Nos vraies chances

Il y a 18 ans, Filip De Wilde (Anderlecht), Franky Van der Elst (Club) et Erwin Vandenbergh (Gand) participaient à la dernière grande campagne hivernale des clubs belges.

Franky Van der Elst se souvient. En avril 1992, il avait atteint avec le Club les demi-finales de la Coupe des Coupes où le Werder Brême s’était imposé.

Anderlecht et Filip De Wilde s’étaient également mesurés aux meilleurs d’Europe en C1, dans une phase de groupe avant les demi-finales où les Mauves avaient terminé derrière la Samp et l’Etoile Rouge Belgrade.

Gand avait été éliminé en quarts de finale par l’Ajax en UEFA et ce parcours exceptionnel couronnait la carrière d’Erwin Vandenbergh :  » J’ai évolué tout le temps seul en pointe. Les autres étaient devant notre rectangle.  » Les trois footballeurs chevronnés rigolent : ils connaissent très bien… René Vandereycken.

C’était mieux de votre temps ?

Filip De Wilde : Nous figurions parmi les huit meilleurs champions nationaux, ce qui est désormais impensable. Il est devenu beaucoup plus difficile d’aller si loin, ne serait-ce que parce qu’il n’y a plus de limitation du nombre d’étrangers, une mesure qui aidait les clubs à conserver leurs meilleurs éléments.

Franky Van der Elst : Nous n’étions pas meilleurs. J’avais souvent le sentiment d’être un rien trop juste. Pareille demi-finale était exceptionnelle pour le Club.

Erwin Vandenbergh : L’étranger est-il devenu meilleur ou sommes-nous plus faibles qu’avant ? Jadis, les étrangers apportaient toujours une plus-value, ce qui n’est plus toujours le cas.

Mais ces comparaisons ont-elles un sens ?

Van der Elst : Les gens aiment ce petit jeu mais il faut tout replacer dans son contexte. Il y a longtemps qu’autant de clubs belges n’avaient plus passé l’hiver. Ont-ils été tellement mauvais pendant des années ou sont-ils meilleurs, d’un coup ? Le paysage footballistique a changé. Les jeunes talents partent plus rapidement et les étrangers considèrent ouvertement la Belgique comme une étape car ils veulent tous jouer dans un grand pays… Avant, nous possédions encore des ténors européens.

De Wilde : Il y avait déjà un certain fléchissement il y a 18 ans. La génération qu’Erwin a connue à Anderlecht, avec les Danois, émargeait à l’élite absolue. La présence belge actuelle est largement due aux réformes de Michel Platini, qui favorisent les petits pays. On a créé une plate-forme où nous pouvons éventuellement nous montrer : l’Europa League. Un bon Anderlecht peut s’exprimer à ce niveau.

Van der Elst : Aller loin n’était pas plus facile avant. Emilio Ferrera, qui a entraîné le Club, le répétait. Anderlecht a même profité du nouveau système : le fait que l’Ajax était qualifié avant son dernier match constituait un avantage… Le scénario aurait été différent s’il avait dû jouer par élimination directe en aller-retour.

Est-ce plus facile aujourd’hui ?

Le Club avait tiré Omonia Nicosie et Katowice il y a 18 ans (pas précisément de grandes pointures) et vous vous êtes retrouvés en quarts de finale contre l’Atletico. Actuellement, pour atteindre ce stade, il faut disputer davantage de matches.

De Wilde : Ces Cypriotes étaient amateurs. A l’époque, si on affrontait une équipe scandinave, on partait aussi favori. C’est différent.

Van der Elst : Ce n’était pas toujours plus difficile, en effet mais le système actuel peut être avantageux. Une élimination directe est plus sèche.

Vandenbergh : On peut rectifier le tir, ce qui était impossible jadis.

Erwin, vous avez failli être éliminé par Lausanne, au premier tour ?

Vandenbergh : Ce n’était que Gand, pas Anderlecht et ensuite, nous avons éliminé Francfort, ce qui était inespéré.

