Obstacle naturel

Pierre Bilic

La paire d’arrières latéraux liégeois devrait à nouveau souligner son importance lors du grand voyage à Anderlecht.

Du métier, ils en ont à revendre. A 31 ans, Eric Deflandre, bardé de succès en Belgique et en France, sait cerner l’importance des choses, garder l’£il dans le viseur tout en restant très lucide. L’apport de l’arrière droit des Diables Rouges au team rouche constitue une réussite sur toute la ligne.

Il en va de même pour son compère, Philippe Léonard, probablement le meilleur back gauche du moment sur les pelouses belges. Celui qu’on surnommait le Suisse, avant son long séjour à Monaco et à Nice, est resté un homme très calme avec un regard marqué du sceau de la maturité sur les vérités du terrain. Deflandre et Léonard constituent un beau coup double. Le contrat du capitaine liégeois court jusqu’en 2007 tandis que Philippe Léonard (31 ans) a ajouté un an au sien et gardera sa place en 2005-2006.

Avec Ogushi Onyewu, Ivica Dragutinovic et Vedran Runje, ils constituent un rideau défensif de fer, le meilleur du deuxième tour jusqu’à présent, qui sera soumis à rude épreuve au Stade Constant Vanden Stock. A eux de bien y défendre leurs ambitions.

On parle beaucoup de la défense liégeoise depuis la trêve hivernale mais pourquoi, comme le prouvent les chiffres de notre Top Foot, celle du FC Brugeois est-elle plus hermétique que la vôtre ?

Philippe Léonard : Il a fallu du temps afin qu’elle trouve cette cohésion qui fait désormais sa force. A chaque poste, il y a des joueurs de qualité qui ont dû se situer les uns par rapport aux autres, intégrer des automatismes par rapport aux autres secteurs de l’équipe. Il ne faut pas oublier que les attaquants sont les premiers arrières et les défenseurs les premiers éléments offensifs d’une équipe. Derrière, on ne vit pas sur une île. Pour que je fonctionne bien, je dois être en harmonie avec la ligne médiane, vivre aussi en couple, si je puis dire, avec le médian gauche, connaître les préférences des attaquants afin de les atteindre dans les meilleures conditions. C’est un vaste débat. Il y a eu un déclic lors du stage hivernal où certains matches amicaux tournèrent à la bagarre générale. Là, nous avons compris qu’il fallait assurer les soudures, fonctionner comme un seul homme, réagir et penser de la même façon à chaque instant. Nous ne sommes pas des enfants et savions, car c’est surtout de cela qu’il s’agit, que la défense détenait les potentialités afin d’attendre le niveau actuel. Mais cela ne se réalise pas du jour au lendemain. Dominique D’Onofrio ne pouvait pas monter le mécano en deux semaines. Moi-même, je suis arrivé en septembre. Malgré les attentes, logiques dans un club en vue, il a fallu du calme et de la sérénité. Derrière, il y a du métier, c’est important.

Eric Deflandre : Notre défense n’a rien à envier à personne en Belgique, même pas à Bruges. Sans ce passage obligé sur le banc d’essai, durant tout le premier tour, le Standard posséderait actuellement la défense la plus imperméable de D1, pas Bruges. Il y a eu des défaites à domicile, face au FC Brussels, à Charleroi ou surtout contre le leader du championnat (1-4), qui seraient impensables actuellement. L’équipe n’était pas encore construite au fil à plomb. Bruges aligne la même défense depuis deux ans. Tomislav Butina s’est adapté aux traditions brugeoises la saison passée. Olivier De Cock, Hans Cornélis, Birger Maertens, David Rozehnal, Philippe Clément et Peter Van der Heyden jouent ensemble depuis longtemps. Tout était réglé avant le début de la saison : les couvertures, les coulissements, les automatismes, etc. C’est là, et uniquement là, que résident les différences entre Bruges et le Standard.

Quand le Standard s’est récemment rendu là, nos progrès défensifs ont été étalés au grand jour. Même si notre défense a des accents techniques évidents, elle a prouvé qu’elle avait du répondant physique, et du coffre, face à une formation certes bien rodée mais surtout athlétique. Ce fut un fameux combat et le Standard y a décroché son 14e match sans défaite. Je n’accorde pas trop d’importance à cette série, ou au nombre de minutes sans encaisser de buts, mais cela incite à la réflexion. Je ne connais pas les impératifs financiers du club, ce n’est pas mon domaine, mais pour viser haut, prendre part à la lutte pour le titre, il faut garder un noyau.

