« Museeuw est mon idole, pas Armstrong! »

Pierre Bilic

Malgré son abandon après l’Alpe-d’Huez, le Champion de Belgique a signé une bonne entrée dans la Grande Boucle.

Ludovic Capelle a joué son maillot de Champion de Belgique au casino du Tour de France et a gagné le gros lot. Le sprinter de Jambes est la révélation belge de la Grande Boucle. Les argentiers du Lotto doivent s’en mordre les doigts, eux qui snobèrent son talent de finisseur, malgré l’insistance de Claudy Criquielion, et ne crurent pas en lui durant le dernier hiver. Dur, très dur de décrocher des budgets quand on vient du sud du pays où le sport cycliste n’est pas des plus florissants.

Mais le bougre s’est accroché, s’est appuyé sur ses bouquets acquis chez les jeunes (deux succès au Tour des Flandres Espoirs en 1996 et 1997), a rodé son coup de pédale chez Michel Pollentier où il est devenu un Flandrien, un « Flahute » comme disent les Français, par son style de course. Puis, Capelle a dévoré de la vache enragée dans l’écurie Home Market/Ville de Charleroi de Didier Paindaveine avant de signer cette saison pour le compte de Vincent Lavenu, le patron de l’écurie AG2R.

Son nom n’avait jamais été cité avant le National de Hal. Après son succès, une petite partie de la presse se demanda même si Ludovic Capelle était digne de son paletot national. Ces censeurs ont dû manger leur plume durant les deux premières semaines du Tour de France. L’inconnu révéla une personnalité positive, intéressante, collective, mûre.

Maniant bien nos deux langues nationales, le Namurois a cartonné dans les médias, en Belgique mais aussi en France. Il a une gueule.

Votre avenir au Tour de France passera tôt ou tard par le maillot vert qui fait en grande partie la réputation d’Erik Zabel. Mais si l’Allemand passe la montagne, on ne sait pas si vous pouvez en faire autant.

Ludovic Capelle: Moi, je n’ai jamais eu la prétention de réussir le Tour de France parfait. C’était ma première expérience. J’avais mes ambitions propres qui n’ont finalement aucun rapport avec celles d’Erik Zabel. Il est déjà un vieux de la vieille dans ce métier. J’ai humé l’atmosphère de la Grande Boucle avec une mission bien précise en tête : aider mon chef de file, Jaan Kirsipuu, à gagner une étape. En remplissant bien mon contrat, j’ai renvoyé l’ascenseur à mon directeur sportif. Je n’ai jamais pensé à tenter ma chance. Je n’étais là pour cela, mon tour viendra, j’en suis sûr. Je ne serais arrivé à rien si j’avais joué perso. J’ai soutenu Jaan Kirsipuu car il le mérite. Il est encore plus rapide que moi, et a bien géré toute la pression qui reposait sur ses épaules. Je n’avais pas à assumer tout ce stress. Nous devinions que la vérité devait éclater, pour nous, avant l’Alpe-d’Huez.

Toutes les formations étant dans notre cas ont donné tout ce qu’elles avaient dans le coco du 7 au 17 juillet avec, à la clé, des étapes de plaine qui furent autant de classiques. Quand je suis arrivé à Aix-les-Bains, j’étais tout simplement fatigué. Avec le temps, j’apprendrai forcément à un peu mieux doser mes efforts. Je connais la montagne mais je ne serai jamais un aigle. Pour la franchir, un sprinter doit s’épargner, se placer dans un bon groupe où il y a assez de coureurs de métier qui savent imprimer le rythme voulu pour arriver dans les délais. Le vrai drame, c’est de se retrouver tout seul dans la montagne, sans point de repère.

« J’ai encore des objectifs cette année ».

A-t-il été facile de prendre la décision de mettre pied à terre sur la route de l’Alpe-d’Huez alors que c’est le début de la gloire pour vous?

