« Notre foot belge n’est plus synonyme de sinistrose « 

Leekens, Suarez, Vleminckx, Biglia, Riga, Daum, Tchité, Hazard, etc. : nos deux ex-stars du football belge, devenus de brillants consultants, décortiquent ou découpent les personnages-clefs de la première partie de saison.

Quel regard portez-vous sur l’Anderlecht 2011-2012 ?

Enzo Scifo : c’est la première fois depuis longtemps où, au stade, je me dis : -E nfin y a quelque chose. Enfin, la direction a fait le choix de joueurs de qualité. Les transferts de Milan Jovanovic et de Dieumerci Mbokani répondent aux attentes, même si ces deux joueurs ont été blessés et ne prestent pas encore à haut niveau sur la durée. Et puis, Anderlecht a aussi retrouvé un équilibre dans le jeu avec un Lucas Biglia (avant son opération) repositionné à sa vraie place. J’ai beau l’avoir souvent critiqué, cette saison il a enfin pu donner libre-cours à ses qualités. La concurrence répond aussi présent : Bruges, Gand, le Standard, même Genk qu’il ne faut pas enterrer. Les Mauves ne termineront certainement pas la saison régulière avec dix points d’avance. Et plus bas, on retrouve Mons, Courtrai et Cercle qui apportent un vent de fraîcheur.

Marc Degryse : Il ne faut pas oublier que notre championnat a perdu pas mal de qualité en été avec les départs de Mehdi Carcela, Steven Defour, Axel Witsel au Standard ; Ivan Perisic à Bruges ; Thibaut Courtois à Genk, Romelu Lukaku à Anderlecht. Ce sont de lourdes pertes. En contrepartie, ces clubs ont su transférer juste. A Anderlecht, il manquait une personnalité depuis le départ de Boussoufa. Désormais, elle est là et bien là avec Jovanovic. Le transfert de Jova, c’est le tournant même si tout n’est pas encore parfait. La présence du Serbe a rassuré tout le monde, Herman Van Holsbeeck en premier qui, rappelez-vous, était copieusement sifflé lors du fan day.

Ariel Jacobs a-t-il trouvé un système ?

Degryse : J’ai toujours dit que Jacobs était un entraîneur réaliste qui s’adapte aux joueurs à sa disposition. Il n’a pas de système précis comme un Trond Sollied et son indéfectible 4-3-3.

Scifo : Il y a des coaches qui sont obnubilés par un seul système, Jacobs est flexible et je trouve ça intéressant. On l’a critiqué, à raison, quand il n’alignait qu’un seul attaquant ; désormais, il n’est pas rare qu’il en poste trois comme face au Standard. Je crois qu’il a enfin compris l’esprit d’Anderlecht, ce qui n’est pas simple.

Degryse : S’il n’y a aucun blessé, Anderlecht a le onze le plus fort. C’est indiscutable.

Vous avez été surpris du redressement du Standard après un début de saison difficile ?

Scifo : Il y a eu énormément de chamboulements mais six mois plus tard, il y a de quoi être optimiste car je vois pas mal de réussites dans les nouvelles arrivées.

Degryse : Cela n’a certainement pas été facile pour Riga. Il a cherché un système, il a cherché les meilleurs joueurs à sa disposition. Aujourd’hui, il a réussi car le Standard est la seule équipe belge encore présente sur les trois fronts.

Scifo : Je ne pense pas que Riga ait changé de système de jeu, passant du 4-5-1 au 4-4-2, à cause de pressions extérieures comme ça a pu être dit.

Degryse : Il s’est surtout rendu compte après la débâcle à Anderlecht qu’un milieu Seijas, Vainqueur, Berrier c’était trop léger.

Vous êtes impressionnés par son travail ?

Scifo : Je trouve qu’il y a quelque chose qui se dessine dans le jeu.

Degryse : Il a aussi été aidé par le retour de Cyriac car sans l’Ivoirien, Tchité était aux abonnés absents. Cyriac-Tchité, c’est un duo complémentaire et très efficace. C’est du luxe pour notre championnat.

Le foot belge en progrès ?

