Muter ou mourir

Ils ont marqué l’histoire du football mais doivent se transformer s’ils ne veulent pas disparaître.

Dans le langage du football, on les appelle les numéros 10. Allusion, bien sûr, au numéro que la plupart d’entre eux portaient sur leur maillot. Ces meneurs de jeu à la technique raffinée et à la créativité illimitée ont marqué l’histoire du football : DiegoMaradona, MichelPlatini, ZinédineZidane, etc. Aujourd’hui, pourtant, ils deviennent une espèce rare. Car le football a évolué et on leur demande aussi de défendre. Soit ils s’adaptent, soit ils disparaissent.

La plupart des équipes belges de D1 évoluent aujourd’hui avec deux médians récupérateurs. Si elles optent pour un système en 4-4-2, il n’y a plus de place pour un numéro 10. Les meneurs de jeu n’ont leur place qu’au sein d’un 4-3-3 ou d’un 4-5-1. Ou alors, ils doivent se déplacer sur le flanc.

Cartier :  » La terminologie change aussi  »

Pour AlbertCartier, le coach du Brussels, la disparition des numéros 10 n’est pas un phénomène nouveau :  » Cela fait une quinzaine d’années que l’on fait cette constatation. Je n’irai pas jusqu’à dire que Michel Platini n’aurait plus sa place dans le football moderne, car il y a toujours de la place pour les bons joueurs, mais on demande davantage à ce type de footballeurs que simplement distribuer le jeu : ils doivent aussi £uvrer à la récupération. Inversement, les joueurs soi-disant défensifs doivent aussi offrir un apport offensif. Si beaucoup d’équipes évoluent avec deux milieux défensifs, on ne leur demande pas uniquement de défendre. Je constate d’ailleurs une évolution dans la terminologie : on parle de plus en plus de milieux récupérateurs, et plus de milieux défensifs. Cela dit bien ce que cela veut dire : ils doivent récupérer le ballon puis le donner. Donc, être capables d’adresser une bonne passe. Dans l’ensemble, on demande aux footballeurs d’être plus complets, et cela part des défenseurs, dont on exige aujourd’hui qu’ils soient solides derrière mais aussi qu’ils aient une bonne relance afin d’amorcer le processus offensif et d’accélérer le jeu « .

D’Onofrio :  » Deux récupérateurs, c’est une option  »

Au Standard, DominiqueD’Onofrio évolue aussi avec deux médians récupérateurs : MathieuAssouEkotto (ou ChristianNegouai contre Westerlo) et KarelGeraerts. Est-ce une nécessité ?  » Disons que c’est une option « . Au détriment des numéros 10 ?  » Ce type de joueur est effectivement en voie de disparition. Je pourrais prendre l’option de jouer avec un numéro 10, qui serait AlmaniMoreira ou Wamberto, mais j’ai choisi un autre système. Je demande de jouer par les flancs et de rechercher la profondeur, ce qui convient bien à Mémé Tchite « .

Lorsque Moreira ou Wamberto joue, c’est souvent sur le flanc :  » Cela s’explique par le fait que je ne suis plus très riche en flancs gauches spécifiques depuis le départ de MilanRapaic et de Gonzague Vandooren. Mais le fait de jouer avec deux médians récupérateurs ne m’empêche pas d’être offensif. C’est l’animation qui compte. Pour moi, une équipe est offensive lorsqu’elle aligne au moins quatre joueurs à vocation offensive. L’équilibre parfait, c’est 5-5 évidemment « .