J’ai été au bout de moi-même. La tête est à la base de beaucoup de choses en sport, certainement en cyclisme. Le mental était encore à la hauteur mais il y avait cette fatigue, le corps qui avait été au bout de ses possibilités. Entre Verdun et Bar-le-Duc, j’ai pris froid lors du contre-la-montre par équipes et, deux jours plus tard, ma gorge me posait problème. C’était un début d’angine, je crois. Il ne servait à rien de tirer le diable par la queue sur les rampes de l’Alpe-d’Huez. Ce jour-là, j’ai pris le départ mais la batterie était plate. J’ai été lâché trois fois, je suis revenu mais il était finalement inutile de griller la machine. La saison ne se limite pas au Tour. Il y a encore des rendez-vous importants durant la deuxième partie de la saison.

Comme Paris-Bruxelles, où vous avez terminé à la troisième place la saison passée…

Une étape du Tour semble plus vitale que tout mais si je dois choisir entre le Circuit Het Volk, par exemple, et un bouquet de la Grande Boucle, j’opte pour le Volk. Même si le Tour de France me plaît, je suis d’abord un coureur de classiques. Il y a de plus en plus une spécialisation. Après dix jours au Tour, on a bien vu que les coureurs qui étaient au boulot depuis le mois de février étaient en panne de jus par rapport à ceux qui ne jurent que par le Tour de France. Le rythme était dément. Aucune équipe ne peut contrôler la course et cela fuse sans cesse : bon pour le spectacle mais c’est dur.

« Je suis plus rapide que Zabel en sprint massif ».

A Dunkerque, avant le départ, Erik Zabel a dit qu’il n’avait jamais entendu parler de vous. Puis, le sprinter de la Deutsche Telekom ajouta qu’il croyait que vous étiez français: que vous inspira cette ignorance?

Rien.

Pas sûr car dans une réaction, vous avez dit que vous étiez plus rapide que lui. Si ce n’est pas de l’ambition, c’est bien imité, non?

Je maintiens mon affirmation : en cas de sprint massif, je suis plus rapide que lui. Même si la chance ne fut pas nécessairement à leurs côtés, il y avait deux sprinters de classe supérieure au Tour : Jaan Kirsipuu et Tom Steels. Maintenant, Zabel ne doit plus demander qui je suis.

Vous avez signé deux beaux sprints dont celui de Strasbourg où vous avez catapulté Jaan Kirsipuu vers le succès: que vous manque-t-il pour être un finisseur plutôt que la meilleure des rampes de lancement?

Un peu de bouteille car je n’ai tout de même que vingt-cinq ans. J’arriverai à maturité dans deux ou trois ans. Au fil de la saison, j’ai développé des automatismes avec Jaan et je sais comment il se place ou réagit. Nous avons raté notre coup une première fois car il n’était pas calé dans ma roue. Il digéra mal la défaite, gambergea un peu mais nous l’avons soutenu. A Strasbourg, je suis passé à côté de lui en tout début de sprint, je l’ai touché à la cuisse et il a plongé dans mon sillage. Quand cela se déroule de la sorte, personne ne peut nous battre.

Oui mais si vous continuez, même Jaan Kirsipuu ne vous aurait pas passé…

Je suis parti à plus de cinq cents mètres de la ligne d’arrivée. Si je ne m’étais pas relevé, j’aurais pu terminer parmi les cinq premiers mais ce n’était pas le but du jeu. Il fallait gagner et Kirsipuu avait le plus de chance de s’imposer. Jaan est plus rapide que moi à la finition. Il a gagné, AG2R a gagné, j’ai gagné: c’est comme cela qu’il faut voir les choses.

« Aider Kirsipuu fait partie de mon écolage ».

A Hal, vous avez dominé le dernier Championnat de Belgique tout seul, notamment face à l’armada Lotto. N’était-ce pas possible au Tour?

Le contexte était très différent. A Hal, j’ai attendu mon heure, sans donner un coup de pédale de trop alors que le groupe Lotto était terriblement stressé par l’obligation de gagner le National. J’ai tiré profit de leur nervosité. Au Tour, je ne crois pas qu’on puisse gagner un sprint seul. Cela frotte, cela explose de tous les côtés et il vaut mieux avoir deux paires d’yeux qu’une. En aidant Kirsipuu, je me suis situé, j’ai progressé, je sais que je gagnerai probablement de tels sprints dans le futur. Chaque chose en son temps.

