« Ne me statufiez pas! »

Buteur, passeur décisif, perceur imaginatif de tous les coffres-forts, le joueur symbole du Real est un phénomène.

Sous une pluie battante, les joueurs du Real ont quitté le terrain en synthétique de la Ciudad Deportiva, à quelques kilomètres au nord de Santiago Bernabeu. De l’autre côté de la main courante, les cris des enfants, bientôt relayés par les plus grands, sont pour Figo, qui truste tous leurs vivas. Impressionnant.

Raul, jeune homme du sérail et meilleur buteur en activité de la Liga à vingt-trois ans seulement, n’a droit qu’aux miettes. Mais sa modestie légendaire s’accommode parfaitement d’une situation qui en aurait crispé plus d’un à sa place. Raul Gonzales Blanco sait où il va -vers la carrière d’un Di Stefano- et, surtout, d’où il vient. Fils d’un père ouvrier et d’une mère qui faisait des ménages, Raul, devenu très vite quelqu’un à grands coups de buts et de finesse technique, donne aujourd’hui dans l’élégance et le monochrome : pull côtelé noir, pantalon noir, cheveux noirs, yeux noirs. Il soigne son look en toute sobriété. Mais son discours reste empreint d’une grande humilité. Comme s’il voulait ramener des chiffres irréfutables, les siens, à une juste proportion. Le Real lui doit beaucoup, mais ça le gêne de l’admettre. Rencontre avec un géant qui s’ignore.

Raul, vous êtes revenu dans la course au titre meilleur buteur de la Liga; vous êtes également le meilleur buteur du championnat espagnol en activité. Ça vous étonne?

Raul : Ça me satisfait. Mais on peut toujours faire mieux. On doit toujours faire mieux. Pour ce qui est de la saison, j’espère au moins arriver à un total de vingt buts.

Vous ne l’aviez pas très bien débutée…

Vous trouvez? Je respecte cette opinion, mais il ne faut pas perdre de vue que j’ai été blessé en début de saison. J’ai dû stopper avant de retrouver le rythme, ce qui demande un certain temps. Et une certaine indulgence.

Pendant ce temps, on a souvent évoqué votre contrat. Qu’en est-il exactement, aujourd’hui?

Il expire à présent au mois de juin 2005. On a pu dire ici et là que la clause rachat était basse. Elle est passée de 1,4 milliard de francs à 7 milliards.

Etes-vous fier d’être le meilleur buteur de la Liga en activité?

Je suis tout content d’être en activité! Bien sûr, je vais essayer d’en mettre encore et encore afin un jour d’être le meilleur buteur tout court de l’histoire de la Liga.

Et toujours au Real?

(Il sourit) C’est très difficile, vous savez, d’imaginer de quitter le Real. J’aimerais finir ma carrière de joueur ici. Mais si je devais partir un jour, ce serait pour un club étranger, j’en suis certain. Vous savez, c’est une question d’amour presque filial. J’ai un grand sentiment pour le Real, qui m’a vu quasiment naître. Du moins, c’est ici que j’ai gravi tous les échelons, des divisions inférieures jusqu’à la Liga et la Ligue des Champions. Oui, c’est ici que j’ai grandi. Mais, de grâce, ne me statufiez pas! Je ne suis pas le joueur le plus important du Real. Je suis un des joueurs importants. Ça ne veut pas dire la même chose.

Etes-vous courtisé par d’autres grands clubs?

Il n’y a pas de proposition sérieuse. Ma seule ambition, c’est de continuer de jouer pour le Real.

Le Real actuel est-il supérieur à celui de la fin des années 80, alias La Quinta del Buitre?

L’histoire du Real est faite d’une addition de périodes fastes. J’espère que la génération actuelle du club saura hisser encore son niveau, jusqu’à ce qu’il devienne à son tour une référence. On est sur une bonne série avec deux Ligues des Champions.