Trois clubs qui passent l’hiver en Coupe d’Europe : ça veut dire qu’on est en progrès ?

Degryse : Le tirage ne nous a certainement pas été défavorable mais il faut aussi reconnaître que nos clubs ont vraiment bien fait leur boulot. Le 18 sur 18 d’Anderlecht même face à des teams démotivés, c’est inattendu et exceptionnel pour un club belge. Le Standard qui termine en tête de son groupe alors qu’il doit composer avec une équipe allemande, c’est significatif d’un esprit positif.

Scifo : Il y a quelques années seulement, le football belge était encore synonyme de sinistrose. Aujourd’hui, on a une équipe nationale qui peut faire de belles choses dans un futur proche et des clubs qui se font respecter sur la scène européenne. Je constate une évolution.

Degryse : Les supporters des play-offs vont vous dire que c’est grâce à leur nouveau système que les choses vont mieux. Et c’est vrai que pour les joueurs, il est intéressant d’avoir une augmentation des rencontres au sommet. Ces dix matches en fin de parcours doivent être stimulants à jouer. Affronter OHL après une rencontre de Coupe d’Europe, ce n’est pas évident, tout comme il est difficile pour Chelsea ou Valence de se motiver lors d’un déplacement à Genk. Ce n’est pas contre les petites équipes que l’on progresse, c’est une évidence.

Scifo : Le gros problème c’est qu’avec cette division des points par deux, les équipes du top spéculent davantage lors de la saison régulière. Les matches de championnat n’ont plus la même importance. Quant aux play-offs, je n’ai pas trouvé le niveau des matches spécialement élevé la saison dernière, et encore moins la saison précédente. Peut-être aussi qu’on va finir par s’habituer à ce système…

L’objectif des grands clubs avec les play-offs, n’est-ce pas finalement de jouer un championnat fermé ?

Degryse : C’est la même idée que la Ligue des Champions qui a été créée pour que les grands clubs se retrouvent ensemble à partir des huitièmes. De temps à autre, il y a une surprise comme Apoel Nicosie mais le reste des clubs provient généralement des grands championnats.

Scifo : Le gros problème, ce sont ces play-offs 2 qui ne ressemblent à rien.

Degryse : Je suis tout à fait d’accord. La solution serait de donner de l’argent aux clubs qui ne participent pas aux play-offs 1 en guise de compensation. Et donc que leur saison s’arrête après 30 matches. Je sais que mars ça fait tôt pour finir son championnat mais leur mettre dans les jambes des matches quasi sans enjeu, sans public, c’est encore plus pénible.

Vous êtes déçus par le comportement du champion sortant, Genk ?

Scifo : Il faut premièrement se rendre compte des performances de Frankie Vercauteren. A-t-il effectué un travail extraordinaire ou avait-il à sa disposition une équipe pour être premier ? J’opte pour la première réponse. Frankie a réalisé un boulot exceptionnel, retirant le maximum de son groupe comme Gerets l’avait fait avec le Lierse, tout en profitant des errements des autres équipes chacune à leur tour. Remettre le couvert une deuxième saison de suite, c’est épuisant et c’est très compliqué quand pas mal d’éléments jouaient en surrégime. Je ne suis donc pas étonné des problèmes de Genk cette année.

Degryse : Frankie en était parfaitement conscient. Soit du sang-neuf débarquait, soit il s’en allait. Quand tu perds ton gardien, qui t’a donné le titre quelques mois plus tôt, tu prends déjà un sérieux coup sur la tête.

Mais peut-on à la place de la direction de Genk refuser les neuf millions d’euros offerts par Chelsea ?

Degryse : Non.

Scifo : En Belgique, les entraîneurs ne peuvent pas s’opposer aux départs de leurs meilleurs joueurs au risque de mettre en danger la logique économique d’un club. La direction doit, elle, être capable de préparer le départ d’un joueur, d’avoir déjà dans son viseur un remplaçant valable.

Degryse : Voir partir les meilleurs, c’est le sort de tous les clubs dans des compétitions mineures comme la Hollande aussi. Et puis, si le joueur veut vraiment partir, il n’y a rien à faire.

