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 » On a dit que c’était la génération la moins qualitative des 10 dernières années « 

… et pourtant, c’est bien cette génération qui participe à l’EURO Espoir, à partir de ce week-end, en Emilie Romagne. Entretien avec le plus italien de nos coaches sur la route des Jeux de Tokyo.

« C’est très fort comme groupe !  » Johan Walem a directement cette réflexion quand on le confronte au tirage au sort de la phase finale de l’EURO U21. Ses gars vont batailler avec les Polonais, mais surtout les Espagnols et les Italiens. C’est peut-être le groupe de la mort. Les Belges sont installés en Sicile pour un mini-stage, ils rejoindront leurs quartiers vendredi soir, entre Parme et Bologne. Première mission : dimanche face aux Polaks.

Tu considères que les Italiens sont au-dessus du lot à partir du moment où ils jouent chez eux ?

JOHAN WALEM : Je connais très bien la mentalité italienne, ils font tout à fond, ils vont se défoncer pour gagner le tournoi. Ils ont rappelé plusieurs joueurs de leur équipe A. Ça promet d’être costaud. Les Espagnols, c’est aussi quelque chose. Ils ont l’habitude d’aller très loin dans les Championnats d’Europe de jeunes. On est peut-être dans le groupe le plus relevé, oui. Pour moi, il y a cinq favoris qui se détachent : Italie, Espagne, Allemagne, France et Angleterre.

Tu n’es pas inquiet après la grosse défaite en France ?

WALEM : On voulait se situer par rapport à un favori, les Français avaient aussi envie de jouer contre nous, ça veut dire quelque chose. On doit rester calmes après ce 3-0. Mais on doit aussi accepter de voir ce qui n’a pas marché. Dès qu’on a des manquements, dans l’intensité, dans la discipline tactique, on souffre. Cette défaite nous ramène les pieds sur terre, et ça, ce n’est peut-être pas plus mal. On a des qualités. Mais chaque joueur doit faire le boulot.

Votre parcours en éliminatoires a été presque parfait. Ça ne suffit pas pour viser très haut ?

WALEM : Presque parfait, oui tu as raison… Mais on a toujours eu un groupe presque complet. Ici, il me manque deux vrais titulaires qui ont fait toute la campagne, et ce n’est pas n’importe qui. Perdre Zinho Vanheusden derrière et Landry Dimata devant, c’est vraiment une tuile. Il faudra être directement à bloc. On a trois matches à jouer en phase de poule, trois matches secs, pas dix. Le premier peut déjà être déterminant.

C’est bien de commencer contre l’équipe qui est la moins forte sur le papier ?

WALEM : Je ne sais pas si les Polonais sont moins forts que nous. On se vaut. Je suis sûr qu’ils se disent aussi que c’est le match à gagner absolument. Ce sera un match couperet pour les deux pays.

 » Il ne faut plus voir les Italiens comme des U21 mais comme des hommes  »

La campagne de qualification t’a satisfait à tous points de vue ?

WALEM : Oui parce que ça a été crescendo, du début à la fin. Je retiens ça, et aussi par exemple le fait que mon équipe s’exprime mieux en déplacement qu’à domicile. On a chaque fois eu un peu plus de mal chez nous. On a battu Malte dans la douleur puis on a fait des nuls contre la Turquie et la Suède. Après ça, notre niveau a commencé à augmenter progressivement. Et ça a été comme ça jusqu’au bout.

Pourquoi ton équipe se sent mieux à l’extérieur ?

WALEM : Parce qu’il y a des caractéristiques spécifiques dans le groupe. On joue une sorte de foot d’attente, puis on se projette rapidement vers l’avant. Quand ça part, ça peut aller très très vite. Pour l’adversaire, c’est très compliqué à gérer. C’est le foot actuel, regarde les Diables.

Ton équipe peut aller aussi vite que celle de Roberto Martinez dans le match contre le Japon à la Coupe du monde ?

WALEM : Oui ! J’ai des joueurs hyper rapides et on a marqué des buts comme ça. Et aussi des buts construits. Contre des adversaires costauds, comme la Turquie et la Suède, on a su faire mal en contre-attaque.

Vous avez battu l’Italie chez elle en match amical. Ça veut dire quelque chose pour toi ?

