« Nous sommes une équipe d’ouvriers »

Le gardien équatorien a l’occasion face à Liverpool de faire taire définitivement ses détracteurs.

Ce soir, le Standard se produira dans l’enfer d’Anfield Road. Avec, en pointe de mire, la qualification pour les poules de la Ligue des Champions au détriment du lauréat 2005 de l’épreuve. Beaucoup se demandent si le gardien équatorien Andrés Espinoza sera à la hauteur de l’événement. Malgré une prestation sans faille lors du match aller, ils sont encore nombreux à douter de ses capacités.

Comment appréhendez-vous ce rendez-vous ?

Andrés Espinoza : Quelque part, c’est un rêve. Ou plutôt, l’aboutissement d’un projet, le prolongement du titre conquis en mai.

C’est pour jouer ce genre de match que vous êtes venu en Europe ?

En premier lieu, je suis venu en Europe pour me surpasser. J’ai réussi mon premier objectif : être champion. Et, de surcroît, sans perdre un match, puisque c’est Jérémy De Vriendt qui était dans le but lors du déplacement à Charleroi. Aujourd’hui, je place la barre plus haut : je veux jouer la Ligue des Champions.

 » 0-0, puis les tirs au but « 

Quel est le sentiment qui domine, au moment d’affronter les Reds : la crainte ou l’excitation ?

L’excitation. Se mesurer à un monstre sacré dans son antre, c’est un très gros défi. Mais pourquoi faudrait-il avoir peur ? On jouera à 11 contre 11, non ? Ce qui fera la différence, c’est la mentalité. De ce côté-là, je ne me fais pas trop de soucis : nous sommes tous très motivés.

Le salaire d’un seul joueur comme Steven Gerrard équivaut presque à tout le budget du Standard…

Oui, c’est clair. Mais cela ne signifie rien. Nous sommes une équipe d’ouvriers. Tout ce que nous avons obtenu, nous l’avons gagné à la sueur de notre front. En face, ce sont des nantis. Ils ont déjà tout gagné. Nous vendrons chèrement notre peau. La faim sera peut-être plus grande chez nous, que chez eux.

Imaginez-vous le tremblement de terre que provoquerait, en Angleterre, une élimination de Liverpool des £uvres d’un Petit Poucet comme le Standard ?

Oui, je me l’imagine parfaitement. Mais nous ne sommes pas aussi petits que cela. Le Standard a démontré, durant le championnat de Belgique, qu’il était capable de jouer à un très bon niveau durant neuf mois. Si les Anglais sont éliminés, ils devront se dire qu’ils l’ont été par une bonne équipe.

Vous y croyez ?

Oui, j’y crois. Il faudra aborder ce match de façon intelligente. Pour cela, on peut faire confiance au staff technique, très compétent. Le message du Professeur Laszlo Bölöni passe bien auprès des joueurs. Le Roumain sait comment gérer ce genre de match, il a l’expérience nécessaire. A c£ur vaillant, rien d’impossible. Ce soir, le rêve peut devenir réalité.

De quoi faudra-t-il se méfier : de l’ambiance, des centres aériens ?

Du jeu de construction des Reds, tout simplement. Liverpool n’est pas une équipe typiquement anglaise. Les joueurs remontent très bien le ballon, ont l’art de créer des espaces, de dessiner des contre-attaques rapides. Ils sont aussi redoutables sur les frappes à distance. Il faudra être bien organisé, ne pas leur laisser la moindre once de liberté, comme nous l’avons fait lors du match aller à Sclessin. Qui sait : pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, arracher le 0-0 ? Ce serait alors le recours aux tirs au but…

On imagine déjà le scenario : Espinoza détourne trois tirs au but et devient le héros d’Anfield…

( ilrit) Ce serait incroyable. Mais mon objectif n’est pas de devenir un héros. D’abord, si l’on tenait le 0-0 pendant 120 minutes, ce serait le mérite de toute l’équipe. Ensuite, pour l’emporter aux tirs au but, il faut aussi que les tireurs réussissent leur essai.

