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Ni tracé ni tondu

Olivier El Khoury
Olivier El Khoury Ecrivain, supporter et fidèle milieu de terrain en P4.

La chronique Olivier El Khoury, écrivain, supporter et fidèle milieu de terrain en P4, revient sur les petits problèmes du foot amateur bien loin des considérations du mercato des grandes équipes.

Je l’ai bien vu changer de couleur, la gueule de Loïc. Il a eu du mal à raccrocher les crampons, mais au moins y a la buvette, il s’est dit. Là, il arrive pendant l’échauffement, il fait presque un peu beau, il sort de sa bagnole tout sourire et nous lance: « Paraît qu’y a une buvette, par ici. » Et nous, on apprécie sa bonne humeur, elle peut parfois durer jusqu’aux petites heures. Mais déjà, on voit le coach qui se dirige vers lui avec des dents bien blanches à la lui mettre à l’envers. C’est un comme ça, le coach. Il te met sur le banc avec une bonne tape dans le dos, comme s’il te rendait service, et ça passe. Le mot magique chez lui est un déterminant. « On n’a pas d’arbitre, « ma » biche, tu vas bien nous siffler ce match, hein, « mon » Loïc ». Et v’là Loïc qui troque sa tenue du dimanche pour un short trop grand, un t-shirt trop petit et un sifflet entre les lèvres.

Les transferts des Messi et Ronaldo, les Bruges et Antwerp qui arrosent le mercato, tout ça est bien loin de nos préoccupations.

Au milieu de l’échauffement, je m’en vais signaler à Polo que le terrain n’est pas tracé ni tondu. « T’es au courant? » Et lui de me répondre par une énigme, un « Non peut-être? » qui me paraît léger à vingt minutes du coup d’envoi. Il sort avec sa machine et il trace les premières lignes de la saison, le pauvre n’a plus beaucoup de points de repères. Et avec la carrure et la gueule qu’il tire quand il rend un service, on évite de lui faire remarquer que ses grands rectangles font deux fois la taille réglementaire. Il termine juste à l’heure. Pour la tonte, on reviendra.

Faut croire que les cieux n’apprécient guère la qualité de notre match parce qu’après quelques foulées, il se met à nous pleuvoir des tonneaux sur la tête. On a rapidement le maillot qui nous colle au corps et short et bas qui nous échappent. Le terrain devient une invitation aux tacles et c’est un miracle qu’on rentre aux vestiaires en 22 morceaux à la mi-temps. Loïc signale à Polo qu’il ne voit plus les lignes à cause de la pluie. Polo soupire, enfile son k-way, se colle un mégot sous la lèvre et s’y remet en patinant.

Une mare se forme sur le flanc, alors on sort les raclettes et on racle en choeur. On demande aux quelques spectateurs de se décaler et on balance les litres dans ce qui sert de tribune en espérant que ça s’écoule ailleurs. Polo nous gueule dessus moitié en rage, l’autre en wallon, comme quoi ça sert à rien de racler, mettez des plots. Mais comme il est si beau quand il s’énerve, on attend qu’il le répète trois ou quatre fois avant de les faire flotter.

On est prêts à repartir, on gigote un peu sur place en attendant la fin du traçage. Polo balance un « Allez-y, il me reste un rectangle, mais je ferai ça pendant un corner », alors coup de sifflet et ça repart. Il se remet à nous dracher dessus, mais ça ne nous empêche pas de passer un bon moment, ce sera juste une galère pour les mères ou les copines de tous ceux qui font toujours pas leur lessive eux-mêmes. À un moment, j’ai perdu le fil du score, je demande à mon adversaire qui ne sait plus trop non plus. Je me demande aussi contre qui on joue, mais j’ai appris à ne plus le formuler tout haut. Ça n’a plus d’importance quand ils nous plantent deux buts coup sur coup et qu’on comprend que c’est fini. Faut dire, le souper lasagnes de jeudi a laissé des traces dans les organismes, quand j’ai exigé une revanche à la belote après que mon carré de rois a été rendu caduc par un carré d’as. Foutu Phil!

Les transferts des Messi et Ronaldo, les Bruges et Antwerp qui arrosent le mercato, tout ça est bien loin de nos préoccupations. Les bas gorgés d’eau, les cheveux sur les yeux, les pieds dans la boue d’un terrain mal tondu, avec des plots en guise de lignes, la bière de fin de match en perspective et le « bien joué « mon » Oli » du coach, elle est là la vraie vie, il est là le vrai foot.

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