Nez à nez avec Ronaldo

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le jeune attaquant français de Charleroi doit démontrer pourquoi l’Inter l’a engagé.

La tête de Stéphane Biakolo a été mise à prix pour 120 millions de francs alors qu’il n’avait jamais disputé un match de première division. Que ce soit dans le Cameroun de ses parents, dans la France qui l’a adopté, dans l’Italie qui lui a fait découvrir le foot de tout haut niveau, ou en Belgique où il semble capable de devenir une des révélations de la nouvelle saison.

Cet attaquant de 19 ans fait partie de ces Français que les plus grands clubs européens attirent alors qu’ils ne sont pas encore sortis de l’adolescence. Une mode lancée il y a quelques années et qui se perpétue. Les Anglais, les Espagnols et les Italiens adorent piller le réservoir français. La direction du Sporting de Charleroi lui a fait signer un contrat, cet été, sans l’avoir jamais vu jouer. Les rapports étaient tellement élogieux, que les Zèbres ont pris ce risque. Une initiative qui a porté ses fruits dès la campagne de préparation: Biakolo fut un des attaquants les plus prolifiques du Sporting. Une impression confirmée lors du match de gala contre l’Espanyol Barcelone, une semaine avant le début du championnat.

« J’étais soulagé de jouer enfin contre une très bonne équipe », confie Biakolo. « Ce n’est pas en marquant des buts contre des clubs de divisions inférieures que je pouvais être sûr de ma valeur. Tout s’est bien passé contre les Espagnols et, ce soir-là, je me suis dit que j’allais probablement réussir une très bonne saison en Belgique. J’ai passé mon premier examen, le plus important. En ouvrant le score, je me suis aussi fait adopter directement par le public. Pour un attaquant, c’est crucial ».

Il commence par le rugby!

Stéphane Biakolo ne s’est affilié pour la première fois dans un club de foot qu’à l’âge de 14 ans. Mais il a parcouru pas mal de chemin depuis lors. Avant cela, il n’avait qu’un sport en tête: le rugby. Le football, il le pratiquait simplement dans la cour de l’école.

« Je vivais à Albi, près de Toulouse. C’est dans cette région que bat le coeur du rugby français. On n’y compte pas les grands clubs et les joueurs internationaux. Là-bas, le ballon ovale est plus populaire et plus prisé que le foot. Mon père a pratiqué le rugby et il était logique que je m’inscrive à mon tour dans le club de ma ville. Dès mes premiers entraînements, j’ai compris que les rugbymen et les footballeurs n’étaient pas les meilleurs amis du monde. Il existe une allergie réciproque entre ces deux races de sportifs. Les joueurs de foot disent que le rugby est une discipline violente, dans laquelle on ne respecte pas vraiment les règles du jeu. Pour eux, ce n’est rien d’autre qu’un sport de brutes. Les rugbymen, de leur côté, ont une idée toute faite des footballeurs: ils les appellent les manchots parce qu’ils estiment qu’un joueur de foot est incapable de se servir de ses bras! Ils les prennent aussi pour des fillettes. Je vois des points communs entre ces deux sports: il faut beaucoup de volonté et un esprit d’équipe fort pour arriver à de bons résultats. En rugby, il faut être encore plus discipliné que dans le foot, les consignes du coach doivent être encore mieux respectées. Et surtout, la mentalité est très différente: sur un terrain de rugby, on ne se cache pas et on ne triche pas. Le simulation n’a pas sa place dans ce sport. Les rugbymen ont les cheveux qui se dressent quand ils voient un footballeur simuler un accrochage dans le rectangle ou se tordre de douleur après une faute bénigne. Ils ne supportent pas la comédie. Pour eux, le foot est synonyme de vice. Le footballeur blessé demande généralement son remplacement. Mais des rugbymen qui continuent à jouer avec une arcade sourcilière ouverte et du sang plein le visage et le maillot, on en voit toutes les semaines ».

Rencontre avec une constellation de stars!