Votre coéquipier Manuel Sanchis, qui est au Real depuis dix-huit ans, a annoncé la semaine dernière qu’il mettrait un terme à sa carrière à l’issue de cette saison et a déclaré que le vrai Raul était encore à venir…

Son vécu est immense… C’est sûr que je peux encore progresser, ne serait-ce qu’au niveau de l’expérience, justement. Car je sais que les plus belles années d’un joueur, je n’y suis pas encore. Je n’ai pas atteint mon summum.

Que vous manque-t-il encore?

L’expérience, je l’ai dit; je dois aussi améliorer mon pied droit et m’étoffer physiquement. Car c’est à vingt-cinq – vingt-six ans que l’on arrive à la maturité physique. Or, je ne l’ai pas encore. Je dois travailler, comment dirais-je…, ma robustesse.

Que préférez-vous, marquer ou faire marquer?

Je préfère… les deux. Le mieux, c’est d’être entourné de joueurs qui te permettent de bien t’exprimer. Le reste, ce sont des mots. Si quelqu’un d’autre marque à ma place, c’est très bien aussi, du moment que le Real est vainqueur. Vraiment, c’est ça, mon était d’esprit, et ça l’a toujours été.

L’apport de Figo a-t-il modifié votre façon de jouer?

C’est un joueur grandissime! Tous les joueurs tirent bénéfice de jouer à ses côtés. Mais je n’ai pas changé en aucune façon ma manière de jouer. De plus, il évolue en règle générale sur le flanc droit. Ça nous manquait, avant, de n’avoir personne de ce côté… Tout est si facile, avec lui! Figo rend toujours tout plus aisé. C’est incroyable.

Le Real se promène en Liga mais n’a pas su remporter la Supercoupe ou la Coupe Intercontinentale. Pourquoi?

C’est vrai, oui… C’est comme si nous n’avions pas su conserver une sorte de continuité. Peut-être à cause des dates de ces épreuves? J’espère que ça va changer à l’avenir. En attendant, gardons en tête nos deux objectifs : la Ligue des Champions et la Liga.

Est-il normal que le club le plus aidé financièrement soit celui qui dépense le plus?

Posez la question à Florentino Pérez, notre président!

Quelles sont les clés qui expliquent le bon rendement actuel du Real?

En premier lieu, la défense. Vraiment, l’équipe a beaucoup progressé dans ce domaine. A partir de là, bien sûr, son assise s’en est trouvée renforcée, et c’est tout le groupe qui en profite, y compris les attaquants. Il faut aussi souligner le mérite de notre entraîneur, Vicente Del Bosque, qui a su nous motiver dans ce sens.

Quels sont ses atouts? Car le Real, dans le passé, a consommé beaucoup d’entraîneurs…

C’est un gros travailleur, qui connaît la maison. C’est primordial. Avec lui, on peut travailler tranquillement, sans autre pression que celle de réaliser, individuellement, le meilleur entraînement possible. Il s’intéresse aux progrès de chacun et tire le meilleur de nous tous. Mais le fait qu’il connaisse le club comme sa poche est un énorme avantage sur ses prédécesseurs. Et puis, ce n’est pas un acteur qui aime se produire sur le devant de la scène. C’est un bosseur qui a su installer une bonne ambiance. Vous entreriez dans nos vestiaires, vous verriez un groupe vraiment professionnel, uni.

Précisément, vous en avez connu beaucoup: Valdano, Iglesias, Capello, Camacho, Heynckes, Hiddink, Toshack, Del Bosque. Lesquels vous ont le plus marqué?

Tous m’ont enseigné quelque chose, car on apprend de tous. Mais il est certain que Valdano est le premier à m’avoir fait confiance. Ça vous marque pour la vie. Et puis, Capello est celui qui m’a rendu professionnel, qui m’a donné l’amour et le sens de l’entraînement.

Vous avez un modèle? Di Stefano? Cruijff?

