Mouvements de jeunesse

Ces teenagers de Sclessin sont sortis du lot la saison passée mais le plus dur commence.

L’entraîneur des Liégeois s’exprime parfois comme un amateur de sport automobile et c’est le cas quand il lance de façon très imagée :  » Mon équipe de base, c’est une Formule 1 mais je n’ai pas de pièces de rechange « .

Michel Preud’homme sait mieux que personne que son écurie devra galoper sans problème afin d’atteindre ses nobles objectifs : être dans le coup dans la dernière ligne droite pour le titre, ne pas négliger la Coupe de Belgique, obtenir un numéro de code européen. Et, encore plus important, il s’agira de confirmer le rajeunissement des cadres.

Cette opération avait été entamée avec succès il y a un an. Elle avait révélé des gamins comme Marouane Fellaini et Axel Witsel, qui ont enchanté la D1, tandis que Yanis Papassarantis s’incrustait plus discrètement dans le noyau A. Ces éclosions ne sont pas restées sans suite : la direction des Rouches joue à fond la carte des ados. Est-ce le début d’un nouveau flower power après le départ de quelques vieux rockers dont les guitares ne pouvaient plus être accordées ? La nouvelle vague n’est-elle pas libérée par la fin du tour de chant de Sergio Conceiçao, et surtout Sa Pinto, qui bénéficiaient d’immenses privilèges par rapport aux autres ?

Il était devenu difficile de continuer à progresser auprès d’un capitaine n’hésitant pas à se battre au couteau avec Mohamed Sarr. A la longue, ce vieux guerrier était même devenu ingérable à Sclessin. Les promesses ont grandi derrière des écrans comme le Roi Sergio, Milan Rapaic, Karel Geraerts, Eric Deflandre, etc. Le jardin liégeois a été débroussaillé et les vertes pousses doivent désormais prendre le vent et s’appuient sur un capitaine, Steven Defour, qui a… 19 ans.

 » Ce n’est pas un problème « , affirment Fellaini, Witsel et Papassarantis.  » Nous l’écouterons comme cela avait été le cas avec Conceiçao. Mais, c’est vrai, une page est tournée et il y a un changement de style. C’est le début d’une autre époque. Avant, il y avait Sergio, le leader, et les autres. C’était normal quand on songe à ses états de service. Il avait une façon d’être bien à lui, celle d’un homme fort. Non, nous n’avons jamais vécu sous son joug. Avec Steven, le ton est différent et c’est le capitaine de 10 capitaines. Il est le chef d’orchestre mais tout le monde doit coacher, aider, travailler, aider son voisin, etc. Ce sera tous ensemble et il n’y aura pas d’autres choix. Steven est un jeune capitaine mais il y a encore des joueurs de métier dans cet effectif : Frédéric Dupré, Dante, Oguchi Onyewu, Mohamed Sarr, Siramana Dembele, Ali Lukunku, Igor de Camargo, etc.  »

Tout cela est exact et ces piliers assumeront leur poids de responsabilités mais il est tout aussi vrai que les bambins n’ont pas encore beaucoup de métier. A trois, Fellaini, Witsel et Papassarantis comptaient 46 matches de D1 avant les trois coups de cette saison. En 30 rencontres à peine, le premier de ce trio est déjà devenu une icône du Standard actuel. Il s’est frayé un chemin jusqu’en équipe nationale. Les grands clubs européens ont noté son nom dans leurs carnets de scouting. Fellaini n’a pas de poils au menton depuis longtemps mais il a utilisé la loi de 1978 pour que le Standard revoie son contrat à la hausse.

Fellaini :  » Je veux continuer à balayer.  »

Maintenant, Fellaini se retrouve dans la peau d’un chanteur qui a réussi un tube. Il faut confirmer et ce n’est pas facile. Ce médian moderne avait trouvé ses marques auprès de Karel Geraerts. Sans ce dernier, ce fut parfois plus difficile comme en finale de la Coupe de Belgique.

 » C’est une déception mais il faut la laisser derrière nous, la transformer même en source de motivation « , avance Fellaini.  » On ne peut pas oublier tout ce que nous avons réussi. C’était chouette mais je ne me suis jamais mis la pression. L’âge d’un joueur, cela ne compte pas sur le terrain. Quand le ballon est en jeu, il faut gagner, qu’on ait 35 ans ou 17 ans. Alors quand on parle de confirmation à mon propos, cela me fait un peu rigoler. La presse aime bien ce débat. Il ne faut pas que ce thème soit plus important qu’il ne l’est en réalité. Moi, je ferai la même chose que la saison passée : jouer, prendre du plaisir sur le terrain, assumer mon rôle dans un collectif que je sais talentueux. J’ai bien collaboré avec Karel, c’est vrai, mais ce fut le cas avec d’autres aussi… Karel avait l’art de décrocher, de m’aider, de mettre le nez à la fenêtre mais il en va de même aussi pour Siramana Dembele ou Axel Witsel. Et ces deux joueurs sont restés au Standard. Moi, je ne me mêle pas des choix tactiques. C’est le domaine de l’entraîneur. Mais, c’est vrai, je me sens plus à l’aise avec un médian qui, à côté de moi, s’occupe aussi de la récupération du ballon. C’était le cas en équipe de jeunes avec Axel. Mais c’est le coach qui décide et je m’adapte « .

