» ON A PLUS DE SUPPORTERS EN CORÉE QU’EN BELGIQUE « 

C’est désormais  » le club du matin calme « . Pas en raison de l’ambiance feutrée qui règne au stade Leburton, mais parce que depuis deux ans, les Coréens y ont pris le pouvoir… discrètement.

A l’entrée de la ville, une affiche annonce le prochain match : AFC Tubize-Dessel le… 30 avril. Euh ? Enfin, bon, on nous explique qu’avec les vacances, les ouvriers communaux n’ont pas encore eu le temps de changer les affiches. Le prochain match est bien prévu le 6 août, contre l’Union Saint-Gilloise.

Au Stade Leburton, une petite tribune debout a été ajoutée derrière un but. Elle doit porter la capacité du stade à 8.000 places, critère indispensable pour l’accession à la division D1B. Lors de son unique saison en D1, en 2008-2009, Tubize avait installé deux petites tribunes debout latérales, de part et d’autre de la petite tribune assise qui jouxte la voie de chemin de fer, mais elles avaient été enlevées après le retour en D2. La capacité du stade était alors redescendue à 7.000 places. Insuffisant pour la licence pro. Le nécessaire a donc été fait.

En revanche, pas de footballeurs au stade en ce mercredi 13 juillet : ils ont reçu quelques jours de congé après un stage de trois semaines en Corée du Sud. Trois semaines, et de surcroît en Extrême-Orient, ce n’est pas courant pour un club de D2 belge. L’AFC Tubize doit cette initiative à Sportizen, son partenaire coréen depuis juillet 2012.

UN BOND DANS LE FUTUR

MichelLekime, le correspondant qualifié du club et qui en est un peu la mémoire vivante puisqu’il est arrivé en 1989, un an avant la fusion entre le FC Tubize et les ‘Amis Réunis’, et qu’il imprime ‘Le Journal de l’AFC Tubize’ publié lors de chaque match à domicile, était du voyage au sein d’une délégation forte de 33 personnes qui comprenait les joueurs, le staff sportif et médical, l’intendance et… trois supporters.

 » C’est la première fois que je me rendais en Corée du Sud « , explique-t-il.  » Je me suis vite adapté. Loin d’être dépaysé, j’ai plutôt eu l’impression d’effectuer un bond dans le futur. Ce pays est plus moderne que le nôtre. Certains ont même plaisanté en affirmant que j’étais un vrai Coréen, puisque je m’appelle LeeKim, deux des patronymes les plus courants dans le pays (ilrit).

Nous n’étions pas là en touristes, nous étions venus pour un stage. Nous logions dans un vaste centre d’entraînement, avec sept terrains à notre disposition, et avons pu travailler dans des conditions optimales même si la saison des pluies a parfois rendu les pelouses très humides. Nous avons aussi joué quelques matches amicaux. L’un d’eux était considéré comme le jubilé de KimEunJung, notre T3.

Il n’avait pas eu l’occasion d’effectuer ses adieux lorsqu’il avait arrêté sa carrière de joueur. Il jouit d’une aura incroyable dans son pays (cet ancien attaquant de 35 ans a marqué plus de 100 buts dans sa carrière en Asie, ndlr) et a été fêté comme il se doit par les 15.000 spectateurs, dans le stade de Daejeon qui peut certes en accueillir 45.000. C’est dans ce stade que la Corée du Sud avait battu l’Italie après prolongation en 2002 pour accéder aux demi-finales de la Coupe du Monde. On a aussi affronté le champion de Corée.  »

OBLIGATIONS PROFESSIONNELLES

L’AFC Tubize avait aussi des ‘obligationspromotionnelles’, puisque durant les trois semaines au Pays du Matin Calme, il a effectué la ‘promotion’ du club comme le font le Real Madrid, le Bayern Munich ou Chelsea lors de leurs tournées asiatiques. Assurer la promotion d’un club de D2 belge en Corée du Sud, cela peut paraître surréaliste. Que connaissent les Coréens du club brabançon ?

