OFFENSIF et pas naïf

Au titre de sélectionneur fédéral, Marco van Basten (40 ans) préfère celui d’entraîneur des Pays-Bas. Lorsqu’il nous explique sa vision du football, les mots  » dominant  » et  » attractif  » reviennent souvent. Mais les collègues qui l’ont précédé à la tête de l’équipe Oranje peuvent en témoigner : les résultats priment, en tout cas, c’est toujours à l’aune de ceux-ci qu’ils furent jugés. Avant le déplacement en Roumanie de samedi dernier et le match contre l’Arménie d’hier, Van Basten était convaincant : la Hollande dominait le groupe 1 en qualifications pour la Coupe du Monde 2006 avec dix points en quatre rencontres…

Commençons par une petite phrase d’un de vos anciens coaches à Milan, Arrigo Sacchi :  » Je préfère perdre en développant un beau jeu plutôt que gagner en jouant mal « .

Marco van Basten : Dans certaines phases cela peut être vrai, lors de la mise en place d’une équipe par exemple. Mais finalement, seuls les résultats comptent et cette constatation s’avère d’autant plus vraie que vous évoluez au top. Cependant, il arrive un moment où vous avez fait vos preuves, trouvé votre chemin : à ce moment-là, vous pouvez repousser les limites. Et se dire : -Bon, nous avons remporté quelques parties mais nous devrions quand même récompenser notre public et nos joueurs. Jouer, cela doit être davantage que simplement gagner. Mais tout est tellement relatif.

Alors, êtes-vous plutôt pragmatique ou idéaliste ?

Je pense qu’il est bon de donner un signal dès le début. Nous voulons tous nous concentrer sur le fait de fournir un football attractif aux gens, une exécution optimale et finalement tout cela doit mener à un résultat. Partant de là, il y a deux voies : la première consiste à s’accrocher coûte que coûte aux certitudes et à n’améliorer le jeu que de manière infime. Moi je trouve plus pratique d’opter pour une autre voie.

Si vous choisissez un style de jeu, de foot dominateur et offensif dans votre cas, c’est que vous êtes convaincu qu’il vous apportera les meilleurs résultats ?

Certainement. Au début, ce sera difficile. Mais dans une seconde phase de la collaboration, les choses devront être plus claires et mener à des résultats. Mon expérience est qu’on atteint de meilleurs résultats en développant un foot porté sur l’offensive plutôt qu’une tactique attentiste. De plus, le job est beaucoup plus agréable. On trouve cela parfois naïf ou risqué, mais Barcelone, par exemple, l’applique à la perfection. Pourtant, ils jouent au plus haut niveau. Quand on voit le nombre de buts qu’ils inscrivent et le peu qu’ils encaissent, c’est la preuve qu’une telle approche est possible. Attaquer n’est pas naïf, à partir du moment où l’exécution est bonne. Ce qui demande beaucoup d’énergie.

Le style de jeu figure comme clause dans votre contrat, paraît-il ?

Pas en tant que tel. Il est stipulé que je dois m’efforcer à ce que les Pays-Bas déploient un football attractif et qu’il faut mener à bien un rajeunissement des cadres. Mais ne me demandez pas pourquoi cela y figure, ce n’est pas moi qui l’ai rédigé. Mais j’étais entièrement d’accord avec la philosophie de base. Il faut simplement l’interpréter à sa juste manière. Rajeunir pour rajeunir n’a aucun sens, tout comme attaquer pour le simple fait d’attaquer. Aussitôt que le résultat a une grande importance, il faut pouvoir adapter son système. Je pense peut-être que la KNVB, la fédération néerlandaise, a voulu se distancier d’un système de jeu plus conservateur, comme mon prédécesseur, Dick Advocaat, avait davantage l’habitude de le pratiquer.

 » Je me remets beaucoup en question  »

Tout entraîneur débutant fait des erreurs. Lorsque vous analysez vos premiers mois, y a-t-il des choses que vous auriez dû ou voulu faire autrement ?

Contre le Liechtenstein, j’ai fait le choix raisonné de remplacer six joueurs à la mi-temps. A l’heure de jeu, nous avons perdu le défenseur du PSV Wilfred Bouma et avons dû continuer à dix. C’est un risque calculé dans ce cas. Je referais la même chose demain. Il y a toujours des moments et des décisions dans une rencontre où l’on se demande si on a agi intelligemment. Lors de notre déplacement en Macédoine, le milieu Wesley Sneijder n’était pas au top de sa forme mais je l’ai laissé sur le terrain. Aurais-je dû placer Phillip Cocu là ? C’était un moment de discussion où par après il a semblé que j’aurais pu mieux faire. C’est inhérent au métier. Quand fallait-il introduire Pierre van Hooijdonk contre Andorre ? La dernière demi-heure ? Après le repos ? Dès la première mi-temps ? Ce sont des choses qui sont importantes, en effet, mais qui résultent d’un choix à faire. L’expérience compte aussi beaucoup.

