» On a dû digérer l’AZ… « 

L’Argentin revient sur son Soulier d’Or, sur l’élimination européenne face à l’AZ, sur la période plus laborieuse en championnat et évoque son avenir à demi-mots.

L’année 2012 avait commencé comme dans un rêve pour Matias Suarez. Avec, d’abord, son mariage célébré en grande pompe le 5 janvier dans la chaleur de sa ville natale de Cordoba. Avec ensuite, une semaine plus tard, la remise du Soulier d’Or (premier joueur sud-américain à recevoir ce trophée) qui couronnait six mois de prestations géniales, puisqu’il n’avait pas récolté le moindre point lors du premier tour de scrutin. Février s’est déroulé sur d’autres bases. Sans aller jusqu’à écrire que le rêve a tourné au cauchemar, il a fallu digérer une élimination frustrante en Europa League des £uvres de l’AZ Alkmaar, et même en championnat, l’équipe a parfois semblé à la recherche de son deuxième souffle. Des irritations sont mêmes apparues çà et là. Mars a mieux commencé, avec une victoire nette dans les chiffres mais lente à se dessiner face au Cercle Bruges.

Mati, où en êtes-vous aujourd’hui ?

MatiasSuarez : Bien. Mentalement, j’ai vécu une période un peu difficile, car il a fallu digérer l’élimination européenne. Regarder en arrière ne sert à rien : la vie continue.

Après le 18 sur 18 du premier tour, Anderlecht est retombé de haut…

En effet. On n’a pourtant pas sous-estimé l’adversaire. On savait que l’AZ était une très bonne équipe. Mais les circonstances du match nous ont été contraires. Au risque de contredire l’avis de beaucoup de personnes, je trouve qu’on aurait mérité de se qualifier. J’entends partout que l’AZ nous a été supérieur sur l’ensemble des deux matches, je ne suis pas d’accord. Lors du match aller, à Alkmaar, les Néerlandais ont dominé au niveau de la possession du ballon, mais Silvio Proto n’a pas dû réaliser des arrêts miraculeux. Et Guillaume Gillet aurait pu égaliser à 1-1 en toute fin de match. Lors du match retour, on n’a pas eu de chance. J’ai frappé le poteau et le gardien Esteban Alvarado a sorti un grand match.

Votre rêve de terminer comme Pichichi de l’Europa League s’est donc envolé…

Ce n’était pas un rêve. J’ai inscrit sept buts, mais je n’ai jamais oublié que je devais aussi cette réussite à mes coéquipiers. Le rêve, c’était d’aller très loin dans cette compétition. Et c’est pour cela que cette élimination a fait mal.

La finale était-elle réellement envisageable, comme certains (dont le président) l’avaient évoqué ?

La finale, je ne sais pas, mais j’ai le sentiment qu’on avait la possibilité d’aller très loin. Si l’on s’était qualifié, on aurait hérité de l’Udinese, et avec tout le respect que je dois aux Italiens, j’ai le sentiment qu’on pouvait passer. On se serait alors retrouvé en quarts de finale, et à partir de là, tout serait devenu possible. Je n’ai jamais regardé plus loin que le prochain match. Mais là, tout s’est arrêté de manière abrupte.

 » On s’est énervé sur le terrain, jamais dans le vestiaire « 

C’est ce qui explique les difficultés rencontrées au Lierse, trois jours plus tard ?

On a accusé à la fois la fatigue physique, due aux efforts consentis pour renverser la situation contre l’AZ trois jours plus tôt, et un peu de fatigue mentale aussi, liée à l’élimination. Cela n’a pas été simple de tourner le bouton. Aujourd’hui, on doit regarder la réalité en face : on n’a plus que le championnat à se mettre sous la dent.

Comprenez-vous l’énervement de Proto à la chaussée de Lisp ?

Je le comprends parfaitement. On n’a pas été bon, ce soir-là. Silvio et Cheikhou Kouyaté nous ont tenus dans le match. Sans eux, on était battu. En attaque, on n’a rien montré.

