« On a mangé notre pain noir »

Les Zèbres ont courbé l’échine face à Anderlecht mais leur gardien reste confiant avant le déplacement à Mons.

Le bonheur peut parfois être tout simple: un enfant, une épouse, un bon travail, une maison, la santé. Quand lafamille Dudas se promène dans le centre de Charleroi avec le petit David, leur sérénité saute aux yeux. Ils sont tout simplement en phase avec le temps présent et leur façon de voir la vie.

« Nous sommes très contents en Belgique », affirme le gardien des Carolos. « Je suis arrivé d’Espagne en 2000, après six mois passés à Lleida, et j’ai tout de suite été très bien accueilli. J’envisage de me fixer pour de bon ici et de demander la nationalité belge. L’avenir des miens, c’est Charleroi, j’en suis sûr « . Des propos qui tranchent par rapport à la montagne de soucis de son club. Au classement général, ce n’est pas la joie. « Je suis persuadé que nous valons plus que le bas du tableau », dit-il. « A part cette prestation ratée à Mouscron, nous avons toujours été sérieux et appliqués. Notre équipe méritait mieux face au Standard et en déplacement à Gand ».

La direction du club s’est régulièrement retrouvée devant les tribunaux face à l’agent de joueurs Bruno Heiderscheid (dans l’affaire Tokéné, le manager réclame une commission de 450.000 euros) ou aux prises avec Pall Mall, société anglaise de management. La rumeur rapporte aussi que d’autres dossiers devront être réglés tôt ou tard: le remboursement des actions d’ Enzo Scifo, l’emprunt de cinq millions d’euros dont le capital devra être progressivement remboursé, les déficits d’exploitation additionnés (plus de trois millions d’euros pour trois saisons?), etc.

La masse salariale a été réduite mais sera-ce suffisant pour redresser la barque, éviter la surchauffe des finances (prêt + déficits annuels = huit millions d’euros, c’est énorme) et redonner un élan aux projets d’ Abbas Bayat qui avait suscité tant d’espoirs en débarquant chez Spirou et ses copains? Or, il y a moins de bulles qu’avant dans les projets du grand limonadier, comme s’il n’avait pas prévu de vivre autant de problèmes.

Bayat fait le gros dos après avoir signé des débuts tonitruants notamment à la Ligue Pro. Grâce à lui, en partie, les droits de télé ont été revus à la hausse. Mais il a confondu l’Angleterre et la Belgique en prévoyant d’autres sources de revenus, notamment via Internet: c’est un échec pour le moment. Surmontera-t-il ces épreuves, sourcesd’inquiétudes, dit-on, pour les collaborateurs de son entreprise qui s’investit, directement ou indirectement, au Sporting de Charleroi? Ou finira-t-il par se décourager comme le craignent certains Carolos?

Levée des saisies conservatoires

Une bonne nouvelle a cependant éclairé le ciel carolo vendredi passé, quelques heures avant le coup d’envoi du match face à Anderlecht. Le juge chargé du dossier Heiderscheid a décidé de lever les saisies conservatoires. Un succès pour les Zèbres qui retrouvent leur argent bloqué, et le fond de l’affaire sera examiné plus tard. Les joueurs ne sont pas concernés par les derniers débats extrasportifs: les saisies conservatoires sur les recettes, le mobilier recensé par une armée d’huissiers, les comptes bloqués, etc. Ce n’est pas du tout le même feuilleton qu’à Malines, heureusement, mais ces rebondissements n’ont-ils pas quelque peu pollué le moral des joueurs?

« Non, le club est attaqué et nous avons tous l’impression qu’il se défend bien », avance Istvan Dudas. « Pour un joueur, le plus important, après la vérité du terrain, c’est d’être payé. Moi, je n’ai jamais dû attendre mon salaire un seul petit jour. Mon compte a toujours été crédité à heure et à temps. Cela prouve que ce club est bien géré. Les joueurs n’ont pas de soucis financiers ». Istvan Dudas est confiant et il estime que le groupe détient suffisamment de potentialités pour ne pas être inquiété par la lutte pour le maintien en fin de saison. D’accord mais c’est maintenant que les écureuils rentrent les noisettes pour pouvoir affronter le mauvais temps.