Les blessures dans le jeu à XV, Biakolo connaît. C’est d’ailleurs à cause de son manque de résistance aux chocs qu’il a décidé d’abandonner ce sport pour se consacrer au football.

« J’en avais marre de me fracturer sans arrêt les clavicules », dit-il. « J’étais ailier. Ce qui veut dire que ma mission se résumait surtout à sprinter sur le flanc et à aller aplatir le ballon derrière la ligne. L’ailier, c’est le joueur qu’on plaque au sol du début à la fin du match. J’ai un jour avalé ma langue et j’ai souffert de diverses petites blessures. Et surtout, il y avait la fragilité de mes clavicules. Après dix années de service, j’ai dit stop. Et je suis donc passé dans le camp adverse: celui des joueurs de foot ».

Très vite, Biakolo se met en évidence avec Albi. Son entraîneur est en contact régulier avec Montpellier, le club du bouillant président Nicollin. Il passe là-bas après une saison seulement dans l’équipe de sa ville natale. Il devient international chez les moins de 15 ans, puis chez les moins de 17 ans. Il ne goûtera jamais au noyau A de Montpellier. Il n’en aura tout simplement pas le temps. Ses matches avec les sélections nationales et un tout bon Gambardella le propulsent dans les griffes des recruteurs de l’Inter Milan. Le Gambardella, c’est la Coupe de France pour Juniors. Une épreuve que les scouts de tous les grands clubs européens suivent de près. En juin 2000, il se retrouve en Lombardie. Il ne connaît toujours rien du foot professionnel mais tombe nez à nez avec Ronaldo dans le vestiaire de l’Inter. Un choc!

« C’est vrai que j’avais moi-même du mal à y croire. J’avais l’impression de franchir cinq étapes en une fois. Je me demandais s’il était logique que je me retrouve aussi vite en compagnie de stars mondiales. Dans la liste officielle des attaquants de l’Inter, on trouvait Ronaldo, Hakan Sukür, Christian Vieri, Ivan Zamorano et… Stéphane Biakolo! La première fois que je me suis pointé dans le vestiaire, je me suis fait tout petit. Toutes les vedettes n’étaient pas encore là: Marcello Lippi avait accordé quelques semaines de repos supplémentaires aux joueurs qui avaient disputé l’EURO 2000, et les internationaux sud-américains jouaient la Copa America. Il n’empêche que le noyau avait déjà fière allure. Quand tout le monde est revenu, j’étais un parfait inconnu au milieu de stars planétaires ».

Plus d’ambiance à Charleroi qu’à l’Inter!

De ses rapports avec ces étoiles, il ne garde pas des souvenirs extraordinaires. « Ce n’est pas mon genre d’aller frapper sur l’épaule de Ronaldo et de lui demander comment il va. J’étais plutôt effacé. A Milan, j’ai constaté que le respect des jeunes envers les anciens était beaucoup plus marqué dans les grands clubs que dans les équipes moyennes. Il y avait deux mouvances là-bas: les champions et les jeunes. Je n’ai pas trouvé beaucoup de chaleur dans le vestiaire, mais une certaine crainte des jeunes vis-à-vis des aînés, une retenue qui empêchait de former un vrai bloc ».

Dans un premier temps, tout s’est très bien passé pour Biakolo en Italie.