Certains joueurs semblent à la recherche de leur deuxième souffle. On songe en particulier à Milan Jovanovic. En début de saison, on louait son caractère : il insufflait sa rage de vaincre à l’équipe. Maintenant qu’il est moins performant, sa propension à faire la leçon aux autres semble irriter. Quel est votre avis ?

Milan a son caractère, c’est sûr. Et il continue à transmettre sa rage de vaincre à ses coéquipiers. Il a parfois tendance à s’énerver sur le terrain lorsque cela ne tourne pas, c’est logique. Mais dans le vestiaire, il n’y a aucun problème avec lui. J’ai toujours dit que je me sentais très à l’aise au sein du quatuor offensif de cette saison, qui me permet de jouer au sol, dans un style qui me convient. Je n’ai pas changé d’avis.

Lucas Biglia n’est plus aussi rayonnant non plus. D’une certaine manière, c’est logique après être resté trois mois sans jouer…

Exactement. Lucas est très important pour Anderlecht. En milieu de terrain, c’est lui qui dicte le rythme, qui fait circuler le ballon. Lorsqu’il est au sommet de sa forme, cela se répercute sur toute l’équipe. Et lorsqu’il est enrhumé, c’est tout le Sporting qui tousse.

Lors du match aller à Alkmaar, vous étiez malade…

Une grippe m’a obligé à entamer le match sur le banc, en effet. Cela ne doit pas être une excuse. Je ne suis qu’un joueur parmi d’autres. Il y a d’autres joueurs de qualité à Anderlecht qui peuvent me remplacer.

On reconnaît là votre modestie. Mais votre absence au coup d’envoi n’a-t-elle pas eu un impact psychologique sur vos partenaires ?

Ne me faites pas tant d’honneur.

Fernando Canesin est parfois cité comme votre successeur. En a-t-il les qualités ?

Les qualités, certainement. Il est encore jeune, il a encore beaucoup à apprendre, mais le talent est là. Il évolue à la même place que moi, un peu dans le même style aussi, c’est la raison pour laquelle on affirme parfois qu’il est le plus apte à me succéder.

 » Ce sont les résultats qui déterminent les objectifs « 

Le débat a parfois été ouvert : est-il intéressant d’aller loin en Europa League, quitte à en payer les conséquences en championnat, en sachant que le champion sera directement qualifié pour les poules de la C1 ? Quel est votre avis ?

Qu’il est difficile de fixer des objectifs à l’avance. On ne peut pas faire des choix, en négligeant une compétition pour mettre le paquet sur une autre. Ce sont les résultats qui définissent les objectifs. En début de saison, on avait trois objectifs. Celui de la Coupe de Belgique a rapidement dû être gommé : c’est une compétition qui ne nous a jamais vraiment réussi. Aller loin en Europa League, c’était aussi un objectif. On sait ce qu’il en est advenu. Il ne reste donc plus que le championnat.

Peut-il arriver quelque chose de fâcheux à Anderlecht durant les play-offs ?

En principe, si l’on joue à notre meilleur niveau, non. Mais, on l’a vu la saison dernière avec le Standard : durant les play-offs, tout est possible. Beaucoup dépend de la forme du moment.

Vos prestations contre les équipes du top plaident en votre faveur…

On a perdu très peu de points contre les grands. Question de concentration, à mon avis. Face aux équipes que l’on sait susceptibles de nous poser des problèmes, on joue à fond durant 90 minutes. Contre Bruges, Gand, Genk, on a été très bon. C’était à domicile, aussi. Au Standard, on a dû faire le gros dos en début de match, mais on a fini par s’imposer. Un match à Sclessin n’est jamais facile.

Contre les petits, en revanche…

C’est plus laborieux, je vous le concède. Je ne pense pas qu’on prenne ces équipes de haut, c’est inconscient.

Vous n’avez jamais disputé les poules de la Ligue des Champions. La perspective de participer à cette épreuve prestigieuse pourrait-elle vous amener à rester un an de plus ?

Je ne regarde pas aussi loin. On me pose sans cesse des questions sur mon avenir, mais je veux d’abord me concentrer sur les tâches qui m’attendent à Anderlecht. En espérant que nos efforts nous conduisent au titre. Après, il sera toujours temps d’examiner les options qui se présenteront.