Hal puis le Tour de France… Est-ce une belle revanche par rapport à l’équipe Lotto qui n’avait pas voulu de vous?

Non, je vis ma vie sans me situer par rapport à eux. Je sais que Claude Criquielion et Jef Braeckevelt me voulaient. Il ont fait l’impossible pour arrondir les angles mais le manager de l’équipe, Christophe Sercu, avait d’autres idées et des budgets pour des coureurs ayant peu de points FICP, pas pour moi. Je ne l’oublie pas même si c’est le passé. Le problème, c’est Sercu, pas Claudy ou Jef.

Des coureurs Lotto qu’on n’a pas vu au Tour gagneraient dix millions par saison…

Je ne connais pas ces chiffres.

Vous avez déclaré un jour à un de vos amis que l’argent ne vous intéressait pas : que pensez-vous du Lotto qui, par la bouche de Jef Braeckevelt, a fait comprendre que son intention était de vous recruter à tout prix? Claudy Criquelion ne doit-il pas vous rencontrer bientôt?

Pour moi, le sport passe avant tout, c’est pour cela que j’ai fini par émerger. Le reste suivra. Il faut mériter son succès et la suite que ça comporte. J’ai noté les propos de Jef mais je verrai plus tard. Chaque chose en son temps en tenant compte de la confiance qu’AG2R a investie en moi alors que d’autres avaient fermé la porte. Je me sens bien chez AG2R, j’en tiens compte et pour tout le reste, j’ai le temps. Une chose est sûre: même si on montre de bonnes choses chez les jeunes, il est plus dur de se faire une place au soleil quand on vient de Wallonie. Une question de tradition plus que probablement. Quand Michel Pollentier dit que je suis devenu un coureur de style flandrien, cela me fait plaisir. Gagner le Tour des Flandres chez les pros, après mes deux succès chez les jeunes, ce serait le rêve.

« Ça fait dix ans que Musseuw est le roi des classiques. »

Le Tour n’a-t-il pas donné une vraie dimension à votre maillot national?

Après Hal, ce fut assez infernal avec les séances de photos, les interviews, les réceptions, etc. A la fin du compte, j’étais content de partir au Tour de France pour échapper à tout cela. Là, j’ai découvert un autre monde. On a l’impression dans cette bulle que tout s’arrête, que plus rien n’existe en dehors du Tour, ce qui est faux. Je sais où je suis passé et je suis resté lucide dans cette folie. Pour moi, le titre de Hal et mon bon Tour constituent un départ, rien de plus. Il faut confirmer, je saurai le faire et, ainsi, je reviendrai plus fort au Tour la saison prochaine. Pour le reste, le maillot de champion de Belgique et le Tour ne me changeront pas : je resterai le même.

Quelles sont vos modèles, vos idoles, sur la route du Tour de France?

A la fin du compte, ce sera le duel entre Lance Armstrong et Jan Ullrich qui marquera probablement le plus les esprits. L’Américain est impressionnant par sa classe, sa volonté, sa science de la course, etc. Il avait bien préparé son affaire « made in France » en dominant le Tour de Suisse. A l’Alpe-d’Huez, il a joué au poker, fait croire que la journée était très dure pour lui avant de frapper un très grand coup dès les premiers lacets. Il fallait le faire. Mais ce n’est pas du tout mon idole. Si je dois en choisir une et m’inspirer d’un coureur, c’est de Johan Museeuw. Pour moi, l’homme de Gistel a l’immense mérite de courir et d’être dans le coup pour la gagne du début à la fin de la saison. C’est le roi des classiques de ces dix dernières années. Or, les courses d’un jour constituent mon terrain d’action privilégié. Il y a douze ans, en 1989, celui qui allait devenir le grand Johan Museeuw était chez ADR et se sacrifia, se consacra à Greg LeMond qui allait gagner le Tour de France. J’apprécie sa personnalité : par deux fois, il a été plus fort que la malchance et est revenu. Impressionnant…

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Pierre Bilic

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