Mais l’Ajax comprenait Bergkamp, Jonk, Winter, De Boer, Van ‘t Schip, Roy. Pas mal…

Vandenbergh : Nous ne pensions qu’à ne pas sombrer, même à domicile. L’équipe campa devant le rectangle.

Louis van Gaal aurait ensuite déclaré que Vandereycken avait même voulu aligner cinq défenseurs dans le but…

Vandenbergh : Atteindre ces quarts de finale était incroyable. Un entraîneur veut obtenir le meilleur résultat possible, au détriment de…

Van der Elst :…. Du spectacle ! (Rires). Nous devons jauger les performances belges d’après leur valeur réelle. Ce n’est pas aussi évident que ça le paraît. Anderlecht avait l’habitude de passer l’hiver, nous moins. Nous étions parfois éliminés au premier ou au deuxième tour et une demi-finale était exceptionnelle. Nous aimons raconter que nous jouions bien mais ce n’était pas toujours le cas…

De Wilde : Nous émargions presque à l’élite européenne. Nous avions quand même éliminé le PSV, après une victoire 2-0 à domicile et un nul blanc là-bas. Alors que De Wolf avait piétiné Romario après dix minutes. Maintenant, la Ligue des Champions attire tous les regards mais aucune formation belge n’y figure.

Van der Elst : Le Standard illustre les difficultés actuelles. Il avait une brillante équipe il y a un an. Puis Fellaini, Dante et Onyewu sont partis. Ils seraient restés si le Standard était un club anglais. Or, c’est indispensable que ce type de joueurs reste pour progresser et atteindre le niveau de la Ligue des Champions.

La situation actuelle indique-t-elle un léger rétablissement ?

Van der Elst : Ce serait prématuré.

De Wilde : Nous serons en bonne voie si, l’année prochaine, deux équipes sont encore en lice après le Nouvel-An. Je voudrais relativiser. l : le système actuel a permis au Standard, champion d’un petit pays, d’être automatiquement qualifié pour les poules de la Ligue des Champions. Il a terminé troisième de sa poule, mais si Bolat n’avait pas marqué de la tête, il était éliminé en Europa League.

Il y a 18 ans, 24 équipes étaient encore en lice dans les coupes d’Europe contre 48 maintenant. Pour faire aussi bien, Anderlecht, le Club et le Standard doivent donc franchir un tour de plus…

Van der Elst : Donc, il y a 18 ans, nous avions signé une belle performance ! La situation actuelle est évidemment positive. Nos clubs peuvent progresser et l’Europe remarque que trois phalanges belges demeurent en lice, ce qui rendra peut-être notre championnat plus intéressant aux yeux de bons étrangers. Ceci dit, la tâche de nos représentants face à Valence, à Bilbao et à Salzbourg ne sera pas facile.

Les chances d’Anderlecht ?

Quelles sont les chances d’Anderlecht contre Bilbao ?

De Wilde : On ne peut pas se plaindre. Bilbao ne vise pas le top. Il est attaché à sa tradition de n’aligner que des Basques.

Vandenbergh : Anderlecht doit s’imposer contre Bilbao.

Van der Elst : Anderlecht peut nourrir des espoirs mais il devra être bon.

De Wilde : De là à dire que nous sommes favoris, il y a une marge. Il y a 18 ans oui, plus maintenant, même si nous ne sommes pas inférieurs. Je pense que c’est 50-50.

Van der Elst : Bilbao est une équipe solide, dure. Elle ne gagne ni ne perd largement. Son stade est superbe ! J’y ai disputé un match amical. Il y avait peu de monde mais quelle ambiance malgré tout !

De Wilde : J’y ai joué en Coupe d’Europe avec Beveren. Nous nous sommes imposés 2-0 chez nous et nous avons perdu 3-1 là. Les tribunes sont très verticales. Y jouer est agréable mais ce n’est pas facile.

