Mûs par la rancune

A la surprise générale, Alost est parfaitement sorti de ses starting-blocks.

Dans le bureau du manager sportif, Raymond Mommens, un fax, deux chaises et une table de bureau vide. A la reprise des entraînements, Manu Ferrera n’avait même pas de terrain convenable mais tout ça n’a pas empêché Alost de remporter ses quatre premiers matches. Mommens: « Alost n’a pas de vedettes, seulement des joueurs qui sont prêts à mouiller leur maillot parce qu’ils savent qu’ici, ils recevront leur chance. Pour certains, il s’agit même de la dernière chance de réussir leur carrière ».

Quel est l’avantage d’Alost sur les autres équipes qui n’émargent pas au top?

Manu Ferrera: Deux formidables attaquants qui marquent. Nos adversaires n’en ont pas toujours. Le fait que Bjorn Dewilde, une révélation, n’est pas titulaire, illustre la richesse de notre compartiment offensif.

Vous avez modifié l’occupation de terrain: Alost ne veut plus dominer le jeu.

Ferrera: Anderlecht et le Club décident comment ils vont jouer. Toutes les autres équipes ne possèdent pas assez de qualités pour cela. Certaines essaient. Elles jouent bien mais elles ne gagnent pas. Or, c’est quand même l’objectif. Si je l’emporte 7-3, je ne suis pas satisfait de ces sept buts. La première tâche d’un entraîneur est de concevoir une bonne organisation. Si vous encaissez régulièrement trois ou quatre buts, c’est que quelque chose ne marche pas. Marquer relève du mérite des joueurs, car l’entraîneur n’y peut pas grand-chose. On marque ou pas. Par contre, ne pas encaisser de but relève de sa compétence. Ça ne signifie pas que je me terre pendant nonante minutes dans mon rectangle. Sinon, tôt ou tard, je risquerais d’encaisser le but tant redouté. Mon premier objectif est d’empêcher l’adversaire de bien jouer, d’aider mes joueurs à exploiter les points faibles de leurs adversaires.

On a dû tout régler

Vous partez vraiment de zéro.

Raymond Mommens: Jamais je n’aurais imaginé vivre pareille situation. Si je survis une année à ce rythme, je peux vraiment postuler partout. A la reprises des entraînements, le 6 juillet, je venais de débarquer. Les joueurs devaient s’entraîner deux fois par jour mais rien n’était prévu entre les deux séances. Ils n’avaient rien à manger. J’ai immédiatement passé des coups de fil, pour qu’ils puissent manger au restaurant. Les jours suivants, ils ont reçu des sandwiches et mainteannt, il y a un cuisinier à notre restaurant tous les jours. On s’adresse à moi pour tout, souvent pour des problèmes dont je n’avais pas connaissance.

Ferrera: Les premiers jours, rien n’était en ordre. Rien à manger, pas de terrain convenable. Certains joueurs n’avaient pas d’appartement, personne n’avait d’auto. Ils venaient à l’entraînement en bus. Pour être motivé dans de pareilles conditions, il faut être mentalement fort. Il le fallait. Que faire? Je ne peux pas sortir d’appartement ni d’auto de mon chapeau. Imaginez que j’ai menacé de démissionner. Où serais-je allé? La seule possibilité, c’était de faire mon boulot. J’attends la même chose des joueurs. Comme je suis nouveau, je leur transmets mon enthousiasme. Peut-être n’en serai-je plus capable si ça dure pendant trois ans.

Mommens: A juste titre, tout le monde disait que notre terrain n’était qu’un champ de patates. J’ai contacté une société de Lokeren qui s’est occupé de la pelouse de Bruges et de Courtrai. En quelques semaines, le problème était résolu et les joueurs du noyau A avaient même un terrain à part, au sein du complexe d’entraînement.

Personne ne connaissait les nouveaux joueurs. Comment se sont passés les transferts?

Mommens: Nous avions quinze joueurs. Lors d’une réunion, j’ai demandé de quel budget nous disposions pour enrôler des joueurs. On m’a répondu: -Zéro franc. Nous étions chargés de composer une équipe convenable. J’ai opéré tous les transferts via des connaissances.

Zéro franc pour les transferts

Comment avez-vous commencé?

Mommens: En sélectionnant les offres qui arrivaient. Je reçois en moyenne, chaque jour, vingt fax de managers qui me proposent leurs joueurs. Je cherche les CV des joueurs sur Internet. J’ai noué suffisamment de contacts à l’étranger pour obtenir rapidement des informations.

