Négrier?

Le directeur technique du Freethiel défend sa philosophie permise par la réglementation belge.

Ils étaient sept Ivoiriens en début de saisonà Beveren : Yaya Touré, Arsène Né, Gilles Yapi Yapo, Arthur Boka, Josselynn Joss Péhé, Constant Kipre Kaiper et Zézéto. Depuis lors, trois compatriotes les ont rejoints à Beveren: Mohamed Diallo Diallito, Emmanuel Eboué Andrade et Moussa Sanogo. Un autre, Marco Né, retenu par des problèmes de visa à Abidjan, devrait sous peu les imiter. Et ce n’est pas tout car le club du Freethiel est en attente de quatre nouveaux joueurs, formés eux aussi à l’Académie de Jean-Marc Guillou. Bientôt à 15?

Jean-Marc Guillou: Le projet d’un centre de formation en Côte-d’Ivoire a germé dans mon esprit il y a huit ans. Dans la mesure où il n’y avait pas de véritables compétitions pour jeunes là-bas, l’idée m’est venue de les rassembler et de leur dispenser l’écolage nécessaire. Des infrastructures étaient bien évidemment requises. A cet effet, l’ASEC, un des grands clubs de la capitale, nous est venu en aide en mettant à notre disposition des terrains à Sol Béni, un quartier d’Abidjan. En contrepartie, l’homme fort de l’ASEC, Roger Ouégnin, exigea que les joueurs formés par nos soins transitent par son club avant, éventuellement, de tenter la grande aventure ailleurs. En cas de mutation, il avait également été convenu qu’une partie du montant du transfert serait ristournée à son club et une autre à l’Académie entre-temps. Dans cet accord, tout le monde trouvait son compte: les gamins qui pouvaient bénéficier de la meilleure formation qui soit, l’ASEC ensuite, qui profitait du bagage acquis par toutes ces promesses pour continuer à tenir le haut du pavé dans le championnat ivoirien, et enfin nous-mêmes puisque la vente de l’un ou l’autre de ces éléments contribuait à alimenter la caisse de l’Académie en garantissant par là même son avenir. L’attaquant anderlechtois Aruna Dindane et le défenseur du Racing Genk Didier Zokora Maestro constituèrent la première promotion, voici deux ans. Beveren a profité de la deuxième, la saison passée, et la troisième est arrivée, partiellement, cet été.

Mais il y a un problème avec l’ASEC…

Nous avions stipulé que sept joueurs devaient être libérés chaque année après avoir joué pour le noyau A de l’ASEC: quatre au mois de juin et trois en novembre, qui correspond à l’intersaison en Côte-d’Ivoire. En 2001, il n’y a pas eu le moindre problème à ce niveau puisque Beveren avait bel et bien obtenu le concours des sept footballeurs que j’avais demandés. A présent, Roger Ouégnin n’a respecté qu’une partie du contrat – un nouvel arrivage de quatre joueurs – et n’est disposé à libérer les autres qu’en échange de l’obtention des pleins pouvoirs à l’Académie. En réalité, l’homme s’est rendu compte de la dimension économique du système et vise ni plus ni moins à éliminer l’une de ses composantes, à savoir moi-même, afin de ne plus devoir partager. Je ne peux, bien sûr, pas cautionner cette attitude. Car je ne tiens pas à voir le fruit de mon labeur s’en aller à vau-l’eau. Roger Ouégnin est un avocat ivoirien et non un spécialiste du football. S’il doit reprendre seul les rênes du projet, bonjour les dégâts! C’est la raison pour laquelle je me suis distancié de lui. L’ Académie a quitté Sol Beni à destination d’un autre site dans la capitale. La seule chose qui m’attriste, c’est que je ne dispose plus, à l’heure actuelle, d’une passerelle, comme l’ASEC, pour faire fructifier encore un peu les membres de l’Académie avant leur venue en Europe. Je compte pallier cette lacune en inscrivant une équipe en compétition officielle. Le hic, c’est que je dois débuter en division 3 alors que ces joueurs sont les meilleurs du pays et devraient jouer parmi l’élite, à l’image du FC Satellite, la filiale de Lokeren.Age réel

Vu le classement actuel et la physionomie du récent derby waeslandien, Lokeren n’est-il pas beaucoup plus avancé que Beveren?