Van der Elst : Je pense qu’Anderlecht est mieux armé pour ce genre de matches qu’il y a un an. Il est plus solide. Polak est toujours indisponible mais Kouyaté ne fait pas tache dans l’équipe et permet à Biglia de mieux s’exprimer.

De Wilde : Il n’y a plus de choc des égos à Anderlecht. La hiérarchie est claire. Biglia appelle le ballon, les autres courent et s’infiltrent.

Van der Elst : Cheikhou est un pion important de cet Anderlecht. Je l’ai entraîné au Brussels. Il est parfois embêtant, son jeu de pieds est perfectible mais il a un tel abattage qu’il ouvre des brèches pour les autres, comme Biglia.

De Wilde : Les circonstances nous ont permis de découvrir des joueurs, qui s’avèrent satisfaisants. Suite au forfait de Polak et de Wasilewski, Gillet a dû reculer, ce qui a libéré deux places dans l’entrejeu. Saré et Kouyaté nous permettent de varier notre jeu.

Van der Elst : Ils se demandent moins vite ce qu’ils doivent faire.

De Wilde : Notre saison est déjà réussie sur la scène européenne. Nous avons répondu aux attentes, sans plus.

Van der Elst : La raclée qu’Anderlecht a reçue face à Lyon a quand même été surprenante ?

De Wilde : Nous avons trébuché quelques fois. Contre Lyon mais aussi à Sivasspor et contre Zagreb. Et nous avons volé notre victoire à Zagreb, lors du premier match.

Les chances du Club ?

Qu’attendre du Club contre Valence ?

De Wilde : Le Club m’a surpris mais lors de son premier match contre Donetsk, il y avait une nette différence.

Van der Elst : Le nul là-bas est de ceux qu’on peut toujours réaliser. Parfois, quand je jouais, j’avais l’impression que nous pouvions mieux mais quand on éprouve ce sentiment trop fréquemment, cela veut dire qu’on n’est pas assez bon. Il ne faut pas toujours invoquer les circonstances ni la poisse. Valence est favori, c’est clair. Il n’a pas la régularité de l’élite absolue mais Villa, Silva et Mata ont la classe européenne. Et le Club, contrairement à Anderlecht, a une nouvelle équipe.

Vandenbergh : Normalement, Bruges n’a aucune chance. Anderlecht est plus stable que les années précédentes. Bruges devra confirmer la saison prochaine.

De Wilde : J’ai l’impression que le Club est récompensé de son audace au Partizan, à Toulouse. Il est offensif et il marque toujours, pas en contre ni avec du bol mais parce qu’il est dominant.

Van der Elst : Il n’entamera pas le match à Valence avec de telles intentions. Ce serait naïf. Ce match constituera un test pour la défense, qui gaffe régulièrement. Si le Club passe, ce sera un réel exploit.

Les chances du Standard ?

Que peut-on attendre du Standard contre Salzbourg ?

Vandenbergh : Le Standard est très irrégulier cette saison. Je ne sais pas s’il s’en sortira.

Van der Elst : Comment Jovanovic va-t-il jouer ses derniers matches, alors qu’il va bientôt rejoindre Liverpool ? Bölöni est parti aussi. Tout cela a un impact alors que l’équipe avait déjà des problèmes.

Salzbourg est-il favori ? Ce n’est qu’un club autrichien mais il a déjà eu Matthäus, Trapattoni, Adriaanse et maintenant Stevens comme entraîneurs. Il n’a pas de problèmes financiers.

Vandenbergh : Il faudra un très bon Standard pour éliminer Salzbourg.

De Wilde : Il ne survole pas son championnat mais il a gagné tous ses matches en Europa Ligue.

Van der Elst : Quand on gagne le maximum des points, c’est qu’on a un fameux potentiel.