Ferrera: Je me suis occupé du scouting d’Anderlecht pendant quatre ans. Raymond et moi connaissons tous les joueurs des deux premières divisions. Je savais qui était Imagbudu, je savais ce qui foirait à Beveren. Je ne l’ai jamais vu avec Strombeek, ce n’était pas nécessaire. Ce dont quelqu’un est capable à 21 ans, il peut le refaire un an plus tard. Tout le monde s’est inquiété du départ de Tim Reigel, mais si je dois choisir entre Reigel et Imagbudu, je n’hésiterai pas. Désolé pour Tim.

Mommens: On n’en parle pas beaucoup pour l’instant mais n’oubliez pas que nous avons inclu des jeunes du cru dans le noyau: Aelbrecht, De Saedeleer et Kestens. Nous avons onze jeunes d’Alost dans un noyau de 24. Peu de clubs de D1 peuvent en dire autant. J’ai suivi Dimbala à la Caje Cup pour le compte de Charleroi. Je n’ai jamais compris pourquoi il n’avait pas obtenu sa chance ailleurs.

Ferrera: A la fin de l’année dernière, Dimbala s’est entraîné deux fois avec le groupe. Il n’était même pas dans le noyau A. Il allait encore à l’école. Une fois m’a suffi: voilà mon attaquant de demain. Une affaire de feeling. On m’a suggéré beaucoup d’attaquants mais j’ai toujours répondu: -Je n’en ai pas besoin, j’ai déjà Dimbala.

Illustres inconnus

La plupart des nouveaux sont d’illustres inconnus.

Ferrera: C’est pour cela que la presse nous a catalogués si vite. Sept titulaires sont partis. Ils ont été remplacés par des joueurs qu’on ne connaissait pas. La direction non plus, d’ailleurs. J’ai travaillé avec Vervalle en Espoirs, à Anderlecht. Il a été international dans toutes les catégories d’âge.

Mommens: Vervalle n’est pas un nom mais Alost n’en aura pas, aux conditions qu’il propose. Par contre, nous permettons aux talents de se faire connaître chez nous. Les jeunes footballeurs veulent avant tout jouer et se distinguer. J’avais vu jouer Bridji, je savais qu’il venait de l’école ajacide et qu’il était sur une voie de garage. Nous n’avons pas réalisé des achats en toute hâte, je sais ce dont nos joueurs sont capables. J’ai été scout de Charleroi pendant des années. J’ai attiré au Sporting huit joueurs venus d’équipes plus modestes, en -18 et -16 ans. J’ai offert sa chance à Dufer, découvert Kéré en Afrique, dans la rue, alors que je suivais Alassane en Coupe d’Afrique. Alassane joue maintenant au FC Cologne.

Ce qui est frappant, c’est que ces joueurs ont des qualités, mais que leur nom est toujours suivi d’un mais alors que les entraîneurs optent généralement pour des certitudes.

Mommens: Dufer est le plus bel exemple, à Charleroi. Il jouait avec les -18 ans. Tout le monde reconnaissait qu’il savait jouer mais il manquait de force, il était un peu petit. J’ai affirmé qu’il deviendrait titulaire, et même international si on lui en donnait la chance. J’ai décidé qu’il devait participer à la préparation. On m’a dit que l’entraîneur d’alors, Peruzovic, n’en avait pas fort envie. Moi, je trouve qu’un entraîneur n’a pas à déterminer la structure d’un club. Dufer était un investissement du club, il fallait en tenir compte.

On boycotte les anciens grands joueurs

Pourquoi les autres ne voient-ils pas ces choses?

Mommens: Parce qu’en Belgique, les anciens grands joueurs n’ont pas grand-chose à dire. A l’étranger, ils sont intégrés dans l’organigramme du club. Ça coûte de l’argent, c’est vrai, mais c’est un bon investissement à terme. A Alost aussi, les gens ont sursauté quand j’ai dit que les dix meilleurs jeunes devaient participer à la totalité de la préparation du noyau A. Ces quelques semaines leur ont appris davantage que toute une année en Réserve.

En quoi votre bon départ modifie-t-il vos ambitions?

Ferrera: Un bon début donne confiance. Je vois des joueurs oser des trucs qu’ils ne feraient jamais si nous comptions un zéro sur douze. Toutefois, la confiance ne doit pas se muer en arrogance, comme ce fut le cas des Pays-Bas il y a peu. Notre ambition reste d’atteindre les trente points et d’assurer notre maintien le plus vite possible.

Geert Foutré

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