Votre Soulier d’Or a-t-il boosté l’intérêt à votre égard ?

Je ne sais pas. Il faudrait poser la question à mon agent, Cristian Colazo. Il ne m’a rien dit au sujet d’éventuelles propositions qui lui seraient parvenues.

Avez-vous un plan de carrière ?

Si vous appelez  » plan de carrière  » un planning qui me conduirait dans tel club à tel âge et dans tel autre club deux ans plus tard : non, je n’en ai pas. En revanche, j’ai un rêve : celui d’évoluer un jour dans un grand championnat. Et même un deuxième rêve : celui de porter, un jour, le maillot de mon équipe nationale.

Mercredi passé, l’Argentine s’est imposée 1-3 en Suisse avec, enfin, un grand Lionel Messi. Mais toujours sans Matias Suarez…

Messi est exceptionnel. Peut-être le plus grand joueur de l’histoire. Ce serait un plaisir d’évoluer à ses côtés. Mon Soulier d’Or n’a, effectivement, pas encore conduit le sélectionneur national à s’intéresser à moi. La concurrence est terrible dans le secteur offensif.

 » La Russie, non merci « 

Lorsque vous parlez de grand championnat, vous songez en premier lieu à la Liga espagnole ?

L’Espagne est une destination privilégiée pour les Argentins, ne serait-ce qu’en raison de la langue. L’adaptation s’en trouve facilitée. En plus, c’est un championnat très relevé. Je le sais : c’est la crise, là-bas aussi. L’Angleterre est aussi un beau championnat. Je risque d’y être confronté au problème du permis de travail puisque je ne suis pas international. La situation de Romelu Lukaku fait réfléchir aussi, même si je suis persuadé qu’il a les moyens de s’imposer.

La Russie ?

(Il grimace). Non, merci. Très peu pour moi. Pas tellement en raison du froid, car j’ai fini par m’habituer aux températures négatives. Je sais qu’on peut très bien gagner sa vie en Russie, mais je ne vise pas l’argent en priorité. En Belgique, je gagne largement de quoi vivre confortablement, et j’y suis heureux. Mon épouse aussi, et ma fille, qui va déjà à l’école, commence à parler le français. Beaucoup mieux que moi.

Les Pays-Bas ?

Non plus. En Eredivisie, on pratique pourtant un style de jeu qui pourrait me convenir : technique, basé sur la possession du ballon et sur les combinaisons. Mais je n’aurais pas l’impression de franchir un palier, par rapport à Anderlecht. Je le répète : je n’ai pas trouvé l’AZ supérieur.

Vous sentez-vous prêt à franchir un palier ?

J’ai beaucoup progressé. Ce qui fait la différence, cette saison, c’est que j’ai fait le plein de confiance. Je sais que, si je livre un moins bon match, je ne me retrouverai pas sur le banc pour le suivant. Cette continuité est essentielle à mes performances. La discussion que j’ai eue avec Ariel Jacobs durant l’été ? Je ne sais pas si ce fut le déclic. J’ai peut-être, moi-même, atteint un niveau supérieur. J’ai beaucoup changé, tant sur le plan humain que sur le plan footballistique. Cela s’explique par un ensemble de raisons. Il y a l’âge, bien sûr. J’ai quatre ans de plus qu’à mon arrivée, et cela compte. J’ai mûri. Les épreuves de la vie que j’ai traversées m’ont forgé le caractère. La naissance de ma fille, aussi, m’a responsabilisé. Etre père, cela change un homme. Il y a aussi l’adaptation à la vie en Belgique, qui m’a un peu coûté au début. Aujourd’hui, je l’ai complètement assimilée. Je sais que, si je pars pour un autre pays, je devrai peut-être repasser par tout ce processus, mais je suis prêt à le faire s’il le faut.

 » La muscu, ce n’est pas mon truc « 

Avez-vous progressé physiquement ?