 » Beaucoup plus que vous ne pourriez l’imaginer « , assure Lekime.  » Des articles paraissent quotidiennement sur l’AFC dans la presse locale. C’est simple : j’ai l’impression que nous avons plus de supporters en Corée qu’en Belgique ! (sic) Je ne verrai plus, au cours de la nouvelle saison, autant de maillots sangetor nouvelle mouture que je n’en ai vus en Corée. J’avais beau tourner la tête dans tous les sens, je ne voyais que des maillots de Tubize autour de moi. Nous avons présenté des collections, rendu visite à une clinique, etc.  »

L’AFC Tubize a aussi visité le siège de Sportizen, la firme coréenne qui a investi dans le club. Sportizen, c’est une firme de marketing sportif. Elle assure la promotion d’événements (golf, tennis, Formule 1, etc.) et fait le lien avec des sponsors potentiels. Elle gère aussi des boutiques, des galeries d’art, des marques de vêtements coréennes, etc. En Corée du Sud, c’est le n°1 dans son secteur. Elle s’est ensuite intéressée à la Chine et tente désormais de s’implanter en Europe.

EN BALANCE AVEC MONS

Le choix s’est porté sur Tubize au terme d’un long processus. Après avoir sondé des pays comme le Portugal, la Croatie et la République Tchèque, Sportizen s’est rabattu sur la Belgique et la Wallonie en particulier. Deux clubs étaient en balance : Mons et Tubize. C’est le club brabançon qui a emporté le morceau. Cela peut paraître étrange, à première vue. Déjà, la D2 belge ? En plus, Tubize, n’a pas la réputation d’être le club le plus populaire de l’antichambre de l’élite.

 » Tubize possède beaucoup d’atouts « , assure le directeur général français du club, JosselinCroisé, arrivé en 2014 en tant que représentant de Sportizen dans l’organigramme.  » L’entité est proche de Bruxelles, la capitale de l’Europe. C’est un point central en Europe : l’Angleterre, l’Allemagne et la France, où se jouent quelques-uns des grands championnats européens, ne sont pas loin.

C’est aussi à Tubize qu’a été implanté le centre national de football, où les Diables Rouges – ou en tout cas les sélections de jeunes, pour l’instant – s’entraînent dans des infrastructures d’excellente qualité. Le nom d’EdenHazard est également lié, partiellement, à Tubize. Le fait que le club ne figure pas parmi les plus populaires du pays ne constitue pas un handicap pour les Coréens, au contraire : tout est à faire, il n’y a pas le poids de la tradition qui pourrait être contraignant ailleurs. Je n’ose imaginer la réaction des supporters du Standard de Liège, pour ne prendre qu’un exemple, si des Coréens avaient débarqué à Sclessin.  »

UN CHOC CULTUREL

L’objectif de Sportizen est, aussi, de promouvoir de jeunes joueurs asiatiques en général et coréens en particulier. Un objectif… pas encore tout à fait réussi. La saison dernière, il n’y avait… aucun joueur coréen dans l’effectif, parce qu’il fallait absolument terminer dans les huit premiers afin d’accéder à la division 1B. On est loin de l’invasion que connaissent d’autres clubs repris par des investisseurs étrangers.

 » Pour un Coréen, venir en Europe, c’est un choc culturel « , explique ParkJunbum, le managingdirector coréen de l’AFC Tubize.  » Tout est différent : la langue, la nourriture, le climat. L’adaptation n’est guère aisée. Mais, en cas de succès, l’équipe nationale en profite. Nous avons un projet à long terme. On verra où l’on en sera dans cinq ou dix ans.  »

On se souvient de joueurs coréens en Europe, comme ParkJisung à Manchester United ou autrefois ChaBumkun à Leverkusen, voire SeolKihyeon à Anderlecht.  » En Corée du Sud, le football est le deuxième sport national, derrière le base-ball « , poursuit Park.  » Je dirais que le championnat est d’un niveau équivalent au championnat belge. Le champion de Corée vaut Anderlecht.

Sportizen essaie aussi de se développer en Chine. Donc, on pourrait peut-être voir des joueurs chinois à Tubize, oui. Vous me dites que dans un pays qui compte plus d’un milliard d’habitants, le réservoir doit être énorme. Mais il faut savoir que, pendant de nombreuses années, la politique du gouvernement chinois était de n’autoriser qu’un seul enfant par famille. Pour les parents, c’était difficile de faire de leur enfant unique un… footballeur.