 » Siramana connaît parfaitement la musique dans ce secteur de jeu. Je ne me fais vraiment pas de soucis. Je ne m’en étais pas fait en découvrant la D1 et cela ne va commencer maintenant. Je sais ce qu’on me demande de réaliser sur un terrain et je ne dois pas penser à autre chose tout au long d’une rencontre. Je balaye dans la ligne médiane et je continuerai à le faire comme ce fut le cas la saison passée. J’ai lu que la dépense d’efforts risquait d’épuiser mon capital fraîcheur. Je ne pense pas que ce soit exact. C’est la façon de jouer et j’ai besoin de me dépenser, de mettre la main à la pâte. Je ne vois pas pourquoi je devrais changer. La pression ne nous déstabilisera pas. Elle était au moins aussi forte la saison passée et tout s’est finalement bien passé. J’ai même un avantage : tout l’effectif me connaît mieux qu’il y a douze mois « .

 » Le club a décidé de faire confiance à ses jeunes. Et je résume mon sentiment : je n’ai pas peur. Non, je ne crains pas du tout ce que nous allons vivre. Le staff technique nous soutient à fond. Tout peut aller très vite en football. En quelques mois, j’ai découvert la D1, la Coupe d’Europe et l’équipe nationale. Je suis heureux d’avoir avancé avec Johan Boskamp et Michel Preud’homme. Je me suis concentré sur ce que je vivais et rien d’autre. Il ne m’appartient pas de commenter le départ du premier. C’est le club qui décide. Je n’ai plus rien à dire à propos de ma rupture de contrat. Tout s’est arrangé et je suis resté au Standard, c’est ce qui compte « .

Fellaini vu par Preud’homme

A 48 ans, Michel Preud’homme est déjà un vieux singe à qui on n’apprend plus à faire des grimaces. Prudent, il n’aime pas dévoiler ses batteries et offrir des sources d’inspiration à ses concurrents. Même s’il explose tous les graphiques lors des tests physiques, Fellaini n’est pas Tarzan. En finale de la Coupe de Belgique, le vieux Philippe Clément l’avait mis dans sa poche. Tactiquement, il était trop seul à la récupération. La charge de travail l’a dépassé. Et s’il refuse de parler de pression, ce soir-là, à Bruxelles, elle était évidente. En championnat, une troisième place était suffisante après un mauvais début de compétition. En finale de la Coupe de Belgique, tout le club rêvait d’un succès contre le Club de Bruges. Le stress se glissa dans les godasses des joueurs. Ce sera, qu’il le veuille ou pas, un des problèmes de Fellaini qui s’emporte parfois un peu facilement au point de trop corser son jeu.

 » Nous mesurons parfaitement les potentialités de chaque joueur « , avance MPH.  » Mais je me dois de laisser nos adversaires dans l’expectative à propos de mes joueurs. Je ne suis pas payé pour leur faciliter la vie en expliquant dans la presse leurs qualités et leurs défauts. Tout le monde connaît désormais Marouane. Je ne lui demande pas de confirmer. Je préfère un autre verbe : continuer. Et quand on comprend bien cela, on arrive à l’essentiel, c’est-à-dire à progresser. Non, ce n’est pas tout à fait la même chose. Je ne joue pas sur les nuances. Si Marouane devait uniquement confirmer, cela signifierait quelque part qu’il ne nous aurait pas totalement convaincu. Fellaini est un des piliers de l’équipe mais il y en a d’autres. Ma confiance à l’égard du groupe, et donc des jeunes, est énorme. Ils seront à la hauteur. La saison passée, nous avions un ou deux schémas. Je veux multiplier nos armes et disposer de plusieurs occupations de terrain. Cela nous permettra d’utiliser une variété d’arguments en fonction d’un adversaire ou de la vie d’un match. Voilà la nature de notre boulot. Et cela ne posera aucun problème à Fellaini « .