De Wilde : Le Standard se réfère toujours aux matches contre Liverpool. Les joueurs se croient peut-être meilleurs qu’ils ne le sont…

Van der Elst : Gamin, j’étais supporter du Standard. Nous attendions qu’il joue comme il le fait depuis quelques années. Cependant, il n’a pas bien géré son passé. Après vingt ans d’absence, un peu plus de modestie ne serait pas déplacé.

Quelles sont ses chances ?

Van der Elst : 50-50. Le Standard a quand même été brillant dans les grands rendez-vous ces dernières saisons.

Vandenbergh : Il devra être très bon mais il n’est pas dénué de chances.

De Wilde : 60-40 pour Salzbourg. J’accorde le bénéfice du doute au Standard. Les joueurs sont toujours placés devant leurs responsabilités quand un entraîneur démissionne.

Van der Elst : Quand je lis les propos de Defour, j’ai des doutes.  » C’est fini « ,  » la coupe est pleine « ,  » mes coéquipiers ceci, mes coéquipiers cela « . Defour n’a pas joué pendant des mois. Contre Anderlecht, il est rentré au vestiaire avant le terme. Le lendemain, j’ai lu dans le journal :  » Je ne pouvais plus supporter ça « . Il est quand même capitaine, non ?

Vandenbergh : De notre temps, mieux valait ne pas se lancer dans ce genre de déclarations ! Les footballeurs actuels démolissent leurs entraîneurs dans les journaux.

La pointure européenne ?

Quels sont les joueurs susceptibles d’effectuer un pas en avant ?

Van der Elst : Defour. Mbokani aussi, mais le vrai talent c’est davantage que la qualité pure. C’est un ensemble.

De Wilde : Une carrière a parfois un déroulement étrange. Vous pouvez placer un défenseur de Manchester dans une équipe belge et peut-être ne jouera-t-il pas. Tout le monde reconnaît les plus grands talents mais tout l’art consiste à enrôler le joueur dont votre équipe a besoin.

Van der Elst : J’aurais aussi fait débuter Ronaldo au Sporting Lisbonne…

De Wilde : En voyant Mazuch ici pendant quelques mois, je me suis dit qu’il pouvait briguer la Premier League.

Van der Elst : Lukaku pourrait obtenir une promotion à terme. N’ai-je pas lu qu’Odjidja intéressait Valence ? Perisic et Kouemaha possèdent aussi de grandes qualités.

De Wilde : Les trois clubs possèdent des footballeurs aptes à évoluer à un niveau supérieur.

Un club belge peut-il atteindre les quarts de finale de l’Europa Ligue ?

De Wilde : Si c’est le cas, cette équipe survolera aussi le championnat de Belgique.

Comme Anderlecht ?

De Wilde : Nous ne le survolons pas. Il nous manque encore quelque chose. Globalement, nous sommes bons mais nous devons encore progresser. Nous devons réaliser ce que nous avons montré contre le Germinal Beerschot durant une longue période. Alors, nous pourrons aussi rêver d’émerger sur la scène européenne.

Est-il encore possible d’émerger en Ligue des Champions ?

Vandenbergh : Ce serait viser trop haut.

De Wilde : L’Europa Ligue est notre niveau.

Van der Elst : Mais non, c’est encore possible quand on voit ce que le Standard a réalisé contre Liverpool !

De Wilde : A condition de choisir le bon moment car on perd deux joueurs puis encore deux autres et c’est fini. En voyant Rosenborg disputer la Ligue des Champions année après année, je pensais que ce devait être possible pour une formation belge aussi. Mais ce temps est révolu.

Devons-nous revoir nos ambitions ?

De Wilde : Dans cinq ans, on considérera cette saison comme un succès.

Van der Elst : Peut-être devons-nous être plus modeste face à des équipes comme BATE et ne plus affirmer que nous devons passer.

Vandenbergh : C’est la grande différence par rapport au passé : ce genre d’équipes a considérablement évolué. De notre temps, c’étaient des nains. Plus maintenant.

par jan hauspie

« Les joueurs du Standard se croient peut-être meilleurs qu’ils ne le sont… (De Wilde) »

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