Old Scholes classics

Le meilleur médian anglais de sa génération a raccroché ses crampons. A 36 ans et 676 matches sous la vareuse de Manchester United.

Old Trafford a la gorge nouée. Quelques trémolos dans la voix. Pas plus. Paul Scholes n’aurait pas supporté une quelconque manifestation trop visible des émotions en son honneur. Sans doute fut-il surpris par la place médiatique accordée à sa retraite, lui qui avait choisi une discrétion à son image, en publiant un communiqué sur le site internet de Manchester United pour annoncer qu’il mettait fin, à 36 ans, à une carrière riche de 10 titres de champion, 2 Ligues des Champions, trois Cups, deux Coupes de la Ligue, une Coupe intercontinentale, une Coupe du Monde des clubs et une présence de 16 ans sur les prés anglais et européens.

Un clap de fin simple, sans tour d’honneur dans le stade, sans triomphe sur les épaules de ses coéquipiers, sans standing ovation à quelques minutes de la fin du dernier match. Rien. A peine a-t-il été convaincu, lui qui voulait annoncer cette triste nouvelle avant la finale de Ligue des Champions, sans doute pour bénéficier d’encore plus de discrétion, de postposer d’une semaine son communiqué.

 » Scholes est assez bon pour jouer avec le Brésil. J’adore voir ses passes et le voir jouer, lui, l’homme aux cheveux et au maillot rouges « , s’exclamait encore Socrates il y a quelques années. Une ère se clôt, donc. Une page se tourne. Le divin rouquin, joueur longtemps sous-estimé mais dont le génie a finalement trouvé un large écho ces cinq dernières années, ne portera plus le maillot rouge et blanc. Après Gary Neville, le deuxième porte-drapeau de la génération 1992 – qui comprenait également Nicky Butt, qui effectue son dernier tour de piste en Chine, David Beckham, exilé de luxe américain, et le dernier dinosaure Ryan Giggs – raccroche donc les crampons.

Comme Neville et Giggs, Scholes est resté jusqu’au bout l’homme d’un seul club : Manchester United. Mais nul autre que lui n’est autant enraciné dans la culture United. Neville venait, lui, de Bury, dans la banlieue nord de Manchester. Giggs était arrivé tardivement du Pays de Galles. Scholes est, lui, né à Salford, à quelques pâtés de maison d’Old Trafford, dans ce quartier des Quays, où lors de l’âge d’or industriel, les navires passés par Liverpool délivraient leurs cargaisons de coton. Aujourd’hui, ce quartier a été réhabilité et est devenu le repère des penthouses luxueux, des boutiques branchées mais aussi du musée Laurence Stephen Lowry, ce peintre qui sut si bien reproduire l’ambiance ouvrière des quartiers populaires. C’est dans ce terreau tellement représentatif du Manchester des années 70 que naquit donc Scholes. Un quartier qui avait pour cathédrale le Théâtre des Rêves, l’antre de ce club mythique qui avait survécu à la catastrophe aérienne de Munich en 1958 avant de devenir le premier club anglais à ramener la Coupe des Champions (1968).

Cette histoire, personne ne la connaissait aussi bien que Scholes. Personne ne la respecta autant. Jamais, malgré les louanges et les trophées, il n’eut l’impression de l’avoir marquée. A peine d’y avoir participé et écrit quelques pages. Et pourtant, c’est sans doute le meilleur médian de sa génération qu’il convient de saluer. Exagéré ? A peine.  » Mon adversaire le plus fort ? », se demandait Zinédine Zidane lors de sa retraite.  » Paul Scholes. Il est sans conteste le plus grand joueur de sa génération. « . Et ce compliment est loin d’être isolé. Même les adversaires les plus farouches reconnaissent son talent.  » Les autres joueurs de Manchester sont très impressionnants mais c’est lui le plus doué. Il sait tout faire. Il a la vision du jeu, le toucher de balle et la frappe  » : signé Thierry Henry et repris en c£ur par Patrick Vieira, deux ex- Gunners, adversaires aux premières loges pour assister au récital de l’artiste à l’époque de la grande rivalité Arsenal-Manchester.

Même la plus jeune génération s’y met. Dans le Daily Mail, Xavi lui a rendu un brillant hommage en février dernier.  » Scholes est le plus grand milieu de terrain que j’ai vu lors de ces 20 dernières années. Il est spectaculaire, il a tout : la dernière passe, les buts, il est solide, il ne perd jamais la balle, il possède une vision du jeu. S’il avait été espagnol, il aurait surement eu une exposition médiatique plus conséquente.  »

Pour la jeune génération anglaise, Scholes constitue l’exemple parfait du footballeur moderne.  » Je suis triste d’entendre que Scholes se retire, quel joueur ! C’est la super classe et un super modèle pour tous les jeunes milieux de terrains anglais ! « , s’est fendu Jack Wilshere sur Twitter.

Pourquoi une telle unanimité ? Scholes, qui débuta en équipe première de Manchester United lors de la saison 1994-1995, a d’abord évolué comme deuxième attaquant, avant de reculer au poste de demi offensif, puis de demi défensif. Ces reculs n’ont pas été dictés par l’âge mais par l’habileté du joueur à savoir remplir tous les rôles. Si Frank Lampard et Steven Gerrard ont symbolisé la plénitude du box-to-box, ce type de joueur capable de défendre, de remonter très vite le ballon d’un rectangle à l’autre et de conclure une offensive, c’est Scholes qui a ouvert la voie. Il fut le premier à combiner hargne, récupération, passing précis et sens du but. Même si, avec le temps, Scholes marquait de moins en moins, son bilan chiffré parle pour lui : 150 buts (dont 102 en championnat) en 676 rencontres. Il ne fut que le 19e joueur de tous les temps du football anglais à passer la barre des 100 buts en championnat !

 » Le cerveau et la classe « 

Cette combativité, Scholes l’a puisée dans sa jeunesse.  » Paul était petit et les adversaires le persécutaient en permanence sur le terrain. On faisait la queue pour le cogner. La plupart du temps, il parvenait à éviter les coups et les rares fois où les gamins l’attrapaient, il se relevait sans rien dire et allait se replacer en courant « , expliquait John Duncan, son entraîneur à la Cardinal Langley School. Ce mental le conduit dans un premier temps à l’Académie de Manchester où en 1992, avec cette fameuse génération dorée, il remporte la Youth Cup. C’est dans ce vivier que Ferguson alla puiser pour bâtir la fameuse équipe des années 90.

Lors de la saison 1994-1995, Scholes reçoit sa chance contre Ipswich. Comme deuxième attaquant. Sa première année est satisfaisante. A l’ombre de cracks qui se nomment Mark Hughes, Andy Cole et Eric Cantona, il se fait une place, aidé par la suspension du Français, coupable d’un geste de kung-fu sur un supporter de Crystal Palace. Cinq buts en 17 apparitions. Pas mal pour un début, même si Manchester échoue cette année-là en finale de la Cup face à Everton et craque en fin de championnat devant Blackburn. En 1995-1996, saigné par quelques départs (Hughes, Paul Ince et Andrei Kanchelskis) et privé de Cantona, suspendu jusqu’en octobre, United aligne ses jeunes. La défaite inaugurale face à Aston Villa laisse les analystes perplexes.  » Manchester ne gagnera rien avec ces gamins « , prédit Alan Hansen. Pourtant, c’est avec eux que Ferguson va ensuite aligner cinq victoires consécutives, prologue d’une saison qui déboucha sur un doublé Coupe-championnat. La génération 1992 est définitivement lancée et avec elle, Scholes, auteur de 14 buts (dont 10 en championnat).

L’été 1997 allait marquer un double tournant. Anecdotique (il change son numéro de maillot pour opter définitivement pour le 18) et décisif (son changement de poste). La saison précédente avait été moins prolifique. Scholes n’avait trouvé le chemin des filets qu’à trois reprises mais s’était distingué en se mettant aux services de ses partenaires.  » Est-ce le génie de Ferguson qui a parlé ? », commentait l’ancien joueur de MU, Steve Bruce, aujourd’hui manager de Sunderland,  » Peut-être. Mais je crois aussi que Ferguson craignait que la petite taille de Scholes le handicape un jour aux avant-postes. Sans oublier qu’il disposait déjà d’un petit gabarit en la personne d’Andy Cole. Il s’était rendu compte qu’il ne pouvait pas se passer de ces deux joueurs. Or, à un moment ou à un autre, il aurait fallu faire un choix. Pour ne pas devoir s’y astreindre, il a reculé Scholes chez qui il avait déjà décelé la science de la passe.  »

L’arrivée de Teddy Sheringham et la blessure de Roy Keane conduit donc Ferguson à installer définitivement Scholes dans l’entrejeu. Sur les conseils de Keane, Scholes muscle son jeu mais surtout, dans l’ombre d’un David Beckham qui sera élu meilleur jeune joueur de l’année, il excelle dans les décalages et les passes de 60 mètres. Avec Giggs et Beckham sur les ailes, il devient le dépositaire du jeu mancunien prôné par Ferguson : un jeu de passes rapide, direct et calculé. Cette formation échoue à un point d’Arsenal dans la lutte pour le titre. Qu’importe ! La base du fameux triplé de 1999 est posée. Avec Keane et Butt dans l’entrejeu, Giggs et Beckham sur les ailes, Scholes remporte sept trophées en neuf ans. Il construit également sa légende. Celle de l’homme capable de tout faire. Artiste mais également démolisseur. Un mélange de hargne et de sacrifice au profit de l’équipe qui lui vaudra 89 cartons jaunes en Premier League et une suspension pour la finale de la Ligue des Champions remportée en 1999 face au Bayern Munich.  » Scholes n’a jamais calculé, se donnant à 100 % dans toute situation. Si MU s’est qualifié pour la finale en 1999, c’est grâce à l’abnégation de Scholesy. C’est lui qui fait fonctionner l’équipe. Il est capable de jouer long, court, dribbler. Paul allie surtout deux qualités qui sont rarement complémentaires : le cerveau et la classe « , déclara Ferguson.

Bien loin du cliché des footballeurs modernes

Cette absence lors de l’apothéose de 1999 resta longtemps comme une cicatrice indélébile. La victoire à Moscou en 2008 face à Chelsea le libéra de ce fardeau.  » Je n’affiche pas mes médailles au mur. Elles doivent traîner quelque part « , avoua-t-il récemment.  » J’en ai reçu une en 1999 mais je ne me considère pas comme double vainqueur de la Ligue des Champions. Il faut disputer la finale pour que cela compte ! « 

Hargneux sur le terrain, esthète de la passe, Scholes était également réputé pour ses frappes de la deuxième ligne. De véritables obus dont toutes les équipes adverses se méfiaient. Celle des 30 mètres de Bradford City en 2000, la volée pleine lucarne des 25 mètres contre Aston Villa en 2006 et la plus symbolique de toutes, celle contre Barcelone en demi-finale de Ligue des Champions en 2008. Car, Scholes, qui sent le jeu comme personne, a toujours surgi à des moments-clés, libérant tout son talent dans les grandes occasions. Buts décisifs contre Arsenal, Chelsea, Liverpool et l’année passée dans le temps additionnel du derby face à Manchester City.  » Ce but, c’était parfait. Un des sommets de ma carrière. Marquer dans un derby, c’est déjà quelque chose mais marquer le but décisif dans la troisième minute du temps additionnel sur leur terrain, c’est exceptionnel. « 

Scholes, c’est également l’exemple d’un footballeur à l’ancienne, un anachronisme dans un monde d’apparence et de starification dès le plus jeune âge. Pas d’agent, pas de WAG faisant la couverture des journaux (il faut dire qu’il n’avait pas non plus le physique que Beckham), pas de voitures de luxe, pas de pub non plus. Pas par manque de sollicitations mais d’envie. Scholes, c’était arriver au boulot (toujours à l’heure), se donner à 100 % et rentrer à la maison s’occuper de sa famille. La vie d’un Mister Nobody.  » Je ne sais pas comment Beckham fait. Je ne veux pas apparaître dans les magazines stupides. Ma vie privée ne regarde que moi. Sorti du terrain, je n’aspire qu’à la tranquillité avec les miens.  »

C’est d’ailleurs pour se consacrer à sa famille qu’il prit sa retraite internationale très tôt, après l’Euro 2004, à 30 ans à peine. Avec 66 sélections dans sa besace, deux quarts de finale de Coupe du Monde (1998 et 2002). Sven-Goran Eriksson l’avait utilisé comme médian gauche, ce qui n’était certainement pas la meilleure manière de lui signifier son importance dans l’entrejeu anglais. Steve McClaren et Fabio Capello tentèrent bien de le faire revenir sur sa décision mais en vain. La famille avant tout.

Aujourd’hui, il va pouvoir retrouver les siens. Sans couper totalement le lien qui l’unit à United puisqu’il intégrera le staff. Sans doute pour inculquer la culture du club aux jeunes générations et leur apprendre l’histoire des Red Devils dans laquelle il a désormais sa place, adoubé par sir Bobby Charlton, icône du club.  » De nombreux grands joueurs ont porté le maillot de Manchester United. Des joueurs que j’ai adulés puis perdus avec ma jeunesse à Munich. Des joueurs comme Denis Law ou George Best avec lesquels j’ai adoré jouer et finalement, des joueurs que j’ai finement observés lors de l’ère Ferguson. De toutes ces époques, Scholes est mon favori.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » Paul allie deux qualités qui sont rarement complémentaires : le cerveau et la classe.  » (Alex Ferguson)

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