« Ne dites pas à ma mère que je joue mal »

Pourquoi le Portugais ne va-t-il pas bien? Une analyse en profondeur, loin de l’interview classique.

Moreira n’a plus la frite. Son sourire, d’habitude si généreux et spontané, ne s’illumine aujourd’hui plus qu’en de très rares occasions, dans un cercle restreint d’amis qui se tracassent tous de ce qui lui arrive, à lui et à son football.

Car les deux sont intimement liés, au point que nul ne sait s’il ne marque plus et ne dribble plus parce qu’il est malheureux. Ou s’il a perdu le sourire depuis qu’il ne parvient plus à se faufiler entre deux adversaires.

« Pour moi, il n’y a pas une explication mais toute une conjonction de petits détails qui le tracassent plus que d’habitude », dit son ami Arlindo Veloso, le patron des Caves du Portugal, où Moreira aime venir se replonger dans l’atmosphère de son pays.

Une atmosphère qui lui manque de plus en plus et le week-end dernier, il a profité de deux jours de congé pour prendre un avion pour Lisbonne, comme il l’avait fait quelques semaines plus tôt encore.

« J’ai plus que jamais besoin de côtoyer les miens », dit-il. « Lorsque j’étais à Boavista, je n’avais qu’à parcourir 350 km pour rentrer à Lisbonne mais je pouvais passer trois mois sans y retourner. J’appelais ma mère chaque jour, cela suffisait à mon bonheur. D’ailleurs, aujourd’hui encore, c’est à Porto que je me sens le mieux. Mais pour le moment, le Portugal me manque terriblement. Au cours des deux derniers mois, ma facture de téléphone a augmenté de 50%! J’appelle chaque jour mes frères et mes soeurs. Eux aussi se tracassent. Je leur ai juste demandé de ne pas tout raconter à ma mère. Si elle sait que je joue mal et, qu’en plus je ne suis pas heureux, elle va se tracasser beaucoup trop. Je ne veux pas lui faire de peine ».

Moreira l’avoue: pour le moment, c’est avec des semelles de plomb qu’il se rend chaque matin à l’entraînement. Un état d’esprit que pratiquement tous les travailleurs ont ressenti un jour dans leur vie mais qui le tracasse parce qu’il n’avait jamais imaginé que le football, son jeu préféré, puisse un jour se transformer en corvée.

« Je ne le fais pourtant pas exprès mais ma tête est fermée », avoue-t-il. « Pourquoi? Si je le savais… J’aime ce club, les gens qui le composent, les supporters…Mais je ne suis pas heureux pour le moment et mon football a toujours été basé sur la joie de jouer.Jamais je ne me suis senti aussi mal ».

Manifestement, c’est donc un état d’esprit global qui l’empêche de s’exprimer sur le terrain comme il le souhaiterait, comme tous les supporters du Standard et les amateurs de football belge en général le voudraient. Car on ne trouve pas des Moreira à tous les coins de rue et, quand il ne pétille pas, c’est tout un pan de l’activité footballistique qui manque de saveur.

Une grosse fatigue mentale ou physique?

Mais il vaut mieux ne pas lui prendre la tête: « Que ce soit de la part des journalistes ou même du staff du Standard, les mêmes questions reviennent sans cesse et contribuent encore à ce que je me sente enchaîné. Parfois, j’ai tellement mal au crâne que j’ai l’impression d’être un monstre à dix têtes ».

Il est évident que le classement du Standard, qui n’a plus rien à perdre ni à gagner, n’est pas fait pour donner aux joueurs l’envie de se surpasser chaque semaine sur le terrain.

Moreira: « Je suis en partie d’accord seulement. Nous avons cru à un retour et nous y croirons tant que tout n’est pas mathématiquement joué car nous n’avons plus notre sort entre les mains. Mais nous sommes des professionnels, nous devons toujours donner le maximum de nous-mêmes. Cela ne doit donc pas être la raison principale ».

L’explication pourrait également résider au niveau physique. Moreira est un joueur explosif, qui ne calcule généralement pas ses efforts. Or, il y a très longtemps qu’il n’a plus disputé un championnat complet. Il faut ainsi remonter à la saison 98-99 pour le retrouver dans une équipe de base à cette époque du championnat. L’an dernier, il était blessé. La saison avant, Boavista l’avait écarté pendant un an. Et l’année précédente encore, il n’était pas titulaire à part entière.

