Non au capitalisme sauvage

Voici comment le président politicien de Tubize, homme omniprésent dans la vie belge, a complètement assaini un club aux portes de la D2.

A Tubize, on dit parfois que ce petit coin de notre pays est passé, en un saut, du XIXe au XXIe siècle. Il fut un temps, pas si lointain, où 12.000 personnes travaillaient chez Fabelta, un géant du textile, ou dans la sidérurgie. Ce sont des souvenirs. « Ils font partie de la mémoire collective et nous ferons le nécessaire pour qu’on n’oublie pas ce passé », avance Raymond Langendries, le président de l’AFC Tubize. Il faut désormais passer à autre chose sur le plan économique car cette région a perdu près de 25.000 postes de travail en 30 ans.

Les Forges de Clabecq se sont éteintes et ne colorieront plus jamais le paysage. A Ittre, il ne reste plus que 450 sidérurgistes. Ils travaillent l’acier à froid. Mais, vu la précarité de ce secteur, tellement sensible aux lois du marché, leur avenir est incertain. Tubize a subi beaucoup de coups mais ne regarde ni à bâbord, ni à tribord, mais droit devant. L’avenir est à l’horizon. On voit des grues un peu partout. Elles construisent des maisons, des appartements, des zonings, des quais à Quenast, petit frère du port de Bruxelles, un parc de loisirs, et s’apprêtent à effacer les rides industrielles afin de pomponner, de rafraîchir le visage de la région.

Cet optimisme retrouvé attire le regard de nouveaux investisseurs. Dans un restaurant, nous avons croisé des industriels de Tubize qui travaillent pour Ariane et les différents programmes spatiaux européens. C’était impensable il y a une dizaine d’années. Le sport, dont le football en particulier, participe au redéploiement de Tubize où on ne parle plus de grèves. « Le ballon rond contribue à donner une autre image de marque à Tubize », lance Raymond Langendries. Au train où vont les choses, le stade Leburton sera bientôt la demeure d’une équipe de D2. Où s’arrêtera le Tubize de Raymond Langendries, bourgmestre, président du club, député fédéral du CDH? Son club imitera-t-il Mouscron, La Louvière ou Mons? Comment l’ancien président de la Chambre appréhende-t-il les énormes problèmes qui secouent le foot belge au plus haut niveau.

« Une chose est sûre: aucun dirigeant n’a jamais mis un franc de sa poche dans ce club », dit Raymond Langendries. « Et cela n’arrivera jamais. Je n’en ai personnellement pas les moyens et ce n’est pas sain. Tout ce que les administrateurs payent, c’est leur cotisation, 125 euros par an. A côté de cela, il y a les tournées au bar à l’heure de la troisième mi-temps. Et après le succès contre l’Olympic, par exemple, j’ai offert le champagne aux joueurs.Les clubs qui ne dépendent que de la générosité d’un mécène vivent tôt ou tard des problèmes. Les exemples sont nombreux ».

En D3, le budget de ce club avoisine les 625.000 euros. Un étage plus haut, il s’agira de flirter avec le million d’euros.

Un challenge à la Detremmerie

Tubize perce au moment où le football belge s’inquiète. Ne craignez-vous pas d’arriver en D2, puis peut-être en D1 plus tard, à un mauvais moment?

Raymond Langendries: Notre aventure est finalement une suite de challenges et cette aventure avait été entamée avec Théo Buelinckx qui nous aida tant à passer de la P3 à la D3. Quand j’ai accepté d’assumer la présidence, j’ai fixé trois conditions: effacer les dettes en deux ans, décrocher deux titres en cinq saisons, fusionner les clubs de Tubize. On a largement atteint ses objectifs sans brûler les étapes, en assurant ses arrières sur le plan financier car ce club n’a jamais dépensé plus que ce qu’il possédait. Un euro, c’est un euro.

Il y a dix ans, j’ai lancé un autre défi: la D1 dans 10 ans. C’était un challenge à la Detremmerie à Mouscron. Nous sommes désormais aux portes de la D2. Théo Buelinckx nous a quittés il y a deux ans. Après 12 ans, il y avait eu un phénomène d’usure du pouvoir. Théo a affirmé lui-même que le choix de Philippe Saint-Jean était excellent. Ce dernier avait son expérience de formateur dans les bagages: Braine, Mouscron et Union Belge. Cet atout, sa jeunesse et son désir d’aller loin étaient des cartes importantes.

Tubize progresse, se situe à l’endroit où s’érigera bientôt le futur centre national de l’Union Belge: c’est un contexte idéal pour se révéler. Nous ferons de plus en plus confiance aux gars du cru car ils sont bien formés. En D2, Tubize se renforcera avec un ou deux nouveaux joueurs, pas plus, et lancera des jeunes. Il ne sera jamais question d’imiter Beveren qui, à mon avis, est condamné à disparaître à moyen terme car toute identification avec ses racines a été réduite à néant. Les Ivoiriens sont certes de bons joueurs mais cette arrivée massive a dénaturé le club. Il doit y avoir une philosophie derrière un budget. En D2, nous n’engagerons pas d’anciennes gloires de l’élite. Trop cher et cela ne correspondrait pas à notre engagement en faveur de la formation, le leitmotiv de ce club.

