Moussa Dembele

Avant la Coupe du Monde 2014, Sport/ Foot Magazine vous fait découvrir chaque semaine l’univers d’un Diable Rouge. Aujourd’hui, place à Moussa Dembélé(26 ans). Issu de Berchem Sport et du football en salle, il s’est frayé un chemin vers la Ligue des Champions en passant par les Pays-Bas et l’Angleterre.

Une odeur d’ambre emplit la pièce.  » Elle a une influence positive sur l’ambiance « , explique Tilly avec un sourire qui ne laisse planer aucun doute sur l’origine de son fils, Moussa Dembélé. Elle revient de son séjour bimensuel à Hampstead, le quartier londonien où Mouss réside depuis son transfert à Tottenham Hotspur durant l’été 2012. Les autres semaines, quand les Spurs jouent en déplacement, c’est son mari Yaya, le père malien de Moussa, qui le rejoint. Il effectue la navette en voiture, en une journée. Tilly ne comprend pas comment il tient le coup : elle-même reste toujours quatre jours.  » J’aime bien et ça fait plaisir à Moussa.  »

Elle cuisine, elle fait du shopping avec Moussa, à moins qu’ils ne regardent un film ensemble.  » Il me parle beaucoup, de plus en plus, en fait, au point que parfois, je dois lui demander d’arrêter.  »  » Moussa aime discuter « , raconte sa soeur Assita, de deux ans son aînée.  » Il est toujours calme mais il est toujours intéressé et ses sujets de conversation sont sérieux. Je pense qu’il est devenu plus spirituel et en tout cas plus mûr. Avant, il était un peu gamin, surtout quand il était entouré de ses copains. D’ailleurs, de ce point de vue, il n’a pas beaucoup changé.  »

Tilly :  » Récemment encore, nos points de vue étaient différents. Je n’étais pas d’accord avec lui et je lui ai expliqué pourquoi mais il a poursuivi le débat, en défendant son propre credo.  » Assita :  » Il faut dire que quand notre mère a quelque chose en tête, c’est comme ça et pas autrement, même si nous avons envie que ça aille autrement.  » Tilly :  » Mais quand même pas en discutant quatre heures d’affilée ?  »

La télé intacte mais pas les lampes

Nous sommes installés à la table de cuisine de la vaste maison de maître qu’a achetée Moussa il y a cinq ans. Les parents habitent le rez-de-chaussée, où Assita exploite un salon de beauté. Le premier étage est réservé à Moussa, le second à sa soeur, à son mari et à leur petite fille de cinq mois, Chloé, dont Moussa est le parrain.  » Il est fou d’elle. Je dois lui envoyer un film tous les jours. Regardez, mon gsm est rempli.  »

Le frère et la soeur ont grandi ensemble à Berchem. Ils ont fréquenté une école de Deurne. Moussa avait un an et demi quand leur demi-frère Adama, venu du Mali, a rejoint la famille. Il a treize ans de plus et a quitté la maison familiale depuis longtemps. Tilly explique le sens d’une de ses peintures, dont on a déjà beaucoup parlé.

Yaya et elle-même figurent dans les coins supérieurs. Au milieu, à une place proéminente, Assita, tandis que Moussa est représenté deux fois, à gauche et à droite. Donc, on ne voit pas Moussa dans un coin et Adama dans l’autre.  » Cette peinture était le cadeau d’anniversaire de Moussa. Comme il n’aime pas être au centre de l’intérêt, je l’ai mis deux fois en bas. Moussa nous soutient beaucoup, comprenez-vous ? Il nous porte.  »

Il a chopé le virus du football dans le living. A six heures du matin, le petit Moussa descendait l’escalier pour jouer au ballon. C’était souvent la maison du bon Dieu. Il ne manquait pas de copains. A-t-il vraiment renversé la télévision ? Non, c’est une fable, répond Tilly.

