Nos grands clubs se truandent

Comme il est devenu trop onéreux d’attirer la jeune vedette du rival, on se rabat désormais sur les ados les plus doués. Explications.

Le Gentlemen’s agreement (sorte d’accord sur l’honneur entre plusieurs parties) a plus que jamais du plomb dans l’aile. L’idée était pourtant sympathique :  » Ne pas contacter un joueur sous contrat avant d’avoir pris langue avec son club  » voire  » Ne pas s’aventurer sur le terrain des jeunes du club d’en face « …

Les exemples qui suivent démontrent qu’on a fait fi, et ce depuis longtemps, de ces fameuses règles tacites. Si certains de nos dirigeants aiment encore se parer des plus belles vertus, le public n’est plus dupe. Le foot est devenu au fil des ans un business qui laisse peu de place aux sentiments. Et dans cette chasse à la rentabilité et au succès, les clubs veulent ce qui se fait de mieux sur le marché. Peu importe l’âge.

Ces dernières semaines, les exemples de jeunes, très jeunes joueurs, qui passent d’un club à l’autre sont nombreux et médiatisés. Anil Koc (16 ans), formé au Sporting d’Anderlecht et international belge chez les -16, a signé un contrat d’aspirant de trois ans au Standard en mai. Quelques jours plus tard, on apprenait que David Henen (15 ans), considéré comme l’un des plus beaux joyaux de l’Académie des Rouches, rejoignait les Purple Talents de Neerpede pour y parapher un contrat de trois saisons. Dans le même temps, le club bruxellois se voyait chiper trois de ses jeunes : Dennes De Kegel (17 ans), Sandy Walsh (16 ans) et BoubacarDiallo (15 ans), tous trois partis vers Genk. Des arrivées qui peuvent passer pour une petite revanche pour le club limbourgeois qui, un an plus tôt, perdait Denis Praet, âgé de 15 ans seulement, et que beaucoup de spécialistes décrivent comme l’un des plus beaux espoirs de notre foot.

Poco-Bailly : l’engrenage

Tous ces récents exemples démontrent que la tendance au transfert de jeunes pousses s’accentue. Certes, elle n’est pas neuve. Les plus de 30 ans se rappelleront le passage de feu Régis Genaux de Charleroi vers le Standard en 1990 alors que le futur back droit de l’équipe nationale n’avait que 17 ans et n’était qu’aux portes de l’équipe première carolo. A l’époque, le transfert fit grand bruit pour son caractère unique, pour sa violation du Gentlemen’s agreement entre clubs de l’élite. Suite à des complications juridiques, la transaction rapporta toutefois 8 millions de francs belges (200.000 euros) aux Zèbres.

Johan Walem est un autre cas. Mais qui arrangea cette fois les deux parties puisqu’Anderlecht paya au RWDM ses dettes d’électricité d’1 million de francs belges (25.000 euros !), en échange du petit gars d’Ecaussines, âgé alors de 15 ans en 1986. Plus près de nous, en 2002, le Standard, dont l’encadrement des jeunes n’avait pas la renommée d’aujourd’hui, perdait deux de ses plus belles promesses : Logan Bailly et Sébastien Pocognoli. Eux non plus n’avaient pas encore 16 ans et n’étaient donc pas sous contrat.

Genk premier responsable ?

 » Nous sommes peut-être les premiers responsables de cette escalade suite à ces arrivées il y a près de dix ans « , reconnaît l’ex-président de Genk, Jos Vaessen, aujourd’hui simple conseiller du club champion.  » Désormais, et suite aux derniers exemples en date, vous pouvez dire que tous les coups sont permis. Mais je reste contre ce procédé où les grands clubs font leur marché entre eux. Je regrette que l’on n’arrive pas à trouver une convention entre Anderlecht, Genk et le Standard afin de mettre un terme à ces passages de jeunes joueurs. Bruges n’étant pas réellement impliqué puisque la ville est plus éloignée géographiquement. J’ai d’ailleurs plaidé auprès de la direction de Genk pour qu’elle se mette à table avec le Standard et Anderlecht afin de trouver une solution.  »

Pour rappel, Jos Vaessen avait démissionné en 2006 de ses fonctions de président de Genk suite au passage du jeune Steven Defour (18 ans) vers le Standard via la loi de 1978.  » Le football est le plus beau sport qui soit mais son monde est peut-être le moins beau de tous. Je ne peux et ne veux pas rester plus longtemps actif dans ce monde pourri « , avait alors tenu amèrement Vaessen.