« J’ai profité à fond de l’absence des internationaux pour m’imposer dans l’équipe qui jouait les matches amicaux d’avant-saison. J’avais l’impression que Lippi croyait en moi. Je marquais près d’un but par match en moyenne. C’était prometteur. Dans certaines rencontres, j’ai même formé un duo redoutable avec Sukür. Bien sûr, j’étais conscient que tout se compliquerait pour moi dès le retour de cracks comme Vieri, Zamorano et Recoba, mais je voulais croire en mon destin. Malheureusement, mon horizon s’est bouché à l’approche du début du championnat. J’ai compris que Lippi avait du respect pour ce que je montrais, mais qu’il ne comptait pas sur moi pour jouer en Série A. J’ai continué à espérer jusqu’au mois de décembre, lorsque j’ai commencé à ne plus faire tous les entraînements du noyau professionnel. J’ai été relégué dans l’ombre et je me suis retrouvé dans la deuxième équipe de l’Inter. Tout se passait bien avec cette Réserve, mais je comprenais de semaine en semaine que je n’irais pas au bout de mon rêve: m’imposer dès mon arrivée en Italie. L’Inter a connu une saison pourrie et cela n’a pas joué en ma faveur. Il y a eu le remplacement de Lippi par Tardelli et une succession de mauvais résultats, aussi bien en championnat qu’en Coupe d’Europe. Ce n’était pas le moment de lancer des jeunes dans la bagarre. D’ailleurs, Tardelli a écarté presque tous les jeunes dès qu’il est entré en fonction. Quand je côtoyais encore le noyau de la Première, je constatais que l’argent pourrissait pas mal de choses. Les joueurs parlaient surtout de primes et de manque à gagner. Et ils oubliaient l’essentiel: l’esprit d’équipe. Au milieu de toutes ces discussions portant sur des sommes folles, les jeunes ne se sentaient guère concernés et étaient un peu désorientés. L’Inter est un club où il se passe chaque saison un tas de trucs bizarres: des départs et des arrivées en masse, au milieu d’une pression terrible. C’est un peu le Marseille italien. Quand il y a autant d’argent qui circule dans un vestiaire, l’ambiance ne peut pas être familiale et on peut oublier la solidarité ».

120 millions! On ne le gardera pas…

Cette solidarité, Biakolo l’a retrouvée à Charleroi. L’ambiance qui règne actuellement au Sporting lui fait penser à ce qu’il a connu chez les jeunes de Montpellier.

« C’est la première fois de ma carrière que j’évolue dans une atmosphère aussi positive. Evidemment, c’est facile de bien s’entendre quand les résultats suivent. Mais ici, je suis persuadé que même une moins bonne période sur le plan sportif n’aura aucune incidence sur l’ambiance. Nous avons été très moyens dans certains matches amicaux, mais les relations entre les joueurs sont toujours restées excellentes. Entre les titulaires et les réservistes, mais encore plus entre les anciens et les nouveaux. J’ai reçu un accueil formidable. J’ai marqué des points par rapport à Eduardo, mais il est aussi positif avec moi que vis-à-vis de n’importe quel autre joueur. Jusqu’à présent, aucun joueur, pas même le vingtième homme, ne m’a donné l’impression qu’il venait à l’entraînement par obligation ».

Biakolo a été loué pour une saison par le Sporting. Une option d’achat existe mais on sait déjà qu’elle ne sera pas levée: 120 millions, c’est plus de la moitié du budget de Charleroi!

« Je ne sais pas si je retournerai un jour à l’Inter. J’y ai encore quatre ans de contrat, mais je ne suis pas le seul jeune que ce club a fait signer pour une longue durée. En général, nous passons une saison à l’Inter pour peaufiner notre apprentissage et découvrir le travail au plus haut niveau, puis nous sommes orientés vers un club de D2 ou de D3 en Italie. Certains de ces jeunes disparaissent complètement de la circulation après un an: c’est la règle du jeu. Les dirigeants de l’Inter n’ont pas voulu me vendre: c’est peut-être bon signe, cela veut peut-être dire qu’ils comptent sur moi pour les années à venir. En atterrissant à Charleroi, je trouve que je n’ai vraiment pas à me plaindre. Même sans jouer, j’ai énormément progressé aux entraînements de l’Inter. Quand vous côtoyez chaque jour des défenseurs aussi intransigeants que Laurent Blanc et Ivan Cordoba, vous apprenez énormément. Aujourd’hui, je veux m’améliorer dans un autre contexte: celui des matches. Les Italiens viendront régulièrement me voir et nous ferons le point dans quelques mois. J’ai encore tout à découvrir dans le championnat de Belgique. Je n’avais jamais entendu parler de Charleroi et je ne sais pas grand-chose de vos clubs. Je ne me suis même pas documenté: je ne suis pas stressé, je fonce, on verra pour la suite ».

Pierre Danvoye

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