« Nous restons un mal nécessaire »

John Baete

Ils mettront un terme à leurs activités arbitrales en fin de campagne.

S’ils l’avaient réellement voulu, le Montois Michel Piraux et son collègue luxembourgeois d’origine et récemment bruxellois Marcel Javaux auraient pu exercer leurs fonctions d’arbitres la saison prochaine encore, puisqu’ils ne seront atteints par la limite d’âge de quarante-six ans, en Belgique, qu’au cours de l’exercice à venir. Mais après concertation, tous deux ont décidé de tirer leur révérence au bout de cette campagne-ci déjà.

Michel Piraux : Pour des raisons d’ancienneté, j’avais été amené, une première fois, à prendre mes distances avec le football international, le 31 décembre passé. Ces désignations-là, je ne le cache pas, faisaient vraiment figure, pour moi, de cerises sur le gâteau. Privé de semblables perspectives, je me demande quand même dans quelle mesure ma motivation ne se serait pas étiolée en 2001-02. Je ne voulais pas courir ce risque et c’est la raison pour laquelle j’ai préféré anticiper.

Marcel Javaux : Personnellement, je redoutais, moi aussi, que ces quelques mois de rabiot ne s’assimilent à un long compte à rebours. Aussi m’a-t-il semblé plus opportun de précipiter les événements. Je me félicite d’autant plus de ce choix que certains faits récents m’ont profondément meurtri. Vu l’attitude scandaleuse, envers ma maman, d’une frange du public du GBA, je suis content de quitter les terrains pour de bon.

Michel, auriez-vous adopté le même comportement que votre ami si vous, ou l’un de vos proches, avait été la cible des propos complètement déplacés de ces trublions?

Piraux : En 1997, j’avais arrêté un match entre le Standard et Anderlecht, l’espace de cinq minutes, pour des motifs moins pénibles, mais qui ne recueillaient pas du tout non plus mon adhésion : la suspicion de corruption lancée par messieurs Elst et Van Aeken à l’encontre de quelques membres du corps arbitral. La solidarité n’est pas un vain mot à ce niveau.

Javaux : Michel a d’ailleurs été l’un des tout premiers à me manifester son soutien après l’épisode douloureux que j’ai vécu au Parc Astrid. Certains témoignages de sympathie m’ont d’ailleurs fait plaisir. Comme celui du futur président de la fédération, Jan Peeters, qui a pris fait et cause pour moi. J’ose espérer que la justice tiendra compte de nos doléances et qu’elle fera en sorte que les indésirables effectueront des travaux d’utilité publique à l’heure où leurs favoris participent à un match. La paix et la sécurité dans les stades sont à ce prix.

Durant votre carrière, aviez-vous jamais été en proie, auparavant, à un même sentiment de dégoût?

Javaux : Il m’est arrivé, comme chacun d’entre nous sans doute, de me demander si le jeu en valait toujours la chandelle. Mais, à aucun moment, je n’avais éprouvé le même ras-le-bol qu’aujourd’hui.

Piraux : Il n’est jamais agréable de se faire traiter de tous les noms d’oiseaux. Mais quand des êtres qui vous sont chers font l’objet d’insultes, il y a de quoi se révolter.

D’une manière générale, qu’est-ce qui a changé fondamentalement depuis vos débuts au plus haut niveau, en 1985 pour vous, Michel, et cinq ans plus tard pour vous, Marcel?

Piraux : L’important n’est plus de participer mais de gagner. Il n’y a plus de place pour les perdants dans le football actuel.

Javaux : L’adaptation des règles n’est que le juste reflet du changement dans les mentalités. A nos débuts parmi l’élite, le tackle par derrière, par exemple, n’était utilisé que de manière sporadique et pénalisé, tout au plus, d’une carte jaune. Mais le recours de plus en plus systématique à cette intervention ou à toute autre faute dite nécessaire ou professionnelle, a obligé le législateur à sévir.

Piraux : De la même manière que le règlement, le jeu lui-même est aussi le miroir de la société. Comme nous vivons dans un monde où l’autorité est bafouée, le respect fout le camp sur les grounds également. Gérer un match est nettement plus difficile aujourd’hui qu’il y a quinze ans.

Javaux : Année après année, aussi, il nous faut consentir de plus en plus de sacrifices pour demeurer performants au plus haut niveau. C’est pourquoi, à raison, la limite d’âge n’a cessé d’être revue à la baisse dans un passé récent.

Piraux : Ceux qui plaident pour une plus grande souplesse de ce côté, allant jusqu’à prôner une extension de quelques années pour les meilleurs, ne savent pas de quoi il retourne. A notre âge, il est temps de laisser la place aux jeunes. Marcel et moi avons fait notre temps. Et nous pouvons nous estimer heureux d’être encore là aujourd’hui. Car, compte tenu de l’évolution du football, au plan de la vitesse d’exécution surtout, tout porte à croire qu’à l’avenir, les carrières arbitrales seront de moins en moins longues. Un jour viendra où, sitôt franchi le seuil de la quarantaine, les referees devront tous prendre du recul.

Dans l’enquête que nous avons réalisée naguère auprès des entraîneurs de D1, certains plaidaient en faveur de la reconversion des joueurs, comme directeurs de jeu. Est-ce une idée louable?

Javaux : Aux Pays-Bas et en France, des cours accélérés ont été mis sur pied pour permettre aux joueurs de bon niveau l’accès à cette corporation. J’ai d’ailleurs cru comprendre que Raymond Atteveld, l’ex-footballeur néerlandais de Harelbeke, avait suivi cette formation dans son pays, tout comme l’ancien pro Jean-Marc Rodolphe dans l’Hexagone. En Belgique, le cas de Jacky Quaranta n’est pas sans présenter de similitudes avec ces deux-là puisque le frère de Raphaël aura effectué une belle trajectoire en Promotion et en D3 avant de renforcer nos cadres avec succès.

Piraux : Le passage d’une catégorie à l’autre est parfaitement défendable. Il a d’ailleurs souri à deux collègues hollandais de très grande envergure : Dick Jol et Mario van der Ende. Mais il serait erroné de croire qu’il constitue l’absolue panacée. Car davantage qu’un vécu, c’est la passion, surtout, qui est importante. Sans oublier le feeling, bien sûr.

A ce propos, certains coaches, dans notre dossier, déploraient chez les arbitres une lecture insuffisante du jeu?

Piraux : A mes débuts parmi l’élite, pareilles remarques étaient déjà d’application. Quelques-uns se lamentaient, sous prétexte que les referees ne sentaient pas une rencontre, d’autres allaient même plus loin encore, en parlant de problèmes, de malaise ou de crise, ni plus ni moins. Quinze ans plus tard, c’est le même topo. Il n’y a donc rien de neuf sous le soleil.

Javaux : A cette nuance-près que l’on encense aujourd’hui ceux-là même qui étaient parfois décriés autrefois. Comme un Alex Ponnet, un Alphonse Costantin, ou un Guy Goethals. Je suis persuadé que nous suivrons le même chemin et que nous ferons un jour l’objet de regrets à notre tour ( il rit).

Il a suffi qu’aucun referee ne représente notre pays à la Coupe du Monde 98 et à l’EURO 2000 pour mettre en exergue un manque au niveau de notre arbitrage. Eu égard à la rentrée dans le rang du football belge, chaque pays n’aurait-il que les arbitres qu’il mérite?

Piraux : C’est un peu réducteur, même s’il faut admettre actuellement les compétences de l’un ou l’autre représentant des nations fortes, telles que l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre, ou l’Allemagne. Mais en Scandinavie, il y a de très bons arbitres aussi, quoiqu’à l’exception de Rosenborg, aucun club n’y tienne le haut du pavé. Et ce qui vaut pour les nations du Grand Nord est d’application chez nous aussi.

