» Nous devons sortir de ce rôle de parent pauvre « 

Le talent des Diables va-t-il enfin payer à l’approche de la double confrontation Pays de Galles, Croatie ? Pour Steve D, la question ne se pose pas :  » Avec un tel potentiel, nous devons aller à la Coupe du Monde. « 

Avant de se jeter sur les délicieux tapas et la sangria, il retire un appareil assez impressionnant de sa bouche et le glisse dans la poche de son pantalon. Notre étonnement ne lui échappe pas et il explique :  » A Porto, on a trouvé l’origine de mes problèmes : je suis quelqu’un qui serre beaucoup les dents, ce qui cause un déséquilibre entre le côté gauche et le côté droit de la mâchoire. Cela provoque des maux de dos et d’adducteurs après les matches et m’empêche de récupérer. Cet appareil rééquilibre le tout et fait en sorte qu’il y ait moins de tension dans les muscles. Presque tous les joueurs en portent un car il y a toujours un petit ou un gros dysfonctionnement chez tout le monde. Le mien est assez important : le chirurgien dentaire chez qui je me rends chaque semaine en consultation pense même que je devrais porter cet appareil jusqu’à la fin de mes jours ( il rit).  »

Nous sommes assis à une terrasse de Leça da Palmeira, dans la banlieue de Porto, où Steven Defour et son épouse occupent un appartement avec vue sur l’océan Atlantique. Le numéro 35 des champions du Portugal fut l’un des hommes en vue du dernier match amical des Diables Rouges, remporté 4-2 face aux Pays-Bas. Il nous parle longuement des perspectives belges à l’entame de cette campagne de qualification pour la Coupe du Monde.

Quelles impressions vous a laissées le match contre les Pays-Bas ?

Cinq minutes de déconcentration après un début de deuxième mi-temps trop facile nous ont coûté cher mais nous avons pu redresser la situation. Cela démontre la force mentale et l’évolution de l’équipe nationale. Tous les joueurs ont un rôle important dans de grands clubs étrangers et cela commence à porter ses fruits chez les Diables. Nous avons bien joué, très bien même. Mais pas super bien. Ces deux buts encaissés étaient évitables. Nous ne devons pas donner trop d’importance à cette rencontre mais nous ne devons pas la minimiser non plus. Les Pays-Bas sont tout de même vice-champions du monde et ils sont toujours très bien classés au ranking FIFA. Et c’était un match amical important pour eux aussi car ils voulaient tous se montrer au nouveau sélectionneur.

La discipline selon Wilmots

Les Diables Rouges ont un nouveau sélectionneur aussi. Comment travaille Marc Wilmots ?

Il est à la fois nouveau et ancien puisqu’il faisait déjà partie du staff. Mais il a sa propre philosophie, sa méthode et ses règles.

Comment vivez-vous cela ?

Il exige une discipline absolue pendant l’entraînement. Avant et après, on peut rigoler mais dans certaines limites tout de même. Nous n’avons pas le droit d’arriver en retard ni d’utiliser le GSM à table.

Voulez-vous dire qu’on n’a jamais autant martelé sur la discipline ?

Peut-être bien. Il estime que les règles sont importantes et veut que nous les respections. A l’entraînement, nous devons être concentrés à 100 % sur les exercices et ne pas rigoler.

Et ça marche ?

Au début, il faut s’adapter mais il nous corrige immédiatement.

Vous trouvez que c’est comme cela que ça doit fonctionner ?

Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients mais je pense que le plus important, c’est que le groupe se sente bien. Tout le monde aime rigoler mais je pense que tout est dans la mesure.

On a dit qu’après le départ de Georges Leekens, ce sont les joueurs qui ont émis la volonté de poursuivre avec Marc Wilmots. Est-ce comme cela que vous l’avez ressenti de l’intérieur ?

Oui. Quand Wilmots a repris, il nous a dit : – Je ne sais pas si c’est définitif, on verra après les matches contre le Monténégro et l’Angleterre. Mais Kompany a alors pris la parole au nom du groupe pour dire que nous serions heureux qu’il poursuive.

Pourquoi ?

Je pense que tout le monde avait un bon contact avec lui. Et puis, il connaît bien le groupe, c’est important. Lorsqu’il était adjoint, il a vu et entendu beaucoup de choses, ce qui lui offre plus de facultés d’adaptation.

Qu’est-ce que le groupe apprécie en Wilmots ?

Le fait qu’il soit direct, je pense. Il a tout vécu en tant que joueur, il connaît le football, sait ce qui doit se passer et son approche individuelle des joueurs est bonne. Il est très sévère mais honnête. Je pense que c’est important pour le groupe. Avec lui, on n’a pas dû recommencer à zéro. Il poursuit son travail, à la différence qu’il est à présent entraîneur principal.

Quelle est la grosse différence avec Georges Leekens ?

Sa façon de dire les choses. Leekens était plus jouette, il rigolait aussi avec les médias. Wilmots est plus direct, plus sérieux. C’est ça, la grosse différence.

Marquage individuel

En quoi leur manière de penser football diffère-t-elle ?