 » En revanche, nous n’avions quasi plus de lampes. J’acceptais qu’il joue à l’intérieur. Nous n’avions pas beaucoup de meubles. Ici non plus, d’ailleurs : je ne veux pas de table dans la salle à manger. D’ailleurs, je ne pensais pas qu’à Moussa. Assita a dû exercer tous les sports possibles et imaginables.  »

 » Je l’accompagnais partout « , s’exclame la soeur, enthousiaste, tout en jetant un coup d’oeil à Chloé. Je n’avais pas le choix : notre mère était très protectrice et elle ne m’aurait jamais laissée seule quand elle conduisait Moussa quelque part. Mon frère et moi nous sommes adonnés à l’athlétisme ensemble et quand il s’est mis au foot en salle, j’ai fait pareil, un moment. J’aimais aussi le tennis mais un jour, le club a dit à mon père que j’avais du talent et il a commencé à me dicter ce que je devais faire. J’ai arrêté.  »

À pied jusqu’au Rooi

Berchem Sport est le premier club de Moussa. Il a cinq ans. Depuis ce jour, Tilly passe sa vie au bord des terrains de football.  » Beaucoup de gens disent qu’ils se sont sacrifiés pour leurs enfants. Moi pas : j’ai profité de ces moments. Nous allions à pied au terrain du Rooi, moi et les deux enfants, qu’il pleuve ou qu’il vente, car je ne savais pas conduire. Finalement, j’ai pu vendre quelques peintures durant une exposition et je me suis acheté une voiture. J’ai obtenu mon permis de conduire à 35 ans.  »

Anderlecht et le Lierse convoitent Moussa quand il a douze ans. Tilly a toujours admiré son rejeton.  » Déjà tout petit, je le trouvais génial.  » Assita :  » Même quand il marquait contre son camp.  » Tilly :  » Il courait dans le mauvais sens et il marquait. C’était en diablotins. Je l’encourageais.  »

Moussa rejoint le Germinal Beerschot et intègre l’école de sport de haut niveau de Merksem. Il met fin à sa carrière parallèle de footballeur en salle. Le 24 avril 2004, il effectue ses débuts en équipe-fanion. Il a seize ans et 282 jours. Il entre au jeu contre Charleroi mais il se blesse dix minutes plus tard et est évacué. Le coeur de sa mère se serre.  » J’étais dans la tribune et tout ce que je voulais, c’était le rejoindre mais ce n’était pas possible. C’eût été humiliant pour Moussa.  »

Diagnostic : le ménisque. Moussa est opéré des deux genoux durant sa jeunesse. Son dos est fragile aussi.  » Les médecins ont attribué ses problèmes à sa croissance. En plus, il n’a jamais ménagé ses efforts. Il s’est une fois enflammé les deux tendons d’Achille et le médecin lui a ordonné de se reposer. – Puis-je quand même jouer aujourd’hui, s’il vous plaît ? Pourtant, il avait mal. Mais il ne peut pas se passer de ballon.  »

La saison 2004-2005 est sa première complète au sein du noyau A du Beerschot. Marc Brys est son entraîneur, Frans Van den Wijngaert le sévère directeur de l’école de sport de haut niveau.  » Il ne l’autorisait à s’entraîner au club que le matin, à condition d’être rentré à temps pour midi mais le chauffeur du GBA n’était pas très ponctuel et donc, Moussa arrivait souvent en retard, ce qui provoquait des disputes entre Brys et le directeur. Moussa se retrouvait entre les deux. Ce n’était pas facile.  »

Willem II plutôt qu’Anderlecht

Il achève ses humanités mais ne réussit pas sa dernière année.  » Alors qu’il apprend vite et que moi, j’ai toujours dû me donner du mal « , râle encore Assita, comme sa mère :  » Si ces gens avaient collaboré !  »

Moussa se prépare à franchir une nouvelle étape. Anderlecht se remanifeste mais une nuit, il surgit dans la chambre de ses parents pour leur communiquer son choix : Willem II.  » Moussa a toujours pris ses décisions seul. À une exception : je ne le voyais pas aller à Anderlecht en préminimes.

Il devait se rendre à l’entraînement directement après l’école et avec tous ces bouchons, à quelle heure serait-il rentré à la maison ? Anderlecht s’est donné beaucoup de mal, nous sommes allés plusieurs fois là-bas mais j’aime cuisiner sainement et je ne voulais pas qu’il doive avaler quelque chose en auto.  »

Son passage à Willem II est inoubliable. Le club lui offre sa première voiture, Moussa obtient son permis de conduire et il effectue bravement la navette entre la maison familiale et Tilburg. Les supporters le portent aux nues alors que cette saison-là, tout va de travers pour l’équipe. À la fin de l’exercice, René Vandereycken lui offre sa première sélection en équipe nationale.

