NI GLOIRE, NI ARGENT

Une moyenne de champion avec une équipe décimée. Quel est le secret ?

A 50 ans, Philippe Saint-Jean découvre la D1. Longtemps catalogué comme un entraîneur de jeunes, il lui a fallu réaliser des résultats probants avec Tubize en D2 pour que, subitement, des portes s’ouvrent. En fin de saison dernière, le nouveau mentor des Hurlus n’a eu, pour ainsi dire, que l’embarras du choix pour se lancer enfin parmi l’élite. Après quelques mois, on peut déjà dire que cela ne passe pas trop mal : 11 points sur 15, rien que des victoires à domicile et des partages en déplacement, un seul but encaissé (sur penalty à Lokeren). C’est quoi, la méthode Saint-Jean ?

 » Vendredi dernier, le journal LeSoir y a consacré un article en interrogeant des joueurs que j’ai côtoyés, depuis mes débuts jusqu’à aujourd’hui. Dans les grandes lignes, je m’y retrouve. Personnellement, je dirais que ma méthode est simple : j’observe ce qui se passe au sommet, lors d’une Coupe du Monde ou d’un Championnat d’Europe, et je me demande : que puis-je faire, au niveau où je suis (équipe de jeunes, équipe provinciale ou équipe de D1) pour tendre vers ce sommet ? C’est une remise en question permanente « .

Cet entraîneur hors normes, au sens premier du terme, s’est livré à quelques réflexions qui permettent de mieux cerner sa philosophie.

 » J’aimerais avoir dix adjoints  »

TRAVAILD’ÉQUIPE.  » Plutôt que parler à la première personne du singulier, je préfère parler à la première personne du pluriel. L’important, ce n’est pas moi, c’est nous. Je ne suis qu’un maillon de la chaîne. Je propose des solutions à mes joueurs, à eux de choisir celle qu’ils estiment la plus appropriée. Mes adjoints peuvent me contredire. Ils ont un rôle très important. Ce sont eux, notamment, qui perfectionnent les joueurs individuellement. J’adore travailler avec JeanLouisLosfeld : c’est un jeune entraîneur qui a la pêche et qui, rien qu’à le voir, me communique cette pêche tous les matins. Depuis huit ans, on se trouve les yeux fermés. Avec GilVandenbrouck et DidierVandenabeele, je pense pouvoir y arriver aussi. Cela marche déjà fort bien, mais au départ, je les ai sans doute trop bousculés dans leurs habitudes. Il faut former une équipe, et plus elle sera grande, mieux ce sera. J’aimerais pouvoir travailler avec dix entraîneurs. Et travailler en même temps avec les Aspirants, sur le terrain d’à côté. Le Futurosport s’y prêterait bien, et cela ne me dérangerait pas d’y émigrer avec l’équipe Première, afin d’avoir une vision sur tous les entraînements qui se donnent en ce lieu « .

TRAVAILINDIVIDUEL.  » Au sein d’un groupe, j’essaye de faire progresser chaque joueur individuellement. Pour l’instant, on effectue du travail individuel global une fois par semaine. Mais certains joueurs ont reçu un programme individuel quasiment quotidien. De ChristopheGrégoire, j’essaye de faire un international. De MarcinZewlakow, j’essaye qu’il le redevienne. Je constate avec plaisir qu’ AlexTeklak continue à progresser, alors qu’il avait stagné tout un moment. Que TonciMartic livre peut-être sa meilleure saison, alors que tout le monde le croyait sur la pente descendante. Je dirais même que… GeoffreyClaeys est actuellement au sommet de son art : il a atteint un niveau dont je ne l’imaginais pas capable. Pourquoi, alors, est-il réserviste ? Il a eu la malchance de prendre le bateau au mauvais moment. Lors des premiers matches amicaux, il était titulaire. L’équipe n’avait pas été brillante à ce moment-là, mais elle s’était améliorée lorsque j’avais introduit les plus jeunes ou les nouveaux. Geoffrey Claeys a été éliminé… tout comme Alex Teklak. Mais, alors que le premier a un peu baissé la tête, le second a travaillé d’arrache-pied. Il en a été récompensé assez rapidement. Comme la paire Teklak- Beloufa donne satisfaction, je ne peux actuellement récompenser ni Geoffrey Claeys, ni StjepanSkocjbusic, ni Olivier Besengez « .

Car pour Philippe Saint-Jean également, on ne change pas une équipe qui gagne : ce sont les 11 mêmes joueurs qui ont entamé les cinq premiers matches de championnat. Il sera obligé d’y apporter des modifications, dès vendredi à La Louvière : Koen De Vleeschauwer et Patrice Noukeu ont écopé d’un troisième carton jaune. Jean-Philippe Charlet, qui a pris un carton rouge direct, sera suspendu plus tard.  » Je me réjouis que les joueurs en attente aient gardé l’esprit. Geoffrey Claeys a refusé une offre du FC Brussels, où on lui garantissait pratiquement une place de titulaire, pour rester à Mouscron parce qu’il estimait pouvoir encore progresser. On peut s’améliorer à tout âge. Jadis, une formule que j’ai trouvée à Nantes m’a beaucoup frappé : – Celuiquirenonce àprogressercessedéjàd’êtrebon ! Depuis lors, je m’efforce de l’appliquer, là où je suis « .

