Mourir à Santiago

Bruno Govers

Le Bruxellois veut être le premier coach belge à avoir entraîné des équipes sur quatre continents.

Difficile de ne pas entamer cette série consacrée aux entraîneurs belges û ou leurs homologues étrangers qui ont longuement fait carrière sur notre sol û actifs hors de nos frontières par le plus globe-trotter d’entre tous : René Taelman.

Pour les besoins du seul football, le Bruxellois, âgé de 57 ans aujourd’hui, a bourlingué dans pas moins de 70 pays. Sous peu, une toute nouvelle destination s’ajoutera à cette impressionnante série, puisqu’il dirigera au cours de la saison à venir la formation libyenne de l’Olympic de Zawiya. Par là même, l’ancien mentor de Seraing et du Cercle de Bruges û les seuls clubs qu’il a drivés en Belgique, exception faite de son entrée en matière dans la corporation, à l’Eendracht Alost, en collaboration étroite avec Georges Heylens û fera une nouvelle fois office de précurseur. Il fut, il est vrai, le premier de nos compatriotes à diriger un club en Afrique (le FC Kalamu au Zaïre, en 1987) et en Asie (West Riffa au Bahreïn, en 1998).

Son rêve, avant de prendre une retraite bien méritée, est d’ajouter une expérience professionnelle en Amérique.  » De la sorte, j’aurai exercé le métier de coach sur quatre continents « , dit-il.  » A part le Yougoslave Bora Milutinovic, qui a officié lui aussi dans tous les coins du monde, les exemples de ce type ne sont pas légion. Et sûrement pas sur le territoire belge « .

S’il ne tenait qu’à lui, René Taelman tirera pour de bon, un jour, sa révérence au Chili. Une nation qu’il a appris à connaître à l’époque où il y débusqua Oswaldo Hurtado et Francisco Ugarte pour le compte du Sporting de Charleroi, et qui l’a marquée à jamais.

 » J’ai tout vu durant ces nombreuses pérégrinations  » précise-t-il.  » La richesse au Koweït, la pauvreté en Guinée-Conakry, la beauté d’Alexandrie, les favelas de Rio. Mais le top, c’était Santiago. Là-bas, on peut manger par terre, tant la ville est propre. Et ce qui vaut pour la capitale est d’application aussi aux autres cités : Valparaiso, Concepcion, Iquique, Vina del Mar. Fabuleux. Sans compter la particularité géographique de ce pays qui s’étire sur plus de 4.000 kilomètres mais qui ne dépasse guère les 200 bornes en largeur, avec tout ce que cette diversité implique en matière de paysages et de climats. Je ne le cache pas : c’est à Santiago que j’aimerais m’éteindre dans un futur que j’espère le plus lointain possible. Mon fils cadet, Frédéric, fait déjà l’apprentissage de l’espagnol sur place, pour le moment. L’aîné, Vincent, est actuellement aux Etats-Unis où il entreprend un doctorat en biologie moléculaire. Je n’ai plus vraiment d’attaches en Belgique car au fil des ans, ma famille s’est malheureusement réduite comme une peau de chagrin « .

Homme de défis

Son frère Henri, docteur à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers, décédé d’une crise cardiaque voici quelques années, aura beaucoup compté pour René Taelman. C’est lui, notamment, qui donna à son frangin le goût de l’Afrique, où il multiplia les séjours.

 » Aussi loin que je me souvienne, il s’est toujours contenté de quelques heures de repos par jour à peine « , commente notre interlocuteur.  » A la longue, il l’a payé de sa propre vie. Le sida était devenu une véritable obsession pour lui. A certains moments d’ailleurs, le football et la maladie nous auront interpellés tous deux. Dans le cadre de son travail, il fut effectivement appelé à soigner Julien Kialunda, l’ancienne star congolaise du RSCA. Et moi-même j’y ai été indirectement confronté. Le Malawien Frank Sinalo, vous vous souvenez ? Il avait fait long feu au Cercle Bruges autrefois. Non pas parce qu’il n’avait pas les qualités requises mais tout simplement parce qu’il était séropositif. Au cours de ma carrière, j’ai été confronté à plusieurs cas analogues. Ces drames humains constituent évidemment les moins bons souvenirs de ma carrière. Au total, les agréables auront été nettement plus nombreux : la Supercoupe avec l’Africa Sport d’Abidjan, la Coupe Arabe des Vainqueurs de Coupe avec l’Olympic Casablanca, la Coupe nationale avec Al Arabi, au Koweït : ce sont des distinctions qu’on ne m’enlèvera pas « .

La première expérience extra muros de René Taelman fut un club d’Afrique Noire : le FC Kalamu à Kinshasa. Et tout porte à croire que sa dernière aventure sub-saharienne aura été le Bénin, dont il s’est occupé ces derniers mois.