Sans aucun doute, oui. Le rythme des matches et des entraînements est élevé. Et puis, on reçoit beaucoup de vitamines à Anderlecht. La musculation ? Cela n’a jamais été mon truc. Non pas que j’ai peur de perdre de la vivacité en gagnant du muscle. Simplement, je n’aime pas cela. Je l’avoue honnêtement, sans honte. En Argentine aussi, il y a des salles de musculation, et j’aurais pu y passer du temps, mais cela ne m’a jamais tenté. Dans ma famille, tout le monde est mince.

Le tir à distance, c’est une arme nouvelle ?

Parfois, dans le cours de l’action, il m’arrive de tenter ma chance. Et cela m’a souvent bien réussi. Pourtant, et cela peut paraître paradoxal, je n’ai jamais été un grand buteur. Ni en Belgique, ni précédemment en Argentine. J’évoluais plutôt comme 9,5, un peu en retrait de l’attaquant de pointe, et j’ai toujours préféré délivrer des assists que marquer moi-même. Je peux jouer comme avant-centre aussi, mas je ne suis évidemment pas l’attaquant pivot, capable de jouer dos au but. Je dois plutôt combiner, effectuer des actions, faire valoir ma vivacité.

Votre mariage vous a-t-il aussi changé ?

Le mariage est important pour un catholique. Ce fut une belle fête. Il faisait chaud, et surtout, j’ai revu toute ma famille et mes amis, c’est l’essentiel lorsque je rentre en Argentine. Après, j’ai vécu le voyage le plus pénible de ma vie, pour me rendre au stage en Turquie. Quatre changements d’avion. C’était long, long…

Et votre Soulier d’Or : vous a-t-il transformé ?

En tant qu’être humain, je ne pense pas : je suis resté le même. J’ai encore toujours du mal à réaliser : être le premier Sud-Américain à remporter ce trophée, en sachant qu’il y a eu des joueurs de la qualité de Nicolas Frutos ou Lucas Biglia, c’est incroyable. Mon père, de là-haut, doit être fier de moi. Il rêvait de me voir réussir comme professionnel alors qu’au début, j’avais juste envie de jouer avec mes copains. Ma mère est très heureuse de ma réussite également. Elle reviendra d’ailleurs bientôt en Belgique pour me rendre visite. Personnellement, cette récompense a encore accru ma confiance.

Et elle vous garantit aussi cette continuité dont vous avez tant besoin : on ne place pas un Soulier d’Or sur le banc…

C’est vous qui le dites. Ce n’est pas parce que je suis chaussé d’or que je peux m’endormir sur mes lauriers. Si je fléchis, l’entraîneur a le droit de me rappeler sur le banc, comme n’importe quel autre joueur.

Etre le meilleur joueur du championnat fait-il de vous un leader ?

Je n’en ai pas le caractère. D’autres joueurs, dans le vestiaire, prennent beaucoup plus volontiers la parole : Lucas, Silvio, Milan… Je me contente d’être un leader sur le terrain, ballon au pied.

Anderlecht a accueilli deux jeunes joueurs argentins, issus de l’école des jeunes de l’Union Santa Fé et conseillés par Frutos. Les avez-vous pris sous votre aile ?

Lucas et moi, on les a parfois croisés au réfectoire, mais c’est tout. On a très peu de contacts avec eux…

On vous sait casanier, mais après quatre ans en Belgique, avez-vous des endroits coups de c£ur ?

Mon endroit coup de c£ur, c’est ma maison de Dworp. Elle n’est pas immense, pas toute petite non plus. Juste ce qu’il faut. Je ne me sens bien qu’aux côtés des miens, de mon épouse et de ma fille. En dessinant, en vaquant à mes occupations.

Biglia a déclaré que, lorsqu’il quittera la Belgique, ce sera la société belge qu’il emmènera avec lui. Et vous ?

Ma réponse sera à peu près la même. Ce que j’apprécie par-dessous tout à Dworp, c’est la tranquillité. On peut laisser la porte ouverte, garer la voiture devant la maison, on sait qu’on ne sera pas agressé. Quelle différence avec l’Argentine. Et puis, les gens sont tellement aimables avec nous…

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: KOEN BAUTERS

 » Lorsque Biglia est enrhumé, c’est tout le Sporting qui tousse. « 

 » Je n’ai pas de plan de carrière. J’ai un rêve, celui de jouer dans un grand championnat. « 

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