Bodart :  » Une prise de risques calculée  »

A La Louvière, GilbertBodart a fait l’inverse : il avait un créateur sur le flanc et l’a déplacé en milieu de terrain. Il s’agit de FadelBrahami, qui évolue désormais comme numéro 10.  » Plutôt comme 9,5 car il est plus proche des attaquants que du milieu de terrain. Mais il a, effectivement, un rôle libre en position centrale. Sur le flanc, il perdait une part de créativité. Je ne lui demande pas de défendre. En perte de balle, il ne doit pas chasser le ballon. Il doit, au contraire, déjà se repositionner pour le moment où on récupérera le ballon et où il devra réaliser une action ou une passe décisive « . Un entraîneur qui demande à l’un de ses joueurs de ne pas défendre, cela devient rare dans le football moderne.  » Dans la situation où se trouvait La Louvière, il fallait prendre des risques car on ne pouvait plus se contenter d’un point. On avait besoin d’avancer à coups de trois points. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai décidé de jouer à trois derrière, parfois même à deux lorsque l’adversaire ne joue qu’avec un attaquant et que JaroslawMazurkiewicz peut monter d’un cran pour créer le surnombre. Dans l’entrejeu, on a, comme beaucoup d’équipes, un numéro 6, c’est-à-dire un pur demi défensif, et un numéro 8, c’est-à-dire un médian récupérateur qui joue un peu plus haut et est un peu plus offensif. On jouera de la même manière à Bruges. Tant pis si on prend une raclée, mais je veux conserver ce système pour qu’il soit rodé dans les matches ultérieurs, où il faudra à nouveau jouer pour la victoire « .

Vercauteren :  » Les spécialistes disparaissent  »

Anderlecht est, actuellement, la seule équipe belge de D1 qui joue avec un seul demi défensif et un vrai numéro 10 : PärZetterberg.  » On peut soit établir une tactique à l’avance et choisir les joueurs en fonction de cette tactique, soit choisir la tactique en fonction des joueurs dont on dispose. A Anderlecht, on a plutôt opté pour la deuxième solution « , explique Frankie Vercauteren.  » C’est vrai aussi que les numéros 10 font un peu partie de la tradition mauve. Le public du Parc Astrid a toujours été friand de ce genre de joueur créatif. Mais quand Zetterberg joue, il a aussi une mission défensive à remplir. Les flancs ont également un rôle important : ils doivent rentrer dans le jeu pour soulager l’unique demi défensif dans sa tâche « . L’entraîneur bruxellois l’admet pourtant :  » Les vrais numéros 10 disparaissent. Dans les grandes équipes, on n’en trouve pratiquement plus, si ce n’est Zinédine Zidane au Real Madrid. Plus généralement, ce sont les spécialistes qui disparaissent. Quand on ne fait qu’une seule chose, on est plus facile à contrer. Aujourd’hui, on préfère des joueurs qui ont plusieurs cordes à leur arc. Lorsqu’on a trois milieux de terrain, on leur demande à tous les trois d’être capables de défendre, d’attaquer et d’adresser une passe « .

Broeckaert :  » Question d’équilibre et de profondeur  »

A Mouscron, il y a aussi un vrai numéro 10, PacoSanchez en l’occurrence, mais il joue très peu parce que GeertBroeckaert a opté pour un système avec deux demis défensifs.  » C’est une tradition à Mouscron. Jadis, on a effectivement joué avec un vrai numéro 10 comme DominiqueLemoine, mais c’était dans un système en 4-3-3 et il y avait toujours deux demis défensifs derrière lui. Je suis bien placé pour en parler puisque j’étais l’un de ceux-là, l’autre étant YvesVanderhaeghe. Dans un système en 4-4-2, beaucoup d’entraîneurs optent pour deux demis défensifs. Je n’ai rien inventé : c’était déjà le cas à Bruges, jadis, avec FrankyVanderElst et LorenzoStaelens. Souvent, l’un des deux est un peu plus offensif que l’autre. C’est le cas chez nous avec PatriceNoukeu, qui est plus infiltreur par rapport à Steve Dugardein. Au Brussels, RichardCulek s’aventure plus fréquemment en zone offensive qu’ AlanHaydock. Ce choix tactique handicape un peu Paco Sanchez, qui est un vrai numéro 10 : c’est entre les lignes qu’il se sent le plus à l’aise, car il n’est ni un attaquant, ni un demi défensif. C’est aussi le problème d’ EricJoly à Roulers : FrédéricVanderbiest et lui aiment recevoir le ballon dans les pieds. Or, pour avoir un équilibre dans l’équipe, il faut un joueur qui recherche davantage la profondeur : RockyPeeters en l’occurrence. Chez les néo-promus, je constate aussi que Koen De Vleeschauwer et Maxime Annys rentrent fréquemment dans le jeu : ils ne restent pas confinés sur leur flanc. Pour aligner un vrai numéro 10, il faut quasiment jouer en 4-5-1, avec cinq hommes dans l’entrejeu. Si Anderlecht est la seule équipe belge qui évolue avec un seul demi défensif, c’est parce qu’elle peut se le permettre : elle domine la plupart du temps. Dans les autres équipes, les entraîneurs ont souvent peur et essaient de fermer l’axe, car c’est là que les pénétrations adverses sont les plus dangereuses. Donc, la créativité et la profondeur se déplacent sur le flanc « .