Vous en avez déjà détourné, des penalties, non ?

Oui, en Equateur, j’ai connu une très bonne période dans ce domaine.

Vous êtes meilleur que Pepe Reina dans cet exercice ?

( ilrit) Je ne sais pas. De toute façon, lors d’une séance de tirs au but, c’est plus une question de chance que de capacités.

 » J’ai toujours été dans l’£il du cyclone « 

Lors du match aller, vous avez eu très peu de travail à effectuer…

C’est grâce à l’organisation qu’on avait mise en place. On a joué de façon très compacte, on a très bien géré le temps et l’espace. Je n’ai eu aucun arrêt exceptionnel à effectuer.

Logiquement, vous devriez être davantage mis à contribution à Anfield ?

Oui, c’est clair. Je crois que Liverpool nous dévisagera d’un autre £il. Les Reds savent désormais à quel genre d’adversaire ils ont affaire. Ils auront, aussi, déjà, deux matches de Premier League dans les jambes, mais cela vaut pour le Standard également : le 13 août, le championnat de Belgique n’avait pas encore commencé non plus. L’avantage que l’on possède, c’est que notre équipe est jeune : 25 ans de moyenne d’âge. Du côté des Reds, à l’une ou l’autre exception près, ce sont des joueurs mûrs de 28 ou 30 ans. Si Liverpool veut placer le débat sur le plan physique, on est prêt. On courra pendant 90 minutes, 120 s’il le faut, cela ne nous effraie pas.

Vous aussi, vous serez prêt ?

Oui, bien sûr. Je m’entraîne depuis des semaines pour cela. Mais je suis toujours prêt. Mentalement, je me prépare afin d’être concentré pour tout type de match. Que ce soit un match de prestige, comme ce soir à Liverpool, ou un match anodin de Coupe de Belgique face à une équipe de D2. D’ailleurs, le mot est mal choisi parce qu’il n’y a pas de match anodin. Tous les matches sont importants.

On vous offre donc une nouvelle occasion d’entrer dans l’histoire, après le titre du mois de mai. Avez-vous savouré l’instant, durant vos vacances ?

Oui, beaucoup. Je suis rentré en Equateur et j’ai partagé mon bonheur avec ma famille, mes amis, tous les gens qui étaient à mes côtés depuis le début. La joie fut d’autant plus intense, dans mon chef, que j’étais loin de faire l’unanimité. La majorité était même opposée à ma présence dans les buts, que ce soit parmi les journalistes ou les supporters. J’ai toujours été dans l’£il du cyclone. Loin de me décourager, cela m’a au contraire motivé. Lorsque j’ai débarqué à Sclessin en 2006, j’avais déjà déclaré que je venais pour remporter le titre. Certains m’ont ri au nez, d’autres se sont contentés d’afficher leur scepticisme. Finalement, qui a eu raison ?

Ce titre a-t-il changé quelque chose pour vous ?

Bien sûr. Je suis revenu beaucoup plus confiant. Je connais mieux le football belge. Je sais comment gérer un match, comment aborder la presse. Mais, ce qui a surtout changé, c’est que je peux désormais épingler un titre de champion à mon palmarès. Je suis le gardien titulaire de la meilleure équipe de Belgique.

Une équipe qui, de surcroît, a toujours eu une tradition de grands gardiens : Michel Preud’homme, Gilbert Bodart, Christian Piot, Jean Nicolay… Les connaissez-vous ?

Bien sûr, que j’en ai entendu parler. Dès le début, je me suis imprégné de l’histoire du Standard et j’ai pris connaissance de cette tradition. C’est un grand honneur pour moi d’être devenu le successeur de ces gardiens de légende.

 » Je ne ferai jamais l’unanimité « 

Avez-vous l’impression que l’opinion des gens a changé à votre égard ?

