Mustapha et Rachid

Un Dragon et un Loup d’origine marocaine prouvent, avant le dernier derby hennuyer de l’année, que l’intégration peut aussi passer par le foot.

Le Hainaut se prépare pour un match qui sent la poudre: Mons reçoit La Louvière ce week-end, et on devine que plusieurs personnes de l’Albert nourrissent le secret espoir de mettre les choses au point par rapport à un club qui n’a plus voulu d’elles. Jean-Claude Verbist, le manager. Marc Grosjean, le coach. Mais aussi plusieurs joueurs: Claude-Arnaud Rivenet et Olivier Suray n’étaient plus désirés au Tivoli. Et c’est là, également, que Cédric Roussel a accompli une bonne partie de sa formation. Dans l’ombre de l’équipe Première de Mons, on repère encore deux autres ex-Loups: Sébastien Nottebaert et Hocine Chebaiki.

Dans chaque équipe, on trouve un joueur d’origine marocaine qui fait joliment son chemin. Mustapha Douai est inamovible dans l’axe de la défense montoise depuis le début de la saison. Et Rachid Belabed, qui n’avait jamais évolué en D1 belge avant le début de ce championnat, est presque incontournable dans son rôle de médian défensif chez les Loups. Il revient d’une expérience en Ecosse (Aberdeen) qui lui a fait le plus grand bien.

Rachid Belabed: Quand j’ai appris que les Ecossais étaient intéressés, je n’ai pas réfléchi bien longtemps. On me proposait un contrat de quatre ans et je trouvais ça flatteur. J’ai fait mon sac comme l’étudiant insouciant qui part pour une année au Canada… Je n’ai jamais regretté d’avoir quitté le RWDM. A Aberdeen, j’ai appris à me battre contre des concurrents directs plus forts que moi et à aborder les duels sans retenue. Ma condition physique et mon jeu de tête ont terriblement évolué là-bas.

Etes-vous surpris d’être aussi régulièrement titulaires cette saison alors que vous n’étiez guère connus il y a quelques mois?

Belabed: Non. J’ai deux gros concurrentsdans le noyau: Ernst et Haydock. Mais je sais que, si je me donne toujours à 200%, je mérite d’être dans l’équipe. En Ecosse, j’ai acquis une grande confiance en mes moyens. Je ne me suis jamais considéré comme le successeur de Karagiannis à La Louvière. Comme lui, je suis un médian récupérateur. Mais la comparaison s’arrête là. J’ai d’autres qualités que lui, malgré tout le respect que je lui dois: mon efficacité dans les duels aériens, mon jeu des deux pieds et ma technique qui me permet d’apporter un plus offensif.

Mustapha Douai: Je peux me tromper, mais j’ai l’impression que Marc Grosjean comptait sur moi dès la campagne de préparation. J’ai toujours joué pendant l’été, sauf quand j’étais blessé. L’entraîneur avait une idée bien précise en tête dès le premier entraînement: il voulait former une paire défensive centrale Douai-Ciobotariu, avec un double pare-chocs Joly-Suray devant nous. Il m’a dit que je pouvais être le complément idéal de Ciobotariu. Je ne me suis pas pris la tête. L’année dernière, j’avais déjà une légende à mes côtés: Mercier! Ciobotariu, c’est encore autre chose, mais cela ne m’a jamais effrayé. Notre collaboration est vraiment très bonne: nous jouons la zone à quatre derrière, Ciobotariu est un peu décalé sur la gauche, et moi sur la droite. Je n’ai jamais eu l’impression, cette saison, qu’il nous fallait un couvreur derrière nous.

A La Louvière, on préfère évoluer avec un vrai libero.

Belabed: C’est le choix de l’entraîneur. Mais, comme lui, je ne suis pas d’accord quand on dit que La Louvière est une équipe défensive. Chez nous, ça ne plaît à personne. Tout le monde fait très bien son travail: c’est différent. Je constate que nous avons, pratiquement dans chaque match, trois, quatre ou cinq occasions de but franches: une équipe défensive n’arrive pas à un total pareil.

Douai: éa me fait un peu rire quand j’entends que Mons est une équipe très offensive. Nous ne sommes pas offensifs du tout! Nous sommes avant tout prudents. En réalité, notre reconversion, qu’elle soit défensive ou offensive, est très rapide. En possession de balle, il y a directement trois ou quatre joueurs qui montent pour épauler Roussel. Mais, en perte de ballon, notre attaquant est tout seul en pointe. Nous marquons plus de buts que La Louvière, mais ce n’est pas pour ça que nous jouons la fleur au fusil.

Que vous inspire le derby?

