments de la rencontre font vraiment la différence.  » Luis Garcia

La veille, il a terminé sa journée devant un match opposant deux formations de Segunda División en Copa del Rey, avant d’enchaîner sur le plantureux succès de la Selección contre les Croates :  » Je regarde des matches sans arrêt. Le week-end, pendant notre jour libre, je commence à midi et souvent, je reste devant l’écran jusqu’à onze heures ou minuit, à enchaîner les matches.  »

En attendant de raccrocher les crampons, l’Espagnol est toujours bien présent au Kehrweg. Lucho s’installe dans les business-seats, et utilise la pelouse posée sous ses yeux pour illustrer ses propos au cours d’une petite heure de puro fútbol.

Pendant toute ta carrière en Espagne, tu as évolué dans les postes les plus offensifs. Pourtant, depuis ton arrivée à Eupen, te voilà milieu de terrain. Les choses ont beaucoup changé pour toi ?

LUIS GARCIA : La vérité, c’est que j’y prends du plaisir, parce que nous sommes une équipe qui veut avoir le ballon, qui essaie de prendre l’initiative à travers la possession. Du coup, quand nous avons la balle, je la touche énormément. Évidemment, au fil des ans, tu sais que tu vas finir par reculer sur le terrain, et j’ai la chance de pouvoir m’adapter à ces nouvelles positions, à ces nouvelles situations de jeu.

Les sensations de l’attaquant ne te manquent pas ?

LUIS GARCIA : J’aime le rôle que j’ai, parce que je participe beaucoup au jeu. En plus, je peux donner des passes décisives, c’est quelque chose qui me donne du plaisir. Quand je me rapproche du but, je peux aussi prendre ma chance à distance, surgir de la deuxième ligne…

 » Au départ, il est difficile de s’adapter au football belge  »

Comment est-ce que tu décris le style de jeu de la D1 belge à tes amis espagnols ?

LUIS GARCIA : C’est un football auquel il est difficile de s’adapter au début. C’est très physique. Il y a beaucoup d’impact, beaucoup d’importance des deuxièmes ballons, mais ça rend le fait de vouloir le ballon d’autant plus valorisant, parce que tu te sens différent des autres équipes.

Il n’y a pas beaucoup de pausadans le jeu, comme on dit en Espagne. Le rythme est toujours effréné, avec des transitions dans tous les sens…

LUIS GARCIA : Les gens disent que le football change. Qu’aujourd’hui, on est à l’époque d’un football de transition. Je résiste un peu au fait de penser cela, parce que je ne peux pas m’empêcher de penser qu’au final, on joue au football parce qu’on aime avoir le ballon, pas parce qu’on aime courir après lui. J’aime être dans l’équipe qui a le plus de possession, mais une possession pour quelque chose, pas seulement pour le fait d’avoir la balle mais pour chercher l’espace et l’attaquer… Si je peux attaquer l’espace après seulement trois ou quatre passes, je préfère ça plutôt qu’enchaîner vingt passes. Mais la vérité, c’est qu’il est très difficile de le faire avant la sixième ou la septième passe. Je le vois aussi ici, en Belgique, les joueurs ou les équipes qui ont cette faculté de pausa, qui lisent bien les moments de la rencontre, cela fait vraiment la différence.

Quels joueurs te marquent, à ce niveau-là ?

LUIS GARCIA : Vanaken par exemple, il est extraordinaire. Vormer est un peu plus box-to-box, mais il a aussi cette pausa. Trebel est dans le même style que Vormer.

 » Le roi de la  » pausa « , c’est Vanaken  »

Il est un peu comme un joueur de flanc qu’on mettrait au milieu de terrain.

LUIS GARCIA : Oui, voilà. Et puis, évidemment, il y a ceux de Genk. Ils sont extraordinaires sur cet aspect. J’aime aussi beaucoup le petit de Courtrai, qui ressemble à Xabi Alonso… (il réfléchit) Van der Bruggen. C’est un joueur qui a la pausa, le jeu court, le jeu long. C’est le genre de joueur avec un style un peu plus espagnol. Mais le roi de la pausa dans le championnat, c’est Vanaken. Il a cette tranquillité, cette façon de toujours savoir quand le ballon doit aller dans les pieds ou dans l’espace, il attaque très bien les espaces… Il manque un peu de vitesse, mais sa tête va beaucoup plus vite que ses jambes.