Au départ de la saison, Dominique D’Onofrio n’avait plus qu’un défenseur de la saison passée : Ivica Dragutinovic. Je comprends qu’il ait parfois été nerveux sur le petit banc. Cela va mieux… heureusement pour son c£ur et pour nos oreilles. Cette mise en place a eu un prix en championnat avec des défaites évitables et la catastrophe contre Bilbao que l’équipe actuelle aurait évitée. A l’époque, sans gros vécu commun, l’équipe devait être à 150 % de ses moyens pour être à la hauteur de ses buts européens. Ce soir-là, ce ne fut pas le cas. Rien ne tournait et nous n’avons pas pu miser sur une richesse collective. Avec plus d’acquis communs dès le début, le Standard serait impliqué dans la lutte pour le titre. Cela dit, nous ne devons rien à personne. Le Standard n’a jamais été chanceux, comme d’autres, ce qui permet parfois de gagner un match quasiment plié pour l’adversaire. Aucun de nos succès n’a eu des airs de hold-up.

 » Matthieu Assou-Ekotto a rempli une case vide  »

L’axe central Ogushi Onyewu-Ivica Dragutinovic est-il le meilleur du pays ?

Eric Deflandre : Oui. Mais je ne vais pas trop le dire car Drago finira par le croire (il rit). Onyewu est impressionnant dans tous les trafics aériens, que ce soit dans notre camp ou devant le gardien adverse. Il faut être fort pour monter aussi haut que lui. Son jeu est excellent et il faut se le farcir quand on l’a sur le dos. Ogushi, c’est un monstre, une montagne. Au début, il avait peut-être tendance à trop mettre le nez à la fenêtre. Cela limitait l’effet de surprise. Il surgit désormais de façon plus inattendue. Je suppose qu’il en a parlé avec le coach car nous n’avons jamais abordé ce sujet de conversation entre nous. Drago occupe évidemment un rôle très important dans notre défense en ligne. Il est intransigeant dans les duels d’homme à homme, c’est un battant et un gagneur. On connaît la qualité de ses transversales et de ses balles en profondeur, et quand il monte balle au pied, Drago peut perforer dans l’axe et faire mal très loin, jusque dans le c£ur du dispositif adverse.

Philippe Léonard : Ils sont complémentaires. C’est du costaud. Le métier de Drago est important dans ce couple. Il en possède à revendre, joue à l’arrière gauche en équipe nationale de Serbie & Monténégro mais retrouve tout de suite son costume de défenseur central au Standard. Dragutinovic est un joueur très malin, rusé. Il sait se faire respecter. Comme il est gaucher, je suis forcément plus près de lui que d’Ogushi Onyewu. Si le Standard n’encaisse quasiment pas de buts depuis la reprise, c’est parce que l’unité est totale. Ogushi couvre bien Eric Deflandre et Drago en fait de même en ce qui me concerne. Mais, dans une défense en ligne comme la nôtre, les backs peuvent se transformer en arrières centraux et tirer la couverture. En début de saison, comme la ligne médiane n’avait pas encore pris forme, la pression était souvent trop forte sur l’axe central de la défense. Elle était trop exposée et cela provoquait des turbulences devant notre rectangle. A Bruges, rien n’a bougé, nous y avons gagné la bataille physique tout en prouvant que ce secteur est aussi très riche sur le plan technique.

L’arrivée de Matthieu Assou-Ekotto fut-elle une bénédiction pour la défense ?

Eric Deflandre : C’est en tout cas un facteur de stabilité. L’ancien joueur de La Louvière est un véritable pare-chocs, une espèce de paratonnerre. Il joue simplement, proprement, commet peu de fautes pour un médian défensif. Matthieu Assou-Ekotto a rempli une case vide. Il reste bien en ligne devant la défense, récupère des tas de ballons vite cédés aux techniciens, mais ses balles en profondeur ont beaucoup d’importance aussi.

Philippe Léonard : C’était l’élément manquant. Ce joueur est toujours disponible. Matthieu Assou-Ekotto est en quelque sorte la boussole de la ligne médiane. Autour de lui, Karel Geraerts s’affirme de plus en plus. Cette arrivée a également ouvert une nouvelle zone d’expression à Jonathan Walasiak. Juan-Ramon Curbelo peut aussi officier dans ce secteur mais il est plus un numéro 10 alors que Matthieu Assou-Ekotto est le 6 1/2, comme on dit en France, le roquet, celui qui facilite le travail de la défense.

Quel est l’impact de Vedran Runje sur la défense ?

Eric Deflandre : Je ne vais pas faire de comparaisons mais Vedran Runje est le meilleur dans son domaine en D1. Il a tout : très fort dans les airs en tête à tête avec les attaquants adverses, sécurisant, sûr sur sa ligne, impeccable balle au pied. Quand on lui refile la balle, on peut se retourner, se repositionner avec la certitude qu’il en fera un excellent usage. C’est un très grand gardien de but.