WALEM : Je retiens surtout qu’ils nous ont donné des indications sur l’impact physique qu’ils vont mettre dans leur jeu à l’EURO ! C’était impressionnant. Mais ça fait partie de leur jeu. Les Italiens sont comme ça. Ils ont beaucoup de qualités footballistiques, mais à côté de ça, ce sont des hommes, plus des gars qui jouent dans une catégorie d’âge. Des vrais athlètes. Tu ne dois plus les voir comme des U21. Par rapport à nous, ils ont une maturité physique précoce. On a joué contre quelques armoires à glace.

Et l’Espagne ?

WALEM : C’est plus le jeu traditionnel espagnol qu’on connaît avec des qualités techniques impressionnantes, des constructions depuis l’arrière. Les Espagnols aiment bien avoir le ballon.

Filip De Wilde, ton entraîneur des gardiens, m’a dit récemment :  » Les staffs de nos adversaires à l’EURO ne doivent pas être tranquilles. On a gagné en Autriche, en Italie, en Suède, on a fait un nul contre la Roumanie en alignant deux équipes complètement différentes. Depuis deux ans, cette équipe n’arrête pas de progresser, on a plein de solutions.  » Tu valides ?

WALEM : Filip t’a dit ça ? … Vraiment, il l’a dit ? … C’est cool d’entendre ça. Mais ça me surprend, quand on connaît le garçon ! Ce n’est pas dans son caractère de faire des compliments. Je sais de quoi je parle, je le côtoie depuis une vingtaine d’années. Pour moi, rien que ça, c’est une grande victoire. Ça veut sans doute dire, aussi, que j’ai su instaurer une notion de plaisir dans le staff. C’est bénéfique pour tout le monde.

 » Quand tu as été Diable, tu ne reviens pas en Espoirs, c’est une règle non écrite  »

Sur l’échelle du talent, tu mets cette génération à quel niveau par rapport aux deux autres que tu as connues ?

WALEM : Au début des éliminatoires, elle était en dessous. Dans la première génération que j’ai entraînée, il y avait Michy Batshuayi, Yannick Carrasco, Thorgan Hazard. Dans la deuxième, j’avais Dennis Praet, Leander Dendoncker, Youri Tielemans. Du talent ! Et au départ, oui, celle-ci était moins bonne. Mais à la fin, elle est peut-être encore meilleure. Les gars ont su progresser, prendre conscience de ce que l’équipe nationale peut leur apporter dans leur évolution. Il y a des joueurs qui se sont complètement révélés. Landry Dimata était un bon footballeur à la base, il a aussi ramé au début avec nous, puis il est devenu un pion essentiel. Siebe Schrijvers a confirmé sur le terrain, en plus d’être un gars fantastique. Dodi Lukebakio est génial aussi. Au début, il ne jouait pas, puis il a explosé. Personne ne parlait d’Isaac Mbenza, je l’ai vu jouer moins de dix minutes et j’ai dit : Oh là, c’est quoi ? C’est un homme ! Il faut voir aussi la maturité que Bryan Heynen a prise en quelques mois.

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On peut résumer en disant qu’il y avait plus de talent dans les deux autres générations mais que l’état d’esprit est meilleur dans celle-ci ?

WALEM : On a installé un projet, il y a plus de deux ans. Une conduite à tenir, une méthodologie, avec un objectif. Au niveau de l’état d’esprit, il y a clairement eu une évolution par rapport aux deux autres campagnes. C’est indispensable quand tu dois pêcher dans un bassin qui n’a rien à voir avec le réservoir des Français ou des Anglais. Là-bas, c’est dix fois plus grand, ils ont dix fois plus de choix. On a aussi mis au point une collaboration avec l’équipe A, ça fait du bien de temps en temps…

Elle s’exprime comment, cette collaboration avec les Diables ?

WALEM : On nous laisse une certaine liberté, je peux travailler comme je le veux. Les Diables ne jouent pas comme nous, ils sont à trois derrière, moi je mets une ligne de quatre. Mais ça ne pose de problème à personne.

Tu aurais pu prendre Youri Tielemans pour aller à l’EURO…

WALEM : Je n’y ai jamais pensé, et avec Roberto Martinez, on est bien d’accord là-dessus. Les Italiens rappellent des internationaux A qui peuvent encore jouer en U21, d’autres pays le font aussi, mais pas chez nous. Une loi non écrite en Belgique dit qu’à partir du moment où tu as été international A, tu ne reviens pas en Espoirs… Et pendant ce temps-là, Martinez m’a laissé les joueurs de mon groupe alors qu’il aurait déjà pu en convoquer l’un ou l’autre, comme Vanheusden ou Dimata. Le courant passe bien ! Le deal avec Martinez, c’était que Vanheusden lui confirme en faisant un gros EURO qu’il était prêt pour passer très vite chez les Diables.

