OMBRES CHINOISES

L’attaquant camerounais de l’Excel a réalisé l’essentiel de sa carrière en Chine.

Avec la blessure de DembaBa et la suspension d’ AdnanCustovic, GilVanden-brouck n’avait qu’un seul attaquant disponible pour le déplacement de samedi à Mons : BertinTomou (28 ans). Arrivé juste avant le début du championnat, après un match amical concluant avec l’Excel, le Camerounais s’est montré plus discret que ses compères jusqu’ici. Une belle occasion lui était donc offerte de se mettre en évidence, mais il regrette l’absence de ses deux compagnons avec lesquels il était très complémentaire.  » Pour Adi, ce n’était pas trop grave car il sera de retour la semaine prochaine. Par contre, Demba va encore manquer à l’équipe pendant plusieurs semaines. Cela avait très bien fonctionné à nous trois en début de championnat. On apportait le danger de tous les côtés et on avait des qualités différentes : Demba avait sa pointe de vitesse, Adi sa force de frappe. Moi, je pesais sur la défense adverse et j’essayais de mettre les autres sur orbite grâce à des déviations « . Lorsqu’on lui demande de définir ses qualités, Bertin répond :  » Je suis un taureau. Mais, parallèlement à ma force physique, j’adore combiner dans des espaces réduits et effectuer des remises. Je suis capable d’être un finisseur aussi, mais dans les premiers matches, j’ai un peu manqué de réussite « .

Un taureau succède au néo-Buffalo

Malgré le départ de PatriceNoukeu pour La Gantoise, Mouscron a donc toujours un Camerounais dans ses rangs. Le nouveau venu présente d’ailleurs certains points communs avec son compatriote : ils témoignent tous les deux d’engagement sur le terrain et arborent un large sourire en dehors. Et si, au lieu des quelques mèches rousses qu’il a dans sa chevelure, Bertin se teignait les cheveux en blond, on confondrait volontiers le… taureau indomptable avec le néo-Buffalo.

 » C’est dommage que Patrice soit parti alors que je venais à peine d’arriver « , regrette-t-il.  » J’aurais bien aimé jouer une saison avec lui. Le destin en a décidé autrement. Ce n’est pas grave : je reste le seul Camerounais de Mouscron, mais je joue dans un club sympa, c’est le plus important. Je connaissais Patrice depuis le Cameroun. Nous ne sommes pas originaires de la même région : il est de Bafoussam, alors que je suis de Douala, la capitale économique du pays. Mais, entre footballeurs camerounais, on se connaît tous. Je connais aussi DanielWanzi, l’attaquant camerounais de Mons : comme moi, il a joué en Chine, mais on ne s’est pas côtoyés là-bas. Le large sourire que j’arbore en toutes circonstances ? Dans la vie, je trouve qu’il faut rester positif et conserver cette gaieté qu’on a en soi. C’est tout de même mieux que d’arborer un visage triste, non ? Cela ne m’empêche pas de me retrousser les manches lorsque je monte sur le terrain « .

Originaire de Douala, Bertin n’a pourtant pas joué dans l’un des grands clubs de cette métropole, comme l’Union, le Caïman ou le Dynamo, mais dans une équipe dont la réputation n’a guère franchi les frontières du Cameroun : le PWD de Bamenda.  » C’est le club phare du nord-ouest du pays « , explique-t-il.  » Il est situé dans la région anglophone du Cameroun. Pour moi, qui suis francophone, cela n’a pas été facile au début, mais j’ai fait le choix en âme et conscience, par rapport à un entraîneur que j’avais connu précédemment et en qui j’avais confiance. J’ai passé des tests au PWD lorsque j’étais Scolaire et j’ai été engagé. J’ai joué en D1 avec ce club, j’ai même été un moment meilleur buteur de la compétition avec 14 buts. On a terminé à la sixième place, ce qui n’était pas mal du tout « .

Découvrir l’Europe à 28 ans

A ce moment-là, Bertin a aussi goûté à ses premières convocations en équipe nationale.  » Votre compatriote HenriDepireux était à l’époque le sélectionneur des Lions Indomptables et c’est lui qui m’a appelé pour la première fois, alors que j’étais encore très jeune. Je lui en serai éternellement reconnaissant. J’ai participé à des matches amicaux et à des éliminatoires, mais jamais à une grande compétition comme la Coupe d’Afrique ou la Coupe du Monde, et je le regrette un peu. Si je devais terminer ma carrière sans avoir vécu cela, je ressentirais comme un manque « . Il faut dire que la concurrence est rude en attaque, avec notamment un certain SamuelEto’o.  » C’est vrai, mais je pense que je pourrais être… complémentaire avec l’attaquant de Barcelone. On n’utilise pas vraiment Eto’o comme un pivot, c’est plutôt un joueur qui s’engouffre dans les espaces et qui marque. Ce pivot, ce pourrait être moi. Je rêve d’évoluer un jour aux côtés d’Etoo dans une grande compétition. En 2010, lorsque la prochaine Coupe du Monde se disputera en Afrique du Sud, j’aurai 32 ans, mais ce n’est pas vieux : il y a des joueurs qui demeurent encore très affûtés bien au-delà de cet âge. Je ne désespère donc pas. Encore faut-il se qualifier : l’élimination dramatique de la Coupe du Monde 2006 traumatise encore bien des personnes, au pays. Certes, on était tombés dans le groupe de la mort, avec la Côte d’Ivoire et l’Egypte, mais on s’est battu jusqu’au bout et on a eu le but de la victoire au bout du pied : louper dans les arrêts de jeu le penalty qui nous aurait qualifiés, c’est dur à digérer. Je crois que le Cameroun aurait eu sa place en Allemagne. Sans vouloir paraître prétentieux, je pense qu’on a la meilleure équipe d’Afrique « .

