OLYMPIAKOS – OM

Pierre Bilic

J e pars, le vol de nuit s’en va, destination Bahia, Buenos-Aires ou Cuba… « 

Ivica Dragutinovic ne reprend pas le refrain d’un des tubes de Nicolas Peyrac mais il y a cependant de plus en plus de couleurs internationales dans le spectre d’une carrière qui décolla sur les pistes belges en 1996.

Après avoir survolé Gand durant quatre ans, il se posa au Standard, qui l’acquit pour 2,5 millions d’euros en 2000. Drago y mérita ses galons d’international de Serbie & Monténégro tout en assumant durant plusieurs saisons les responsabilités de capitaine de l’avion rouge.

 » Je dois beaucoup à la Belgique où je viens de passer neuf saisons « , avançait-il mercredi passé dans une taverne de la Place Cathédrale dans le centre de la Cité Ardente.  » Sans cela, ma carrière aurait été probablement très différente. Je suis fier de mon vécu ici, de l’estime dont je jouis auprès de mes collègues et de nos supporters « . Après un petit moment de réflexion, il ajouta :  » Mais à 29 ans, il est temps de donner une autre impulsion à ma carrière « .

Son portable se trémoussa tout à coup sur la table. Predrag Djordjevic, le capitaine d’Olympiakos, était au bout du fil mais l’heure n’était pas encore à la visite du Parthénon… Mais le week-end dernier, c’est la Canebière qui se profilait dans les plans du Serbo-Croate. Qui allait l’emporter des Grecs ou des Français, sachant que c’était le Standard qui allait décider ? Les Rouches demandaient 1,5 million d’euros pour leur défenseur en fin de contrat et Luciano D’Onofrio passa le week-end dernier à négocier, alors qu’Ivica avait pris l’avion pour rejoindre son équipe nationale… Dimanche soir, pour Ivica, l’Olympiakos, c’était déjà de l’histoire ancienne et comme il était sûr qu’il quitterait la Belgique, la seule option restait l’OM :  » C’est un grand club, plus grand que l’Olympiakos… mais rien n’est encore signé. Je sais que l’OM a besoin d’un défenseur central et que l’équipe ne va pas trop bien mais – pour moi – c’est un beau challenge. Aider l’OM à se redresser, c’est passionnant à affronter, non ? »

Oui, mais vos yeux se sont tout d’abord tournés vers la Grèce…

Ivica Dragutinovic : Mon agent, Predrag Mijatovic, a évoqué cet été ses contacts avec les Blackburn Rovers, Celta Vigo, le Spartak Moscou, d’autres clubs en Allemagne et déjà en France. C’était à lui de déblayer le terrain et de cerner les possibilités. Moi, je voulais me concentrer sur mon métier. Cela étant dit, l’offre de l’Olympiakos m’a tout de suite le plus botté. Elle s’explique en partie par la récente arrivée de Trond Sollied aux commandes sportives de ce club. Tout le monde sait que j’ai une grande admiration pour le Norvégien qui fut mon coach à Gand. Si on a eu la chance de bosser avec lui, cela vous marque et tout vrai joueur de football n’a qu’une envie : le retrouver. Sollied est, jusqu’à présent, le meilleur entraîneur de ma carrière. Quand on gagne sa vie avec un ballon, l’ambition est forcément d’être champion d’un pays et, surtout, de connaître les émotions de la Ligue des Champions et de la Coupe du Monde. Même si mon salaire aurait été multiplié par trois, le volet sportif aura été prépondérant à mes yeux.

La Ligue des Champions est le plus beau des révélateurs, une vitrine incomparable avant la prochaine phase finale de la Coupe du Monde. En équipe nationale, je suis titulaire au poste d’arrière gauche. Les Grecs m’avaient parlé de ce poste même si ma polyvalence peut aussi être utile dans l’axe. A l’Olympiakos, j’aurais eu la chance de jouer derrière Predrag Djordjevic, médian gauche de cette équipe. Nous formons le même binôme en équipe nationale. Sur un plan familial, la Grèce ne se situe pas loin du sud de la Serbie. Intréressant pour mes parents… Mais bon, il y a cinq ans, le Standard a fait un effort pour m’acquérir et Je lui en suis reconnaissant. Si je devais attendre un an de plus, ce serait, pour moi, la liberté totale comme pour tout footballeur en fin de contrat. Je préfère que le Standard mette le plus de beurre possible dans ses épinards. J’ai fait mes adieux au public de Sclessin après le match contre Saint-Trond. Je n’ai pas agi sur un coup de tête ou pour faire pression sur qui que ce soit, je ne me le permettrais pas, mais parce que la direction du Standard m’avait dit que cela s’arrangerait. J’avais rencontré Luciano D’Onofrio, Michel Preud’homme et Pierre François en compagnie de mon manager… Moi, je ne crois pas qu’on puisse retenir un joueur contre son gré. Quand c’est le cas, tout le monde est perdant. Le joueur est démotivé et le club perd de l’argent. Il y a des solutions dans le groupe et, de plus, Luciano D’Onofrio a l’art de trouver ce qui lui convient sur les marchés internationaux.

