Hamilton, Alonso, Raikkonen, Massa : la victoire à Spa-Francorchamps se jouera entre eux. Mais désigner LE favori prend des allures de jeu de hasard…

Après un break d’une année, le Formula 1 Circus retrouve ce week-end un de ses circuits favoris. Les pilotes adorent en effet le toboggan de Spa-Francorchamps qui déroule ses 7 km dans un cadre somptueux, très différent des océans de béton où se disputent d’autres GP. Quoique… Pour répondre aux exigences de Bernie Ecclestone, les dirigeants spadois ont été contraints de lancer de gigantesques travaux qui ont modifié le paysage autour de l’Eau Rouge.

Un paquebot dans les Ardennes

Travelling arrière jusqu’en 2005. Tonton Bernie lance un ultimatum : soit les infrastructures ardennaises sont (très) modernisées et la Belgique a une chance de conserver une place au calendrier, soit le site reste en l’état et notre pays peut dire bye bye à la F1. Après d’interminables négociations aux accents parfois surréalistes, le gouvernement wallon accepte les conditions du petit Australien. Ce dernier se montre cependant inflexible concernant 2006 : pas question d’organiser une course dans des installations indignes à ses yeux du standing de la F1.

En novembre 2005, au lendemain de la dernière course, le chantier est lancé. Les sociétés qui ont décroché le marché relèvent un fameux défi tant les transformations sont profondes. Elles vont de la construction d’un immense complexe comprenant des nouveaux stands, une multitude de bureaux et salles de réunions et de larges espaces VIP, à la modification de la chicane et de la ligne droite longeant la pit lane. Dans la foulée, les pontes de la F1 imposent aussi l’élargissement de l’épingle de la Source et quelques menus aménagements au virage du raccordement et à Blanchimont entre autres.

La réussite de l’entreprise dépend d’un paramètre capital : la météo ; les hivers sont souvent rigoureux en Ardennes, de grosses chutes de neige ou de longues périodes de gel compliqueraient singulièrement la tâche des ouvriers qui se relayent sur le chantier. Mais le ciel ne leur tombe pas sur la tête et ils gagnent leur pari : le 9 juin, le Francorchamps new look est inauguré à l’occasion des 12 Heures de Spa.

Les visiteurs sont impressionnés. Le nouveau complexe, immédiatement baptisé le paquebot, répond aux standards les plus exigeants en la matière. Certes, les journalistes se retrouvent cloîtrés dans une immense salle de presse d’où ils ne voient pas la piste et n’ont d’autre ressource que de suivre les courses sur les écrans de télévision. Les premiers utilisateurs des espaces VIP découvrent également quelques spécificités comme des portes étroites rendant délicat le passage des palettes utilisées par les traiteurs pour amener leur matériel. Mais globalement, le bilan est positif.

La chicane : à fond ou pas ?

Reste à attendre le verdict des stars. Les trois journées d’essai organisées pour les F1 en juillet rassurent les responsables qui se voient attribuer une bonne note pour les infrastructures.

Rayon piste, le nouveau dessin de la chicane reçoit également un satisfecit de la plupart des pilotes :  » Ils ont bien travaillé « , estime Ralf Schumacher tandis que Nico Rosberg insiste sur la possibilité de dépasser à cet endroit :  » On peut certainement y porter une attaque…  »

Une analyse à laquelle David Coulthard ne souscrit pas :  » Je trouve cette chicane assez sympa, notamment en raison d’un grip excellent, mais je doute qu’on puisse tenter d’y dépasser un adversaire car tout le monde freine fort tard et accélère très tôt. Dans ces conditions, je vois mal comment faire la différence…  »

N’y étant pas venus l’an dernier, les teams profitent à fond de ces séances de travail pour accumuler les données essentielles en vue du GP. Spa-Francorchamps présente effectivement des caractéristiques uniques par rapport aux autres pistes :  » Il est très difficile d’avoir une voiture parfaite dans tous les domaines car le tour est trop long « , explique Fernando Alonso.  » Il faut trouver un compromis assurant d’une part un bon équilibre à haute vitesse et une stabilité parfaite dans les courbes rapides, et d’autre part un comportement efficace dans les quelques secteurs lents dont l’importance est cependant primordiale « .