 » Mon système est… très compliqué  »

L’ADHÉSIONDESJOUEURS. Assimiler le système Saint-Jean prend du temps. Il faut aussi que les joueurs y adhèrent.  » Au départ, je n’ai pas senti cette volonté d’y adhérer. J’intriguais. Les joueurs sont influencés par les résultats, et comme le premier match amical à Coxyde s’était soldé par une défaite 1-0 face à une équipe de 2e Provinciale, ils se sont demandé : – Pourquoicecoachveutilmodifiertoutesnoshabitudes ? Si j’ai voulu tout changer en une fois, plutôt qu’une chose à la fois, c’était pour gagner du temps. Je savais que le groupe recelait quelques joueurs très intelligents. Après une mauvaise répétition générale contre Troyes, un déclic s’est produit lors de la victoire contre Anderlecht. Les joueurs ont assimilé les bases du système plus rapidement que prévu. Mais, pour en assimiler la totalité, il faudra un an. Cette saison, je ne demanderai pas plus compliqué. Mais, pour la saison prochaine, j’ai déjà autre chose en tête… si je reste !  »

INTELLIGENCEDEJEU. Philippe Saint-Jean l’admet lui-même : son système est compliqué.  » Très compliqué. Je demande à mes joueurs d’analyser et de réfléchir. En match, ils doivent pouvoir choisir, parmi un panel de 50, 60 ou 70 actions que l’on a mises au point à l’entraînement, celle qui est la plus susceptible de mettre l’adversaire en difficulté « . Bref, quand on est moins fort, il faut essayer d’être plus intelligent.

4-3-3 ÀGÉOMÉTRIEVARIABLE. C’est le système qui a été le plus souvent utilisé. Mais ce dispositif évolue régulièrement en cours de match.  » Pas encore suffisamment à mon goût. Dans ce domaine, on n’est qu’à 50 % de l’objectif à atteindre. Ces modifications tactiques ont pour double but de perturber l’adversaire et de jouer sur nos propres qualités. Lorsque MarcSchaessens monte au jeu, par exemple, ses partenaires doivent savoir qu’il a une passe plus longue, plus rapide, plus instinctive. Et, aussi, qu’on doit peut-être défendre un peu plus de son côté. Donc, le jeu doit changer « .

POLYVALENCE.  » Tous les joueurs sont capables de faire différentes choses. On a trop tendance à les utiliser dans un rôle restrictif. Par exemple, on demandait toujours à Christophe Grégoire de centrer. Or, il a bien d’autres cordes à son arc… C’est un remarquable coureur à pied, à la fois rapide et endurant. Il a aussi un bon jeu de tête… qu’il n’utilise presque jamais. Son dribble est déroutant. Son tir de la droite est remarquable. Son tir de la gauche est différent, mais tout aussi remarquable. Sa conduite de balle, lorsqu’il rentre dans le jeu de droite à gauche, est très différente de celle qu’il a sur sa ligne « .

Raison pour laquelle le gaucher liégeois commence souvent les matches à droite. Raison, aussi, pour laquelle les attaquants permutent fréquemment.  » PatrickDimbala est un bon extérieur droit, mais aussi un bon centre-avant. Et il est encore plus difficile à tenir lorsqu’il part de la deuxième ligne « . Idem avec les arrières.  » Celui qui m’a le plus impressionné à l’entraînement, lors des frappes au but, c’est… Alex Teklak ! A la limite, pourquoi ne pourrait-il pas remplir un autre rôle que celui de stoppeur dans un match ? »

 » Raus ! Flits ! Oog !  »

LAGESTIOND’UNGROUPEDE26JOUEURS.  » Je n’avais pas demandé 26 joueurs. J’avais souhaité 20 joueurs de champ. Compte tenu du prêt de KevinPecqueux à Courtrai et de la blessure de TidianyCoulibaly, il m’en reste 24 sélectionnables. Cela m’a fait beaucoup de peine, le week-end passé, de devoir écarter six joueurs de l’équipe Première ( MichaelDescamps, JimmyHempte, BastienChantry, StjepanSkocjbusic, AbdoulayeSoumare et BobCousin) afin de les faire évoluer avec l’équipe Réserve contre Beveren. Face à Caen, en match amical, ils avaient été aussi bons que les titulaires habituels.

Pour les garder motivés, on s’occupe plus de ceux qui ne jouent pas que de ceux qui jouent. On leur parle énormément. On les fait travailler individuellement, pour qu’ils progressent et puissent briguer une place dans les 11. Par extension, on va aussi s’occuper plus intensivement de nos joueurs prêtés ailleurs (Kevin Pecqueux à Courtrai, MathieuDejonckheere à Deinze ou JulienCatrain à Tubize) à condition qu’ils demeurent performants et positifs dans leur approche. A l’avenir, on essayera même de prêter nos joueurs beaucoup plus tôt : ceux qui sortent des Juniors UEFA devraient déjà avoir la possibilité de jouer en Promotion « .