Johan Walem :
Johan Walem :  » Au niveau de l’état d’esprit, il y a eu une évolution par rapport aux deux campagnes précédentes. « © BELGAIMAGE / KETELS

 » Charly Musonda se met trop de pression, je ne lui en veux pas  »

Sur les 22 joueurs qui ont fait le dernier EURO Espoirs avec la Belgique, il y a 12 ans, 19 se sont retrouvés chez les Diables. Comment tu vois la suite pour les gars de ton noyau ?

WALEM : Je ne veux pas comparer. Et je n’en sais rien. Je peux simplement dire qu’ils devront être patients parce que la génération actuelle des Diables va encore durer quelque temps. Mais bon, tu n’es pas obligé non plus de devenir international A à 22 ans. Ça peut encore venir à 26 ou 27. Pour le moment, je n’en vois que trois ou quatre dans mon groupe qui pourraient revendiquer une sélection chez les Diables. Aujourd’hui, pas plus. Plus tard, peut-être.

En talent pur, on ne parle pas de la même chose qu’en 2007 quand on avait Thomas Vermaelen, Jan Vertonghen, Vincent Kompany, Marouane Fellaini, Anthony Vanden Borre, Kevin Mirallas, Steven Defour,…

WALEM : Tout le monde a dit il y a deux ans, qu’il n’y avait rien d’exceptionnel dans ce groupe. On a décrit cette génération comme la moins qualitative de ces dix dernières années. Mais c’est celle-ci qui s’est qualifiée pour le Championnat d’Europe ! Chapeau à eux pour avoir eu le courage d’affronter ça, pour avoir su gérer ces critiques. On a eu des moments difficiles, surtout en début d’éliminatoires. On s’est plus ou moins fait massacrer après nos matches nuls à domicile contre la Turquie et la Suède. Mais il y a des équipes qui sont meilleures au début et d’autres qui montent en puissance sur la fin ! Chez nous, ça n’a été que crescendo.

Mais on a aussi dit, à une certaine époque, que cette génération 96 était la plus douée de l’histoire du football belge. Quand Johan Boskamp en parlait, il en avait plein la bouche. Il disait que dans ses moments de déprime, il se passait un DVD de cette équipe et ça le regonflait directement… Il y avait Zakaria Bakkali, Andreas Pereira, Charly Musonda…

WALEM : Il n’y a pas que Boskamp qui disait des trucs pareils. Ils étaient fantastiques à regarder. Mais qui y est vraiment arrivé entre-temps ? Il n’y a que Siebe Schrijvers qui a tout à fait confirmé le bien qu’on disait de lui. Il y en a qui se sont un peu perdus. Plus le niveau augmente, plus ça devient difficile parce que l’apport du talent se réduit. L’impact physique devient plus fort. Certains ont buté sur certaines choses ! Et il y en a qui n’étaient pas toujours évidents à gérer. Demande aux entraîneurs des catégories d’âge précédentes, renseigne-toi sur leur passage en U19.

Le plus grand gâchis, c’est Musonda ?

WALEM : Sa réaction m’a étonné. Je suis allé le voir à Chelsea pour lui parler du projet, je lui ai expliqué que je voulais qu’il soit un leader de mon groupe, j’ai discuté avec Antonio Conte, avec des gens du club. Il était de bonne composition. D’ailleurs, on ne peut pas le décrire comme un garçon avec des mauvaises dispositions, au contraire ! Mais à la sélection suivante, il n’est pas venu. C’est peut-être le plus grand talent que j’ai eu mais je devais aussi faire passer un message à mon groupe, je ne pouvais pas fermer les yeux sur son refus de venir avec nous pour un match.

Echec en sélection, échecs avec ses clubs…

WALEM : Il se met peut-être trop de pression. Mais on lui a toujours dit qu’il était le plus grand, le plus beau, le plus fort. C’est comme ça depuis cinq ou dix ans. Ce n’est pas facile à gérer, et je ne lui en veux pas. Maintenant, quand tu vois ses dernières années, c’est la galère.

