« NOUS CONSIDÉRONS LE FOOTBALLEUR COMME UNE ENTREPRISE »

Ce sont de jeunes loups ambitieux. Stijn Francis et Laurens Mélotte, deux juristes, qui sont aussi d’anciens footballeurs, jettent un pavé dans la mare des agents de joueurs.

« Agents de joueurs – Bienvenue dans la jungle du football  » : tel était le titre d’une conférence donnée en mars 2012 à Louvain par Stijn Francis, à l’époque encore inconnu.Un an plus tard, le jeune avocat a posté sur son site internet une référence à une enquête anglaise qui concluait que  » trois footballeurs de Premier League sur cinq tombent en faillite dans les cinq ans qui suivent leur retraite « . Dans son commentaire, Francis écrivait :  » La plupart des footballeurs ne possèdent ni l’expérience, ni la formation requise pour placer intelligemment leur argent. Ils ignorent aussi quelles sont les personnes les plus habilitées pour les conseiller. Les clubs ne les aident pas. L’influence d’agents de joueurs, de banquiers et d’agents immobiliers peu scrupuleux est grande. Trop souvent ils vendent du vent.  »

En compagnie de Laurens Mélotte, Francis dirige Stirr Associates, une société qui guide les anciens footballeurs, tant sur le plan sportif qu’extra-sportif. Parmi leurs clients, on trouve notamment Réginal Goreux, Marvin Ogunjimi, Steven Defour, Denis Odoi, Toby Alderweireld, Igor Vetokele, Paul-José Mpoku et Alexander Scholz. Francis :  » Mpoku m’a contacté lorsqu’il a appris la faillite de David James(l’ancien gardien de Liverpool et de Manchester City, plusieurs fois international anglais, ndlr).  » Je ne veux pas connaître le même sort, aidez-moi « , m’a-t-il écrit.  » Les joueurs qui nous contactent ont, la plupart du temps, déjà eu affaire à des personnes mal intentionnées. Je ne peux pas leur promettre qu’ils ne tomberont pas en faillite, mais je peux leur donner des conseils. Nous recevons aussi des questions à propos des transferts. C’est ainsi que nous avons repris le rôle des agents de joueurs, alors que ce n’était pas notre intention au départ.  »

Mélotte :  » Les négociations avec les clubs font désormais partie intégrante de nos activités. Nous considérons le footballeur comme une entreprise. Chaque entreprise dispose d’un département juridique, d’un département de ressources humaines et encore d’autres départements. En Belgique, un footballeur se retrouve souvent seul et démuni. Il ne peut compter que sur son agent, qui négocie son contrat. Le rôle de l’agent s’arrête dès que le contrat est signé. C’est à ce moment-là que, pour nous, le gros du travail commence. La partie ennuyeuse du travail aussi, qui prend énormément de temps, mais qui peut faire la différence.  »

Investir prudemment

Prenons l’exemple de Mpoku. Il a quitté le Standard pour Cagliari, via Al-Arabi au Qatar. Ce n’est pas seulement un transfert, mais tout un déménagement. Francis :  » Lors d’un déménagement, beaucoup d’aspects doivent être pris en compte. Mpoku sait-il comment il doit ouvrir un compte en banque en Italie ? Nous l’aidons dans cette tâche. En concertation avec des banquiers, nous adaptons son plan financier afin qu’il reçoive chaque mois son argent de la manière la plus correcte possible. Nous veillons à ce que sa femme soit bien inscrite au registre local de la population et à ce qu’il sorte lui-même du régime fiscal belge. Nous voulons éviter que le footballeur reçoive, bien plus tard, une lettre de rappel du fisc belge. Nous avons fourni à Polo une dizaine de pages contenant des numéros d’appel d’urgence, l’emplacement des principaux centres commerciaux et d’autres détails pratiques.

La plupart des joueurs négligent cet aspect. Le seul qui y porte une certaine attention est Christophe Henrotay. Surtout parce qu’il est solide financièrement et qu’il peut se permettre de s’entourer d’autres personnes, dont Peter Smeets pour l’accompagnement social.  »

Les footballeurs perdent souvent tout sens de la réalité. Un Diable Rouge qui vend sa maison pour acheter une Ferrari ? Francis sourit :  » Nous essayons de convaincre les footballeurs de nous consulter avant de prendre une décision importante. Récemment, Vetokele nous a parlé d’une société américaine spécialisée dans les nouvelles technologies, dans laquelle il voulait investir.  » Igor, c’est un pari risqué « , lui avons-nous répondu.  » Heureusement, Igor est un garçon intelligent, mais beaucoup de footballeurs doivent être protégés contre leurs dépenses inconsidérées. Un joueur qui gagne en moyenne 10 à 20.000 euros par mois durant sa carrière, doit disposer d’au moins six millions d’euros sur son compte en banque à 35 ans, pour pouvoir vivre grâce aux intérêts. Cela représente beaucoup d’argent. Il doit donc investir prudemment s’il veut se mettre à l’abri pour le restant de ses jours.  »

