Mystère George

Pierre Bilic

L’arrière ghanéen relancera-t-il sa carrière chez les Loups après avoir gambergé au Standard et à Malines ?

La classe, il l’a. Elle a toujours fait de lui un grand arrière en devenir. Mais, il en est resté là : la fusée n’a pas encore décollé. Elle est immobile sur l’aire de lancement, bloquée durant le compte à rebours. Panne de carburant, moteur hésitant, météo changeante ? George Blay doit encore être mis à feu et, quelque part, ce sera le rôle d’ Ariel Jacobs, le Werner Von Braun de Cap Tivoli.

A 22 ans, la gars du Ghana a encore le crédit de sa jeunesse mais il le dit tout de suite :  » En football, on n’a jamais le temps.  » Son visage s’éclaire. Enfin. George Blay, c’est un cas, un caractère, un Africain pas comme les autres car l’homme est un solitaire. Depuis qu’il a quitté son pays afin de tenter sa chance en Europe en 1997, Blay vit en solo. Le néo-Louviérois dit qu’il aime la musique mais s’amuserait-il en se promenant à Matonge, le quartier africain de la Porte de Namur, à Ixelles ? Danserait-il en écoutant Saga Africa de Yannick Noah ? Rien n’est moins évident.

 » C’est privé « , a-t-il dit plusieurs fois lors de cet entretien. L’homme est secret. La solitude a très certainement imprégné son caractère.  » Je suis réservé, je l’ai toujours été mais je ne vois guère l’influence que cela pourrait avoir sur la manière d’exercer mon métier « , avance-t-il.  » Seul, c’est parfois très dur mais je n’ai pas le choix : je ne suis pas marié et la famille est au Ghana « .

Sérieux comme un marabout, George Blay sait que l’étape du Tivoli sera importante dans le film de sa carrière. Les Loups devront confirmer une bonne saison, faire leur entrée sur la scène européenne. Cela devrait convenir à un gaillard comme lui.  » Il y avait peut-être eu d’autres offres pour moi, mais je n’en sais rien. On peut rêver d’une Mercedes mais ce n’est pas suffisant pour prétendre en être le propriétaire. Je me sens bien et je tâcherai, comme toujours, de répondre aux attentes de l’entraîneur « .

La saison passée, George Blay évolua durant une demi-saison sous les couleurs de Malines avant que ce club ne croulez sous les problèmes. Stéphane Demol fut à la base de son arrivée à Dallas-sur-Dyle et ne tarit pas d’éloges à propos de son ancien élève.

 » Preud’homme et le Standard voulaient le garder  »

 » A mon avis, George Blay est un des meilleurs arrières de D1 « , affirme Demol.  » Il a tout pour lui : technique, vitesse, sens de la profondeur, intelligence de jeu. A Malines, j’ai pu compter aussi sur sa polyvalence. George se tire aussi bien d’affaires à l’arrière droit, au centre de la défense ou dans la ligne médiane. Je l’ai même aligné à l’arrière gauche. Le Ghanéen ne m’a jamais déçu. Michel Preud’homme et le Standard ont hésité, voulaient le garder. Luciano D’Onofrio aussi mais devant le refus du joueur, ils ont finalement cédé et m’ont aidé à réaliser ce transfert. Je savais qu’il y avait un coup à faire pour Malines et j’ai agi plus vite que les autres. Avec lui, j’étais paré défensivement et je n’ai jamais eu à me plaindre de George dans sa façon d’exercer son métier.  »

Mais, alors, comment expliquer son échec après cinq ans de présence à Sclessin ? Alors que son ami Rabiu Afolabi a joué à Naples avant de se retrouver aujourd’hui à l’Austria Vienne, George Blay fait du sur-place en Belgique.

 » A Liège, il y a des années qu’on rêve d’une grande équipe capable de lutter pour le titre « , avance Stéphane Demol.  » Comme cela ne s’est pas encore réalisé, la pression est énorme et c’est souvent la défense qui casque. Blay a eu droit à sa part de reproches et cela l’a touché. Si je m’étais retrouvé à la tête d’un bon club, j’aurais pris George Blay dans mes bagages. Il le sait. Je suis certain à 2.000 % que La Louvière sera heureuse de l’avoir embrigadé. Si tout va bien, George Blay va s’y requinquer avant de repartir vers les sommets « .

A Malines, le Ghanéen ne tarda pas à se rendre compte que c’était l’heure du vaudeville le plus ridicule de l’histoire du football belge. La direction ne fut pas à la hauteur de la qualité de son noyau. Ce fut l’explosion à la fin du premier tour. Blay s’agite un peu. Que s’est-il passé pour lui là-bas en dehors des terrains ? Son calme devient progressivement esprit de décision en songeant à ses problèmes extra sportifs ? Qu’est-ce qui se cache derrière sa méfiance et son regard qui passe de la mélancolie à la rage ?