Vous souvenez-vous de vos premiers pas à Gand ?

Evidemment. Ce fut très important, même décisif, pour moi. En Serbie & Monténégro, la formation des jeunes est excellente. Mais on façonne surtout des individualités qui se moquent un peu, même beaucoup des notions de groupe. C’est pour cela que, malgré des cohortes de très bons footballeurs, seule l’Etoile Rouge Belgrade s’est retrouvée au top européen. En Belgique, le travail de groupe est bien plus important que chez nous. Ici, j’ai vraiment appris ce qu’était le team spirit. C’était la première fois que je vivais dans un autre pays que le mien, une autre langue, une culture que je ne connaissais pas. Cela prend du temps. Lei Clijsters y fut mon premier coach. Ce fut parfait dans les bons moments. Mais Lei Clijsters m’a un peu déçu lors des périodes moins favorables. Il expliquait ces creux par les jeunes Yougos qui sortaient trop. Clijsters cherchait des excuses afin d’expliquer ses mauvais résultats.

Johan Boskamp lui a succédé et m’a épaté. Il a accompli un gros travail pour améliorer la cohésion. L’unité et l’envie de battre, l’un pour l’autre, étaient évidentes. Mais la cerise sur le gâteau, ce fut Sollied. Je n’avais jamais vu cela. Le top. Il nous parla durant un mois et demi de son système en 4-3-3 et nous avons répété les phases, les automatismes, les réactions à tous les problèmes. Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Nous savions tout et Sollied nous demandait d’utiliser nos méninges. Sa philosophie se résume facilement : marquer le plus et encaisser le moins.

Il m’a beaucoup apporté, me confia des responsabilités en me demandant d’être un des piliers du groupe, un exemple pour tous. J’aurais tout donné pour lui. Lors du dernier match de championnat 1999-2000, à Malines, j’ai marqué les deux buts qui ont offert une place en Coupe de l’UEFA aux Buffalos. Personne ne m’avait jamais compris comme lui. Fin 1999-2000, Sollied quitta Gand pour Bruges et l’info avait même filtré dans la presse bien avant la fin de la saison. Là, j’étais dans un n£ud. Qu’est-ce qui m’attendait ? J’étais en vacances, chez mes parents, quand Tomislav Ivic me téléphone : -Si le Standard t’intéresse, viens-nous voir le plus vite possible à Liège. Deux jours plus tard, j’étais Standardman. Je venais de faire un grand pas de plus en avant.

 » Mon meilleur Standard avec Ivic  »

Mais, par rapport à Gand, Sclessin, c’est la tension permanente, non ?

Je suis arrivé au Standard en même qu’un de mes équipiers gantois : Ole-Martin Aarst. Un grand buteur. Il s’est hélas rapidement brisé la jambe. Cette saison-là, le Standard avait une super équipe avec Vedran Runje, Tibor Selymes, Daniel Van Buyten, Antonio Folha, Michaël Goossens, Didier Ernst, Ivica Mornar, Ali Lukunku, etc. C’est le meilleur groupe que j’ai connu au Standard, plus fort que celui de cette saison. Ivic fut ensuite victime de problèmes de santé. Le c£ur a payé la note de son enthousiasme. Sa femme désirait aussi rentrer chez elle. Le groupe a été très marqué par ses soucis de santé. Je retiens l’image d’un homme honnête qui vivait 24 heures sur 24 pour le football. Son vécu et son palmarès, c’est quelque chose.

Dominique D’Onofrio a brièvement pris le relais avant l’arrivée de Preud’homme. Je l’ai toujours dit et je le maintiens : Michel était un très grand entraîneur en devenir. Il aurait fini par planer sur la D1 et serait devenu tôt ou tard coach des Diables Rouges. Son discours tenait la route et s’appuyait sur sa formidable expérience. Il avait le respect de tous. Sa compétence était unanimement respectée. Il ne s’est plus senti soutenu par tous lorsqu’une prime promise au groupe par Alphonse Costantin, en cas de victoire à Westerlo, en début de deuxième tour, fut supprimée. Ce détail a fait exploser tout le groupe et Michel Preud’homme a alors changé de cap. Je respecte bien sûr le choix personnel qu’il exprima en fin de saison 2000-2001 mais c’est dommage pour la corporation des entraîneurs.

Vos relations avec Robert Waseige, le successeur de Michel Preud’homme, ne furent jamais bonnes : pourquoi ?