Oui, l’opinion des gens a beaucoup changé. Désormais, les supporters entonnent un chant en mon honneur. Lorsque j’entends ce chant, j’en retire une force inouïe. Savoir que ces supporters me portent aujourd’hui dans leur c£ur comme tous les autres joueurs du Standard, c’est quelque chose d’incroyable. Je suis prêt à aller au feu pour eux.

Quand avez-vous senti le vent tourner ?

Je ne sais pas s’il y a eu un moment précis. Il a fallu le temps que les supporters digèrent le départ d’Olivier Renard. C’était un grand gardien. Progressivement, ils se sont rendu compte que je pouvais rendre des services également. Mais je constate ce changement à tout moment : au stade, en rue, au restaurant. Désormais, lorsque les gens me voient attablé dans un établissement, ils se précipitent en criant : – Regardez, Espinozaestlà ! Ils viennent vers moi, me demandent un autographe. Je n’irai pas jusqu’à dire que, jadis, ils fuyaient en me voyant, mais leur attitude était totalement différente.

Aujourd’hui, certains supporters vont-ils jusqu’à dire : le Standard a été champion  » grâce à  » Espinoza et non plus  » malgré  » Espinoza ?

Je n’en sais rien, et pour tout dire, je m’en f… Si le Standard a été champion, c’est grâce à tout le monde : joueurs, staff technique, dirigeants et… supporters. Leur soutien nous fut d’un précieux secours. Ils nous ont suivis partout, on n’a jamais eu l’impression de jouer en déplacement. Même pas à Genk ou à Bruges.

Beaucoup de gens continuent malgré tout à douter de vos capacités. On entend régulièrement que, si le Standard encaisse peu, c’est grâce à sa défense et pas grâce à son gardien…

Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent. Ce qui m’intéresse, c’est l’opinion de l’entraîneur et des autres joueurs. Si certaines personnes continuent à penser que je n’ai pas ma place dans les buts du Standard, tant pis pour elles.

Ferez-vous un jour l’unanimité ?

Non, je ne le pense pas. Mais cela ne m’empêche pas de dormir. Si j’entends, pendant le match, le kop scander – Espinoza, Espinoza, Espinoza, cela me suffit amplement. D’ailleurs, personne ne peut se targuer de faire l’unanimité. Impossible de plaire à tout le monde.

Est-ce votre style sud-américain qui provoque ce scepticisme ?

C’est possible. Le style sud-américain est très différent du style européen : René Higuita, José Chilavert et Rogerio Ceni n’ont rien à voir, au niveau du style, avec Iker Casillas, Gianluigi Buffon ou d’autres. Les spectateurs européens ont parfois du mal à s’y faire. J’ai mon style et je ne changerai jamais. Chaque gardien a son style, j’ai donc le mien. J’ai vécu avec et je mourrai avec.

 » Michel Preud’homme est resté une idole pour moi « 

Votre style n’a-t-il pas évolué depuis que vous jouez en Europe ?

Evolué, oui. Changé, non. Disons que j’ai ajouté certaines cordes à mon arc. J’ai appris au contact des gardiens européens. Lorsqu’il faut capter le ballon en un temps, je le fais. Lorsqu’il faut le capter en deux temps, je le fais encore. Et lorsqu’il faut gagner du temps, je le fais toujours. Un mix des deux styles, c’est l’idéal : jouer à la sud-américaine lorsqu’on peut assurer le spectacle et jouer à l’européenne lorsqu’il faut être sobre.

C’est cela, la différence ?

L’Europe, c’est la froideur : on évite la prise de risque, on ne s’éloigne pas trop de sa ligne. L’Amérique du Sud, c’est la chaleur. On sort, on se lance, on joue le un-contre-un, on fait du show.

Pourriez-vous réaliser le coup du scorpion à Anfield ?