Je ne me permettrai pas de me comparer à eux. Je ne les ai pas vus jouer. Je préfère me comparer à ceux que je connais, comme Figo ou Zidane. Jouer est le fruit d’un travail quotidien et de sacrifices. Figo et Zidane font ça mieux que personne, et j’essaie, dans ce sens, de leur ressembler.

Figo est arrivé au Real comme une mégastar. Vous, vous n’êtes qu’une star. Vous êtes copains?

Figo n’est pas qu’un grand joueur. On a beaucoup stigmatisé, en Espagne, le prix qu’il avait coûté, mais c’est le football d’aujourd’hui qui veut ça. Et quand on voit son talent, on ne se pose pas de questions. C’est un super mec. On s’est trouvé tout de suite beaucoup d’affinités, notamment dans la façon de préserver tous les deux notre vie privée. On fait beaucoup de choses ensemble. Ce sont les chiffres et ses exploits qui en ont fait une mégastar pour les médias. Mais vis-à-vis de nous, il ne se comporte absolument pas comme tel. Sinon, on ne serait pas de copains comme ça. J’ajoute que d’être proches hors du terrain rend plus grandes encore les affinités qu’on peut avoir dans le jeu.

Votre paternité vous a stabilisé?

Evidemment. Mon fils Jorge va avoir un an le 25 février.

… »Jorge », comme Jorge Valdano?

Bien sûr. C’est un hommage à celui qui le premier a cru en moi.

Venons-en à la Ligue des Champions. Quels sont les favoris de l’épreuve?

Le Real, Manchester United et le Bayern Munich, où évolue Mehmet Scholl, un grand joueur que j’apprécie beaucoup.

Liga, Ligue des champions. Les joueurs disputent-ils trop de matches?

Oui. En moyenne, un footballeur qui dispute son Championnat et la Ligue des Champions s’en tire avec 70-75 matches. Ce n’est pas vraiment l’idéal pour rester en bonne forme physique en permanence. Dans ces conditions, on ne peut pas maintenir au même niveau. Impossible! Il faudrait ramener ce total à 60. Mais, à ce niveau, les joueurs n’ont aucun pouvoir. Les clubs sont nos employeurs et nous demandent de jouer.

Quel est le championnat national le plus dur?

Le nôtre! La Liga est chaque saison plus relevée. Le standing de ses nouveaux joueurs est à chaque fois plus superbe encore. Mais j’aime beaucoup le championnat italien, qui est celui qu’on voit le plus à la télévision après le nôtre. Et puis, j’attache beaucoup d’importance à l’atmosphère qui baigne les rencontres de championnat. C’est pour ça que j’aime aussi le foot anglais, sa Premier League et sa couleur générale.

Aviez-vous des idoles quand vous étiez jeune?

Maradona! Dingue! Et puis, au niveau espagnol: Butragueno et Futre. Oui, Futre, de l’Atletico Madrid. A l’époque, on était tous supporters de l’Atletico avec mon père. C’est dans ce club que les choses sont devenues sérieuses pour moi, mais vous savez que le président Gil y Gil a torpillé l’équipe de jeunes qu’il avait sous la main. La meilleure qu’il avait jamais eue. C’est comme ça que je me suis ensuite retrouvé au Real. Je prenais le train, le métro et le bus pour aller à la Cité sportive. Mais j’étais encore supporter de l’Atletico! Ça faisait des embrouilles!

De quel grand joueur européen sentez-vous le plus proche, dans le style de jeu?

Tous les joueurs sont différents. On me parle souvent de Totti, l’avant-centre de la Roma, un très grand joueur. Et il faut toujours faire confiance à Del Piero. Il a été longtemps blessé. Ne l’oubliez pas. Il lui faut encore un peu de temps avant de retrouver le top-niveau.

Vous êtes de plus en plus médiatisé…

Je sais. J’essaie de me préserver, mais je ne peux pas tout contrôler.

Au fait, Raul, pas trop déçu de n’être apparu qu’à la neuvième place du Ballon d’Or France Football?

Pas de problème. J’ai le temps!

Jean-Marie Lanoë, ESM

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