Marchez-vous à l’intuition ? Et comment sont les discussions sur le banc, avec votre adjoint John van’t Schip ?

Je suis plutôt du style intuitif, oui. Je ne peux pas dire que je me laisse guider par mon expérience. Je n’en ai d’ailleurs pas beaucoup ! Disons qu’il est bon de se laisser influencer par son feeling, mais qu’il faut toujours pouvoir argumenter après. Comment et pourquoi ? Et quelles sont les conséquences ? Je pense toutefois être un brin plus conservateur que John. Lui effectuerait plus rapidement des changements. J’ai davantage l’impression qu’un joueur doit rentrer dans le match. On ne peut pas attendre de chacun qu’il soit affûté et qu’il rentre dedans dès la première minute. Ce n’était pas mon cas en tant que joueur. Mais il faut voir une réaction durant la rencontre. C’est ce que l’équipe que je dirige doit encore apprendre. Je veux voir des individualités qui prennent les choses en mains et dirigent l’équipe sur le terrain.

Dick Advocaat, qui vous a précédé à ce poste, se plaignait déjà d’un manque de leadership…

C’est quelque chose qui manque au football batave : un ou deux garçons qui soient réellement indispensables, qui puissent influencer de manière déterminante une rencontre de par leur engagement.

Qui sont les joueurs amenés à jouer ce rôle ?

En premier lieu, ceux qui aiment réellement le foot. Une pensée m’est récemment venue à l’esprit : si tu es complètement dingue de foot et très fanatique, immanquablement tu seras tactiquement très fort et capable d’analyser le jeu. Car tu veux absolument gagner. Au moment où tu ne gagnes pas, tu ne seras pas satisfait et tu commenceras à réfléchir. Cette réflexion crée à la longue une certaine intelligence et un feeling. Car tu ne veux plus perdre ! C’est de footballeurs taillés dans ce bois-là dont j’ai besoin. Cela exige une certaine maturité. Les jeunes joueurs ne sont pas encore à l’étape de regarder plus loin que leur prestation. Je veux gagner, se disent-ils, mais comment ?

Avez-vous déjà rencontré le bon profil dans votre sélection ?

Phillip Cocu est quelqu’un qui lit bien le jeu. Wesley Sneijder est en principe un footballeur intelligent. Il sait comment il faut jouer. Mais il est encore dans une étape de sa carrière où il doit faire ses preuves. Il n’est pas encore préoccupé par le fait que c’est un collectif qui gagne ou perd, car il doit se présenter au monde. Dans une prochaine phase, il pourra influencer les autres.

Dans un premier temps, vous aviez appelé treize nouveaux dont sept ont disparu de la sélection. Vous procédez par tâtonnements ?

Je pense que les premiers mois ont été pour moi un voyage de découvertes. Cela a bien évidemment à voir avec nos nouveaux objectifs. J’ai plongé dans une nouvelle histoire. John connaissait les joueurs mais moi pas tellement, seulement les grands noms de D1. Alors, il est normal que j’aie voulu essayer l’un ou l’autre.

Il y a un an, vous vous étiez énervé au sujet du comportement de stars de certains internationaux. Doit-on voir un lien entre ces déclarations et les évictions de Clarence Seedorf et Patrick Kluivert pour l’instant ?

Vous ne pouvez pas le voir que comme cela. Bien sûr, le comportement du joueur en tant qu’homme a aussi son rôle. Mais nous essayons de nous concentrer le plus possible sur les qualités intrinsèques, sur le terrain. A l’analyse, je ne vois pas de raisons de changer de système dans l’immédiat. Nous sommes relativement contents de nos médians. Nous ne voyons pas, pour l’instant en tout cas, de raison valable de convoquer Clarence Seedorf. Je lui ai expliqué moi-même au téléphone les raisons qui ont mené à cette décision.

Clarence Seedorf peut sans doute prétendre : moi je suis dans le onze à Milan et donc je suis meilleur qu’un réserviste à l’Ajax…

Dans ce cas, ce serait son droit de penser de la sorte, mais mon opinion est différente. Les médians que j’ai sélectionnés remplissent le rôle qu’on leur a confié tant en possession qu’en perte de balle.

