Noir, jaune, beur

L’adjoint d’Etienne Delangre avait tapé dans l’oeil d’Abbas Bayat le 8 janvier dernier.

Alors que le football bruxellois traverse une crise profonde, un gars de la capitale fait son entrée dans le monde de la D1: Khalid Karama. Charleroi lui a demandé de soutenir Etienne Delangre et de devenir son adjoint. Il a accepté ce défi avec sourire et ambition: « C’est la chance de ma vie et je bosse 24 h sur 24 pour mon club ».

A Bruxelles, toute la famille du football connaît Khalid qui fut un fin technicien, un enfant des parcs où son crochet faisait merveille. Karama avait tout pour faire du chemin, même en D1, mais ne fut jamais conseillé judicieusement. Il flirta avec la célébrité, sans la connaître, fut deuxième du référendum Panini de la Révélation de l’année en D2 (derrière Luc Nilis! ) mais ne décolla pas.

Pourquoi ne fut-il pas le premier enfant de l’immigration marocain à fouler longuement les terrains de l’élite avant Momo Lashaf ou Nordine Moukrim? Etait-il plus difficile à son époque de percer avec du talent nord-africain dans sa valise? Probablement mais Khalid avance une autre explication qui tient la route: »Mes parents ne voulaient pas entendre parler de football avant que je termine mes humanités. Je n’ai pas été éduquésur le plan footballistique. « J’ai modelé mon jeu dans les parcs bruxellois et ce n’était pas suffisant ».

A 18 ans, il signe sa première affiliation au White Star Malou, près de chez lui. Plus tard, Jean-Pierre Janssens le renseigne à l’Union St-Gilloise. Il y jouera notamment avec Danny Ost, l’entraîneur de Strombeek, et en D2 devient petit à petit une figure connue du football bruxellois. A un point tel que son magasin d’articles de sport de la place St-Josse fut même un point de ralliement pour ceux, malchanceux ou sans papiers, qui avaient envie de réussir via le football. Khalid avait toujours un bon conseil à leur donner.

La vie commence à 40 ans

« Il y a encore un gros potentiel à exploiter dans les séries inférieures », prétend-il. « Beaucoup de bons joueurs atterrissent dans des petits clubs parce qu’il y a eu des erreurs d’aiguillage ou pas d’aiguillage du tout ».

En France, Luis Fernandez et Zinedine Zidane ont été repérés dans des quartiers défavorisés avant de fréquenter des centres de formation. Ce fut le cas, aussi, de Khalilou Fadiga ou de Christian Negouai même si l’itinéraire de ces deux derniers joueurs fut un peu plus compliqué.

« Cela vaut la peine de suivre ce qui se passe dans les petites séries, même provinciales », ajoute Karama. « Les managers ne s’y perdent pas car il n’y a pas grand chose à gagner et les clubs en vue n’ont pas le temps, ou parfois la volonté, d’aller y pêcher des joueurs inconnus. Pourtant, il y a des exemples de jeunes venus de nulle part qui réussissent au top: Luc Ernès, Daniel Van Buyten, Philippe Albert, etc. On peut en trouver dans les petits clubs bruxellois aussi ».

Khalid Karama est né en 1962, à Meknès, une des grandes villes du Maroc. Huit ans plus tard, il débarque à Bruxelles où son papa décroche un travail à la STIB. De club en club, il devient joueur, joueur entraîneur puis, logiquement, coach. En cours de saison passée, son club, Uccle-Léo-La Forestoise, se mesure au Sporting de Charleroi. Abbas Bayat et Enzo Scifo sont épatés par l’occupation du terrain prônée par Karama. Son équipe balade Charleroi, ne fait pas de complexes. Bayat retient le culot de ce coach basané et Enzo promet de le rappeler.

« Ma vie a basculé ce 8 janvier 2002 », affirme Khalid Karama. « Je crois en Dieu et quand on mérite quelque chose, à la fin, on finit tout de même par l’obtenir. Mon chemin a déjà été long. Il fallait un déclic, que quelqu’un me remarque, me fasse confiance, ose me lancer dans le bain. Enzo Scifo avait changé de cap quand Abbas Bayat me contacta. Le président me demanda si je voulais devenir le bras droit d’ Etienne. Je serais venu à pieds s’il le fallait. C’était la manifestation de confiance que j’attendais depuis longtemps. Je me suis engagé à fond dans ce défi. A 40 ans, j’étais arrivé à un tournant important. Le risque était grand que je reste à jamais dans les séries provinciales ou, éventuellement, à la tête d’un club de Promotion. Je ne renie pas tout ce que j’ai vécu, c’est ma richesse, mais j’étais certain de pouvoir bien faire mon travail en D1. Cela a toujours été ma passion et Abbas Bayat m’a permis d’en faire mon métier ».

A sa façon, Karama démarre au top en surgissant des caves du foot comme le firent René Taelman, Manu et Emilio Ferrera, Tom Frivaldszky, Freddy Smets ou Danny Ost. Plus bruxellois qu’eux, tu meurs mais ils ont souqué avant de se faire un nom. Karama sait que rien ne sera facile dans cette saison. Le robinet a été fermé et la récolte des transferts est maigre, mais Karama sera un adjoint moderne. Il ne se contentera pas de déplacer les cônes lors des séances de travail des Zèbres. Le Bruxellois veut vivre son trip à fond.

Moins de lettres de noblesse

« C’est lui le chef, l’homme des décisions et des axes de travail », dit-il. « Le courant est tout de suite passé. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’Etienne Delangre a de la personnalité et une vision positive du football. Il a son passé en tant que joueur mais aussi son acquis de prof à l’école des entraîneurs. La vie d’un groupe n’a aucun secret pour lui.Nous sommes complémentaires. J’ai toujours été un adepte du jeu technique mais il connaît les dures réalités de la D1. Nous sommes jeunes tous les deux, l’envie de réussir est la même ».

Par rapport à Enzo Scifo et Dante Brogno, le duo Delangre-Karama n’a pas les mêmes lettres de noblesse. Ce ne sont pas des Hennuyers, non plus. Cette distance émotionnelle constituera peut-être un plussi on les compare aux gars du terroir.

« L’avenir nous l’apprendra mais nous savons que cette ville vibre pour le football », lance Karama. « Elle ne demande qu’à retrouver une équipe vive et qui va au charbon. Je n’ai pas à juger le passé. Mais ce groupe est animé par une envie de revanche. Le désir de faire quelque chose de bien m’a tout de suite frappé. On a l’impression d’avoir un bloc, un collectif alors que ce ne fut peut-être pas toujours le cas précédemment. J’ai eu l’occasion de parler avec pas mal de joueurs: ils avaient besoin de dialogue. Il y a des potentialités afin que ce club, prenne un nouvel élan. Je ne dis pas que ce sera facile mais c’est possible et les joueurs le savent.Cela bosse à Charleroi. Rien ne sera aisé et tout passera par 34 examens tout au long de la saison. Alors, comme à l’école, ce ne sont pas toujours les plus doués qui obtiennent un diplôme. Ceux qui vont aux cours et s’appliquent même si c’est dur, réussissent parfois plus facilement que les grosses têtes ».

N’empêche, la nouvelle blessure de Miklos Lendvai et une division offensive trop maigre devraient mettre la puce à l’oreille des décideurs du Sporting. La saison passée, il y avait eu des tiraillements entre le président et Enzo Scifo. Car, quoi qu’il en dise, Abbas Bayat incita plusieurs fois Enzo Scifo à aligner les joueurs iraniens. Seul Daryusz Yazdani faisait alors l’unanimité. Or, trois nouveaux joueurs perses sont arrivés chez les Zèbres…

« Le plus important est que le groupe soit sain », coupe rapidement Karama..

Le prestige d’ Enzo Scifo en tant que joueur était immense, peut-être écrasant pour certains joueurs. « Une page a été tournée. Ce n’est pas à nous de juger ce qui s’est passé ».

Pierre Bilic

« Je serais venu à pieds »

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