Aujourd’hui, le nombre d’enfants autorisés par ménage est repassé à deux, ce sera donc un peu plus facile. Le championnat chinois prend de plus en plus d’ampleur, on fait venir des étrangers à prix d’or, mais le défi est de former des jeunes Chinois.  »

TOUT A ÉTÉ CONSERVÉ

On ne peut donc pas parler d’envahissement à Tubize, comme c’est parfois le cas dans d’autres clubs repris par des investisseurs étrangers.  » Aligner une équipe avec dix joueurs coréens n’a jamais été l’objectif de Sportizen « , assure Croisé.  » L’idée est d’en avoir un, deux ou trois au maximum.  »

Quel est, alors, l’apport de Sportizen ? Le CEO ShimChankoo ne vient à Tubize que quatre fois par an. En revanche, Park Jun-bum est présent en permanence et a emménagé dans le Brabant wallon avec son épouse et ses trois enfants. Il commence à se débrouiller en français. Kim Eun-jung est inclus dans le staff technique pour apprendre le métier. Une jeune secrétaire aide Michel Lekime dans la promotion visuelle du club et confectionne notamment le site internet en… coréen.

L’apport de Sportizen est forcément, aussi, financier et logistique.  » Mais, pour autant, l’AFC ne possède pas le plus gros budget de la division 1B « , s’empresse de préciser Croisé.  » Nous sommes dans la moyenne. Par ailleurs, beaucoup de choses sont faites en Corée : les écharpes, le design du maillot et aussi du nouveau logo. Il comprend tous les symboles du club : l’ancien logo figure au centre, le motif principal est l’aigle présent sur les armoiries de la Ville, et les couleurs sangetor ont été conservées. Comme vous pouvez le constater, tout a été conservé : même des emblèmes du club comme Michel Lekime et ThéoBuelinckx  » (ilrit).

L’ancien bourgmestre RaymondLangendries est d’ailleurs toujours, officiellement, le président du club.  » Je ne gère pas le club au quotidien « , précise-t-il.  » C’est le rôle de Josselin Croisé. Mais je préside effectivement la S.A., qui gère le football professionnel, et l’a.s.b.l. qui gère l’école des jeunes. Cela se passe très bien, mais je n’avais aucun doute à ce sujet : nous nous sommes rendus plusieurs fois en Corée et eux sont venus ici.

Leurs intentions étaient claires et sont respectées : leur but n’a jamais été d’envahir Tubize avec dix joueurs coréens, mais d’en familiariser quelques-uns au football européen. Les relations avec la Ville se sont normalisées, elles aussi. Nous réfléchissons maintenant à l’impulsion que nous pourrions donner à l’école des jeunes.  »

UN MILLION D’EUROS

Un Egyptien au Lierse, un Malais à Courtrai, des Qataris à Eupen, peut-être des Chinois à Roulers… et donc des Coréens à Tubize. Un club belge moyen ne peut donc survivre sans l’apport d’investisseurs étrangers ?  » Quand un club ne compte que peu de supporters, que les entreprises locales n’ont pas les moyens d’investir dans le sport, que les droits TV plafonnent à 20.000 euros (ils passeront à 500.000 euros pour la division 1B, ndlr) et que le budget atteint le million d’euros, je ne vois pas beaucoup d’autres solutions pour trouver cet argent, à moins de pouvoir compter sur un mécène « , affirme Croisé.

La Ville semble avoir accueilli l’arrivée des Coréens d’un bon oeil.  » Nous sommes neutres « , poursuit Croisé.  » D’un point de vue politique, nous ne mettons des bâtons dans les roues de personne. Et à partir du moment où nous apportons quelque chose, je ne vois pas pourquoi on nous rejetterait. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de Tubize à l’extérieur, on parle essentiellement du football.  »

 » Je me souviens qu’au moment de l’arrivée des Coréens, un gigantesque drapeau a orné les murs de la Maison Communale, du toit jusqu’au sol, pendant 15 jours, en signe de bienvenue « , ajoute Lekime.

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Aligner une équipe avec dix joueurs coréens n’a jamais été l’objectif de Sportizen. L’idée est d’en avoir un, deux ou trois au maximum.  » – JOSSELIN CROISÉ, DG DES SANG ET OR

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