Belabed: Rien de spécial. Pour moi, c’est un match comme un autre. Il y a une rivalité entre les deux clubs, mais je ne me sens pas du tout concerné. J’ai l’impression qu’il règne, à Mons, une certaine jalousie par rapport à La Louvière. Les Montois sont les premiers à s’intéresser à nos résultats.

Douai: La jalousie vient de La Louvière… Les gens et les supporters de ce club semblent admiratifs face à nos résultats. Chez nous, il y a clairement certaines personnes qui attendent ce match avec impatience pour mettre les points sur les i. Le manager et l’entraîneur ne nous disent rien, mais j’imagine qu’ils voudront prouver quelque chose. Suray et Rivenet aussi. Le cas de Roussel est différent car il avait quitté La Louvière par la toute grande porte. Entre Belgique et Maroc, Belabed a choisi

Votre réussite est celle de deux joueurs d’origine marocaine qui ont très peu connu le pays de leurs parents mais y restent profondément attachés!

Belabed: Je suis né ici mais mon coeur reste au Maroc. A 18 ans, j’ai reçu deux convocations au même moment: je pouvais aller jouer des tournois en Israël et en Slovaquie avec les -19 belges, ou un match avec les -19 marocains. J’ai hésité un peu, puis j’ai opté pour le Maroc. Je ne l’ai jamais regretté. Entre-temps, j’ai découvert de nombreux pays d’Afrique et j’ai participé aux éliminatoires de la CAN des Espoirs. Je sais que la fédération marocaine me suit dans l’optique de l’équipe A. Je suppose que j’aurai un jour ma chance si je continue à m’affirmer en Belgique.

Douai: Je suis également né en Belgique et je ne peux pas dire que mon coeur soit au Maroc. Même si je reste fort attaché à mes racines. J’ai reçu une éducation marocaine et je respecterai toujours ces valeurs. Pendant le Ramadan, qui s’est terminé il y a peu de temps, je retournais chaque soir chez mes parents, où je retrouvais mes frères et soeurs pour déguster ensemble des petits gâteaux. Je ne connais pas un seul Marocain qui pourrait se fâcher à vie avec un frère ou une soeur.

Avez-vous fait le Ramadan?

Douai: Oui, et nous étions sept à le faire dans le noyau de Mons: Kharif, El Araichi, Chebaiki, Baita, Sylla, Sagna et moi. C’est plus facile quand on est nombreux. Les jours où il y avait deux entraînements, nous n’allions même pas à la salle des joueurs au moment du repas de midi. Il ne faut pas être maso, quand même (il rit)… J’ai souffert les jours où nous nous entraînions deux fois, parce que je ne buvais même pas un verre d’eau avant la fin de la journée, mais cela n’arrivait que deux fois par semaine. Il ne fallait donc vraiment souffrir que huit jours sur l’ensemble du mois du Ramadan. Et, les jours de match, je faisais l’impasse sur le jeûne.

Belabed: Le Coran stipule qu’on peut sauter le Ramadan en cas de circonstances exceptionnelles, à condition de rattraper le jour perdu au cours de l’année qui suit, dont avant le début du Ramadan suivant. Cette année, je n’ai fait aucune exception. Je le faisais avec un autre joueur de La Louvière: Guerrouad.

Vos entraîneurs n’ont-ils jamais fait de remarque?

Douai: Marc Grosjean a été assez diplomate pour ne rien dire. Il nous laisse nous autogérer. Autrefois, j’avais déjà apprécié la réaction de Pister. Nous nous entraînions à 17 heures, et le jeûne se terminait un quart d’heure ou une demi-heure plus tard. Il nous laissait alors interrompre le travail pour que nous puissions nous désaltérer et avaler un coupe-faim en vitesse. Il lui arrivait même de nous donner un jour de congé pendant le Ramadan.

Belabed: Ariel Jacobs ne nous a jamais rien dit. Il respecte nos convictions parce qu’il voit que le Ramadan n’a aucune incidence sur nos prestations. Douai applique le Coran, sauf les prières

Appliquez-vous tous les préceptes du Coran?

Douai: Je ne fais pas les cinq prières quotidiennes. Je suis croyant, mais pas pratiquant à 100%. Je ne dis pas que l’Islam est une religion à la carte, mais chacun fait quand même un peu ce qu’il veut.

Belabed: Je fais toutes les prières, mais jamais pendant un entraînement. Dans ce cas-là, je décale un peu et le délégué de La Louvière me prête un petit local où je peux me recueillir. Je tiens à appliquer tous les préceptes de ma religion. La donation, notamment: j’envoie régulièrement de l’argent, des vêtements et de la nourriture à des associations du monde entier.

Douai: J’applique également tous les préceptes, sauf les prières parce que je trouve qu’elles ne sont pas compatibles avec le foot professionnel.

Vous envisagez donc tous les deux d’aller un jour à La Mecque?

