Nationalité liégeoise

Les hésitations du jeune prodige du Standard rappellent celles d’Enzo Scifo qui opta pour les Diables en 1984.

Au fil des jours qui ont précédé Belgique-Turquie, Mehdi Carcela-Gonzalez a donné l’impression de se débattre entre des citations de deux grands écrivains :  » Ne pas choisir, c’est encore choisir  » ( Jean-Paul Sartre) et  » On ne choisit pas sa carrière, elle s’empare de vous  » ( John Dos Santos). Dick Advocaat l’a attendu jusqu’à vendredi passé avant de déclarer :  » Le chapitre est clos.  » La phrase était courte et le coach fédéral n’a pas précisé si c’était  » pour le moment ou pour toujours « .

Le Liégeois a-t-il raté la chance de sa vie ?

Son cas fait penser à celui d’ Enzo Scifo. Le 8 juin 1984, le jeune prodige louviérois quitte le 21 de la rue des Alouettes avec son papa et se rend au Tribunal civil de Mons pour prendre acte de sa naturalisation. Deux jours plus tôt, il avait déjà pris part à son premier match amical avec les Diables Rouges (Belgique-Hongrie : 2-2). La fédération avait obtenu le numéro de sa carte d’identité et prit le risque de recevoir une amende de 30 à 40.000 francs suisses de la part de l’UEFA. Il y avait urgence car c’était le dernier tour de chauffe pour les troupes de Guy Thys (handicapées par la suspension des joueurs de Sclessin après l’affaire Standard-Waterschei) avant la phase finale de l’Euro 84. Enzo Bearzot, alors coach des Azzurri, l’adorait. L’AC Milan, la Juventus et l’Inter étaient sur la balle.

A 18 ans, profondément belge et totalement italien, Scifo devait choisir entre ses deux patries, celle de son sang et celle qui a offert du pain et du travail à ses parents. C’était cornélien. Il opta en faveur de la Belgique. Pour le remercier, Constant Vanden Stock lui offrit un bon contrat de cinq ans et la fédération lui donna 200.000 euros, de quoi acheter une maison pour ses parents. Les temps ont changé en 25 ans mais les tourments de Carcela sont assez comparables à ceux de Scifo. Avec une nuance : un footballeur doté d’une double nationalité peut désormais jouer en équipes nationales de jeunes de sa terre d’accueil avant d’être sélectionné en équipe nationale A de son pays d’origine. De nombreuses fédérations africaines notamment font appel à cette possibilité et dénichent des jeunes formés dans de grands championnats européens.

Quels moyens de pression ?

C’est ainsi que le Maroc a tourné les yeux vers un jeune talent du Standard : Mehdi Carcela. Son tissu familial andalou et marocain est aussi riche et divers que complexe. Du côté de son père, Francisco Carcela-Gonzalez (le papa joua à Huelva en D3 espagnole), les cicatrices de la Guerre d’Espagne (1936-39) ne sont pas encore effacées : une partie de la famille fut exécutée par les Franquistes. Les Carcela-Gonzalez sont arrivés à Liège en 1958 et ils nouèrent les deux bouts en arrachant la houille aux entrailles de la terre. C’était nécessaire pour nourrir les trois garçons et les cinq s£urs de la famille. Francisco est né en Belgique. Il se sent belge, pas espagnol et totalement liégeois, à l’aise dans cette ville qui est sa patrie. Son épouse, la maman de Mehdi, est d’origine marocaine.

Habitant à Paris, elle était de passage à Liège pour une visite familiale quand elle fit la connaissance de Francisco. Rencontre, coup de foudre, mariage, trois enfants (Mehdi, Izza, Adam), la vie qui passe, un divorce qui se passe bien avec des parents soucieux du bonheur des enfants, une graine de champion qui opte pour la religion musulmane de sa maman. Son père, catholique non pratiquant, ne s’en offusque pas. Sa religion à lui, c’est le foot. Même s’il ne roule par sur l’or, Francisco use quelques voitures pour que son fils, Mehdi, ne rate pas un entraînement dès ses cinq ans au Standard où Simon Tahamata et Alex Czerniatynski sont les premiers à cerner son talent.

Aujourd’hui, les pannes d’essence dans la montée de la Meuse vers les hauteurs du Sart-Tilman sont oubliées. Mehdi a fait son chemin. Mais le plus dur reste à faire : choisir, toujours choisir… Et il n’est absolument pas question d’argent mais… d’identification. Jeudi passé, son agent, Jorge Correa Vidal, qui s’occupe aussi d’ Axel Witsel, était formel :  » Je le connais depuis toujours. A dix ans, on devinait qu’il pouvait aller loin. Personne ne lui a mis la pression. On n’a pas le droit de lui forcer la main : c’est sa carrière. Mehdi est 100 % liégeois. C’est quelque part sa première nationalité. Le Maroc lui a fait des promesses. Son père lui a toujours conseillé d’accorder la priorité aux Diables. Sa maman aussi et elle m’a même dit récemment : – Mehdi devrait répondre oui à l’équipe nationale belge. Au Maroc, sa grand-mère et ses cousins pensent la même chose que moi. Le Maroc nous promet une villa s’il rejoint son équipe nationale. Je n’en veux pas, je peux me la payer moi-même. De mon côté, je lui ai bien expliqué que les petits formats techniques ne manquaient pas au Maroc. Enfin, les voyages à travers l’Afrique sont épuisants. La presse espagnole a parlé de lui. Mais il ne faut pas rêver : le pays de son grand-père compte trop de talents. J’ai compris ses questionnements intérieurs mais son présent et son avenir se situent ici.  »

Jeudi passé, après avoir consulté Lucien et Dominique D’Onofrio, Mehdi avait opté pour la Belgique avant de reporter sa décision à ce mercredi. Pourquoi ? Il y a trois explications. Le Standard l’a peut-être incité à patienter. Les Liégeois ont perdu Igor de Camargo pour plusieurs semaines suite à sa blessure au pied à l’entraînement des Diables. Encore une tuile de plus et Laszlo Bölöni frisera la crise cardiaque. Si c’était vrai, cela prouverait que les clubs font encore la pluie et le beau temps en équipe nationale. Mehdi a peut-être aussi écouté des amis d’enfance plus proches du Maroc que de la Belgique. Enfin, en ne prenant part qu’à des matches amicaux des Diables Rouges, ce qui sera le cas jusqu’en septembre 2009 et le début de la campagne de qualification pour l’Euro 2012, Carcela garde la possibilité d’opter pour le Maroc. Il n’est pas certain que tout cela intéressera encore Advocaat.

par pierre bilic

« Le Standard l’a-t-il incité à patienter suite à la blessure d’Igor de Camargo ? »

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