Pour l'Eupenois, le Standard de Renaud Emond peut viser haut.
Pour l’Eupenois, le Standard de Renaud Emond peut viser haut.© BELGAIMAGE

Il y a des équipes chez nous qui inspirent le futur entraîneur que tu es ?

LUIS GARCIA : L’équipe qui me plaît beaucoup en Belgique, pas seulement cette année mais aussi les saisons précédentes, c’est Genk. C’est une très grande équipe, qui a trois milieux de terrain extraordinaires avec Pozuelo, Malinovski et Berge. Ils ont aussi Ndongala, Trossard, Samatta… Défensivement, Colley leur manque peut-être un peu, parce que c’était un très grand joueur. Mais c’est une équipe qui propose beaucoup de choses. J’aime son style, sa façon d’interpréter le jeu, avec Pozuelo entre les lignes par exemple. Ils peuvent jouer court, jouer long… C’est une équipe très complète. Et puis, il y a Bruges ou Anderlecht qui jouent à trois derrière, en occupant vraiment toute la largeur du terrain. Les affronter demande une adaptation particulière. Il me paraît clair que les coaches, aussi bien Vanhaezebrouck que Leko, sont de très grands entraîneurs. En affrontant leurs équipes, on voit qu’ils ne laissent rien au hasard.

 » Le Standard va lutter pour le titre  »

Le Standard, que tu viens d’affronter, a beaucoup changé cet été. C’est un travail qu’on voit, en tant qu’adversaire ?

LUIS GARCIA : Je crois que l’équipe était bien travaillée la saison dernière aussi, mais à partir d’une autre idée. L’idée de Sa Pinto se voyait dans la façon de jouer du Standard. Il transmettait sa passion dans chaque ballon qui se jouait sur le terrain. Je me souviens de notre match contre eux, ici. Chaque ballon qui arrivait au milieu de terrain, soit ils l’interceptaient, soit ils faisaient une faute. Sa Pinto se battait avec les tribunes, avec le juge de ligne… Et au final, ils ont atteint une union au sein de leur groupe qui leur a permis de lutter pour le titre. Et évidemment, ils avaient de bons joueurs.

L’idée de Preud’homme, aujourd’hui, tourne beaucoup plus autour du ballon. C’est une équipe très dangereuse quand elle a la balle, difficile à contrer parce qu’elle met beaucoup de monde à l’intérieur du jeu tout en s’offrant beaucoup de largeur avec ses arrières latéraux. Ils sont très organisés offensivement. Ils souffrent encore défensivement quand tu parviens à leur prendre le ballon et à lancer une transition, mais je suis sûr qu’ils finiront par être en mesure de lutter pour le titre. Il y a beaucoup de qualité dans cette équipe.

Mehdi Carcela, notamment.

LUIS GARCIA : C’est le genre de joueur qui peut toujours faire la différence. Pour moi, ces joueurs-là doivent toujours être sur le terrain, parce qu’ils peuvent sortir un tir, une passe, quelque chose de génial à n’importe quel moment. Tout ça dans une zone du terrain où l’entraîneur a très peu de prise. Tu ne peux pas dire à un joueur : Là, tu prends le ballon, et tu l’envoies en pleine lucarne. Ça, c’est le talent.

 » Le problème, ce n’est pas la possession mais le rythme  »

Le football de possession a souvent été critiqué ces derniers mois. Par exemple, après le match de l’Espagne contre la Russie au Mondial…

LUIS GARCIA : Le problème, ce n’était pas la possession, mais son rythme. Au final, le ballon dirige tout. Plus vite il va, plus vite il désorientera l’adversaire. Quand le ballon circule rapidement, même une équipe très bien organisée défensivement sera mise en difficulté. Je pense qu’il y a une confusion chez les gens. Chez ceux qui pensent qu’avoir la possession suffit pour gagner. Parce que je peux avoir 80 % de ma possession dans ma zone défensive, et ça ne me servira à rien. Ce qu’il faut, pour moi, c’est avoir la possession, mais pour chercher quelque chose de plus : pour donner de la vitesse au jeu, trouver les espaces, puis les attaquer. Avoir le ballon juste pour le principe, ça ne sert à rien.

L'Espagnol est le prolongement de Claude Makélélé sur le terrain.
L’Espagnol est le prolongement de Claude Makélélé sur le terrain.© BELGAIMAGE

La vraie difficulté, aujourd’hui, c’est de trouver de l’espace quand on domine et que l’adversaire recule.