Mpoku : 2,5 millions en fumée

Stijn Francis poursuit à nouveau avec l’exemple de Mpoku.  » Il voulait aller en Allemagne et s’est adressé à Didier Frenay. Il nous a demandé, à nous, de nous limiter à l’aspect extra-sportif. C’est ce que nous avons fait, mais je lui ai quand même avoué que je trouvais son choix erroné. J’ai rédigé le mandat pour Didier, mais il n’a pas apprécié. Il a lui-même rédigé un mandat, qui nous a semblé correct. Jusqu’au moment où nous nous sommes aperçus qu’il avait fait signer à Mpoku un autre document que celui qu’il nous avait présenté.  »

Al-Arabi a proposé un contrat de cinq ans à l’attaquant du Standard, avec un salaire net de deux millions d’euros par saison. Francis :  » Au total, dix millions d’euros, donc. Frenay a demandé deux millions d’euros de commission.  » Dans ce cas, laissez tomber « , a répondu Al-Arabi. Comme il ne disposait pas directement d’une alternative, Mpoku nous a demandé de reprendre contact avec les Qataris. Al-Arabi a accepté, mais à condition que le contrat porte sur un million et demi d’euros par saison, et plus deux millions. Sur cinq ans, cela signifiait donc deux millions et demi d’euros perdus. Frenay a promis de trouver un club en Allemagne, mais rien ne s’est concrétisé. Lorsque Polo lui a demandé de mettre un terme à leur collaboration, il a accepté. Un accord à l’amiable devait être trouvé. Jusqu’au jour où une facture de 1,2 millions d’euros a abouti dans sa boîte aux lettres. Polo avait non seulement perdu 2,5 millions d’euros de salaire, mais devait en plus payer une grosse facture.  »

Une facture que Mpoku va maintenant contester devant les tribunaux. Michy Batshuayi en avait fait de même lors de son conflit avec Henrotay, une affaire qui a coûté 80.000 euros au joueur. Francis :  » C’est ainsi que travaillent les soi-disant top-managers : ils veulent gagner le plus d’argent possible, le plus rapidement possible. Des centaines de milliers d’euros, sans rien faire, mais vraiment rien. Ils s’en foutent que le joueur les quitte après cela.  »

 » J’étais présent lorsqu’un joueur étranger a fait part de ses souhaits en matière de salaire à son agent « , poursuit Francis.  » Celui-ci lui a répondu : ‘Ici, le salaire brut équivaut au salaire net‘. Pouvez-vous vous imaginer cela ? Il a aussi dit que l’assurance de groupe était nette, ce qui est totalement faux, et n’avait aucune idée de la manière dont il pouvait récupérer le précompte professionnel. Et on parle ici d’un top-manager ! Hier, un autre agent de joueurs, qui travaille beaucoup avec des Ghanéens, m’a dit : ‘Ce joueur ne fera jamais rien sans moi. Le jour où il le fera, il perdra tout.‘ Il est apparu que chaque achat du footballeur, et chaque compte en banque qu’il ouvrait, était au nom de l’agent.  »

Mélotte :  » On trouve peu de gens intègres dans le monde du football. Il existe tellement de constructions entre les agents et les clubs, tellement d’enveloppes qui circulent, simplement pour tromper le joueur.  »

Agents perturbateurs

StirrAssociates perturbe l’ordre établi au pays des agents de joueurs. Francis :  » De plus en plus, nous nous aventurons sur le terrain de ces agents. Et cela les dérange. Ils nous considèrent comme des concurrents. Entre autres, parce que le Club Bruges et le Standard aiment collaborer avec nous. Les clubs savent que nous sommes corrects. Pas de coups de poignard dans le dos. Roland Duchâtelet a horreur des managers, et le Club ne veut travailler qu’avec des agents de joueurs fiables, à l’image d’Evert Maeschalck. Les clubs qui travaillent avec des agents fiables, savent aussi qu’ils gardent le contrôle de leurs joueurs.  »

PAR JAN HAUSPIE

 » Il existe tellement de constructions entre les agents et les clubs, destinées à tromper les joueurs.  » Laurens Mélotte

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