Et Kluivert, alors ?

Nous l’avons visionné avec Newcastle. Il évoluait en retrait des deux attaquants, poste auquel je le vois encore évoluer en équipe néerlandaise. D’un côté, il ne reçoit que des longs ballons, ce qui était difficile pour lui. Mais d’un autre, on ne le voit pas essayer d’influencer le jeu de ses partenaires de manière à ce que son rendement puisse augmenter. Son niveau est difficile à juger et donc, il est impossible à sélectionner.

 » Il n’y a pas assez de Hollandais en D1  »

Le mois dernier, vous avez plaidé pour que chaque club aligne au minimum six Néerlandais ou six joueurs du cru. Johan Cruijff l’avait déjà fait.

Porter son attention envers les jeunes et développer le foot chez mes compatriotes sont des choses positives. C’est une évolution négative de voir tellement d’étrangers composer les noyaux de l’Ajax, du PSV et de Feyenoord. Ce sont là les cercles qui sont capables d’aller loin au niveau européen. Ces clubs devraient justement reposer sur une ossature plutôt hollandaise. Avant, il était possible de sélectionner un bloc de joueurs de l’Ajax pour conférer un certain style de jeu à l’équipe nationale. C’est devenu embêtant à l’heure actuelle, car on a affaire à 18 étrangers dans leur équipe. A l’AZ Alkmaar, les quatre défenseurs sont néerlandais et leur défense fait mieux que quiconque. Le Sparta Prague ne joue qu’avec des Tchèques et se débrouille en Ligue des Champions. C’est donc possible de défendre cette vision.

Est-ce un manque d’audace de la part des clubs ?

Il faut le leur demander. J’ignore pourquoi ils préfèrent opter pour un étranger plutôt qu’un jeune formé au club ou un autre Néerlandais. Selon moi, la formation est toujours la méthode la meilleure marché et la plus facile pour arriver à un bon niveau.

Cruijff est conseiller technique de la fédération. Quelle influence a-t-il exactement ?

Johan Cruijff est la caisse de résonance. Lorsque nous sommes allés le voir avec John au mois de juillet, nous avons longuement parlé. La rencontre contre la Tchéquie à l’EURO a notamment été abordée. Mais il n’a jamais été question de composition d’équipe. Les conversations se basent rarement sur un thème défini ou un agenda bien précis. Nous l’appelons avant et après une rencontre ou nous le rencontrons dans des activités sociales comme un tournoi de golf. Alors nous commençons à parler football en général et on en vient forcément à des sujets plus précis.

Y a-t-il des choses qui ne vous plaisent pas dans votre job ?

Oui, le peu de temps passé sur le terrain. Parfois, j’ai l’impression de manquer d’air frais.

Pourquoi avez-vous dit oui à cette aventure ? N’avez-vous pas peur, en cas d’échec, que votre légende soit écornée ?

Je n’ai pas de problème par rapport à cela. C’est ma nature d’attaquant qui le dicte.

En tant que joueur, la presse ne vous plaisait pas trop. Comment vont vos relations avec les journalistes ?

C’est quelque chose qui me préoccupe : j’ai parfois dans l’idée qu’un journaliste doit écrire quelque chose de négatif parce que le contraire n’apparaîtrait pas comme crédible. Mais quel est au fond le but de créer une ambiance malsaine à cause d’un article ? Nous sommes tout de même tous des Néerlandais et voulons tous gagner !

Les journalistes doivent tout de même avoir un esprit critique et non complaisant ?

Je n’ai aucun problème avec la critique. En Macédoine, nous avons mal joué. Dans les journaux et à la TV, l’écho était mauvais. Du moment que cela reste honnête. Mais vous avez toujours des asticots qui sont plus occupés avec leur égo et à la recherche d’histoires pourries. Je pense aussi que la plupart des journalistes sont des passionnés de foot qui souhaitent la victoire de notre pays. Dans cet état d’esprit positif, il y a aussi des débats : -Pourquoi faites-vous cela en tant que coach ? Je suis d’accord avec cette approche, je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas répondre. D’autant que je respecte l’avis de chacun.

Taco van den Velden et Peter Wekking

 » Si tu es complètement dingue de foot, immanquablement TU SERAS TACTIQUEMENT FORT  »

 » Je n’ai pas peur de l’échec, c’est ma NATURE D’ATTAQUANT QUI VEUT çA « 

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