Je n’en sais rien. J’aimerais bien que Robert Waseige me le dise en face. Contrairement à Sollied, Ivic, Preud’homme et D’Onofrio, il n’a jamais eu confiance en moi. Je ne sais pas ce qu’il imaginait. Quand j’ai quelque chose sur le c£ur, je le dis, je suis direct, je n’agis jamais dans le dos des gens. En tant que capitaine, j’aurais pu l’aider à bien comprendre le groupe. Je n’étais pas, et je n’ai jamais été, son ennemi. Cela aurait été stupide. Waseige, c’est un nom, l’ex-coach des Diables Rouges qui avaient signé une bonne Coupe du Monde. Cela aurait dû être un enrichissement pour nous. Ce ne le fut pas. Je pense qu’il n’avait pas éliminé les fatigues du Mondial en débarquant au Standard. Il vivait encore sur une autre planète et ne fut pas tout de suite dans le vif du sujet.

Au Japon, Waseige a eu la chance de pouvoir compter sur Marc Wilmots. Waseige était le coach et Marc l’entraîneur sur le terrain. Magnifique duo. La recette gagnante des Diables Rouges. Au Standard, Waseige a probablement eu de la peine à redevenir un entraîneur de club. C’est un autre job. Après un peu d’un mois de championnat, le Standard était lanterne rouge. Dernier de la D1 : quel choc, ce club n’avait jamais vécu cela et cela n’arrivera plus dans les 50 prochaines années. Tactiquement, cela n’allait pas. Le courant ne passait guère. Je suis désolé de ce qui lui est arrivé ensuite. J’aimerais qu’il le sache.

 » Chapeau, Dominique  »

Comment Dominique D’Onofrio s’est-il inscrit dans le sillage de figures emblématiques ?

Il a réussi où tous les grands noms ont échoué depuis longtemps : acquérir de la régularité, s’installer près d’Anderlecht et de Bruges. Il faut le faire. Je l’ai connu dans un rôle d’adjoint. On bossait pas mal et il nous faisait rire, surtout quand il parlait italien avec Mornar et Runje. Ce n’était pas facile pour lui car il n’avait aucune expérience en D1. Mais il a eu de bons professeurs : Ivic, Preud’homme, Waseige. Nous avons chaque fois lutté dans le Top 4 avec un football souvent attrayant. Pour moi, Dominique était plus qu’un coach, quelque chose comme un entraîneur ami. Franchement, chapeau Dominique !

Cette saison, à la surprise générale, ou presque, il a prolongé son contrat de coach d’un an mais a bouleversé son staff : pourquoi ?

C’est l’option du club. Le staff précédent avait réalisé du très bon travail. J’étais emballé par José Riga, le T2. Il a offert tout ce qu’il avait à offrir au Standard. A mon avis, on le reverra un jour en D1. Christian Piot était fabuleux, lui aussi. J’ai rarement rencontré une légende de club aussi modeste. En D1, un coach doit capter et enregistrer un million de choses, souvent des détails imperceptibles pour beaucoup, qui font la différence. Pour saisir tout cela, et les analyser en une fraction de seconde, à l’entraînement mais surtout en match, l’entraîneur ne peut pas être seul. Or, cela a souvent été le cas au Standard. Il n’y avait pas assez de métier sur le banc.

A Bruges, Sollied avait René Verheyen, entre autres près de lui. Jan Ceulemans est soutenu par Franky Vander Elst. Marc Degryse est directeur technique, comme Preud’homme chez nous. Sur le banc d’Anderlecht, on retrouve Glen De Boeck et Jacky Munaron. Je ne dénigre pas le staff technique précédent en affirmant que le Standard n’avait pas cette dimension, ce vécu. Stéphane Demol, lui, a ce métier. Il a vécu au sommet en Belgique, en équipe nationale ou à l’étranger. Cela lui permet de tout décrypter très rapidement, de transmettre d’excellents messages à Dominique pour que ce dernier puisse trancher en connaissance de cause. A Genk, la saison passée, lors du test match retour, Demol aurait peut-être deviné que le groupe avait l’impression que rien ne pouvait lui arriver après le 3-1 de l’aller. Or, c’était 2-0 après quelques minutes, nous étions knock-out alors que la défense avait longtemps été invincible en championnat. Genk s’est imposé grâce à une mentalité qui ne fut pas assez aiguisée chez nous.

Si je vous dis Liège, vous me répondez quoi ?

Bonheur, respect, travail. J’ai vu dans le regard des supporters du Standard qu’ils ont apprécié mon apport durant cinq ans : c’est une de mes plus grandes satisfactions.

Pierre Bilic

 » Personne ne m’avait JAMAIS COMPRIS COMME SOLLIED  »

 » PREUD’HOMME AURAIT FINI PAR PLANER sur la D1 et serait devenu coach des Diables  »

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