 » Je suis un Africain et une personne s’en rendra compte tôt ou tard « , dit-il.  » Je déteste la violence physique et je ne me rendrai pas à Malines afin de régler mes comptes de façon violente. Non, non, je le répète, je suis Africain et cela veut dire quelque chose « .

George a-t-il confié le futur de son ennemi à un sorcier ? Sa ranc£ur est évidente. Il ne pardonnera rien à celui qui l’a déçu.

 » Tout ce que j’ai a été gagné à la sueur de mon front « , affirme George Blay.  » A Malines, j’ai hérité de l’appartement d’un ancien joueur. J’y étais domicilié comme le prouvait ma carte d’identité. Après un séjour au Ghana, j’ai retrouvé mon logement vide. Malines n’avait probablement pas payé le loyer et le propriétaire emporta mes biens personnels en guise de représailles. Je n’y étais pour rien mais il n’en vola pas moins mes meubles, ma télévision, mes papiers, des bijoux, mes habits, des slips, tout quoi. Je n’avais plus rien. Puis, le bougre a tout vendu. J’étais terriblement choqué et je le suis encore, c’est évident. Je n’avais jamais vécu une telle situation « .

Après six petits mois à Malines, George Blay se retrouva à Accra, chez lui, afin de se refaire un moral. Pensa-t-il alors à son premier départ du Ghana en 1997 ? Lors d’un tournoi d’équipes nationales de jeunes, il avait attiré le regard de Rodger Lindse, un ancien journaliste sportif hollandais devenu agent de joueurs. Son père, John Lindse, avait été un reporter sportif en vue et connaissait bien Aad de Mos. Ce dernier débarqua à Sclessin et Rodger Lindse y déposa Blay et Afolabi. Cherchez la connexion. Le Standard y trouva son compte car Blay, c’était de la bonne graine. Hélas pour lui, le chapelet des entraîneurs du Standard fut plus long que celui des bigotes à Lourdes : Aad de Mos, Daniel Boccar, Luka Peruzovic, Tomislav Ivic, Zeljko Mijac, Jean Thissen et Henri Depireux, Dominique D’Onofrio, Michel Preud’homme. Pour un jeune, ce n’est pas l’idéal.

Erreurs de jeunesse

 » Ils m’ont tous apporté quelque chose « , dit-il.  » J’apprends, je retiens. J’ai surtout été étonné par la double personnalité de Tomislav Ivic : charmant au quotidien, pris de frénésie avant et pendant un match « .

Un peu plus de stabilité lui aurait été utile mais ses problèmes ont aussi et surtout des origines personnelles. Sacha Feytong, ancien délégué et désormais tributaire du poste administratif sportif dans l’organigramme du Standard, se souvient fort bien de lui :  » C’est un cas et certainement un très bon joueur. Le Standard aurait souhaité le garder. Michel Preud’homme l’adorait. Mais je ne sais pas ce que son manager lui a promis. Le ciel probablement, hélas « .

Feytong se souvient de son talent mais aussi de ses écarts quand il rentrait au Ghana. Personne ne savait alors quand Blay rentrerait en Belgique. Un jour ou deux semaines plus tard que prévu ? Toutes les excuses étaient bonnes et les Liégeois se sont demandés si son père et sa grand-mère n’étaient pas morts quatre fois. Des erreurs de jeunesse probablement. Blay est un habitué de son équipe nationale. Il est revenu un jour avec la malaria. Ne devra-t-il pas choisir tôt ou tard entre son équipe nationale et une carrière en Europe ? Les séjours en Afrique ne sont-ils pas trop éreintants ?

Il refuse de se poser la question pour le moment :  » Jouer pour son équipe nationale, c’est un devoir, un plaisir et un honneur pour tout joueur professionnel. Je ne vois pas pourquoi il faudrait que je refuse tout cela « .

Stéphane Demol ne se fait guère de soucis :  » Il a totalement pris conscience des obligations de son métier. Pour le moment, il ne joue d’ailleurs pas en équipe nationale. A Malines, Blay n’est jamais arrivé en retard « .

George Blay était très affûté lors de la reprise des entraînements sifflée par Ariel Jacobs et son staff. Il a gardé cette foulée légère, typique des champions d’athlétisme africains, qui lui a permis de signer de beaux raids quand il jouait au Standard. A lui de remettre le couvert au Tivoli où son contrat court sur un an avec une option pour un exercice de plus. Il s’est établi dans la cité de la Louve : le reste devrait suivre.

 » I do my best « , a-t-il affirmé à son coachen guise de promesse pour le championnat qui pointe déjà à l’horizon.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire