Nico, Chris et Prune

Evocation de 27 ans de légende entre les perches du Standard.

De 1959 à 1986, trois derniers remparts se sont succédé de manière durable entre les perches du Standard. Vingt-sept ans!

Vingt-sept ans au cours desquels, tels les francs-maçons, bâtisseurs de cathédrales, ils se sont refilé de petits et de grands secrets. Dans les vestiaires, le Vénérable instruisait l’Apprenti. Jusqu’au jour où celui-ci revendiquait dans la déférence le titre de Grand Maître.

Vingt-sept ans séparent l’intronisation de Jean Nicolay et le départ de Michel Preud’homme pour le FC Malines. Entre les deux pôles, un homme. D’un niveau comparable à celui de son devancier ainsi que de son successeur: Christian Piot. Charnière centrale. Indispensable relais. Lui-même formé par Jean Nicolay, il s’appliqua à enseigner le savoir accumulé à Michel Preud’homme.

Jusqu’ici, ces monuments n’avaient fonctionné que par couple: Nicolay-Piot, Piot-Preud’homme, Preud’homme-Nicolay. Un peu à la manière de maillons s’ajoutant à d’autres maillons sans fermer la chaîne. A l’aube de l’exercice 2001-2002, tout laisse à penser qu’enfin, la boucle sera bouclée: Nicolay, Preud’homme et Piot devraient travailler de concert à Sclessin.

Un peu prématurément sans doute, il fut annoncé que Piot remplaçait Nicolay. C’est vrai au niveau du quotidien. C’est encore vrai au niveau du terrain. Ça ne le sera pas dans les faits pour peu que l’on adopte une vision globale.

Michel Preud’homme explique: « Jean se trouve à un an de la pension. Physiquement, je sentais que cela devenait dur pour lui. Je dis cela avec respect, vu que personne n’est mieux placé que moi pour évaluer la valeur de ses entraînements. Si l’on excepte mon cas, il a aussi beaucoup apporté à Bernard Lama, qu’il a côtoyé à Metz. Ce n’est pas pour rien que j’ai insisté autrefois afin qu’il me rejoigne à Malines. S’il l’avait souhaité, il m’aurait également accompagné à Benfica. Mais que faire contre les printemps qui s’accumulent? ».

Si aucune décision n’est officiellement tombée, un rôle de scout ou de recruteur devrait aller… comme un gant à celui qui est passé maître dans l’art d’évaluer un jeune portier. Assez curieusement, l’intéressé ne souhaite pas s’exprimer pour l’instant. Il dit simplement: « J’attends. On verra. Je devrais être fixé pour la reprise. Fin juin. »

Michel Preud’homme sait ce qu’il doit à son glorieux aîné. Ils sont amis. Plus peut-être. Si le gamin est aujourd’hui le boss, il se refuse à oublier un passé commun: « Nous avons encore besoin de Jean. »

Jusqu’au moment où Ernst Happel instaura des séances de travail spécifiques, le labeur des gardiens se bornait à servir de cible à des attaquants s’exerçant surtout à régler le viseur. Visionnaire, le stratège autrichien considérait comme évident d’adapter des méthodes particulières à un poste particulier. Vif d’esprit, Preud’homme retint la leçon. Au point de devenir à son tour un précurseur. Alors que Henri Depireux offrait une seconde jeunesse à son vieux pote Nicolay, Michel suivait avec intérêt le travail réalisé par ces deux ex-enfants terribles. A Winterslag d’abord. A Metz ensuite.

Lorsque l’opportunité se présenta, il attira Nicolay derrière les Casernes : « J’ai commencé à adorer le football au moment précis où Jean Nicolay terminait son parcours au Standard. Forcément, j’ai assisté à l’éclosion de Christian Piot. C’étaient mes deux idoles. Je les aimais. Je les admirais. Je voulais leur ressembler. Maintenant, pouvoir les réunir sera fabuleux! Personne n’aurait songé à remplacer un Jean dans la force de l’âge. Les choses étant ce qu’elles étaient, Christian s’imposait. Naturellement. »

Entre Jean Nicolay et Christian Piot, souffle un vent glacial. Le premier pense que le second a intrigué pour lui chiper sa place. Ce que dément formellement Piot: « Pas mon genre! Marcher sur les plates-bandes de Jean, hors de question. On ne bouscule pas un monument. Jadis, j’ai dit qu’à Sclessin, on devrait construire une statue à son effigie. Je le pense toujours. Bambin, lorsque je disputais des rencontres de rue ou de prairie, je voulais qu’on m’appelle « Nico ». Mon souhait est de pouvoir collaborer. Comme autrefois lorsque nous étions joueurs. Sachant que je devenais son grand concurrent, il n’a cessé de me prodiguer des conseils. Ce fut le cas durant trois saisons, puisque j’ai été incorporé très jeune au noyau A. Tout en gardant le style qui m’était propre, depuis le banc de touche, je tentais d’accrocher des trucs du métier. Je profitais de son expérience. Placement. Autorité. Surtout peut-être sa manière de commander la défense. Et son mauvais caractère! Car un gardien doit avoir un comportement spécial! »

A l’inverse de « Nico » et « Prune », le « Chris » n’a porté qu’un seul et unique maillot. Excepté les premiers pas effectués au FC Ougrée, juste de l’autre côté du pont, il est resté fidèle aux Rouches.