On l’a dit, les pilotes se font plaisir sur ce tracé qu’ils placent tous en haut du hit-parade avec Istanbul et Suzuka (malheureusement rayé du calendrier au profit du Mont Fuji). Signe des temps, le Raidillon de l’Eau Rouge n’est pourtant plus cet épouvantail qui effrayait les néophytes :  » Lorsque nos monoplaces étaient propulsées par un moteur V10, passer cette courbe sans lever le pied représentait un véritable défi mais désormais avec les V8, il suffit de quelques tours à chacun d’entre nous pour y parvenir « , constate encore Coulthard.

Pour autant, le challenge reste intéressant :  » Cela ne veut pas dire que c’est facile de passer à fond « , rétorque le champion du monde.  » L’approche s’effectue en descente, il y a une transition brutale et puis on monte soudainement. Dans le baquet, on ne voit pas la sortie du virage et en arrivant au sommet de la montée, on ne sait pas trop sur quelle trajectoire la voiture sera. Or, cela demeure une partie clé du circuit sur un tour chronométré parce qu’elle conditionne la vitesse de pointe sur la ligne droite qui suit, et on peut y perdre beaucoup de temps. C’est aussi un passage particulier parce qu’à chaque tour, on ressent une compression du dos en raison de l’accélération verticale. C’est une sensation étrange « .

La bande des quatre

Lors des trois journées de test en juillet, Lewis Hamilton se montre le plus véloce avec un chrono de 1.46.613. Manifestement, le jeune Anglais a immédiatement retrouvé ses marques sur un tracé où il avait déjà impressionné en mai 2005 dans le cadre des F3 Euroséries. De là à en faire l’homme à battre pour le GP ce dimanche, il reste une fameuse marge. Tout simplement peut-être parce que désigner un favori au sein de la bande des quatre qui domine actuellement le championnat a l’allure d’un jeu de hasard…

Lorsqu’on prend en compte l’expérience du terrain, Hamilton est le moins bien loti puisqu’il est le seul à n’avoir disputé aucune épreuve de F1 à Francorchamps. Cependant, le protégé de Ron Dennis montre de telles facultés d’adaptation que ce paramètre n’a guère de poids, sauf en cas de météo délicate (ce qui est fréquent en Ardennes).

Kimi Raikkonen a également réussi un chrono haut de gamme en juillet puisqu’il a terminé au sommet de la hiérarchie lors de la troisième session sur une piste moins rapide. De plus, comment oublier ses deux victoires lors des éditions 2004 et 2005 du GP de Belgique à une époque où il défendait le pavillon McLaren ? Iceman est donc à l’aise sur ce tracé ultrarapide où la précision du pilotage et le courage permettent encore de faire une petite différence.

Il y a deux ans, le Finlandais avait précédé à l’arrivée un certain Alonso, lequel était alors fer de lance de l’écurie Renault. A propos du champion du monde, les spécialistes gardent en mémoire sa formidable démonstration dans la course de Formule 3000 disputée en prologue du GP 2000. Lui aussi en connaît un bout sur la piste belge.

Reste Felipe Massa. Le petit Brésilien n’a guère de résultats marquants à son actif sur l’anneau ardennais mais il n’y a jamais disposé d’un matériel lui permettant de jouer la gagne. En 2004 toutefois au volant d’une Sauber, il a signé une remontée d’anthologie en passant de la 15e place où il avait été rejeté après un accrochage au premier tour à la 4e sous le drapeau à damier.

Le verdict du conseil mondial

On le voit, bien malin qui pourrait avancer un pronostic solide à la veille d’un rendez-vous où, une fois de plus, les essais qualificatifs revêtiront une importance capitale. Même si les possibilités de dépassement sont plus nombreuses à Spa que sur certains tourniquets, le fait de s’élancer en pole permettra déjà de diminuer les risques d’accrochage au premier freinage de la Source. Or, on a vu lors des courses de World Séries Renault 3.5 disputées en prologue des 1000 Km de Spa tous les dangers qui guettent les pilotes placés en 3e ou 4e ligne et qui se retrouvent dans la ligne de tir de concurrents impatients…

Cela dit, qui de Ferrari ou McLaren-Mercedes aura l’avantage dans cette étape belge du championnat ? Impossible à dire tant les deux écuries se tiennent de près. Elément à intégrer dans l’équation : le conseil mondial de la Fédération Internationale rendra ce jeudi 13 septembre son verdict dans le dossier d’espionnage impliquant les deux formations via certains ingénieurs. Quel que soit son sens, ce jugement aura un impact psychologique, les uns se considérant comme vainqueurs tandis que fatalement les autres connaîtront l’amertume des vaincus.