Belabed: Certainement. Mes parents n’y sont pas encore allés, mais c’est pour bientôt.

Douai: Mes parents y sont allés à 50 ans. Ils ont d’abord dû épargner le prix du voyage et du séjour: 9.000 euros! Le Coran demande aux Musulmans d’aller à La Mecque, mais seulement s’ils ont les moyens de s’offrir le pèlerinage.

Comment réagissez-vous aux remarques des Occidentaux face aux Musulmans?

Douai: Je comprends parfaitement… qu’ils ne comprennent pas tout. C’est leur droit. Certains Belges ont peur d’une poussée de l’Islam. Aussi longtemps que cela restera dans des proportions raisonnables, il n’y aura aucun problème. Evidemment, ce serait autre chose s’il y avait prochainement huit millions de Musulmans dans ce pays. Je n’accepte pas qu’on fasse l’amalgame entre Islam et terrorisme, mais je peux le comprendre à partir du moment où des terroristes disent agir au nom de l’Islam. Notre religion, ce n’est évidemment pas envoyer des avions dans des tours de l’ennemi. Il faut aller dans une mosquée, au Maroc ou à La Mecque pour comprendre ce qu’est vraiment l’Islam.

Belabed: L’Islam, c’est la paix. Quand je vois des extrémistes, je dis non.

Etes-vous parfois confrontés au racisme dans le monde du foot?

Douai: Il y a des pseudo-supporters, surtout en Flandre, qui lancent des petits cris typiques quand un joueur africain a le ballon. Je ne réagis pas. Je prends plutôt ça comme un compliment. Je me dis que, si j’étais mauvais, ils ne me taquineraient pas. Mais ça les fait râler que leur attaquant vedette ne marque pas.

Belabed: Il y a des malades partout, mais ils sont quand même rares. Quand on me fait une remarque raciste, je fais un grand sourire et je m’en vais.

Douai: Tout le monde a le droit d’avoir un avis. De ne pas aimer les gens des autres races, par exemple. Mais on n’a pas le droit de l’exprimer dans un stade de foot. Les immigrés mieux perçus à Mons qu’à Charleroi

Vous avez tous les deux connu deux grandes villes belges: y aborde-t-on les étrangers de la même façon?

Belabed: A Bruxelles, il y a une importante communauté maghrébine et je trouve que ça ne se passe pas mal. De La Louvière, je ne peux rien dire. Dès l’entraînement ou le match terminé, je remonte sur Bruxelles.

Douai: J’ai grandi à Charleroi. Le taux d’immigrés n’y est pas aussi élevé qu’à Bruxelles, mais dans ma ville d’origine, on fait facilement l’amalgame entre délinquance et immigration. A Mons, c’est tout le contraire. Les immigrés sont considérés comme une richesse supplémentaire. Cela s’explique: il y a de nombreuses universités et le SHAPE. Beaucoup d’étrangers y viennent pour étudier ou travailler. Bref, pour s’en sortir. A Charleroi, il y a surtout beaucoup de chômeurs parmi les immigrés. Cela change évidemment la perception des Belges.

Belabed: On a tort de faire l’amalgame délinquance-immigration. Les vols et les agressions ne sont le fait que d’une petite minorité d’immigrés. C’est une question d’éducation. Moi, après l’école, je faisais du sport. A 21 heures, je devais être à la maison parce que mon père fermait la porte.

Le fait de provenir d’un milieu modeste vous a-t-il encouragé à travailler dur pour vous en sortir via le football?

Douai: Je proviens certes d’un milieu modeste et d’une famille nombreuse, mais je n’ai quand même jamais manqué de rien. Bon, c’est vrai que si mes parents avaient été millionnaires, j’aurais peut-être essayé de percer dans le golf (il rit).

Qu’avez-vous pensé de l’affaire Abou Jahjah? Le leader de la Ligue arabe européenne s’est retrouvé en prison et a été considéré comme un martyr par les Arabes de Belgique!

Belabed: Il y a des extrémistes partout. Des manipulateurs qui essayent de pousser les jeunes sur les mauvaises voies. Mais ce n’est pas parce qu’on est arabe ou musulman qu’on a envie de casser des vitres!

Daniel Ducarme a lancé une phrase qui a fait beaucoup de bruit: « L’intégration en Belgique est un échec ».

Douai: Si, par mon comportement et ma percée sportive, je parviens à faire changer d’avis ne fût-ce qu’une seule personne, je me dirai que j’ai réussi.

Pierre Danvoye,

« Les cris racistes des pseudo-supporters? Je prends plutôt ça comme un compliment » (Douai)

« Ce n’est pas parce qu’on est arabe ou musulman qu’on a envie de casser des vitres » (Belabed)

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