Mûr et intact

30 ans déjà que le plus grand pilote belge a disputé son dernier GP de F1. Rencontre.

Nous pensions que c’était une bonne idée de demander à Jacky Ickx de nous faire revivre sa dernière victoire en F1, au GP d’Allemagne, le 30 juillet 1972, il y a donc tout juste 30 ans. Il faut certes avouer que c’est de l’histoire ancienne mais pour bon nombre d’amateurs, les lauriers de cette couronne restent frais dans les mémoires pour plusieurs raisons/

La maîtrise du vainqueur, alias Der Ring Meister, le superbe dessin de sa monture pourpre, la Ferrari 312B2 considérée comme une des plus belles F1 de l’histoire, le magnifique tracé du Nürburgring « ancienne mouture » (à l’époque, le GP se déroulait sur 14 tours seulement!) et aussi la concurrence, composée en majorité de grands nomsqui vrombissent encore dans nos têtes: Clay Regazzoni, Ronnie Peterson, Brian Redman, Graham Hill, François Cevert, Jackie Stewart, Arturo Merzario, Andrea de Adamich, Tim Schenken, Chris Amon, Denny Hulme, Emerson Fittipaldi, Derek Bell, Rolf Stommelen, Carlos Reutemann, Niki Lauda….

« Vous pensez vraiment que ça intéresse encore grand monde? », interroge le plus grand champion automobile belge de tous les temps et l’un des plus grands champions tout court. La question interloque!

Rendez-vous est pris malgré tout pour un entretien un peu moins ciblé qui aura lieu dans sa maison dissimulée dans la riche verdure du Brabant wallon. « J’aurais dû devenir jardinier. Ou alors garde-chasse… même si ce n’est pas tout à fait la même chose. J’ai toujours adoré la nature », avoue-t-il au terme d’un compliment sur ses superbes plantations. L’homme baigne dans la culture… L’image est facile, simpliste à la limite, mais elle est aussi tellement vraie. Au propre comme au figuré. Il nous confie son amour pour la musique classique et plus spécifiquement celle de Rachmaninov. Et celui pour les livres. Une passion fidèle.

Ickx a toujours été l’intellectuel des circuits. Un exemple d’éloquence. Un visionnaire qui détonnait dans un milieu des fonceurs aveugles. Un érudit parmi les pieds lourds à la tête souvent légère. Cela lui a valu d’être taxé d’un certain snobisme, d’une certaine distance…

Une réputation qu’il tient toutefois à expier: « J’avoue aujourd’hui que mon discours est une réparation vis-à-vis de ceux pour qui je n’ai pas manifesté assez de gratitude et auxquels je n’ai pas suffisamment donné crédit. Les succès, le palmarès et la carrière sportive ne se bâtissent pas en solitaire. Que ce soit du haut des gradins ou dans les paddocks, j’ai eu la grande chance d’être bien soutenu et bien entouré. C’est devenu à la mode de parler de travail d’équipe. Le succès a toujours été fonction d’un travail mis en commun. Seulement on en parlait moins dans le passé. Et puis, on s’humanise avec le temps ».

« Je suis un survivant »

Et de jeter un -rare- regard dans le rétroviseur: « Je rends aujourd’hui hommage à une passion sportive, qui fait partie d’une autre vie, d’un autre temps. Je me demande encore souvent comment j’ai pu faire ça. Du sport automobile, j’attendais bien sûr de la joie et du bonheur mais pas dans de telles proportions. J’en ai eu cent fois plus que je n’aurais jamais osé espérer. C’est pourquoi je n’éprouve aucun regret, aucune amertume, aucune nostalgie, aucune insatisfaction. Surtout que j’ai eu beaucoup de chance. Je fais partie des quelques survivants d’une époque de pilotes généreux mais aussi de sécurité précaire. Il y a quelques semaines, j’étais à Buenos Aires et j’y ai vu Carlos Reutemann. Nous avons discuté pendant une bonne heure et la première chose que nous nous sommes dite est la chance de nous retrouver là, hommes mûrs et intacts. J’ai de ma carrière une vue d’ensemble et il n’y a pas vraiment un événement particulier qui s’en détache ».

Voilà, c’est clair! J’en suis quitte pour l’entendre revivre sa dernière victoire dans la catégorie reine mais qu’importe après tout. « Vous savez, je ne me retourne pas…Seuls importent le présent et le futur ». C’est tellement vrai qu’il y a quelques années, Jacky n’a pas hésité à se débarrasser de tous ses souvenirsqui risquaient de se détériorer: voitures historiques et moteurs offerts par ses employeurs successifs. Cela ne signifie pas pour autant une quelconque rupture avec le monde de l’automobile et de la compétition. Bien au contraire.

« J’ai une vie bien remplie et des activités éclectiques qui me font vibrer: un contrat de consultant pour une société japonaise, la direction de course du GP de Monaco ainsi que l’organisation et la gestion du Rallye d’Egypte. Tout cela est intéressant. Cela permet d’avoir une vue globale, de travailler en équipe et de voir ce que les autres font. J’ai dans ma vie rencontré des tas de gens intéressants. Et les jeunes ne sont pas en reste. Ils me laissent d’ailleurs admiratif. Ils n’ont peur de rien. Ils vont plus loin et plus fort et sont capables de renverser des montagnes. Ils ont en eux ce formidable sentiment d’invincibilité ».

Une F1 moderne élitiste et menacée

Quel regard porte-il sur la F1 moderne? « Il est toujours hasardeux de comparer les époques. Les motivations et les satisfactions restent les mêmes mais les sacrifices sont plus importants aujourd’hui. La discipline est devenue extrêmement exigeante. J’ai d’ailleurs un respect infini pour le talent des pilotes actuels qui doivent composer avec des véhicules très difficiles à mettre au point et à conduire. La FI est devenue élitiste et doit craindre pour son futur. La survie d’une discipline passe par son autodétermination à se gérer. Les coûts sont pharaoniques et le risque de disparition de certaines écuries est bien réel. On risque l’ennui par manque de combattants. L’exemple pourrait bien venir des USA où les séries CART et IRL sont ouvertes à un grand nombre d’écuries et de pilotes ».

« Depuis plus d’un siècle maintenant, l’automobile a été le vecteur le plus important de mouvement et d’indépendance. Elle a eu et a toujours un impact considérable sur la vie de chacun. L’industrie automobile évolue à une vitesse incroyable dans tous les domaines, surtout celui de la sécurité. Il est d’ailleurs curieux de constater qu’à l’échelle planétaire on limite la vitesse pour des raisons de sécurité alors que les véhicules sont de plus en plus performants et capables d’assumer des vitesses croissantes. Tôt ou tard, on roulera à l’américaine. On s’y habituera. Moi-même, je suis devenu plus paisible, plus patient. Je me demande personnellement si le meilleur allié de la diminution de la vitesse n’est pas la prise de conscience réelle des jeunes générations de l’importance de l’environnement. Il me semble que le respect et la protection de la nature -notamment par une moindre consommation énergétique- sont des arguments aussi importants que la sécurité ».

La nature. Nous y revoilà. Comme le naturel, on la chasse mais elle revient toujours au galop. Même si cette fois, ce n’est plus sur un petit cheval cabré…

Bernard Geenen

« Vous croyez que ça intéresse les gens? »

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