Moussa séduit les Pays-Bas. Louis van Gaal attire le jeune Belge à l’AZ, très ambitieux.  » Van Gaal était extrêmement sévère « , raconte Tilly.  » Mais Moussa aime ça. Il aime les gars à poigne. Il ne lui faut pas de pommade. Il estime que la discipline est nécessaire et qu’il faut respecter l’entraîneur car à ses yeux, c’est quelqu’un qui vous apprend des choses, pas un ami.  »

Assita :  » C’est plus cool en Angleterre. Les entraîneurs envoient même des sms aux joueurs. Moussa trouvait ça vraiment bizarre.  »

Champion avec l’AZ

L’AZ et Moussa filent vers le titre mais la loi de Murphy frappe. Tout ce qui peut foirer foire. L’AZ perd le championnat lors de la dernière journée. Le trophée revient au PSV tandis que l’Ajax s’empare de la Coupe au terme d’une dramatique série de tirs au but.  » Là, j’ai pleuré « , avoue Assita.

L’AZ a les mains vides et la saison suivante est encore plus décevante : le club d’Alkmaar la termine à la douzième place. Cela n’empêche pas Moussa de vivre un bel été. Il signe une prestation encourageante avec l’équipe olympique belge aux Jeux de Pékin. Il inscrit deux buts lors du match de quarts de finale emporté 3-2 contre l’Italie. Tilly :  » Il a adoré la Chine. Il était dithyrambique au téléphone. Moussa aime découvrir des pays. En fait, il voudrait visiter le monde entier.  »

Sa troisième saison à Alkmaar est enfin couronnée de succès : après des débuts hésitants, l’AZ est enfin sacré champion. Tilly ne considère pas ce titre comme un haut-fait de la carrière de son fils.  » Il veut encore progresser et il ne regarde pas en arrière. Il est ainsi fait.  »

Le 27 septembre 2008, peu avant qu’une nouvelle blessure au genou ne le renvoie plusieurs mois à l’infirmerie, Moussa marque ce qui sera ensuite considéré comme le but de l’année. C’est contre Willem II, son ancien club. Il se faufile entre une demi-douzaine d’adversaires pour marquer le 0-3. La séquence fait le buzz sur YouTube et on ne parle que de ça aux Pays-Bas.

Tilly :  » On le surnommait TiTa Tovenaar, lisez TiTaLeMagicien. À mes yeux, il est un artiste. C’est tellement beau de le voir coller au ballon.  » Assita :  » Il ralentit, il s’arrête puis il redémarre. On dirait qu’il danse avec le ballon.  » Tilly :  » Parfois un peu trop ! Il devrait le passer plus vite. En le conservant trop longtemps et en provoquant les autres, il prend des coups. Donc, s’il… Je me tais. D’ailleurs, je ne me suis jamais adressée à un entraîneur. Il ne faut pas penser qu’il est responsable de tous les maux. Pour réussir, il faut travailler.  »

Sa quatrième saison à Alkmaar est aussi sa dernière. Ronald Koeman a succédé à Van Gaal mais est renvoyé rapidement et remplacé par Dick Advocaat. Moussa rompt avec son agent, Patrick Vervoort, et Rodger Linse l’introduit en Premier League. Fulham lui convient à merveille.

 » Moussa procède par petits pas depuis toujours « , explique Assita.  » Il aurait pu signer dans des clubs de plus haut rang mais il a refusé. Gagner beaucoup d’argent sans jouer ne l’intéresse pas. Il veut représenter quelque chose pour son équipe.  » Tilly :  » L’ambiance compte beaucoup pour lui. Moussa aime rire et plaisanter. Il ne pourrait supporter une atmosphère froide.  »

Le chouchou de Fulham

Durant sa deuxième saison à Fulham, il est de nouveau entraîné par un Néerlandais. Martin Jol retire Moussa de l’attaque pour lui assigner un rôle créatif dans l’entrejeu.  » Ballon au pied, il est sans doute un des meilleurs joueurs que j’aie jamais vus « , explique Jol à la presse britannique.