Philippe Léonard : Sa voix porte loin. Il gueule. Beaucoup, sur tout le monde mais d’abord sur lui. Vedran a du métier. Je ne crois pas qu’il était obsédé par son record d’invincibilité. Nous savons tous que bien défendre, c’est à moitié gagner. Quand on garde le zéro au marquoir, c’est plus facile car nous avons des attaquants qui savent faire la différence. La presse a souvent invoqué l’inviolabilité de la défense après la trêve hivernale, nous pas. Cela peut paraître étrange mais ce n’était pas une obsession pour nous même si c’est plus agréable que d’en prendre une collection comme contre Bilbao. On s’organise bien défensivement pour gagner, pas pour vivre devant notre gardien de but.

 » Tout est désormais plus confortable partout  »

Pourquoi l’équipe, défense y comprise, a-t-elle longtemps penché à droite ?

Eric Deflandre : Même s’il serait préférable d’éviter le sujet, afin de ne pas faciliter le travail de nos adversaires, il y a eu des réglages tactiques. J’ai longtemps joué quasiment derrière Sergio Conceiçao. Avec ses qualités et sa classe, l’artiste portugais était forcément très avancé. Il y avait un vide devant moi et je m’y aventurais d’autant plus souvent que Sergio demande souvent la balle. Les choses ont été réajustées dans la ligne médiane avec le retour de Jonathan Walasiak. Je suis plus prudent, j’ouvre la manette des gaz moins souvent et c’est plus surprenant. Sergio voyage mais, dans l’occupation actuelle, il est souvent plus près de l’attaquant de pointe. Il agit plus dans l’axe, en tant que soutien, mais peut se décaler vers un couloir en sachant qu’il y a du Rouche là-bas… Si l’équipe penchait à droite, c’est parce qu’elle n’était pas équilibrée comme c’est le cas actuellement. Et, de plus, à gauche, cela se cherchait, pas vrai mon cher Philippe ?

Philippe Léonard : Doucement, doucement… Si on ne frappe pas sur le clou, le problème se reposera. Il arrive que cela tire encore à droite. A gauche, il y a eu beaucoup de duos ave Gonzague Vandooren, Miljenko Mumlek, Michel Garbini, Alex Mutavdzic, Wamberto, même Sergo Conceiçao, etc. Les choses sont désormais très claires. J’ai dû m’adapter à Milan Rapaic qui, à mon avis, n’a jamais joué aussi bas. Je ne lui demande d’ailleurs pas de reculer à ce point-là. En phase défensive, Milan Rapaic doit uniquement s’occuper de son arrière, sous peine de nous marcher sur les pieds. Il travaille beaucoup et cela passe souvent inaperçu. Tout est désormais plus confortable partout. Bruges a marqué plus de buts que nous. Mais j’ajoute tout de suite que cette différence s’est forgée au premier tour. Depuis lors, notre attaque fait aussi bien que celle de Bruges et celle d’Anderlecht. Là aussi, il y a eu du mouvement. Alexandros Kaklamanos est parti, Wambi s’est blessé, Mohammed Tchite était trop jeune pour porter seul tout le poids de l’attaque pendant un an, Serhiy Kovalenko s’est affirmé et Sambegou Bangoura est le buteur numéro 1 de l’élite. Et notre défense est la meilleure de D1 depuis janvier : tout se tient.

Le modèle tactique prôné par Chelsea, assez défensif, constitue-t-il une sorte d’inspiration ?

Philippe Léonard : Pas pour moi. Je préfère, et de loin, la philosophie défensive de l’AC Milan à celle de Chelsea. Je ne vois que des grosses pointures dans cette ligne arrière italienne. Paolo Maldini est indestructible, plus fort, mieux préparé que jamais. Son placement est phénoménal. Jaap Stam est une bête dans l’axe central. Il n’a peur de personne, même pas de Didier Drogba. Alessandro Nesta, on ne le passe pas. Et je pourrais continuer de la sorte. Cette défense pèse, s’adapte à tous les problèmes, les résout, participe à l’élaboration du jeu, etc. La défense londonienne n’est pas aussi moderne. Elle est énormément efficace aussi mais subit plus les événements.

Eric Deflandre : Voilà deux exemples qui soulignent l’importance des bonnes défenses. J’espère qu’on assistera à un choc AC Milan-Chelsea en finale de la Ligue des Champions. Chelsea a l’art de faire déjouer tous ses adversaires mais la plus grande richesse technique des Italiens pourrait faire la différence.

Pierre Bilic

 » L’axe central Onyewu-Dragutinovic est LE MEILLEUR DU PAYS mais je ne vais pas trop le dire  » (Eric Deflandre)

 » Il y a eu un déclic lors du stage hivernal où certains matches amicaux avaient tourné à LA BAGARRE GÉNÉRALE  » (Philippe Léonard)

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