Ils ne mettent pas l’accent sur les mêmes choses mais, d’une façon générale, Wilmots veut que nous pratiquions un football rapide et en combinaisons vers l’avant, comme Leekens.

Face aux Pays-Bas, vous avez joué en marquage individuel dans l’entrejeu : vous sur Wesley Sneijder, Axel Witsel sur Rafael van der Vaart et Nacer Chadli sur Nigel De Jong. Aviez-vous déjà joué de la sorte par le passé ?

Non, jamais.

N’est-ce pas une tactique d’un autre temps ?

Je pense qu’avant, beaucoup d’équipes jouaient de la sorte.

Comme vous dites : avant !

Wilmots a beaucoup joué comme cela lorsqu’il était à Schalke. Par la suite, il n’y en a plus eu que pour le football de zone. Mais quand on évolue homme contre homme, on voit très vite celui qui ne fait pas son travail et où le problème se trouve. De plus, si on joue en zone contre une équipe qui bouge beaucoup entre les lignes, il faut beaucoup parler pour savoir qui prend qui. C’est très dangereux car il suffit qu’un gars soit en retard pour tout foutre en l’air. Par contre, si on arrive à neutraliser des joueurs clés comme Van der Vaart ou Sneijder par un marquage individuel, on a déjà effectué une bonne partie du boulot.

Le marquage n’est-il pas très exigeant sur le plan physique ?

On court beaucoup, en effet. Car si on laisse partir son homme, il peut y avoir danger. Il faut être concentré pendant 90 minutes et j’ai bien senti que si je lui laissais trop d’espace, il pouvait délivrer une passe décisive qui allait ruiner tous nos efforts. C’était très intense.

Jouer en marquage dans l’entrejeu a également des conséquences sur le reste de l’équipe car quand vous quittez votre place de médian défensif pour suivre votre homme sur le flanc, c’est toute la zone devant la défense qui est ouverte.

Au repos, Thomas (Vermaelen, ndlr) a posé une question à ce sujet : il y avait trop d’espaces dans cette zone et si le centre-avant décrochait, le médian défensif ne pouvait pas s’occuper de lui. L’entraîneur a répondu que, dans ce cas, un des deux médians défensifs devait jouer l’interception tandis que l’autre restait en marquage. Je trouve que le marquage, c’est facile et contre les Pays-Bas, cela nous a procuré un avantage certain. On verra ce qu’il est possible de faire au Pays de Galles et face à la Croatie.

Après le match face aux Pays-Bas, Marc Wilmots a dit : – On va voir comment le Pays de Galles joue puis je choisirai les joueurs en fonction de cela. Faut-il pratiquer de la sorte ? Changer de composition d’équipe et de tactique à chaque match ?

Je pense qu’en équipe nationale, il est important de voir qui est en forme, comment l’adversaire joue et ce qu’on peut faire pour lui poser des problèmes. Nous avons l’avantage de former un groupe qui joue ensemble depuis pas mal de temps, où tout le monde se connaît et où chacun connaît sa tâche quelle que soit la place qu’il occupe. Le noyau est suffisamment large également et personne n’est indispensable.

Face aux Pays-Bas, vous avez parfois montré des signes de fragilité sur le flanc. Marc Wilmots a parlé de boulevards. Comment expliquez-vous cela ?

Par le fait que les Pays-Bas jouaient bien aussi. Dans ces moments-là, il arrive qu’on laisse des espaces. Mais c’est vrai que nous devons travailler cela : chacun doit effectuer son boulot et avoir les capacités physiques de le faire, les joueurs de flanc aussi. Nous devons surtout surveiller nos changements de places. Si Hazard passe de droite à gauche, le joueur qui évoluait sur l’autre flanc doit pouvoir se replacer à temps sur le flanc droit en perte de balle. S’il arrive en retard, il y a effectivement un boulevard.

L’ex-entrejeu du Standard reformé chez les Diables ?

Chadli est blessé tandis que Fellaini a retrouvé la forme. Wilmots devrait donc former au Pays de Galles un triangle Defour-Fellaini-Witsel.

C’est une possibilité mais c’est au coach de faire des choix.

Vous disposez tous les trois des facultés de course que le jeu imposé par Marc Wilmots exige et, surtout, vous avez longtemps évolué ensemble au Standard. N’est-ce pas un avantage ?

C’est certainement un avantage : nous savons où nous allons, comment nous aimons recevoir le ballon et ce que nous faisons dans certaines situations. Marouane et Axel aiment surgir devant le but tandis que je garde facilement ma position.

Quelle est la meilleure place de Fellaini ?

A Everton, il excelle en numéro dix. J’ai vu qu’il avait même été élu Homme du Match contre Manchester United. Il a évolué, il joue désormais plus haut que lorsqu’il était au Standard, où on lui demandait d’effectuer son travail défensif beaucoup plus bas.

Comment cela se fait-il ?

Un numéro dix est désormais souvent pris au piège par l’adversaire et il touche peu le ballon mais avec sa taille et sa puissance, Marouane peut dévier de la tête ou remporter des duels dans les 16 mètres. Si on l’aligne en numéro dix contre le Pays de Galles ou la Croatie, il est probable qu’on ne verra pas souvent le médian défensif de cette équipe partir en profondeur.

