MOURIR SUR SCÈNE

 » J’ai du mal à croire qu’il y a quelque chose d’héroïque là-dedans « 

Comme je n’avais pas encore eu l’occasion de vous souhaiter le meilleur pour cette année 2004, j’en profite pour le faire, mieux vaut tard que jamais. Bon, cela étant dit, et comme il convient que je consacre davantage mon billet aux dangereux arcanes du football plutôt que de disserter à ma façon, insistante et presque électorale, sur les grands problèmes du monde.

Après tout, l’Irak, la guerre, c’est loin, bien que la politique de G. W. Bush reste un traditionnel sujet de discussion autour de la non moins traditionnelle pintje de service. La faim dans le monde, c’est pas nous – encore que-, la justice, il faut paraît-il lui faire totale et entière confiance, les Droits de l’Homme et de la Femme, pour cela nous avons nos organisations et nos lois. La sécurité ? La nouvelle police est restructurée. L’emploi ? Notre Premier ministre nous l’a promis. Les pensions ? Assurées avec de savantes cotisations supplémentaires (ou supplémenteurs à vous de voir). La santé ? Garantie par la solidarité et la pub antitabac. Je pourrais ainsi épiloguer longuement à propos de sujets étrangers au monde du ballon rond, qui est le mien, et peut-être ainsi prouver que les joueurs ne sont pas des abrutis ou des demeurés qui ne pensent qu’à shooter, à frimer dans de belles bagnoles Salon 2004 au bras de jolies hôtesses 2004 elles aussi, mais qu’ils sont également des citoyens responsables et à l’écoute des problèmes de leur temps.

La sociologie nous classe parmi les  » travailleurs du loisir « , mieux encore  » les ouvriers de la culture  » ou même  » les artistes du spectacle « . Mais n’est-ce pas le même ministre qui a la charge de ces trois compétences ? Soit, je consens donc à vous entretenir de football, avec le risque de subir les foudres de mon ami et confrère Etienne, talentueux chroniqueur et excellent pédagogue de la science et de l’art de pratiquer ce sport universel, qui unit ou qui sépare, c’est selon. Je brûle d’envie en effet de vous demander si vous êtes capables de dire exactement 1)la longueur du grand rectangle 2) la largeur du petit rectangle 3) la superficie du quart de cercle qui jouxte le poteau de corner 4) le poids exact d’un ballon de foot. Mais je vous avoue que depuis le début de ce papier, mes idées sont ailleurs. Non pas que la lassitude ou le manque d’inspiration eussent pris le pas sur ma parole donnée à votre magazine favori, mais les derniers rebondissements m’ont plutôt refroidi, et c’est de saison, au point de me laisser plus amer que gourmand.

Dimanche dernier, vous aurez certainement vu comme moi, avec effroi et incrédulité, les images frissonnantes de la mort de Miklos Feher, attaquant du Benfica Lisbonne, ce beau gosse si jeune et si talentueux, qui, un soir pluvieux de janvier, s’est écroulé dans un sourire, tel un gladiateur, terrassé par un destin aussi cruel qu’incompréhensible, nus plongeant dans un désarroi complet. Mourir sur scène a quelque chose d’héroïque. Simplement j’ai du mal à y croire et je ne profiterai pas de cela pour en rajouter, c’est inopportun. Sans vraiment le connaître, on l’a aimé, on l’a admiré, et on l’a pleuré. Parce qu’il faisait partie de notre grande famille. Et aussi parce qu’un match de 90 minutes est le résumé parfait d’une vie. Tellement courte. A bientôt.

BERTRAND CRASSON

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