Pour Bertin, l’adage  » mieux vaut tard que jamais  » a toute sa raison d’être : il avait 28 ans lorsqu’il a découvert un championnat européen, au début de cette année, avec Brest.  » J’ai passé six mois là-bas, à la pointe de la Bretagne. C’était, en quelque sorte, ma joyeuse entrée en Europe. Je n’ai pas perdu mon temps, on ne peut pas dire que c’était du gâchis. Mais, en juin, je me suis retrouvé en fin de contrat. Avec l’aide de mon agent, je me suis donc mis à la recherche d’un nouveau club, qui pourrait constituer un tremplin pour l’avenir, et je suis très heureux d’avoir découvert Mouscron « .

Jusque-là, Bertin avait réalisé l’essentiel de sa carrière en… Asie. A 19 ans, il a quitté le Cameroun pour la… Corée du Sud et le club de Pohang Steelers.  » En fait, comme beaucoup de footballeurs africains, j’avais envie de m’expatrier. J’en ai parlé à Henri Depireux qui a tout fait pour m’aider. Si je me suis retrouvé en Corée du Sud, il faut savoir que ce n’était pas la destination qui était pressentie pour moi « .

Le Pays du Matin Calme plutôt que la Cité Ardente

 » En fait, le pays auquel j’étais destiné était la… Belgique ! J’aurais dû aboutir au Standard. J’avais reçu une invitation pour venir passer un test, je me suis retrouvé dans un hôtel à Bruxelles, puis tout a basculé selon un scénario invraisemblable « .

Au lieu de la Cité Ardente, ce fut donc le Pays du Matin Calme.  » Où tout s’est bien passé « , s’empresse-t-il de préciser.  » J’avais hésité avant de partir. Je me suis demandé : – Bertin, qu’estcequetufais ?TurentresauCamerounoutuparsquandmêmeenAsie ? Finalement, j’ai décidé de tenter le coup et, au départ, cela a bien marché pour moi : j’ai trôné en tête du classement des buteurs de la compétition coréenne. J’aurais sans doute été mieux inspiré en restant là-bas. Mais, après une saison, j’ai été transféré dans un club chinois « .

Où cela s’est moins bien passé. Bertin a notamment été confronté au racisme :  » Je n’aime pas trop évoquer ces péripéties car ce sont des souvenirs pénibles. La vie, ce n’est pas cela. Mais bon, cela existe. Il ne faut pas nécessairement recevoir un couteau dans le dos pour que cela fasse mal. De simples petites allusions, parfois, peuvent suffire pour vous blesser, moralement ou même physiquement. J’ai vécu des tas d’expériences négatives dans ce domaine. J’étais sans défense, je ne pouvais pas réagir. Je pouvais seulement essayer de supporter ce que j’endurais et me changer les idées en me concentrant sur mon boulot. Sur le football, donc. J’ai disputé un championnat qui n’est pas aussi médiocre que certains le pensent. Les matches sont rudes, les adversaires sont solides, les déplacements sont longs et éprouvants, j’ai passé de bons moments sur le terrain; j’ai inscrit pas mal de buts également. Le club où je me suis le mieux plu, c’était le dernier, Greentown : un club de la province de Shanghai. Je préfère Shanghai à Pékin car c’est moins pollué. J’ai gardé des souvenirs pleins la tête. Des bons et des très mauvais. Et je me suis endurci, très certainement. En quittant la Corée du Sud, je pensais trouver un autre pays accueillant. Ce fut tout le contraire. Les premières années ont été très, très, très difficiles. On ne m’a pas traité comme un être humain, on m’a fait compren-dre de toutes les manières possibles que je n’étais pas le bienvenu. Certains ne semblaient pas comprendre qu’il existait, sur terre, des personnes de races différentes. Les gens avaient sans doute découvert, à la télévision, qu’il existait des hommes de race noire, mais de là à en voir en face de soi un représentant en chair et en os, c’était encore très différent. On me dévisageait comme une curiosité. Je me suis retrouvé tout seul dans un pays dont la culture, les habitudes alimentaires et la langue étaient totalement différentes de ce que je connaissais. Je n’avais personne avec qui je pouvais communiquer. Alors, un jour, je me suis dit : – Bertin, situveuxt’ensortir, ilfautquetuapprenneslalangue ! Jour après jour, mot après mot, j’ai donc appris des bribes de chinois. Je n’ai jamais su lire ou écrire cette langue, mais je suis parvenu à me faire comprendre et cela m’a aidé énormément. C’était vraiment très important : il fallait que je puisse m’exprimer, faire comprendre aux autres ce que je ressentais, ce que j’attendais d’eux. Au fur et à mesure que les années passaient, je me suis progressivement adapté. C’est ce qui explique que je suis finalement resté un long moment « .

Huit ans en Chine

Car, paradoxalement, malgré toutes les difficultés, Bertin est resté huit années en Chine. Dans quatre clubs différents : Shenzen, Yinnan Hongta, Greentown (à deux reprises) et Xiamen Red Lions.  » Cela démontre à quel point j’ai su me montrer fort moralement. Mais, après ce que j’ai vécu, plus rien n’est susceptible de me perturber « . En comparaison, Mouscron, c’est donc le paradis.  » Déjà, c’est l’Europe. Et tous les footballeurs africains rêvent d’évoluer un jour sur le Vieux Continent. J’y suis arrivé. Tardivement, certes, mais comme je l’ai déjà dit : mieux vaut tard que jamais « .

Bertin ne dédaignerait pourtant pas retourner en Chine en… 2008.  » Pour les Jeux Olympiques ? Bien sûr. Si le Cameroun se qualifie et qu’on me sélectionne, je suis partant !  »

DANIEL DEVOS

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