Javaux : Il y a peut-être eu une petite période de flottement au beau milieu des années nonante. Et comme par hasard, elle aura coïncidé avec l’arrêt-Bosman. Au même titre que la plupart des clubs, les directeurs de jeu ont dû composer, eux aussi, avec une toute nouvelle réalité. Car bon nombre d’éléments de valeurs, belges de surcroît, sont alors partis. A leur place, des étrangers ont fait irruption un peu partout, amenant à la fois un autre style de jeu et d’autres habitudes. Il a fallu s’en accommoder, à notre échelon aussi. Et cela ne s’est pas fait en un tournemain. Après deux ou trois ans, il n’y paraissait plus, toutefois.

Comment expliquer que les arbitres, souvent décriés en Belgique, jouissent régulièrement d’une bonne cote dans les compétitions de clubs européennes?

Piraux : Parce qu’on observe, à ce niveau, une considération qui n’est hélas plus de mise en Belgique. Après toutes ces années en D1, il n’y a plus de surprise à nous accueillir, Marcel ou moi, dans tel ou tel club. Et ce constat est d’application aussi à d’autres anciens comme Eric Romain, Luc Huyghe ou Ghislain Hayen. En terre étrangère, par contre, on est perçu d’une autre façon. Là-bas, que ce soit à Madrid, Milan ou Lisbonne, les gens se disent que si un arbitre belge a été désigné pour tel ou tel match, il doit avoir des références, immanquablement. Personnellement, le clou en la matière, je l’ai vécu voici quelques années. Après avoir été accablé de tous les péchés d’Israël par le Standard, et même récusé, j’ai eu droit, trois jours plus tard, à une note d’excellence lors de la demi-finale de la Coupe de l’UEFA 96 entre le Bayern Munich et le FC Barcelone. C’est tout dire.

Javaux : Je me souviens d’un match entre Sion et Simferopol en Coupe de l’UEFA, en 1994. La nouvelle réglementation en vigueur pour les gardiens venait d’être décrétée et en championnat de Belgique, elle donnait lieu à des contestations sans fin entre les joueurs et les arbitres. La rencontre européenne avait à peine débuté lorsque le gardien visiteur bouscula un des forwards locaux en dehors des seize mètres. La réaction de Michel ne se fit pas attendre et il exhiba la carte rouge. Chez nous, il aurait été accusé de tous les maux. Sur place, il eut droit aux félicitations de l’examinateur de l’UEFA, Gerhard Schneider, qui le crédita d’un 10.

Piraux : A l’étranger, on accorde du prestige à notre fonction.

Javaux : Ici, en revanche, l’arbitre est perçu comme un mal nécessaire. Aucun d’entre nous n’est considéré à sa juste valeur.

Siffler en dehors des frontières est donc plus facile que sur son propre sol?

Piraux : Tout dépend à quel niveau. Chez les jeunes, ces désignations ne sont pas nécessairement des cadeaux.

Javaux : Je viens d’en faire l’expérience au tournoi de Montaigu, destiné aux moins de seize ans. A l’occasion du match d’ouverture entre le Pérou et le Maroc, il m’a fallu brandir huit cartes jaunes et deux rouges. Certains s’y plaisaient à tackler à hauteur du genou. Incroyable!

Piraux : C’est à la faveur de tels événements que l’UEFA procède à une sélection. Les meilleurs sont orientés vers l’Intertoto et les matches préliminaires en C2 notamment. Moi-même, j’ai fourbi mes armes dans une autre compétition très relevée chez le blé en herbe : le tournoi de Toulon.

Depuis vos débuts dans l’arbitrage, bon nombre de données ont changé. Beaucoup sont d’avis que le respect scrupuleux des règles a ôté toute spontanéité à l’arbitre de nos jours?

Piraux : C’est vrai que les referees pouvaient donner davantage libre cours à leur personnalité, jadis. Voilà pourquoi le contraste était frappant entre un Marcel Van Langenhove, coulant, et un Alphonse Costantin, très strict, par exemple ( il rit). Pour autant, je ne suis pas fâché qu’on sache mieux à quoi s’en tenir à présent, entendu que le même tarif est d’application pour tout le monde. Et je trouve que notre chef, Jean-Claude Jourquin, a raison d’être tâtillon en la matière.