Daum vs Koster

Avez-vous compris le licenciement d’Adrie Koster ?

Degryse : Oui dans le sens où la nouvelle direction brugeoise a gardé en fin de saison dernière un coach dans lequel il n’avait plus confiance.

Scifo : On a retardé le problème et le Club a perdu quelques mois. On était en droit d’exiger plus de Bruges au vu de la qualité de l’effectif, et même si Koster pratiquait un foot offensif.

La venue de Daum avec son aura et sa carte de visite, était-ce la bonne solution ?

Degryse : Je pense qu’avec ce type d’entraîneur, Bruges a davantage de chances de gagner quelque chose qu’avec Koster. Daum a eu des résultats en Allemagne, en Turquie alors que Koster est davantage un coach pour les Espoirs dont l’ambition est de proposer un beau football. Mais il a oublié quelque chose d’important : défendre. Avec Daum, ce secteur de jeu est peut-être trop privilégié aujourd’hui et les résultats sont là.

Il était important pour vous d’être coaché par quelqu’un avec une grosse expérience ?

Scifo : Ce qui était prépondérant, c’était d’avoir un coach qui savait où il allait. Et avec les années, on décelait vite si c’était le cas ou non. Le palmarès peut être un avantage si on sent derrière qu’il y a de la consistance. Wenger, quand je l’ai connu à Monaco, il n’avait quasiment pas de palmarès mais il imposait une ligne très claire et mettait tous les joueurs d’accord. Avec Koster, Bruges avait perdu la culture de la gagne. Daum peut peut-être la faire revenir.

L’absence de  » personnalité « , c’était d’après certains joueurs de Gand le problème de Dury.

Degryse : Dury était moins grand que Gand. Il venait de Zulte, coachait pour la première fois un club du top, succédait à Preud’homme. C’était beaucoup et son absence d’antécédents au plus haut niveau a été la cause de problèmes avec plusieurs joueurs.

Scifo : En même temps, d’autres coaches sont parvenus à s’imposer sans bagage derrière. Jacobs par exemple qui venait de La Louvière, de Mouscron. Ils étaient nombreux à dire qu’il allait morfler. Pour moi, il n’y a pas de règle. Autre exemple : Riga qu’on a massacré au début. Il n’est peut-être pas encore un top entraîneur mais il peut le devenir. Parce que c’est un passionné, quelqu’un qui sait s’adapter aux situations. A l’inverse, je ne suis pas sûr que Daum va réussir.

Degryse : En tout cas, l’absence de jeu et le peu de buts ne peut durer trop longtemps. Un gars comme Vadis ne va pas se satisfaire éternellement d’un rôle défensif.

Bruges a fait beaucoup de publicité autour de sa campagne de transferts. Le bilan est-il positif ?

Degryse : Meunier est une belle trouvaille même si elle est liée à la précédente direction. Zimling, je trouve que c’est intéressant. Pour le reste, je suis perplexe. Vleminckx est décevant ce qui explique que la direction est à la recherche d’un nouvel attaquant.

Vleminckx, malgré son statut de meilleur buteur, n’a donc pas progressé durant ses deux années aux Pays-Bas ?

Degryse : Un très bon attaquant marque dans les matches importants et ça, Vleminckx ne l’a jamais fait.

Scifo : Pour moi, ce n’est pas un joueur pour Bruges. Il n’a pas la bonne mentalité pour jouer dans un grand club belge. On le voit gueuler sur tout le monde, il râle tout le temps.

Degryse : Je crois qu’on pourra définitivement s’en faire une idée lors des play-offs.

Scifo : Pour moi avec Dirar, Meunier et Akpala devant, il n’a pas sa place.

Quel profil devrait avoir le nouvel attaquant brugeois ? Type Tchité ou De Sutter ?

Degryse : Plutôt Tchité, qui est pour moi au poste d’avant-centre ce qui se fait de mieux en Belgique avec Mbokani. Je trouve d’ailleurs qu’il serait la solution idéale pour l’équipe nationale.

Scifo : Tchité, c’est un Emile Mpenza plus concret. Alors qu’à l’époque d’Emile, on était déjà très content.

Diables : qui est responsable ?

La non-qualification des Diables pour le prochain Euro, c’est pour vous une grosse déception ? Ou n’étions-nous tout simplement pas encore prêts ?

Scifo : Je suis entre deux eaux. Vu le groupe, on devait terminer deuxième. Mais au niveau de l’état d’esprit, c’est très positif car à une certaine période on était vraiment dans le trou. Il n’y a pas si longtemps quand on regardait un match des Diables, on avait le sentiment que les mecs n’en avaient rien à foutre. Aujourd’hui, c’est moins le cas.

Degryse : Je suis d’accord sur la mentalité mais la campagne est très décevante.

Vous seriez prêt à parier que la Belgique terminera première de la prochaine campagne de qualifs pour la Coupe du Monde ?

Scifo : Je suis optimiste. Je ne changerais pas grand-chose à l’équipe. Je trouve que le système utilisé, ce 4-3-3, n’est pas idéal. Je serais davantage en faveur d’un 4-4-2. On a des milieux infiltreurs qui pourraient faire mal comme Fellaini ou Witsel.

Degryse : Si on ne se qualifie pas pour 2014, Leekens aura de quoi être gêné vu le potentiel de cette équipe.

Il reçoit une seconde chance malgré une campagne ratée. Vous comprenez ce maintien ?

Degryse : Oui, même s’il peut être irritant parfois avec ses excès d’enthousiasme. Le fait est qu’il y a un nouvel esprit sur lequel on peut espérer bâtir quelque chose. Et puis : qui vous voulez à sa place ? Gerets ? Impossible. Preud’homme n’est pas non plus disponible. Et ils gagnent un peu plus qu’à la Fédération je pense. Qui reste-t-il ?

Scifo : Et Wilmots ? J’ai l’impression qu’il est déjà condamné par certaines personnes depuis son passage à Saint-Trond. Je trouve ça ridicule.

L’autre point négatif de la campagne de Leekens, c’est la gestion du cas Hazard. Quel est votre regard sur cette  » affaire « .

Degryse : Je pense que maintenant c’est oublié, en tout cas je l’espère. J’espère aussi qu’Hazard va s’imposer dans un environnement qui n’est pas le sien, c’est-à-dire en dehors de Lille. Qu’il mette tout le monde d’accord. Lors des derniers matches, Leekens lui a témoigné pas mal de confiance. Et tant mieux car c’est un joueur extrêmement important pour l’équipe nationale.

C’est le plus grand joueur belge depuis… Enzo Scifo ?

Degryse : Il sera peut-être le premier joueur belge au niveau offensif à intégrer un club du sommet européen. Par rapport à Enzo, il est plus rapide, plus dribbleur. Enzo était davantage un 10.

Scifo : Eden rentre davantage dans la catégorie de Marc, qui savait jouer 10 mais qui pouvait aussi évoluer derrière l’attaquant de pointe. Ce que fait Hazard au niveau offensif à 20 ans, c’est déjà incroyable même s’il n’a évidemment pas atteint son top. Et qu’on arrête de dire que le championnat français c’est de la blague. Il faut se farcir les défenseurs de L1. Il ne faut pas non plus être un grand connaisseur pour affirmer qu’il a un talent incroyable. C’est un des joueurs les plus forts qu’il m’ait été donné de voir. Arriver à allier sa technique avec une vitesse d’exécution comme il le fait, c’est impressionnant. Il est aussi arrivé qu’il m’énerve pendant des matches. C’est à l’entraîneur à ce moment-là de le recadrer, de lui dire que s’il veut un jour jouer au Barça, il doit changer son jeu.

Degryse : Il a peut-être besoin de côtoyer la concurrence d’un grand club européen pour passer un cap mentalement, devoir être à niveau à chaque entraînement.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Le transfert de Jova, c’est le tournant du bon début de saison d’Anderlecht. « 

(Degryse)  » Quand on regardait un match des Diables, on avait le sentiment que les mecs n’en avaient rien à foutre. Aujourd’hui, c’est moins le cas.  » (Scifo)  » Un très bon attaquant marque dans les matches importants et ça Vleminckx ne l’a jamais fait. « 

(Degryse)

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