Witsel :  » Je ne veux pas m’énerver.  »

Repris dans le noyau depuis le début de la saison passée, Witsel a progressé un peu plus lentement que Marouane Fellaini. Son nom fut cité en début de saison 2006-2007 mais c’est à partir de février dernier que ce jeune homme entama véritablement son ascension. Dans une D1 misant sur la taille, le trafic aérien, la force et un engagement physique important, Witsel est différent. Il sait se faire respecter et utilise même ses bras, quand il le faut, pour écarter un adversaire décidé à lui caresser les chevilles. Mais c’est un styliste. Si Fellaini peut avoir des côtes puncheurs à la Mike Tyson, Axel Witsel a la souplesse et le jeu de jambes de Cassius Clay. Tout est synonyme d’élégance et de finesse dans son football. Il trouve des ouvertures là où d’autres sortent la bétonneuse.

Balle au pied, Witsel est élégant et la perfection de son attitude par rapport au ballon lui permet de créer la surprise technique. Sa polyvalence constitue un de ses atouts les plus importants. Il a tellement de classe que son apport peut être utile à toutes les places de la ligne médiane. On l’a vu sur le flanc droit. Même si ce joueur n’est pas un arpenteur des couloirs, son intelligence lui permet de s’en tirer avec brio. On le déplace parfois à gauche et la richesse technique est encore plus nette. Là, s’appuyant sur son pied droit, il rentre encore plus facilement dans le jeu en s’ouvrant de grands angles d’expression.

Il ne faut cependant pas être grand clerc pour deviner que ce jeune homme est un  » centriste « . L’axe est son domaine. Il n’est jamais en difficulté dans une zone encombrée. C’est dans la complémentarité avec Fellaini que se trouve son avenir. Michel Preud’homme cherche ses équilibres dans la ligne médiane. Des meilleurs éléments sont des spécialistes axiaux : Marouane Fellaini, Steven Defour, Axel Witsel, Siramana Dembele. Comme personne ne s’impose sur les ailes (en attendant l’affirmation ou le retour de Jonathan Walasiak, Salim Toama, Yanis Pappasarantis ou Landry Mulemo), Witsel et parfois Defour sont désaxés.

 » Je ne veux pas m’énerver avec tout cela « , avance Axel.  » Jouer en 4-4-2, en 4-3-3 ou en 3-5-2, cela ne change rien au problème. Nous représentons le Standard et c’est ce qui importe. Cet effectif peut changer son fusil d’épaule. C’est une richesse, un atout de plus. J’ai découvert l’univers professionnel en toute tranquillité. En juin passé, je devais encore passer des examens. Les choses ont évolué à partir du stage d’hiver qui se déroula au Portugal. Je me suis totalement fondu dans le groupe. J’étais prêt mais je ne m’attendais pas à devenir titulaire. J’envisageais tout au plus dépanner de temps en temps. C’était mon objectif. Marouane a éclaté plus vite. Cela ne m’a pas étonné. Je le connais bien. C’est un monstre de puissance, d’ambition et de travail. Je ne l’ai jamais envié mais il m’a inspiré. Le championnat et la finale de la Coupe de Belgique ? Il ne faudrait pas que tout cela reste sans lendemain. Je suis parfaitement conscient de la nécessité pour moi d’acquérir de plus en plus de temps de jeu. On ne peut pas se baser sur une demi-saison pour rêver. Pour moi, c’est simple : je dois jouer le plus possible. Cela me permettra de trouver mes marques, de m’exprimer de plus en plus vite. Comme Marouane, j’estime que la jeunesse ne doit pas craindre les responsabilités. Sans nous comparer à l’Ajax d’Amsterdam, ce club a conquis l’Europe avec de jeunes joueurs issus de son centre de formation. L’Académie Robert Louis-Dreyfus est un havre de paix pour nous. En plus du travail, on parle beaucoup. Nous partageons nos idées sur tous les aspects du métier « .

Vu l’étroitesse du groupe, la moindre blessure posera des problèmes au Standard. La relève de la garde risque d’être éprouvante pour les jeunes qui devront forcément enchaîner les matches. Au risque de se brûler en ayant de trop grosses charges de travail ? Le régime sera forcément différent pour Witsel qui doit aussi améliorer sa vivacité.

Witsel vu par Ferrera

 » Axel et Marouane sont des joueurs totalement différents « , souligne Manu Ferrera, l’adjoint de Preud’homme.  » Marouane a du physique à revendre. Il a besoin de beaucoup travailler. Axel doit améliorer son explosivité. Il peut progresser de 10 à 15 % mais ce ne sera jamais son principal atout. Cette saison, il doit continuer sur sa lancée. J’aimerais qu’il soit plus présent à la finition. Un joueur de cette trempe doit percuter et marquer. A mon avis, Axel doit aussi viser une place en équipe nationale « .