Javaux : Aujourd’hui, au moins, il y a un fil conducteur. Et tout le monde sait à quelle sanction il s’expose quand il transgresse les règles. Pour en revenir au match Anderlecht-GBA, chacun se souviendra très certainement que j’ai exclu, à quelques secondes à peine de la fin de la rencontre, l’Anversois Filip Haagdoren pour un hands à même la ligne de but, après un tir de Souleymane Youla. L’intéressé, qui est un joueur correct et charmant, je m’empresse de le préciser, ne comprenait évidemment pas que je prenne cette mesure, alors que le score était déjà de 6 à 0 en faveur du Sporting, et qu’il ne pouvait donc plus rien arriver dans cette rencontre. Désolé, mais le règlement est clair : une faute de main de ce type entraîne immanquablement l’exclusion de son auteur. Si Filip Haagdoren voulait échapper au couperet, il aurait dû tout simplement s’effacer sur cette phase, un point c’est tout. L’arbitre que je suis est pieds et poings liés par le règlement dans ce cas.

Ce même Filip Haagdoren s’est distingué voici peu, lors du derby anversois, en feignant une faute sur lui dans les seize mètres de l’Antwerp. Le penalty qui s’ensuivit permit au GBA de doubler son avance sur le Great Old. Que vous inspire la simulation et ne devrait-elle pas être sanctionnée davantage par la juridiction sportive?

Piraux : Etant moi-même enseignant, je compare volontiers la simulation à la tricherie d’un élève. Mon attitude à ce propos est claire : si je prends le concerné en flagrant délit, tant pis pour lui. Dans le cas contraire, c’est dommage pour moi. Quant à l’attitude à adopter en la matière par le Comité Sportif, elle n’est pas de mon ressort. Je me garderai donc d’émettre un jugement à ce propos. Par contre, j’estime que cet organe se doit d’être sévère pour toute faute grave qui a échappé à la vigilance de l’arbitre, tout en ayant été enregistrée par les caméras de la télévision.

Javaux : Pareille immixtion, au niveau international, vaudra d’ailleurs à l’Ecossais Colin Hendry, coupable de coups de coude mais non sanctionnés sur un défenseur de St-Marin, d’être suspendu et de louper le match Belgique-Ecosse en octobre prochain.

A quelles conditions accepteriez-vous d’abandonner une partie de vos prérogatives à la technologie?

Piraux : Qu’une faute ou un hors-jeu soient sanctionnés ou non, ce ne sont jamais que deux péripéties dans un match qui en compte des dizaines. Dès lors, une erreur à ce niveau n’est pas dramatique à mes yeux. Et je suis d’avis que dans cette situation, l’arbitre se suffira toujours à lui-même. En revanche, l’assistance de la technique ne me paraît nullement superflue dès qu’il s’agit de déterminer si le ballon a franchi, à la régulière, la ligne de but. C’est quand même là l’essentiel. Aussi suis-je favorable à un oeil électronique à ce niveau.

Javaux : Je me range complètement à l’opinion de Michel. Ce qui est d’application au tennis depuis plusieurs années devrait l’être au football également. Il est impensable de gagner une Coupe du Monde sur une balle douteuse, aujourd’hui, comme ce fut le cas pour l’Angleterre en 1966.

Le professionnalisme est-il susceptible d’améliorer la qualité de l’arbitrage?

Piraux : L’hyperprofessionnalisation des joueurs ne les empêche pas d’être infaillibles. Pourquoi attendre la perfection du referee dans ces conditions?

Javaux : Quant au double arbitrage, c’est une hérésie. Les deux meilleurs Italiens, Pierluigi Collina et Stefano Braschi s’y sont essayé un jour et ce fut la catastrophe.

Une dernière question : à quoi ressemblera pour vous l’après-arbitrage?

Piraux : Il sera probablement toujours synonyme d’arbitrage, fût-ce de manière indirecte puisque nous devrions tous deux nous occuper de l’encadrement des étoiles montantes.

Javaux : Il est donc inutile de se tracasser : la relève est assurée ( il rit).

John Baete

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