LUIS GARCIA : Sans aucun doute. Mais c’est un objectif très intéressant, et très beau. Quand tu domines le jeu de cette manière, tu dois trouver les espaces, essayer de proposer quelque chose de différent. Au final, le plus facile, c’est de détruire quelque chose. C’est valable dans le football comme dans la vie.

Ces cours d’entraîneur pour anciens pros, en Espagne, c’était comment ? De vrais cours, ou bien surtout des tables rondes ?

LUIS GARCIA : C’est vraiment un cours, parce qu’on nous apprend beaucoup de choses. L’entraîneur doit gérer énormément de choses, et avoir beaucoup de connaissances. Mais c’est sûr que dans ces cours auxquels j’ai assisté, l’une des choses les plus enrichissantes était le groupe que nous formions. Chacun avec son point de vue, son idée du football, mais ce fut un échange d’expériences, de situations rencontrées pendant nos carrières respectives… Au final, on s’alimentait réciproquement de nouvelles choses.

 » Comme futur coach, je sais ce que je veux  »

C’est important de ne pas avoir les idées arrêtées, de rester ouvert ?

LUIS GARCIA : Toutes les idées sont bonnes en football. C’est pour ça que ce sport est si beau. Toutes les idées ont gagné des matches. Mais au final, au coeur de ton idée, tu dois t’adapter aux joueurs que tu as à ta disposition. Tu ne peux pas t’enfermer dans ton idée, et dire qu’il n’y a qu’une manière de jouer. Tu dois l’adapter, toujours. Non seulement aux joueurs, mais aussi à la culture du club, au pays dans lequel tu travailles, aussi. Parce que jouer en Espagne, ce n’est pas la même chose qu’en Angleterre, en Belgique ou en Italie.

L’équipe qui me plaît beaucoup en Belgique, c’est Genk.  » Luis Garcia

Pour l’instant, tu es à un moment particulier de ta vie de coach. Ton idée de jeu est encore  » pure « , les joueurs ne l’ont pas encore influencée.

LUIS GARCIA : Oui, l’idée est très belle aujourd’hui (rires). Je sais ce que je veux, mon idée se développe, mais au final, il manque encore la matière première, qui est le plus important : les joueurs. La force d’un entraîneur, c’est de parvenir à ce que ses joueurs adhèrent à son idée, qu’ils croient en elle à 100 %. Si cette idée, ensuite, se transfère sur le terrain, et qu’en plus elle s’accompagne de la victoire, le coach a toute la force du monde, non ?

Le défi principal, c’est de faire comprendre le jeu à ses joueurs ?

LUIS GARCIA : C’est un très grand objectif pour un entraîneur. Faire comprendre à tes joueurs pourquoi on fait les choses de cette manière, pourquoi on propose tel ou tel exercice à l’entraînement… Il faut parvenir à mettre en scène les différents scénarios qui peuvent survenir pendant un match, parce qu’une fois que le joueur les rencontrera sur le terrain, alors il trouvera la solution de manière naturelle. C’est une mission passionnante. C’est tout le rôle de coach que je trouve passionnant : la gestion d’un groupe, lui expliquer tes idées, les voir appliquées sur le terrain et gagner avec… C’est le niveau de plaisir maximal.

Luis Garcia
Luis Garcia© BELGAIMAGE

 » Le gardien doit être un joueur de plus  »

Le joueur que tu es influencera forcément le type de coach que tu seras ?

LUIS GARCIA : Je ne sais pas. J’ai connu des défenseurs très rugueux, qui ne faisaient que balancer des ballons, et qui demandent aujourd’hui à leur équipe de construire depuis l’arrière en tant que coach. Mais si je regarde à Eupen, je pense que la patte de Claude Makélélé est très marquée par le fait qu’en tant que joueur, il a beaucoup souffert sur le terrain comme milieu défensif. Il n’a jamais aimé que son équipe soit trop large, qu’elle souffre dans les transitions, parce que c’est une souffrance qu’il a connue comme joueur.

Tu as connu l’époque Guardiola au Barça, en tant qu’adversaire. Ça a été un tournant important pour le football ?

LUIS GARCIA : C’étaient les spécialistes pour faire circuler le ballon très rapidement, trouver des espaces à l’intérieur du jeu. Mais toutes les équipes ne peuvent pas jouer comme ça. Ce serait une erreur, parce que c’est impossible, c’est vraiment une idée de jeu très compliquée. D’ailleurs, je suis sûr que Guardiola a également dû adapter son idée de jeu à l’Angleterre. Entre sa première et sa deuxième année, ça a beaucoup changé. Guardiola est l’un des meilleurs entraîneurs du monde. Il ne laisse aucun détail au hasard, il travaille tout.

Et l’influence de son idée est énorme. L’autre jour contre l’Irlande, les Gallois marquent un but au bout de vingt passes, après avoir relancé proprement depuis leur gardien.

LUIS GARCIA : C’est arrivé jusque-là, jusqu’aux Gallois ! Aujourd’hui, il faut donner une importance énorme au gardien. Si tu veux jouer avec le ballon, proposer quelque chose de plus sur le terrain, tu dois faire en sorte que ton gardien soit un joueur de plus sur le terrain, et il faut l’utiliser. C’est clair que le gardien doit faire des arrêts, défendre ton but. Mais il doit aussi te donner un avantage avec le ballon. S’il est bon dans son jeu au pied, il te donne une supériorité dans l’utilisation du ballon.

Mais les gens ont du mal avec cette idée. On parle souvent des moments où le gardien perd le ballon en essayant de le sortir proprement, et tu encaisses un but. Par contre, on ne parle jamais du moment où le gardien joue un long ballon, ton équipe perd le duel, et tu encaisses un but dans les cinq secondes. C’est étrange, non ? Parce que c’est la même chose !

C’est comme les critiques sur les corners joués à deux. On râle quand ça ne marche pas, mais on ne le fait jamais sur un corner balancé  » normalement  » et qui ne donne rien.

LUIS GARCIA : Oui, c’est pareil. Si tu joues le corner directement, tu perds parfois le duel et tu prends une contre-attaque. Ce sont juste des façons différentes d’appréhender le jeu, et elles ont toutes des risques.

 » La Belgique aurait pu gagner le Mondial  »

On parle souvent de l’importance des attaquants mais au Mondial, est-ce que ce ne sont pas les deux meilleurs milieux de terrain qui jouent la finale ?

LUIS GARCIA : Oui, dans des styles très différents. La Croatie avec le ballon, la France cherchant beaucoup plus les transitions avec Griezmann et Mbappé, en plus de Pogba qui est un spécialiste… C’étaient les deux meilleurs entrejeux de la compétition. Et c’est la preuve que quand une équipe domine le milieu de terrain, elle a de grandes chances de dominer le match. Ensuite, c’est ce qu’il se passe dans les deux surfaces qui décide du résultat.

La France avait besoin d’un joueur avec la pausa, et c’est l’Espagne qui la lui a offerte en formant Griezmann, non ?

GARCIA : Griezmann a fait un Mondial extraordinaire. Il venait chercher le ballon à l’intérieur du jeu, donnait la passe qu’il fallait. En plus, il a cette fameuse pausa qui est très importante dans le jeu de transition. Souvent, quand tu joues le contre, tu as tendance à chercher le long ballon directement, et tu le perds. Il vaut mieux chercher cette passe intermédiaire, qui permet aux autres de se projeter, et c’était souvent Griezmann qui recevait cette passe-là dans le jeu des Français, avant d’activer la vitesse de Mbappé.

Qu’as-tu pensé des Diables rouges ?

GARCIA : La Belgique a fait un très grand Mondial pour moi. Ils auraient pu le gagner. C’était une sélection qui savait très clairement comment elle voulait jouer, qui a tenté de proposer des choses avec le ballon, et qui a proposé quelques plans tactiques extraordinaires. Lukaku sur le flanc droit contre le Brésil, c’était incroyable.

C’était l’histoire du pays à l’envers. Le Belge est humble, normalement. Et là, il joue l’audace contre le grand Brésil.

GARCIA : Le fait d’avoir un sélectionneur étranger, et Thierry Henry comme assistant, ça a pu avoir une influence là-dessus. Lukaku et Hazard ne défendaient pas. Et De Bruyne était surtout entre les lignes, mais il défendait très peu. Dire à deux joueurs qu’ils ne doivent pas défendre, contre le Brésil, il faut être très audacieux et très courageux. Et cette audace-là a été récompensée avec la victoire.

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