 » Tu martèles à des jeunes doués qu’ils sont les meilleurs… je ne voudrais pas être à leur place  »

A l’époque où on disait que la génération 96 était une levée de surdoués, certaines personnes avaient quand même déjà des doutes. Marc Wilmots disait qu’ils étaient magnifiques individuellement mais que c’était un gros zéro sur le plan collectif, Gert Verheyen pointait un problème de mentalité. Ils n’étaient pas trop à côté de la plaque…

WALEM : J’ai évoqué une fois un problème de mentalité, la presse m’a directement tapé sur les doigts. Tu prends des jeunes doués, tu leur martèles pendant dix ans qu’ils sont les meilleurs… je ne voudrais pas être à leur place.

Depuis le début de ton deuxième mandat, tu as une moyenne de plus de deux points par match.

WALEM : C’est énorme, non ? (Il rigole). Certains se braquent sur les statistiques, moi je m’intéresse plus à l’évolution des choses. On a su créer une mentalité de gagneurs, fédérer un groupe. Il manquait une culture de la gagne. Etre beau, c’est bien. Etre efficace, c’est autre chose. On a bien progressé en trois ans.

Tu en es à une quarantaine de matches, sur tes deux périodes de coach. Tu penses devenir un nouveau Jean-François de Sart ou tu ne vois pas aussi loin ?

WALEM : Tout dépendra de la volonté des deux parties. L’année passée, j’ai exprimé mes volontés, quand on a discuté d’une prolongation. J’adore ce que je fais, je ne l’ai jamais caché.

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A l’heure Mapei et Sassuolo

Les Belges joueront leurs trois matches de groupe dans le même stade, le Mapei Stadium, à Reggio Emilia, à une quarantaine de kilomètres de Parme. Tout près de Maranello, le fief de Ferrari. Mapei, ex-sponsor historique en cyclisme, est aujourd’hui à fond dans le foot. Cette société a racheté le club de Sassuolo, monté pour la première fois en Serie A en 2013 et qui vient de finir le championnat dans le milieu du tableau. Mapei a aussi racheté le stade de Reggio Emilia.

 » On va jouer dans le stade de Sassuolo, on va s’entraîner dans leur tout nouveau complexe qui vient juste d’être terminé et on va loger dans l’hôtel de l’équipe « , explique Johan Walem.  » Sûrement le plus petit hôtel de toutes les équipes qualifiées. Un minuscule 3 étoiles. On est des outsiders dans tout, même au niveau du logement… Quand on est allés en repérage, on a reçu un accueil extraordinaire. C’est très familial. Magnifique. Pas le grand luxe mais ça ne me dérange pas. J’ai fait des stages de préparation en montagne avec l’Udinese dans des 2 étoiles rudimentaires, c’est aussi comme ça que tu fédères un groupe. On a été reçus par les patrons de Mapei, dans l’entreprise. Un accueil unique, la classe à l’italienne. Les mecs en costume cravate, tout était parfaitement organisé, un peu de show mais très simple sur le fond…  »

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 » Evidemment que les Jeux me font rêver  »

Dans le vestiaire, ça parle des Jeux de Tokyo ?

JOHAN WALEM : J’entends parfois des joueurs qui en parlent, c’est bien, ça vit… Pour eux, c’est l’objectif suprême. Il y avait un premier but, aller à l’EURO. Il est atteint.

Quand tu as entraîné les Espoirs pour la première fois, tu avais aussi des rêves olympiques, tu pensais aux Jeux de Rio…

WALEM : J’ai la chance d’avoir déjà fait les Jeux… A 15 ans, c’était une sorte de Jeux Olympiques pour les jeunes, une expérience particulière. Les vrais JO, évidemment que ça me fait rêver. Il faut avoir des objectifs, des rêves. Le Championnat d’Europe aussi, c’était un rêve pour moi. Je suis passé deux fois très près. La première, on avait terminé à égalité de points avec la Serbie, ils étaient passés à la différence de buts. C’est dur à vivre, c’est frustrant. La deuxième fois, on était en tête du groupe à deux matches de la fin puis on s’est effondrés, au Monténégro puis chez nous contre la Lettonie. Tu imagines ? Maintenant, plus les jours passent, plus le début de l’EURO approche, plus on a les Jeux en tête. Mais une chose à la fois. Pour se qualifier, il faut aller en demi-finale.

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