« Il ne faut pas oublier que le groupe a changé en profondeur durant l’été », affirme Istvan Dudas. « On ne remplace pas facilement des gars comme Sergio Rojas, DanielCamus, Bertin Tokéné ou Darko Pivaljevic. Je ne songe pas en priorité à leur talent mais bien à leur métier. Ils ont disputé des centaines de matches en D1. C’est un fameux capital. Les joueurs qui sont arrivés ont peut-être plus de perspectives d’avenir mais ils n’ont pas encore été blanchis sous le harnais. Il est difficile de tout fondre dans un nouveau moule. Il y a les nouveaux mais le club a aussi misé sur ses jeunes. C’est une nouvelle politique qui demande du travail et de la patience ».

Peut-être, mais le groupe actuel ne manque-t-il pas de personnalités et de relief mental? Qui est capable de s’emparer du gouvernail quand cela va mal? Rojas, Pivaljevic, Camus et Tokéné avaient du poil au menton et n’hésitaient pas à montrer les dents. En y regardant de plus près, cela fait la colonne vertébrale d’une équipe, au moins un homme fort pour chaque secteur: Rojas et Pivaljevic à l’attaque, Camus au milieu, Tokéné en défense. Par rapport à cela, les Zèbres ne disposent plus de madriers à tous les étages de leur édifice. Les patrons se trouvent tous derrière: Istvan Dudas, Frank Defays. En l’absence de Tony Herreman (revenant de blessure) et de Miklos Lendvai (hors combat), c’est peu. La ligne médiane n’a pas de gyrophare. Alexandre Kolotilko et Eduardo sont des attaquants dynamiques mais ils n’ont pas encore la science du jeu de Rojas et de Pivaljevic.

Loin d’être pessimiste

 » Tout va se mettre en place »,souligne à nouveau le portier zébré. « Tokéné avait du talent mais aussi des défauts. Il avait une technique au-dessus du lot malheureusement il était trop confiant et n’hésitait pas à prendre des risques démesurés. Quand cela rigolait, c’était beau pour la galerie, mais cela a coûté cher aussi. Ibrahim Kargbo est aussi fort que lui. Il est très rapide aussi et s’impose bien à côté de Frank Defays, de Mahdavi ou de Sylla« . La ligne médiane est souvent portée pâle. Dudas estime cependant que les jeunes y gagneront bientôt leurs galons. Peut-être, ils manquent de poids.  » Grégory Dufer à droite et Christopher Fernandez à gauche sont des promesses du football belge », lance Istvan Dudas. Et au centre, entre eux, qui pense le jeu? Pas Kere. Ni Yazdani. Personne? Est-ce qu’ Adrian Aliaj peut devenir l’aboyeur dont la ligne médiane de Charleroi a besoin? Dudas pense que oui. Le portier carolo estime que son équipe doit avant tout former un bloc, comme ce fut le cas contre le Standard et Genk. Par contre, à Mouscron, l’équipe s’écroula comme un vulgaire château de cartes.

« J’avais hâte que ce match se termine tant ce fut mauvais dans notre chef », commente Dudas. « Nous avons beaucoup parlé en groupe après cette avalanche de buts. Tout le monde a relevé la tête contre Genk. Charleroi n’a pas beaucoup de points mais je suis loin d’être pessimiste ». En attendant, il y a la réalité du classement: trois points, trois nuls, pas de victoire, 16 buts encaissés en sept matches et seulement cinq goals marqués. La situation n’a jamais été aussi difficile depuis trois ans.

« Ce n’est pas tout à fait exact », rectifie Istvan Dudas. « Quand je suis arrivé en 2000, Charleroi était autrement dans les cordes. Le Sporting s’est sauvé lors du dernier match contre… Anderlecht. Nous avons cravaché jusqu’à la dernière seconde sous la direction de Manu Ferrera« .

