Noir désir…

Le Gabonais de l’Albert sait ce qu’il veut dans la vie et sur un terrain de football.

Droitier jouant à gauche, Dieudonné Londo (26 ans) est visiblement à l’aise en D1: c’est son trip, un monde dans lequel l’attaquant montois s’exprime avec beaucoup de bonheur. Ses déboulés peuvent affoler les meilleures défenses du royaume. Chaloupés et syncopés, ses raids étaient parfois dépourvus de la touche finale en début de saison, mais il a désormais trouvé la bonne distance, la synchronisation entre le pivot offensif qu’est Cédric Roussel et la ligne médiane.

Le Gabonais était entré dans l’histoire en marquant le but qui, lors du tour final la saison passée, face à Ingelmunster, avait permis à ses couleurs d’accéder à l’élite. Il ne compte pas en rester là car le bougre veut réussir en Europe. Bien éduqué, s’exprimant avec soin, il a déjà pas mal voyagé.

Dans son pays, international à 18 ans, il joue à USM avant d’éclater à Mbililindga. Chemin faisant, il prend part à la Ligue des Champions d’Afrique et signe deux très bons matches face à un des géants de son continent natal: le Raja Casablanca. Les Marocains sont sous le charme et ne tardent pas à le contacter.  » Je n’ai pas hésité à accepter leur proposition », raconte Dieudonné Londo. « J’étais bien au Gabon. Je gagnais mieux ma vie que le commun des mortels. Je pouvais aider mon père, mes trois frères et mes trois soeurs. J’étais le petit dernier d’une famille qui a trop viteperdu sa maman. Aller au Maroc, c’était une façon de me tester, de voir si j’étais capable d’atteindre la destination que tous les Africains ont en tête: l’Europe. C’est ici que cela se passe, pas en Afrique, hélas… »

Expériences marocaines

Au Raja, Londo découvre une ambiance électrique. Le club est bien organisé, les installations sont tout à fait excellentes, mais la pression médiatique et populaire y est intense. « Quand on résiste à cela, on tient le coup partout… », dit-il. « J’avais un contrat assez spécial, qui pouvait être rompu tous les deux mois par le club. Il y avait toujours une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. A la longue, c’était pesant, même si je suis devenu plus fort dans ma tête. Les supporters du Raja mettaient le paquet. Après une défaite, ils étaient capables de démolir votre appartement et la voiture au passage. Je me souviens d’un gardien de but qui a quitté le club après avoir commis deux erreurs. Il ne se sentait plus en sécurité. Cela montait encore d’un ton avant et après les derbys contre le WAC. La ville était alors en transes. Mes voisins m’interdisaient de sortir avant un tel choc, ils faisaient les courses à ma place car je devais, disaient-ils, me reposer afin de bien jouer contre le WAC ».

A Casa, Londo participe à la conquête de trois titres nationaux, voyage à travers toute l’Afrique. Un apprentissage exceptionnel sous la gouverne, durant près d’un an, de Vahid Halilhodzic. Le coach bosniaque était dans le creux de la vague, avait tout perdu durant la guerre civile qui ensanglanta son pays et posa les premiers jalons de sa nouvelle carrière marquée ensuite par l’éclosion lilloise. « Halilhodzic a évidemment joué un grand rôle dans ma vie de footballeur », avoue Dieudonné Londo. « Ce coach était dur, extrêmement exigeant à chaque instant. Je suis devenu un vrai professionnel au Raja. Au Gabon, le football était encore un jeu pour moi. J’ai appris que c’était aussi à la mort, à la vie, et qu’il fallait parfois oublier le beau jeu pour imposer sa loi à la fin d’un match. Le réalisme fait partie du football. C’est un métier difficile et il faut travailler tous les jours pour progresser « .

En 2000, Londo rentre au pays afin de préparer la CAN. Il prévient les dirigeants du Raja: pas question de revenir à Casa si la clause des deux mois n’est pas rayée de son contrat. Les Marocains refusentet il décide de ne plus jouer pour son ancien club. En fait, il mise sur la CAN afin d’attirer le regard des grands clubs européens qui sillonnent l’Afrique et ne ratent pas un tel événement. Hélas pour lui, le Gabon passe à côté de son sujet. Personne ne le contacte et il passe un peu de temps au FC 105, un club militaire de son pays.

Mons, son deuxième tremplin

Dieudonné Londo se souvient alors de l’intérêt qu’un Belge avait exprimé pour lui, au Maroc, après un Raja-WAC de tous les diables. Le Bruxellois Francis Macor était là. Il est connu dans le milieu et organise souvent des matches amicaux avec des joueurs inconnus, des gars sans contrat ou débarquant parfois dans la capitale sans tous les sésames requis. Londo lui passe un coup de fil: Macor constate qu’il est libre de tout contrat et l’invite à venir en Belgique.