Tilly :  » On a toujours cherché sa meilleure position. Un buteur est quelqu’un qui dit : je veux marquer un goal. Moussa, lui, veut simplement jouer. Je ne comprends pas que personne n’ait remarqué avant qu’il était meilleur dans l’entrejeu.  »

Elle a l’air de s’y connaître…  » Oui, n’est-ce pas ? Parfois, Moussa me demande comment je sais ça ou ça. Par exemple, je trouve toujours que Moussa joue bien. (Elle éclate de rire.) – Tu le penses vraiment, maman ? Vous savez, au fond, je n’ai d’yeux que pour Moussa, pas pour le match. Est-ce mal ?  »

Le Belge devient là aussi le chouchou du public.  » Les supporters ont composé une chanson en son honneur dans tous ses clubs. C’est bizarre mais c’est comme ça. Quand il allait à Willem II avec l’AZ, les supporters locaux chantaient pour Moussa. C’est pareil maintenant : quand Fulham joue contre Tottenham, ses supporters lui font la fête. Le public lui reste reconnaissant partout où il est passé.  »

Que fait-il pour cela ? Rien, précise Assita.  » Il n’est pas sur Facebook et il n’est pas un fana de Twitter non plus. Mon frère est sociable mais il n’aime pas nouer des contacts de ce genre. Il s’intéresse beaucoup à la vie des autres. Il parle peu de lui-même.  »

Tottenham est pour l’heure sa dernière étape. Il a versé 15 millions de livres pour Moussa, soit trois fois plus que ce que Fulham a payé.  » Je ne juge pas ses choix « , raconte Tilly.  » S’il est heureux, je le suis aussi. J’ai toutefois eu un peu peur lorsqu’il fut question d’un contact avec l’un ou l’autre club moscovite : la plupart des trajets s’effectuent en avion alors que Moussa n’aime pas ça.

Ça va mieux mais quand même… Tottenham l’oblige à effectuer le trajet aller en avion avec l’équipe mais il revient le plus souvent en voiture avec le responsable du matériel, ce qui implique des trajets de trois ou quatre heures.  »

Moussa a retrouvé Jan Vertonghen chez les Spurs. Ils se sont connus en catégories d’âge du Germinal Beerschot. Ils sont devenus très proches à Londres. Tilly :  » Quand Jan est blessé et est seul chez lui, Moussa y passe la nuit et vice-versa. Ils se rendent également ensemble à l’entraînement. Généralement, c’est Jan qui passe prendre Moussa. Si Jan fixe rendez-vous à neuf heures, Moussa sera prêt à neuf heures cinq. C’est encore assez tôt mais ça énerve Jan, qui veut toujours partir en avance.  »

Trop souvent sur le banc à son goût

Moussa entretient des relations difficiles avec André Villas-Boas. Les choix défensifs de celui-ci se sont souvent au détriment du Diable Rouge. Au moment où il commence à se faire du souci, l’entraîneur portugais est limogé. Dembélé marque son premier but en seize mois le 29 décembre 2013. Tottenham peut toujours espérer se qualifier pour la Ligue des Champions. Tilly et Assita sont unanimes : le bal des champions est le prochain rêve de Moussa.  » Et jouer car il est de mauvaise humeur quand il fait banquette.  »

Or, pendant les qualifications pour le Mondial, il y a passé pas mal de temps, même s’il est entré en fin de partie, l’espace de quelques minutes, lors des matches décisifs contre l’Ecosse et la Croatie.  » Il en a quelque peu souffert. J’ai dû lui parler « , dit Assita. Tilly opine. C’est la seule note dissonante de l’histoire, qui s’achèvera peut-être un jour en Belgique.

 » Il dit souvent qu’en fin de carrière, il aimerait se produire en Belgique « , affirme Tilly, précisant qu’il tient le virus du football de sa mère.  » Elle jouait au football, de même que ma soeur et mes deux frères. Je suis la seule à ne pas avoir joué. Je me suis contentée de transmettre le virus.  »

Moussa va bientôt l’imiter. Son amie Naomi a dévoilé le secret sur Facebook et Assita se sent donc autorisée à préciser qu’en septembre, son frère sera père pour la première fois. D’un fils.

PAR JAN HAUSPIE

 » Gagner beaucoup d’argent sans jouer ne l’intéresse pas. Il veut représenter quelque chose pour son équipe.  » Assita, sa soeur

 » A Tottenham, il doit toujours accompagner l’équipe en avion. Mais il est autorisé à faire le retour en voiture avec le préposé au matériel.  » Tilly, sa maman

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