Leekens :  » Quand on a un numéro 10, on s’adapte  »

GeorgesLeekens s’est toujours dit adepte des numéros 10, mais il fait la même constatation :  » Ils ont effectivement tendance à disparaître, que ce soit en Belgique ou à l’étranger. Il reste Zidane au Real et Zetterberg à Anderlecht. Jadis, il y avait aussi JosipSkoko à Genk. Quand on possède un numéro 10, on s’adapte. Vous pouvez toujours me donner un Lemoine, je m’adapterai également car ce type de joueur peut apporter un plus. A Gand, j’ai MbarkBoussoufa. C’est un créatif, mais pas un véritable numéro 10. Pour moi, un 10 est un joueur qui occupe une position centrale, possède une bonne technique individuelle, sait jouer et faire jouer, adresse de bonnes passes, est capable de garder le ballon lorsque l’équipe est sous pression, est intelligent, dirige, et surtout, dicte le rythme du match. Si les numéros 10 disparaissent, c’est pour plusieurs raisons. D’abord, le physique prend une place de plus en plus importante dans le football moderne. Ensuite, on exige de plus en plus de mobilité. Si les joueurs créatifs ont actuellement tendance à se déplacer sur les flancs, c’est parce qu’il faut rechercher de l’espace et qu’il n’y a quasiment que là qu’on peut en trouver. En milieu de terrain, tout est cadenassé « .

Anthuenis :  » Technique plus mobilité  »

Et en équipe nationale ? ThomasBuffel est-il un vrai numéro 10 ?  » Pas tout à fait « , estime AiméAnthuenis.  » Sa meilleure place est celle de deuxième attaquant. C’est dans ce rôle qu’il évoluait autrefois à Feyenoord, en soutien du pivot PierreVanHooijdonck. Le rôle des numéros 10 a évolué. Avant, c’était un joueur qui devait assurer la liaison entre la défense et l’attaque. Un joueur qui avait une bonne technique, qui adressait souvent la passe décisive mais qui marquait rarement lui-même. C’était le cas de HeinzSchönberger à Beveren. Progressivement, les numéros 10 se sont mis à marquer un peu plus et à jouer un peu plus haut : MarcDegryse en soutien de Jan Ceulemans à Bruges, Pär Zetterberg en soutien de Jan Koller et de Tomasz Radzinski à Anderlecht. On leur a progressivement demandé davantage. Dans le football moderne, les numéros 10 doivent toujours avoir une technique aussi affûtée que celle de leurs prédécesseurs, mais ils doivent en outre être très mobiles et témoigner d’une grande activité, y compris à la récupération. Les prototypes du numéro 10 moderne sont StevenGerrard et FrankLampard. Aujourd’hui, le terme de numéro 10 est devenu un peu péjoratif pour certaines personnes, qui le considèrent comme un joueur statique, à la limite fainéant, qui se contente de faire jouer les autres. Je ne suis pas de cet avis. Un Pär Zetterberg bien inspiré est toujours d’un grand apport pour Anderlecht. Comme l’était aussi AlinStoica, il y a cinq ou six ans, lorsqu’il éblouissait le public de sa classe « .

DANIEL DEVOS

 » L’AXE EST BOUCHÉ ET IL FAUT RECHERCHER LES FLANCS ET LA PROFONDEUR  » (D’ONOFRIO)

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