Londo débarque après un petit crochet au Portugal où il a embrassé son frère qui joue alors à Braga. Son conseiller bruxellois le présente à Mons. Le staff technique n’est pas chaud mais le directeur sportif, Geo Van Pyperzeele, insiste. L’essai est totalement positif: Thierry Pister veut l’engager sur-le-champ. Un choix qui sera payant car Londo ne tarde pas à bien se fondre dans le groupe. « Par rapport au Raja, c’était alors, sur un plan purement sportif, un pas en arrière. Mais j’avais atteint un de mes objectifs: jouer en Europe. Le reste dépendait de moi. Le Raja avait été mon premier tremplin, Mons doit être le deuxième ».

Après un an, Mons prend part au tour final de D2 mais rate l’ascenseur pour le paradis. L’Albert renforce alors sa division offensive avec le recrutement de TomaszHerman, Pascal De Vreese, etc. Mons vit une saison chaotique, Thierry Pister cède sa place à Michel Wintacq qui qualifie le club pour le tour final. « J’étais très heureux sous les ordres de Thierry Pister », dit-il. « Il m’a beaucoup aidé et ses conseils m’ont été précieux. Il croyait en moi, Wintacq moins. Il m’a écarté après un moins bon match et l’équipe a ensuite signé une belle série. Rien à dire: on ne revient pas facilement dans ces conditions. Je ne me suis pas plaint, je n’ai rien demandé au coach, je n’ai pas dit un mot dans la presse: je n’avais pas envie de foutre la merde alors que tout baignait dans l’huile ».

Dans un retournement de situation très rouge et blanc, Wintacq, dont les mérites étaient évidents et sans qui le RAEC ne se serait pas qualifié pour le tour final, est démis au profit de Marc Grosjean. Ce dernier emmène le groupe avec rage vers la D1. « Je me suis luxé l’épaule face au Cercle de Bruges et j’ai raté deux matches du tour final », raconte Londo. Mons mérita sa promotion dansle sueur et le stress. Une cargaison de joueurs expérimentés débarqua alors. Bonjour la concurrence. C’était visé juste et les Dragons n’ont pas le feu au cul en D1. Ils ont rapidement compris que chaque match serait une lutte.

« A Beveren, nous avons tout de suite pris une solide leçon de réalisme », concède Londo. « Pour nous, c’était une fête alors que Beveren sortait des tranchées pour aller à la guerre ». Le message de Marc Grosjean est vite passé: tout en jouant bien au football, Mons a serré sa garde. Le coach des Dragons connaît bien le football africain. Du temps de la première période de gloire du défunt FC Seraing, il était le stoppeur attitré de la phalange de Georges Heylens. Sur l’aile gauche, un certain Jules Bocandésaupoudrait ses adversaires de pili-pili, et quand cela ne piquait pas assez, il sortait un de ses grigris à rendre fou.

« Tout va plus vite en D1 »

Londo n’a pas les mêmes atouts physiques mais la réussite du Sénégalais peut l’inspirer. « Il y a deux grandes différences entre la D1 et la D2 », résume-t-il. « Tout va cent fois plus vite en D1. Il faut penser, jouer, réagir, se replacer à la vitesse du son. En D2, on peut rectifier une erreur, mais en D1, c’est souvent décisif, fatal. Marc Grosjean a fixé un cadre tactique. Moi, je sais que je dois surveiller mon couloir. Je dois y soigner mon boulot défensif mais cela ne veut pas dire que je dois sacrifier mes atouts comme la vitesse et la technique. Il faut que je trouve un bon équilibre dans toutes mes obligations. Bien que droitier, je me sens mieux à gauche. Je peux rentrer dans le jeu,surprendre des adversaires habitués à contrer le plus souvent des gauchers dans leur secteur. Cela ne veut toutefois pas dire que mon gauche ne sert à rien: mes centres de ce pied sont quand même bons »…

Le Gabonais habite à Ghlin. Sa femme Christel et son fils Johann (deux ans et demi) sont en Afrique pour le moment mais ne devraient pas tarder à revenir en Belgique. Londo est fier de son pays: 267.667 kilomètres carrés pour à peine 1.226.000 habitants. La capitale, Libreville, est un centre commercial important car, dans cette ancienne colonie française, on trouve du pétrole, du fer, du manganèse, de l’uranium, des bois précieux, etc. Le football sera-t-il son nouvel or noir? Mons a mis la main sur une pépite mais Londo est réaliste:  » Il y a du talent chez nous mais le Gabon n’aura jamais l’impact du Cameroun, du Sénégal ou du Nigeria ».

L’Albert n’est pas loin de la France, a des accords avec le PSG: Dieudonné rêve-t-il de prendre part à une aventure chez nos voisins du sud? Pas pour le moment: l’étape montoise sera importante s’il veut vivre un jour une Grande Boucle.

Pierre Bilic

« éa se passe ici, pas en Afrique. Hélas… »

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