Actuellement, oui. Mais il ne faut quand même pas perdre de vue que notre philosophie est tout à fait différente. Le FC Satellite de Lokeren n’est rien d’autre qu’une vaste gare de triage où se retrouvent des joueurs venus d’horizons divers: des Ivoiriens, des Guinéens, des Congolais, des Camerounais, des Burkinabés et j’en passe. Tous ces éléments excipent déjà d’une expérience, même si leur passeport atteste le contraire. Désolé, mais je connais fort bien Souleymane Youla, qui a joué en Côte-d’Ivoire avant d’aboutir à Lokeren puis à Anderlecht et ensuite en Turquie. Je suis tombé à la renverse en apprenant que ce garçon avait 18 ans au moment de son passage au Parc Astrid. Car il avait, à ce moment-là, au moins sept années de plus, déjà, à son compteur personnel. Chez nous, à l’Académie, nous prenons en charge les footballeurs à 11 ou 12 ans. D’accord, nous ne sommes pas toujours sûrs à 100% que ces jeunes ont bel et bien cet âge. Mais nous sommes certains aussi, vu leur frimousse, qu’ils ne comptabilisent pas cinq ou six années de plus. Or, je vous défie de voir la différence entre un Africain de 17 et un autre de 22 ans. C’est bien simple, il n’y en a pour ainsi dire pas. Aussi, compte tenu du fait que nos Académiciens ont et font leur âge réel alors que ceux du FC Satellite comptent une demi-douzaine d’années en plus, il me paraît normal qu’au plan des résultats, ils soient plus avancés que nous. Si mes joueurs évoluaient en catégorie d’âge et non parmi l’élite, ils seraient aussi les meilleurs.

Il y avait trois Belges sur le terrain à l’occasion du match entre Beveren et Lokeren récemment. Qu’en pensez-vous?

La Belgique est tout simplement victime de son système qui ne limite pas le nombre d’étrangers. En France, le pays dont je suis originaire, il existe aussi une protection pour les clubs: un joueur issu d’un centre de formation est automatiquement redevable de son premier contrat professionnel à celui qui l’a éduqué. Sauf s’il y a un terrain d’entente et un dédommagement financier entre entités. Ici, rien n’existe en la matière. Au contraire, les clubs sont d’autant plus vulnérables que la fameuse loi de 1978 permet à des joueurs de résilier aisément un accord. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que les écoles de jeunes constituent davantage un fardeau qu’un atout en Belgique.

Puisque le talent est rare, il est également hors de prix. C’est pourquoi la plupart des sociétaires de l’élite ou même des divisions inférieures se tournent vers la main-d’oeuvre étrangère, là où le jeu en vaut la chandelle. Les uns recrutent à l’Est, comme l’Antwerp. D’autres se tournent vers l’Afrique, comme Lokeren ou Beveren. Que se passe-t-il chez nous? Beveren est tout bonnement le troisième maillon d’une chaîne qui a commencé à l’Académie et qui s’est poursuivie à l’ASEC. Et l’étape suivante, ce sera un autre club, comme Saint-Trond ou La Louvière auraient pu l’être pour Zézéto, par exemple, si le marché ne s’était pas écroulé de manière spectaculaire. On me traite de tous les noms sous prétexte que je veux m’enrichir au Freethiel sur le dos de tous les joueurs que j’ai amenés. Sorry, mais je n’ai fait que transposer en Belgique une situation qui contentait tout le monde en Afrique. Et Beveren en profite pour tenter de faire bonne figure en championnat. Et, en cas de vente des joueurs, le système profitera à la fois aux Jaune et Bleu, qui percevront une partie du montant du transfert – NDLA: Guillou possède en nom propre des parts de Beveren –, à moi-même pour continuer à faire tourner l’Académie, et au joueur lui-même, assuré de pouvoir rebondir avantageusement ailleurs.

Bruno Govers

Si la FIFA est d’accord, ils seront 15 Ivoiriens à Beveren!

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