« C’est une explication à laquelle je n’avais pas songé », reconnaît-il. « Mais je ne sais pas si elle tient la route. J’ai passé des examens complets récemment, avec prise de sang et tout. On n’a rien décelé d’anormal. C’est vrai qu’il y a longtemps que je n’ai plus joué à cette époque mais à Gil Vicente, en 98-99, j’avais disputé tout le championnat du début à la fin. Nonante minutes par match. Et nous nous étions hissés en demi-finale de la Coupe du Portugal, en éliminant le Sporting. Je me rappelle d’un autre match que nous avions terminé à huit contre onze mais nous continuions à attaquer. Jaime Pacheco était dans la tribune et c’est ce jour-là qu’il a décidé que je devais rentrer à Boavista. Pourquoi ne serais-je plus capable de tenir ce rythme aujourd’hui? Si c’est une question d’entraînement, c’est à l’équipe technique de voir ce dont chaque joueur a besoin. Je ne me sens pas fatigué quand je rentre chez moi. Au Portugal, je devais bien souvent aller dormir après une séance. Ici, je n’ai pas l’impression de souffrir. Pourtant, je ne triche pas ».

Souvent blessé au cours des 18 derniers mois, Moreira a fourni des efforts irréguliers pour revenir dans le parcours. Est-il possible qu’il en paye aujourd’hui la note? « Il est exact qu’à chaque fois que je me blesse, je mets un mois ou deux à me retaper. C’est démotivant, terriblement stressant parce qu’on se sent inutile. J’ai parfois eu l’impression que les choses traînaient trop longtemps, qu’il y avait moyen d’accélérer les traitements ».

Un Standard pas assez ambitieux ou trop maladroit?

Moreira: « Pour en revenir au Standard, je souhaite également que le club consente l’investissement nécessaire à réellement jouer pour un trophée. Je ne veux plus connaître ce que nous venons de vivre pendant deux ans. Cette saison, on a cru que nous pouvions jouer l’Europe mais nous avons très mal négocié notre début de championnat et, de toute façon, notre effectif était trop étroit. Il suffisait que deux joueurs se blessent simultanément pour que ce soit le chaos dans l’équipe. C’est un luxe que nous ne pouvions pas nous permettre. Il nous restait la Coupe de Belgique, où nous avions une superbe carte à jouer étant donné les éliminations précoces des autres favoris mais, comme ce fut trop souvent le cas depuis que je suis ici, nous avons tout gâché en reculant beaucoup trop face à un adversaire très modeste, en ne supportant pas une pression minimaliste. Ce sont des choses dont il faut en tirer des leçons pour l’avenir, le Standard ne peut pas se permettre de recommencer à nouveau à zéro ».

Les leçons, Moreira essaye également de les tirer de ce qui lui arrive actuellement. C’est pour cela qu’il aimerait connaître la raison de ce passage à vide qui a tendance à s’éterniser. « J’y pense sans cesse », dit-il. « En voiture, dans ma salle de bain, au petit-déjeuner… Je sais que je ne suis pas facile à vivre pour le moment ».

Ce n’est pas non plus pour cela qu’il est prêt à tendre l’autre joue et à accepter n’importe quelle critique ou n’importe quelle attitude. Davantage que des supporters, la critique est surtout venue de l’intérieur du club. Après le match au GBA, notamment, Dominique D’Onofrio eut des mots très durs à l’encontre de son numéro dix. On sait que le coach du Standard n’épargne personne et qu’il dit toujours ce qu’il pense dans le but de provoquer l’électrochoc. Mais Moreira n’a que modérément apprécié:

« Je suis le premier conscient du fait que je joue mal et je ne demande pas mieux que d’être mis face à la vérité. Mais je préférerais que cela se fasse entre quatre yeux, pas dans les journaux. Moi aussi, je ne suis pas toujours d’accord avec certaines choses, ce n’est pas pour cela que je les étale dans la presse. Je n’ai pas aimé que Dominique prétende que je n’étais plus le même homme. Je le lui ai dit et il m’a répondu que ses paroles avaient été mal interprétées, qu’il s’inquiétait surtout parce que je ne rigolais plus comme avant. Mais n’est-il pas normal que je sois triste, quand je joue aussi mal? Il y a des critiques que j’accepte, d’autres qui me font plus mal.

Je ne peux pas admettre que les attaques soient personnelles. Je veux bien reconnaître que je ne suis pas bon mais je ne suis pas obligé d’accepter les critiques de n’importe qui à n’importe quel moment. J’exige que l’on me respecte comme je respecte tout le monde. Je fais mon travail et j’aimerais au moins que l’on me laisse tranquille une fois que j’ai quitté le stade. On s’intéresse subitement à ma vie privée, à mes fréquentations. Je suis ici depuis près de deux ans, j’ai forcément plus d’amis qu’au début mais je peux vous assurer que je vis toujours de la même façon qu’avant. Pourquoi tient-on absolument à réinventer mon histoire? »

Patrice Sintzen

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