La D1 dont vous rêvez devrait être réduite bientôt à 14 clubs, par la Ligue Pro ou la réalité économique: où vous situez-vous par rapport à cette évolution?

Si le principe d’une D1 à 14 se dégageait, Tubize ne jouera pas en D1. Mais les choses peuvent aller vite et on reparlerait, je crois, d’une ligue belgo-hollandaise. Notre club n’aurait évidemment pas sa place dans ce concert. Si cette hypothèse devenait réalité, il pourrait y avoir apparition, un étage plus bas, d’une D1 belge, une espèce de First Division, comme en Angleterre, qui pourrait être intéressante. Mais, en fait, l’élite à 14 est une mauvaise idée et je préfère une D1 dans sa forme actuelle et même portée à 20 clubs. Oui, avec une licence. Mais il faut prendre des décisions, changer des caps et moderniser sans quoi le football sera rayé de la carte dans cinq ans.

Les grands clubs ne sont pas nécessairement des modèles à suivre au niveau de la gestion. Le Real Madrid a dû vendre une partie de ses biens immobiliers afin de boucher les trous et de payer des stars à prix d’or. En Formule 1, il y a un Michaël Schumacher mais on a des centaines de bons footballeurs qui ne peuvent pas être payés comme Schumi. Les clubs ont beaucoup trop de joueurs et les masses salariales alourdissent les trésoreries. C’est le cas en D1 mais aussi dans les séries provinciales où certains gagnent parfois 500 euros par mois. La D1, surtout les grands, mise beaucoup sur les droits de télévision. Mais la poule aux oeufs d’or va mourir: pour amortir leurs dépenses, les télés diffusent trop de football, des matches de notre championnat, d’autres pays ou des chocs européens et il y a saturation.

L’avenir ne passe pas par là mais par des gestions plus serrées. Il faut que les clubs s’entendent et fixent des enveloppes à ne pas dépasser sur le marché des transferts. Actuellement, c’est le capitalisme sauvage. Les agents de joueurs en profitent. Quand un joueur se présente chez nous, je lui demande s’il a un manager. S’il désire être accompagné, je préfère en rester là. J’estime qu’un joueur doit être capable de se gérer lui-même, de se définir, de fixer ses propres désirs par rapport à une offre. S’il est mûr, il n’a besoin de personne. Quand Tubize donne sa parole, il la tient. Mais les joueurs préfèrent parfois des promesses qui ne seront pas tenues, même en D1…Une base de 80 bénévoles!

Tubize est donc plus pro que certains clubs de D1, qui sont parfois des miroirs aux alouettes?

Quelque part, c’est vrai Tout reste à faire chez nous. Même en D3, nous avons des installations de séries provinciales. Mais, dans sa structure au quotidien, ce club est bon pour la D2. Nous avons près de 80 bénévoles qui assument un travail remarquable. C’est une des bases du club. Rien n’est envisageable sans eux. Il y a un effet d’entraînement et Tubize se redéploie via la culture, l’économie, l’industrie et le sport. Notre percée n’est pas comparable à celle de Mons, de La Louvière ou de Mouscron: nous arrivons de beaucoup plus bas.

Les similitudes avec Mouscron sont évidentes: identification à un renouveau régional, politique des jeunes, etc. Mens sana in corpore sano.

Nous tenons à cette idée de club sain. Je vois souvent Jean-Pierre Detremmerie à la Chambre. Nous échangeons nos idées. Mouscron s’appuie sur la Flandre et le nord de la France. Pour nous, Bruxelles est d’autant plus un atout que nous avons tourné la page du passé et le ton est à l’optimisme, ce qui intéresse les investisseurs, notamment grâce au football.

Ailleurs, il y a des stades vétustes: pourquoi certains sont-ils opposés au projet de voir, par exemple, La Louvière disputer ses matches à domicile au Mambourg?

Là aussi, il faut tourner la page, avoir de nouvelles idées et habitudes pour avancer. Si les Loups peuvent y être gagnants, notamment sur le plan financier, pourquoi pas?

Tubize n’a pas encore ce genre de soucis mais bientôt y sera érigé le Centre NationalEuro 2000sur un terrain de 12 hectares appartenant à la province du Brabant Wallon. Avec le Stade Paul Van Himst, des terrains et autres infrastructures pour un montant de 8.750.000 eurosdont cinq millions seront financés par l’Union Belge et le reste par la Région Wallonne…

Tout est bouclé et les travaux commenceront cette année. Cela assurera un retentissement à Tubize. Si le projet a pu aboutir, c’est aussi parce que le terrain se situe des deux côtés de la frontière linguistique et à deux pas de Bruxelles. Il y a toute une symbolique et, personnellement, je suis opposé à la scission du football belge qui serait un appauvrissement. Il y a quelques années, lors d’une conversation d’après match, des dirigeants d’Anderlecht, ennuyés par leurs problèmes avec la commune, m’avaient demandé si je n’avais pas de terrains pour leurs jeunes. J’ai répondu par l’affirmative et Constant Vanden Stock est revenu plus tard avec Michel D’Hooghe et le projet de l’Union Belge. Ce projet colle à la vision que Tubize a du football.

Pierre Bilic

« Il faut moderniser, sans quoi le foot sera rayé de la carte dans cinq ans »

« L’élite à 14 est une mauvaise idée »

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