Ce qui est incroyable, c’est que vous êtes complémentaires et que chacun peut jouer à la place de l’autre.

Oui. Nous avons tous joué aux trois places, chacun dans son style. Je suis moins un numéro dix et plus un numéro six qu’eux mais nous pouvons jouer tous les trois en numéro huit. Mais s’il joue en dix, Axel décroche plus parce qu’il a besoin de toucher plus de ballons tandis que Marouane cherche davantage la profondeur.

Champagne pour tout le groupe

Vous n’avez que 24 ans mais cela fait déjà six ans que vous portez le maillot des Diables Rouges et vous avez connu l’époque où il y avait des problèmes dans le groupe. Que pensez-vous de la sélection actuelle ?

L’ambiance est bonne. Les trois quarts des joueurs ont évolué ensemble chez les jeunes, en Espoirs ou en équipe olympique à Pékin, avec de bons résultats à la clé. Nous sommes tous partis jouer à l’étranger et nous avons conquis notre espace au sein des Diables Rouges. Cela tisse des liens. Nous sommes de la même génération, nous avons les mêmes centres d’intérêt, cela aide aussi. A un moment donné, on a parlé de problèmes entre Flamands et Wallons mais je pense qu’il s’agissait davantage d’un conflit de générations. Les plus anciens étaient flamands et les plus jeunes étaient surtout wallons. Lorsque nous avions rendez-vous, les premiers arrivaient cinq minutes à l’avance et les autres arrivaient juste à temps ou avec une minute de retard. A la longue, cela causait des soucis. Les premiers ne comprenaient pas pourquoi les autres arrivaient si tard et ceux-ci se demandaient pourquoi on faisait tout un foin d’une ou deux minutes.

Avec Wilmots, pas de problème : le bus démarre à l’heure dite, pas une minute plus tard.

Oui, c’est comme ça qu’ Eden(Hazard, nldr) l’a déjà raté. Mais on n’en a pas fait tout un plat. Kompany a demandé quel gage on pouvait lui donner et nous avons répondu qu’il devait offrir le champagne à tout le groupe. C’est une punition mais elle est plaisante et après, on n’en a plus parlé. Désormais, c’est une tradition : celui qui arrive en retard offre un verre de champagne au repas ou lors du barbecue de fin de séjour.

A quoi faudra-t-il faire attention lors de la campagne qui débute pour éviter les problèmes déjà rencontrés ?

Il faudra prendre un bon départ ! C’est très important car ça donne confiance. Dans un mini-championnat à six équipes, on n’a pas tellement de possibilités de rattraper un échec. Si on débute mal, on perd confiance et cela a de l’impact sur le groupe, on commence à regarder ce que fait le voisin et on déclare des choses vexantes. Quand on raconte des choses aux journalistes sans en avoir parlé au sein du groupe, il y a un problème. L’autre lit cela et se pose des questions puis ça part en vrille. Et quand les journaux flamands s’en prennent au coach wallon ou inversement, c’est la foire. Le ver est dans le fruit, les joueurs se croient tout permis puis ça finit par exploser.

Et cela se ressent sur le terrain ?

Dès qu’on encaisse un but, on baisse les bras et on n’a plus la force morale de revenir.

Ce groupe est-il le meilleur que vous ayez connu depuis vos débuts en équipe nationale en 2006 ?

Oui.

Parce que les jeunes talents ont mûri ?

Je pense, oui. Au début, il y avait quand même beaucoup de très jeunes joueurs : moi, Marouane, Axel, Moussa (Dembélé, ndlr)… Peut-être a-t-on trop attendu de nous à l’époque. Il restait aussi quelques gars de la génération 2002, comme Sonck, Simons et Van Buyten mais il y avait trop peu de gens de la génération intermédiaire, celle qui aurait dû prendre le relais après 2002 : Stijnen, Geraerts, Blondel… Cela manquait de talent et on nous a donné des responsabilités alors que nous avions à peine 20 ans alors que les autres pays affichaient des moyennes d’âge de 26, 27, 28 ans. De plus, Kompany et Vermaelen ont été longtemps blessés.

Jusqu’où ce groupe peut-il aller ?

Je pense que si nous poursuivons de la sorte, nous pouvons viser haut. Voyez l’importance que chaque joueur a prise dans son club : Hazard à Chelsea, Kompany à Manchester City, Vermaelen à Arsenal, Fellaini à Everton, Witsel à Benfica, Vertonghen et Dembélé à Tottenham… On n’a jamais vu autant de joueurs belges dans de grands clubs étrangers. Quand on compare notre sélection à celles de la Croatie, de la Serbie, du Pays de Galles, de l’Ecosse ou de la Macédoine, on en conclut que nous devons oser sortir de notre rôle de parent pauvre. Il faut être honnête et se dire : avec les atouts qui sont les nôtres, nous devons aller à la Coupe du Monde.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE, À PORTO – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Wilmots est très dur mais il est aussi honnête, c’est important pour le groupe. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire