NOSTALGIE D’ARME FATALE ?

De mon temps (c’est-à-dire plus loin qu’hier, et je prie pour dribbler le radotage), ceux qu’on dénomme aujourd’hui flancs offensifs ou couloirs offensifs n’avaient pas d’autres noms qu’ailiers ou extérieurs, gauches ou droits. Leur mission principale et favorite (même si les pertes de balle imposaient de revenir chercher des ballons), c’était de déborder puis centrer : le centre en retrait s’appelait même arme fatale du jeu d’attaque alors moderne ! La règle générale, logique, était donc que l’ailier droit soit droitier et l’ailier gauche gaucher : si Pierre Sinibaldi avait aligné Wilfried Puis à droite, tout le public mauve l’aurait trouvé maboule ; si Raymond Goethals avait cantonné Léon Semmeling à gauche, P’titLéon aurait ouvert des yeux comme des obus.

Donc, tout un temps, il n’y eut quasi jamais d’attaquant gaucher cantonné à droite : dans mon souvenir, la première exception notoire ne se produisit qu’au Mondial 1982, lorsqu’un gaucher magique nommé Bruno Conti transcenda la Squadra par de grandes chevauchées vers l’intérieur du jeu depuis son flanc droit. Et seule une minorité d’attaquants droitiers évoluèrent à gauche. Pas par passion pour la position (ils tiraient souvent la tronche, craignant d’être insuffisants, voire ridicules sur leur mauvais pied), mais parce que les gauches pattes manquaient dans l’effectif : les droitiers les plus brillants, les plus bipèdes dirais-je, s’y collaient alors pour rendre service… ce que fit magnifiquement un George Best à Man U, changeant de côté quand John Aston manquait à gauche.

C’est aujourd’hui différent. Quand on dispose d’un gaucher offensif virevoltant, on le positionne souvent sur le flanc droit : le Lionel Messi des débuts a créé la tendance, s’y sont engouffrées des stars comme Arjen Robben, Angel Di Maria, souvent Gareth Bale, hier chez nous Mehdi Carcela… Quant au flanc gauche offensif, fini de flipper si l’on ne dispose pas de gaucher : de Dries Mertens à Cristiano Ronaldo en passant par toute la Premier League, les droitiers squattent volontiers l’aile gauche ! Et le foot sub-top ou amateur épouse évidemment la tendance… Exit donc l’argument fatal du centre en retrait pour l’équipier, remplacé par celui de pouvoir rentrer dans le jeu sur son bon pied et frapper au but, ce qui signifie déjà deux choses. D’abord que même les stars n’ont toujours pas deux pieds pareillement habiles. Ensuite que l’argumentation collective d’hier s’est effacée pour une argumentation individualiste : joue à ce poste, et tu seras le buteur-héros…

Simple mode ou réelle évolution ? Evolution dans la mesure où, si les flancs offensifs changent de rôle, les centreurs existent toujours : ce sont davantage les arrières latéraux, plus offensifs qu’hier et quasi toujours gauchers à gauche et droitiers à droite (rare exception au top : César Azpilicueta chez le Mou). Mais évolution inaboutie et moins fatale car, si ces arrières centrent fort correctement d’une position avancée, ils sont peu nombreux à pouvoir multiplier, en pleine course, des centres en retrait depuis la ligne de but… demandez à Jan Vertonghen !

C’est donc une mode si c’est systématique, et ça l’est souvent : certains coaches n’alignent jamais à gauche leur gaucher d’attaque, même le temps d’un bout de match… et certains gauchers râlent même si on le leur demande, remember Anthony Knockaert quand Slavo Muslin lui imposait la gauche ! Perso, je me dis qu’existeront toujours des situations d’attaque où l’on aura besoin d’un vrai gaucher à gauche, dribbleur, technique, explosif, centreur. Ainsi en ce moment au Bayern, Douglas Costa occupe-t-il le flanc gauche avec au moins la même efficacité que Frank Ribéry, droitier absent. Ainsi récemment, contre Tottenham, l’entrée au jeu spitante de Frank Acheampong m’a rempli de bonheur, en même temps qu’elle remplissait Kieran Trippier de malheur ! Ainsi, de la même manière que Besnik Hasi a su (rien qu’à l’aller, hélas) surprendre les big scouts de Tottenham, Marc Wilmots devrait-il toujours avoir à disposition un p’tit Acheampong au cas où : Adnan Januzaj ou Maxime Lestienne ne seront pas à négliger lorsqu’il faudra choisir 23 Diables…

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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