LELANGAGEDUFOOTBALL. Selon l’adage, il est universel. Pour mieux faire passer son message, Philippe Saint-Jean a inventé son petit esperanto à lui.  » J’aime utiliser les mots qui expriment le mieux ce que l’on veut dire. Qu’ils proviennent de la langue croate ou polonaise, peu importe. Par exemple, pour les sorties de défense, je ne crie ni en français (- Montez ! ne recèle aucune force) ni en flamand (- Opschuiven ! est trop long). Je préfère lancer, à l’allemande : – Raus ! Ça craque, ça gicle, et tout le monde comprend directement. Pour désigner une action individuelle, j’aime bien le mot flamand flits : traduit littéralement, cela signifie un éclair. Autre exemple : Marcin Zewlakow a une détente exceptionnelle et Patrick Dimbala a un démarrage exceptionnel. Mais, pour que cela fonctionne entre eux, il faut qu’ils se regardent. Alors, je crie : – Oog ! Pour : – Oogkontakt ! Contact oculaire. Encore un exemple ? Dans le vestiaire, j’ai collé une image d’ EricCantona invectivant un arbitre. Avec, en contrebas, une petite phrase précisant qu’en judo, le simple fait de regarder un juge-arbitre pour marquer sa désapprobation est une attitude disqualifiante. Aujourd’hui, lorsqu’un joueur s’énerve sur un arbitre, je lui crie simplement : – Cantona ! Il comprend directement… et l’arbitre, lui, ignore qu’il est question de lui « .

 » On n’a plus que le mot restriction à la bouche  »

LEBUDGET.  » Je suis content de pouvoir travailler avec RolandLouf. Lui aussi a envie de faire progresser les choses et nous sommes en consultation permanente. Malheureusement, nous sommes arrivés à Mouscron au mauvais moment, alors que le club connaît un certain essoufflement. Sur le terrain, on réalise de bons résultats, mais le revers de la médaille, c’est qu’on a l’impression qu’en diminuant encore le budget, on continuera à être performant. On avait vu la catastrophe arriver, et elle n’est pas survenue. Alors, on se dit : – Puisqu’onavaitréussiavecLuigiPieroni, etqu’onpeutaujourd’huisedébrouilleravecAlexLecomteetPatrickDimbala, ondoitpouvoirtrouverd’autresjoueursdanslesdivisionsinférieures ! Mais le réservoir n’est pas inépuisable. Ce n’est pas parce que ça marche avec 50 % du budget que cela marchera encore avec 25 % du budget. A Mouscron, on ne semble plus avoir qu’un mot à la bouche : restriction. Il faudrait recréer un nouveau dynamisme. Faire revivre l’ambiance d’autrefois. Essayer de repasser de 50 % à 55 %, afin de pouvoir garder les joueurs actuels qui arrivent en fin de contrat, et encadrer les jeunes. Cela, c’est le rôle de la cellule économique « . Tiens ? N’est-ce pas le genre de discours qu’avait tenu GeorgesLeekens ?

LAD1N’ESTPASTOUT.  » Je ne recherche ni la gloire, ni l’argent. Après une victoire, j’essaye d’apparaître le moins possible devant les caméras. Je préfère que l’on interroge les joueurs. En revanche, je prends toujours en charge une défaite, car elle est plus dure à gérer. J’ai toujours déclaré que je sacrifierais volontiers ma carrière en D1 pour que l’équipe tourne bien. Et, si l’on m’avait demandé de choisir entre 30 ans avec Braine-l’Alleud, qui aurait progressé pas à pas, ou finir en D1 comme aujourd’hui avec Mouscron, j’aurais répondu : 30 ans avec Braine-l’Alleud. J’étais prêt à rester, tout comme j’étais prêt à rester à Tubize, mais la commune n’avait pas voulu fournir les efforts nécessaires, à l’époque : elle avait déjà le basket et cela lui suffisait. Un peu comme actuellement à Mouscron, on ne parlait que de restrictions et on a fait partir tous les jeunes que j’avais formés. Dans ces conditions, j’ai préféré arrêter… Oui, cela pourrait très bien arriver à Mouscron « .

UNEÉCOLEDEVIE.  » Le football, c’est peut-être plus beau qu’une université. Gagner un match, c’est bien. Mais devenir un homme respectable et respecté grâce au sport, c’est encore mieux « .

APPRENDREUNECHOSEPARJOUR.  » Je pars du principe qu’aujourd’hui, il faut être meilleur qu’hier et moins fort que demain. Je l’ai appris par mon premier patron, RolandBiart, qui fut président de Wavre. A 21 ans, il m’avait engagé comme employé dans son bureau d’agent de change. Il m’avait dit : – N’essayepasdeconnaîtrelemétier àfond, c’esttropvaste, maisapprendsunechoseparjour ! Depuis, c’est devenu ma devise en football… et un peu en dehors du football « .

Daniel Devos

 » Je suis arrivé À MOUSCRON AU MAUVAIS MOMENT  »

 » J’ai voulu TOUT CHANGER EN UNE FOIS pour gagner du temps  »

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