Papassarantis :  » J’ai perdu 11 kilos.  »

Il y a un an, Yanis Papassarantis avait pris place sur la même ligne de départ que Fellaini et Witsel. Doté d’un magnifique pied gauche, il ne les a pas accompagnés dans leur joyeuse entrée en D1. A-t-il accusé le coup ? Ses perspectives d’avenir sont-elles pour autant moins réjouissantes que celles de ses deux camarades ? Que doit-il faire pour vivre les mêmes moments de bonheur qu’eux ? Ne devrait-il pas être prêté dans un autre club pour obtenir du temps de jeu ? Réalisera-t-il un jour son rêve ? Ce jeune homme est à la croisée des chemins.

 » Il n’est en tout cas pas question de me décourager « , dit-il.  » Je suis heureux pour Marouane et Axel. Ils méritent tous les deux leur succès et ce n’est qu’un début. Ils sont pétris de talent. C’était déjà le cas en équipes de jeunes. Il y a une prise de conscience au Standard qui sera utile à tout le football belge : il y a de bons jeunes footballeurs chez nous. On leur fera de plus en plus vite confiance. Je veux imiter Marouane et Axel au plus vite mais sans en faire une obsession. Je devrai peut-être être plus patient qu’eux. Je suis un Hennuyer. Mes grands-parents étaient grecs. Mon père parlait encore le grec, moi pas. Ma mère est belge. J’ai signé ma première carte d’affiliation à Gilly puis je me suis retrouvé à l’Olympic et au Sporting de Charleroi. A 12 ans, j’ai été transféré à Anderlecht et c’est à partir de ce moment-là que le football est véritablement devenu le fil rouge de ma vie. En 2004, j’ai été remarqué par Dominique D’Onofrio et Michel Preud’homme à l’occasion d’un tournoi de jeunes à Lille. Leur discours m’a plu et j’ai signé à Sclessin. La saison passée a été importante pour moi. Le grand public ne me connaît pas mais j’ai réfléchi et, dans l’adversité, j’ai mûri. Figurer dans le noyau A, c’est agréable mais j’ai quand même subi en choc quand j’ai dû le quitter « .

 » J’ai repris quelques kilos. Je dois beaucoup à Dominique D’Onofrio et Tomislav Ivic. J’ai bien travaillé avec ce dernier. J’ai lu dans la presse qu’il voyait en moi un successeur de Milan Rapaic. Cela fait plaisir et la balle est dans mon camp. En été, j’ai suivi un régime assez strict. A la reprise des entraînements, j’avais perdu la bagatelle de 11 kilos. C’était le moment de prouver que je ne m’étais pas découragé. J’effectue tous les jours le trajet entre Charleroi et Liège mais je cherche un logement pas très loin de Sclessin. Cela m’évitera des déplacements en voiture et des fatigues inutiles. Je n’ai plus qu’un an de contrat au Standard. Je dois bosser et me montrer de temps en temps en équipe première. S’il y a moyen de faire plus, je dois être prêt « .

Papassarantis vu par D. D’Onofrio

Il fut un temps où le Standard prêtait ses jeunes afin qu’ils puissent se rôder. Onder Turaci transita par Visé avant de décoller sous les couleurs de La Louvière. Landry Mulemo a acquis son rythme de croisière à Saint-Trond. Moustapha Oussalah a bien exploité ses passages à Gand, Eupen et Mouscron où il est retourné après un premier passage en 2005-2006. Les cas heureux sont nombreux mais on parle moins des jeunes qui échouent dans ses aventures avant de s’abîmer quelques étages plus bas. Dominique D’Onofrio s’est opposé au prêt de Yanis à l’un ou l’autre club :  » Les candidats se sont bousculés au portillon pour notre gaucher . Et je peux comprendre cet intérêt. Comme Marouane et Axel, Yanis pue le football. Mais il doit franchir quelques caps. Il a du talent à revendre et un pied gauche d’une rare qualité. Marouane et Axel ont fait le bond tout de suite mais, lui, est l’exemple du joueur, peut-être un peu plus fragile mentalement, qui a besoin de post formation. C’est aussi pour cela que le Standard a érigé l’Académie Robert Louis-Dreyfuss. Trop de jeunes sont perdus dans un noyau A. Il faut les accompagner, leur offrir des entraînements différenciés qui leur permettent de progresser. J’ai convaincu ses parents et ses agents : il devait rester cette saison au Standard. Il a accepté de relever ce défi et j’ai été surpris par sa métamorphose physique. Avec ces kilos en moins, tout sera plus facile. Yanis récolte déjà les fruits du travail accompli avec Tomislav Ivic. Il a réintégré le noyau A. Quand il n’a qu’une séance de travail avec l’effectif, on lui propose, si nécessaire, des exercices spécifiques. C’est un jeune joueur qui doit acquérir du rythme, de la régularité et du volume de jeu. Yanis a compris que nous croyons en lui. Il a tous les atouts dans son jeu. C’est à lui maintenant de tracer sa route « .

par pierre bilic – photos : reporters/ mossiat

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