Qui sait, pourquoi pas ? Si les circonstances s’y prêtent… Mais je ne pense pas que ce soit l’endroit idéal, ni le moment idéal. ( ilrit)

Jorge Veloso a cédé la place à Jean-François Lecomte comme entraîneur de gardiens. Cela change-t-il quelque chose pour vous ?

Ce sont deux styles différents, mais je peux apprendre de chacun d’eux.

La saison dernière, votre entraîneur principal était un ancien gardien emblématique. Désormais, Preud’homme a laissé la place à Bölöni, un ancien joueur de champ. Leur manière de vous aborder est-elle différente ?

Oui, les rapports sont un peu différents, mais le principal est que ce sont deux entraîneurs très compétents. Bölöni connaît très bien le football. Preud’homme était une idole, non seulement pour les supporters, mais également pour moi. Mon admiration n’est pas moindre, maintenant qu’il est parti à La Gantoise. Je suis très honoré d’avoir été entraîné par l’ancien meilleur gardien du monde. Les conseils qu’il m’a prodigués resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Et il sera, à tout jamais, l’homme qui m’a permis de devenir le n°1 du Standard. Je lui en suis très reconnaissant, comme je suis reconnaissant envers Manu Ferrera, qui m’a toujours soutenu lorsque j’ai traversé des moments difficiles, et envers Stan Vanden Buys, qui m’a fait comprendre que je devais travailler beaucoup plus. C’est grâce à eux que j’ai réussi.

En tout cas, vous avez dû être soulagé en constatant qu’aucun nouveau gardien n’avait débarqué à Sclessin, lors de votre retour de vacances ?

Je ne m’étais pas posé la question. Le football, c’est une question d’opportunité. Si le Standard a celle d’engager un très bon gardien, il est logique qu’il le fasse. Jadis, Renard et De Vriendt ont dû se demander : – Pourquoi a-t-onengagéAndrésEspinoza ?N’a-tonpasconfianceennous ? Je suis arrivé comme n°3 et aujourd’hui je suis le n°1. Si, demain, un autre gardien débarque, je continuerai à travailler comme je l’ai toujours fait.

La presse a évoqué des contacts avec Logan Bailly la saison dernière, avec Silvio Proto cet été, et peut-être avec d’autres gardiens. Cela ne vous énerve pas ?

Non, je le répète : le football est une question d’opportunités.

Lorsque vous vous levez le matin, vous ne regardez pas le calendrier en vous disant :  » Vivement le 1er septembre, que le mercato soit terminé  » ?

( iléclatederire) Non, pas du tout.

 » Rendez-vous en mai pour la surprise « 

A propos : votre fameux plongeon dans la Meuse était un peu décevant, non ?

Les services de sécurité m’ont interdit de sauter du pont. J’ai pourtant insisté, mais ils ne voulaient rien entendre. C’était trop dangereux, pour moi mais aussi pour quatre ou cinq supporters qui souhaitaient sauter avec moi. Mais, rassurez-vous : si le Standard renouvelle son titre de champion, je vous réserve une autre surprise.

Laquelle ?

Une surprise, je vous dis. Rappelez-moi à quatre ou cinq journées de la fin, je vous la révélerai. C’est en train de germer dans ma tête.

Avez-vous été surpris que tant de monde ait souhaité assister à votre plongeon ?

Oui, un peu. Je remercie tous ces gens d’être venus.

Si vous aviez demandé cinq euros d’entrée, vous auriez pu toucher pas mal d’argent.

( ilrit) Je n’y avais pas pensé.

Rendez-vous dans neuf mois, alors ?

Tout à fait. Je crois que, lorsque tout le monde saura ce que je veux faire, il y aura encore plus de monde.

Un nouveau titre est possible ?

Bien sûr. C’est la même équipe et on a gardé la même mentalité.

Rien n’a changé, donc ?

Non, si ce n’est dans le sens positif : on a appris à mieux se connaître et les jeunes ont une année d’expérience en plus. Alors, pourquoi ne pourrions-nous pas renouveler notre titre ?

par daniel devos – photos: reporters/ hamers

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