« Cependant, en deux occasions, j’ai failli partir. La première, lorsque le FC Barcelone s’est intéressé à moi. Johan Cruyff tenait absolument à ce que je le rejoigne au Nou Camp. Le manager du Barça m’a appelé. Il voulait répondre au souhait émis par Cruyff. Malheureusement pour moi, les clubs espagnols n’avaient droit qu’à deux étrangers. Finalement, Neeskens fut choisi. Logique. Il était possible de dénicher un bon gardien espagnol tandis que « Johan II » s’avérait irremplaçable. Plus tard, le FC Brugeois a frappé à ma porte. Mon contrat aurait été doublé. J’en ai avisé Monsieur Petit. Me regardant droit dans les yeux, il m’a dit: -Christian, vous pouvez partir. Votre prix est fixé à 20 millions! 20 millions dans les années 70, c’était une somme considérable. Six ans plus tôt, la Belgique s’était retrouvée sens dessus-dessous quand on avait annoncé la venue chez nous de Wilfried Van Moer pour 6 millions. Alors, pensez, 20 briques! A ma grande surprise, les dirigeants brugeois n’ont pas baissé pavillon. Ils sont revenus à la charge avec une proposition de 15 millions. Vous imaginez? Roger Petit est resté inflexible. C’était 20, pas 15. Je suis resté. Sans regrets. »

Ce n’est que plus tard, en tant qu’entraîneur, que Christian Piot se rendit coupable d’une infidélité en gravissant la montagne de Saint-Walburge. Robert Waseige l’attendait sur le plateau de Rocourt. Piot y resta cinq ans.

« C’était fou », rigole-t-il. « J’étais au FC Liégeois pendant que Jovan Curcic travaillait au Standard. Le monde à l’envers, en quelque sorte. » En réalité, il ne s’agissait pas de sa première expérience d’enseignant. Roger Petit, qui voyait toujours plus clair que n’importe qui, exigeait de ses vedettes qu’elles aillent en direction des enfants chaque mercredi après-midi. Voilà comment Christian Piot vit un jour arriver un chérubin de 10 ans aux grands yeux de la couleur du ciel en été. Très fin. Presque maigre.

« Doué, pourtant. Je me suis attaché à lui au point de tisser une réelle complicité. Il habitait à Strivay. Un village situé entre Seraing et l’Ourthe. Pour ma part, je résidais à Esneux. Il m’arrivait régulièrement de le ramener. Nous nous sommes liés d’amitié. »

Preud’homme s’en souvient. Tellement bien: « Christian a été mon premier entraîneur. Dire qu’un jour, j’allais lui succéder. Incroyable, non? » Et Piot de préciser: « Lorsque cette terrible blessure au genou a mis fin à ma carrière, j’étais heureux que Michel saisisse sa chance. Je me suis même rendu à Anderlecht, avec le genou prisonnier d’un plâtre. Parce que je voulais être là. A ses côtés pour sa première rencontre. Le fait que ce soit lui, avec qui j’avais beaucoup d’affinités, qui prenne ma place, m’a aidé à mieux vivre le calvaire que j’ai enduré. Je suivais tous ses matches. J’étais devenu son premier supporter. »

Il n’existera aucun problème hiérarchique, la saison prochaine au Standard. Piot sait à quoi s’en tenir. Preud’homme est le patron sportif. Il s’impatiente à l’idée de déguster une joie de vivre retrouvée. Il n’est pas très éloigné, le temps où, cherchant un sommeil qui fuyait, sa tête reposait sur un oreiller d’écume, tandis que son coeur cognait à s’en déchirer contre les récifs de la mémoire.

« La disparition du FC Liégeois a coïncidé avec mon divorce. Je me suis retrouvé dans les dettes. En reprenant passif et actif des commerces que nous gérions en couple, je ne m’attendais pas à déterrer de tels cadavres. Il ne se passait pas une semaine sans qu’un huissier sonne à ma porte. On m’a tout pris. J’en avais marre. Je me suis terré. Pendant deux ans, je n’ai plus vu mes copains. Je n’avais plus le téléphone. Personne ne savait exactement où je me trouvais. Durant ce laps de temps, le pire aurait pu se produire. Heureusement, j’ai rencontré ma compagne actuelle. Ensemble, nous avons redressé la barre. Lentement. J’ai retrouvé un boulot. Modeste. Il me plaisait puisque je regagnais pas à pas une vraie dignité. Je me levais très tôt le matin. Parfois à 4 heures. Parfois à 6 heures. Je livrais le pain dans les chaumières de la Province du Luxembourg. En ce début juin, je suis allé saluer mes anciens clients. Leur dire au revoir. Certains avaient les larmes aux yeux. Cela m’a réchauffé l’âme. Je me suis rendu compte que j’avais bien rempli mon rôle. J’étais une vedette, je me suis retrouvé dans la peau d’un pauvre livreur. J’ai exécuté cette tâche avec honneur. La considération de mes petits vieux m’a autant stimulé que les applaudissements qui crépitaient sur les gradins après un bel arrêt. Ce boulot, j’aurais très bien pu le continuer jusqu’à la retraite. Seul l’appel du foot est trop fort pour que je résiste. C’est ma vie. Ma vocation. Et puis, quelle aubaine de retrouver le Standard. Mon club… »

Daniel Renard

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