 » J’ai toujours été un homme de défis « , souligne-t-il.  » Mon prochain point de chute s’inscrit pleinement dans cette lignée car, sur le plan footballistique, la Libye ne compte évidemment pas parmi les cadors du football africain. Ce pays s’éveille toutefois aux ambitions en la matière, comme on a pu s’en rendre compte à travers l’action du fils du colonel Kadhafi, Saadi, ces derniers mois. Manifestement, le fils de l’homme fort de Tripoli entend que la Libye s’inspire de l’exemple des autres représentants du Maghreb que sont le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’Egypte qui, tous, ont rang de nations fortes. Ces derniers mois, plusieurs éléments de valeur ont convergé vers la capitale. Je songe à l’ancien Liégeois Victor Ikpeba, par exemple, pour ne citer qu’un nom aux consonances familières en Belgique. A présent, les autorités veulent également s’appuyer tant et plus sur des techniciens étrangers. C’est la raison pour laquelle le colonel Abdessalem H’sine, le boss de l’Olympic de Zawiya, m’a sollicité. C’est un beau challenge que je me suis empressé d’accepter. A l’analyse, mes séjours dans le nord de l’Afrique m’auront toujours souri. Ce fut le cas à Casablanca et à Alexandrie. Compte tenu de ce que j’ai vu dans mon futur cadre de vie et de travail en Libye, cette nouvelle aventure devrait être du même tonneau. En revanche, l’Afrique Noire, j’en ai soupé. Eu égard à ce que j’ai vécu à Cotonou, je ne suis pas près de recommencer « .

Au départ, pourtant, le projet était tentant dans ce pays, sans palmarès en Afrique, mais qui avait un bon coup à jouer dans un groupe de qualification pour la phase finale de la CAN 2004 où l’opposition avait pour noms la Zambie, le Soudan et la Tanzanie.

 » Le dernier résultat forgé dans cette compétition par l’équipe nationale, les Ecureuils, était une défaite par 8 buts à 2 contre la Namibie « , observe René Taelman.  » C’est assez dire s’ils étaient mal en point. Sur le papier, je ne pouvais cependant pas m’empêcher de croire en certaines perspectives face aux adversaires du groupe : le Soudan et la Tanzanie n’avaient pas de réelles références non plus et la Zambie, quant à elle, se cherchait une nouvelle identité après avoir vécu son âge d’or à l’époque des Kalusha Bwalya et Charly Musonda. Le premier match du groupe entre le Bénin et la Tanzanie, autrement dit le 37e contre le 38e classés du continent africain se révéla d’emblée un formidable coup dans le mille puisque mes joueurs l’emportèrent par 4 à 0. C’était une victoire historique : il fallait déjà remonter au 11 août 1995 pour retrouver la trace d’un succès aussi probant contre un autre sans grade du continent : la Mauritanie, vaincue 4-1. Il n’en fallut évidemment pas plus pour que je sois d’emblée porté aux nues. Et ma popularité monta encore d’un cran quand, pour les besoins de notre deuxième match de qualification, à Lusaka, nous avions réussi le nul (1-1) contre la Zambie. Le rendez-vous suivant, contre le Soudan, fut du même acabit : une victoire par 3 à 0. En l’espace de trois rencontres, j’avais donc obtenu deux succès et un nul. Du jamais-vu pour un pays qui, jusqu’alors, n’avait triomphé que huit fois en un laps de temps de 40 ans. En principe, j’aurais dû être le roi puisque j’avais réellement réussi au-delà des espérances dans cette nation où les noms des clubs sont beaucoup plus terrifiants que leur valeur réelle sur le terrain. Les Dragons de l’Ouémé ne crachent plus le feu depuis longtemps, les Requins de l’Atlantique n’ont manifestement pas de dents et les Lions de l’Atakora ne rugissent que peu ou prou eux aussi… « .

Agressé physiquement

Sevré de participation à la Coupe d’Afrique des Nations depuis sa création en 1957, le Bénin aurait logiquement dû être conduit à ce stade par notre compatriote. En lieu et place, c’est le Ghanéen Cecil Jones Attuquayefo qui eut cet honneur.

 » Incroyable mais vrai : dès l’instant où nous nous sommes installés en tête du groupe, ce fut la panique dans les hautes sphères de la fédération « , souligne René Taelman.  » Et pour cause, les dirigeants, qui n’avaient jamais dû débourser le moindre franc CFA pour la qualification de leurs joueurs, étaient subitement pris de panique à l’idée qu’ils allaient devoir distribuer tout cet argent. Depuis ce moment-là, on n’a eu de cesse de me mettre des bâtons dans les roues. J’ai été agressé verbalement et physiquement. Un jour, j’ai même dû sortir un couteau pour me défendre. Risquer ma vie pour 4.000 euros par mois, cela n’en valait pas la peine. Et j’ai cédé le témoin. Cecil Jones Attuquayefo a mené les Ecureuils à la victoire, tant en Tanzanie (0-1) que lors du match de clôture contre la Zambie (3 à 0). Mais l’essentiel avait déjà été fait par mes soins. Je regrette, bien sûr, d’être privé de phase finale. Mais je me console en me disant que j’ai été partie prenante dans l’apothéose de cette épreuve avec la formation représentative du Burkina Faso, en 2000, au Nigeria et au Ghana. De la sorte, j’ai quand même vécu l’essentiel en Afrique. Et comme je marche à l’impulsion, je ne suis pas mécontent de m’atteler à une autre tâche en Libye. Ensuite, j’approcherai de la soixantaine. Il sera alors grand temps de mettre le cap sur l’Amérique du Sud. Avec l’espoir d’y entraîner et d’y couler un jour une retraite heureuse « .

 » Au Bénin, je ne voulais plus risquer ma vie pour 4.000 euros par mois : un jour, j’ai même dû sortir un couteau « 

 » J’ai tout vu : la richesse du Koweït, la pauvreté de Guinée-Conakry, la beauté d’Alexandrie, les favelas de Rio « 

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