A Genk, le passage en mai dernier de Denis Praet vers Anderlecht fut un nouveau coup dur. Et un épisode difficile à avaler. Au Sporting, par contre, on s’en félicite. Voilà que débarque une version plus jeune que Kevin De Bruyne, devenu impayable, pour pas un rond. Un an plus tard, David Henen est la nouvelle grande promesse transféré. Et ici, c’est le Standard qui fait la moue puisque le Sporting n’a pas déboursé un radis. Pas très sport entre gentlemen non ?

Legear-Praet : même combat

 » Ce pacte de non-agression, c’est une vaste blague « , souligne Emile Servranckx, administrateur du RSCA.  » A partir du moment où les clubs étrangers viennent se servir sans vergogne en Belgique, pourquoi n’adopterions-nous pas la même attitude chez nous ? Les autres ne sont pas plus respectueux que nous. D’accord, nous avons attiré Praet en fin de saison passée. Mais cette année, c’est Genk qui a fait mis main basse sur trois de nos promesses. Désolé, mais c’est chacun pour soi. Et le Standard ne doit sûrement pas nous faire la leçon non plus, lui qui fut le premier à déloger un joueur, Genaux, au Sporting Charleroi. Notre volonté n’est pas de dépouiller un rival. Si nous avons mis le grappin sur Jonathan Legear jadis, c’est parce qu’il n’avait pas abouti à un terrain d’entente avec la direction liégeoise. Et dans le cas de Praet, nous avions également de meilleurs arguments à faire valoir.  »

Déforcer la concurrence ?

Au Standard, on prend les derniers événements avec distance, du moins en façade. Pierre François, son directeur général :  » Lors du dernier Standard-Anderlecht, j’ai dit à mon homologue mauve Herman Van Holsbeeck, sur le ton de la plaisanterie, que c’était désormais 1-1. On a transféré Anic Koc et Anderlecht, David Henen. Mais je tiens toutefois à préciser que notre but n’est pas de chiper des joueurs aux autres. On ne se dit pas en début de saison : -On va piquer deux joueurs à Genk et trois à Anderlecht. Si le Gentlemen’s agreement n’est plus évoqué par personne, il ne faut pas non plus accentuer le phénomène que vous évoquez. Au Standard, ce que l’on veut d’abord mettre en avant auprès des jeunes intéressés de nous rejoindre, ce sont en priorité notre formation, nos installations, l’encadrement du joueur et son suivi. Pas question d’offrir des voitures ou quoi que ce soit. Chez nous, un joueur comme Koc reçoit un simple contrat d’aspirant. Et la priorité dans son développement reste sa scolarité. Malheureusement, l’envie d’aller trop vite existe, certains jeunes sont souvent poussés par leur entourage.  »

Comme ce fut le cas pour Henen ?  » Peut-être, oui « , conclut Pierre François.

Si beaucoup sont d’avis qu’il faudrait lever le pied, que ces débauchages n’encouragent guère une paix des ménages déjà difficile à atteindre, le jeune est un marché crûment porteur, surtout pour des clubs belges incapables de rivaliser avec les liasses venues de l’étranger.

 » Un club du top doit continuer à aller chercher les meilleurs joueurs dans des clubs plus petits du type Westerlo ou Saint-Trond « , assure Jos Vaessen.  » Dans des grands clubs, le jeune bénéficiera de meilleures infrastructures et d’une meilleure formation. Et celui-ci, s’il n’est pas à niveau pour l’équipe première pourra peut-être renforcer celle d’un plus petit club. L’inverse n’est cependant pas vrai ou alors très rarement. « 

PAR THOMAS BRICMONT

 » Aujourd’hui, vous pouvez dire que tous les coups sont permis.  » (Jos Vaessen, Genk)

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