BMW et Renault, les challengers

Jusqu’ici, nous n’avons évoqué que quatre pilotes représentant deux marques. Est-ce à dire qu’il n’existe aucun autre candidat sérieux à la victoire ? Ce serait négliger cette trop fameuse incertitude du sport.

Sur le papier, les deux sociétaires de l’écurie BMW sont évidemment les mieux placés pour faire éclater le quatuor infernal. S’ils veulent réussir cet exploit, Nick Heidfeld et Robert Kubica doivent réduire d’un coup le petit retard qu’ils accusent toujours sur les ténors. A plusieurs reprises, ils se sont maintenus dans le sillage du groupe de tête sans jamais parvenir cependant à se mêler vraiment à la lutte ; ils pouvaient juste suivre.

Le moteur V8 BMW semble très puissant, un atout important à Francorchamps notamment après le Raidillon de l’Eau Rouge dans la longue montée vers les Combes. Hélas, la monoplace allemande souffre d’une tenue de route moins parfaite que celle des Ferrari et McLaren, peut-être à cause d’une approche trop timide à l’heure de sa conception. Et puis les stratèges munichois ne se montrent pas toujours très finauds dans leurs options, on l’a vu en Hongrie où ils ont ruiné la course de Kubica en lui imposant un premier arrêt au bout de quelques tours.

Autre outsider, Renault. Certes, la formation française a nettement reculé dans la hiérarchie et Flavio Briatore son flamboyant patron apprend à vivre sans Alonso. Lors des derniers GP, les RS 27 ont néanmoins manifesté un petit regain de forme, plus sensible avec Heikki Kovalainen que du côté de Giancarlo Fisichella. Est-ce le fait de se retrouver dans le collimateur du fisc, en tout cas le petit Romain ne parvient plus à se transcender, il multiplie les erreurs et plie l’échine face à son jeune équipier. Ce dernier, après une entrée en matière délicate, est au contraire occupé à marquer son territoire puisque depuis le rendez-vous canadien, il a inscrit 16 points contre 3 seulement à celui qui est a priori son chef de file.

Les miettes du festin…

A moins d’une énorme surprise – souvenons-nous du coup de Markus Winkelhock leader en Allemagne pour son premier GP – les autres écuries devront se contenter des miettes du festin.

Certaines seraient déjà ravies de récolter quelques miettes, on songe notamment à Toyota. Désormais basée à Cologne après avoir débuté dans la banlieue bruxelloise (c’était à l’époque du Team Toyota Europe engagé en rallye), l’antenne sportive du constructeur japonais joue presque à domicile en Ardennes ; une performance de Jarno Trulli ou Schumacher n’en serait que plus appréciée.

L’autre usine nipponne reprend progressivement des couleurs après un début de saison calamiteux mais chez Honda aussi, terminer dans les points aurait valeur d’exploit. A Jenson Button et Rubens Barrichello de forcer la chance !

C’est plus vrai encore pour le team satellite de Honda, Super Aguri dont les deux pilotes comptent pourtant parmi les plus courageux. On peut faire confiance à Takuma Sato et Anthony Davidson pour donner tout ce qu’ils ont dans le ventre afin de conforter la 8e place actuellement occupée par leur employeur au championnat mondial des constructeurs.

Au bout du compte, si on laisse de côté l’écurie Spyker dont la vie n’a rien d’un long fleuve tranquille et Toro Rosso qui songe surtout à 2008, c’est de Red Bull et surtout Williams-Toyota que peut venir la (bonne) surprise. Avec Coulthard et Mark Webber, Red Bull dispose de deux pilotes aussi expérimentés que talentueux auxquels il manque juste un zeste de chance pour concrétiser à l’arrivée les bonnes dispositions dévoilées en essais. En fait d’expérience, Alexander Wurz n’a de leçon à recevoir de personne. En cas de course rendue délicate par la météo, miser sur l’Autrichien peut rapporter gros. Les vrais passionnés, ceux qui apprécient le panache plus que le calcul, auront cependant les yeux de Chimène pour son jeune équipier Rosberg. Occupé à faire ses gammes chez Williams, le fils de l’ancien champion du monde est de la race des grands. En voilà un qu’on aimerait retrouver aux commandes d’une McLaren, d’une Ferrari voire d’une BMW…

par eric faure – photos: belga

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