Charleroi est un club étonnant. Manu Ferrera fut viré malgré de bons résultats. Enfin, la saison passée, Enzo Scifo a été dégoûté par un climat pourri. Or, il a finalement obtenu la douzième place. C’était bien le reflet des possibilités du groupe. Sans des conflits internes, une bagarre avec un journal carolo, des joueurs en fin de contrat et se souciant avant tout de leur avenir, la récolte aurait pu être plus intéressante. N’attendait-on pas monts et merveilles d’Enzo Scifo? Vivre une saison tranquille ne collait pas avec les espoirs des supporters fondés sur son prestige. Ce n’est pas Dieu quand même…

« Peut-être qu’on attend toujours plus d’un personnage de ce format », avance Istvan Dudas. « Je me suis toujours bien entendu avec lui. Nous avons bien travaillé. Avec le recul, je me dis qu’il a commis la même erreur que Michel Preud’homme. Tous deux auraient dû être plus patients. Je suis persuadé que Scifo a tout pour réussir dans ce métier ».

Scifo a aussi perdu de l’influx dans la guéguerre qui l’opposa à son adjoint, Dante Brogno. Dudas affirme qu’il ne s’en formalisa pas trop. Ce ne fut pasle cas de tous les joueurs plus sensibles que lui aux variations mentales. Il y avait une ambiance d’autodestruction dans ce club qui a toujours ressemblé à un volcan. Cela en fait son charme mais surtout sa faiblesse.

Ground Zero carolo

Autrement dit, Etienne Delangre s’est retrouvé à Ground Zeroen débarquant au Stade du Pays de Charleroi. Groupe à recomposer, moral à revoir, philosophie à redéfinir. Un travail considérable. Le styles séparent Enzo Scifo et Etienne Delangre. Tiré à quatre épingles, le premier semblait parfois un peu détaché par rapport au groupe. Le Liégeois n’est pas un adepte du costume trois pièces et il est souvent en training sur le banc, comme pour partager totalement les aventures de son groupe.

« Les deux vivent pour le football », raconte Istvan Dudas. « Ils ont le virus.N’oublions pas qu’Enzo Scifo est devenu entraîneur du jour au lendemain. Il n’a pas eu de transition et entraîna du jour au lendemain ses anciens équipiers. Par rapport à cela, on devine qu’Etienne Delangre a déjà dirigé de groupes en Provinciale, en Promotion et en D3 ».

Est-ce que cela signifie que son discours est un peu plus précis dans les détails? Peut-être, même si le butin est maigre pour le moment. « Nous méritons au moins cinq points de plus », dit Dudas.

Discours connu quand on a le feu au derrière. Après sa défaite contre Anderlecht (1-3), Charleroi n’a plus le choix et doit signer un exploit à Mons. Or, les visites au Stade Tondreau sont devenues des expéditions difficiles. Pour vaincre le Doudou, le Dragon et les gaillards de Marc Grosjean, les Carolos devront être plus efficaces.

« Charleroi n’a pas hérité d’un programme facile en début de championnat », certifie Istvan Dudas. « Après Mons, nous recevrons Bruges. Gratiné. Un avantage: Charleroi a déjà rencontré les ténors de l’élite. Nous avons mangé notre pain noir.La suite sera plus facile. Notre équipe peut surprendre Mons et Bruges, c’est certain ».

Bel exemple de confiance de cet homme tranquille. Dès qu’il en a l’occasion, Istvan emmène le siens aux autre coins de la Belgique. Il connaît Knokke ou Durbuy mais, en toute simplicité, il préfère se promener du côté de Cerfontaine, le poumon vert de Charleroi. Les Dudas habitent à Marcinelle. L’épouse d’Istvan jouait au basket en Yougoslavie. Elle a trouvé chaussure à son pied au Montagnard, un petit club carolo: une façon intelligente de s’intégrer, d’avoir des amis.

« Nous adorons le basket », raconte Istvan Dudas. « J’ai évidemment suivi le Mondial de basket. Le succès de la Yougoslavie ne m’a pas surpris. Aucun pays n’a gagné autant de titres. En ex-Yougoslavie, il y a des terrains de basket partout. C’est le sport numéro 1 ». Dès qu’il en a l’occasion, Istvan suit les Spirous. Il est vrai qu’ils vivent d’autres émotions sportives que les Zèbres!

Pierre Bilic

« Je n’ai jamais dû attendre mon salaire un seul jour  »

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