Mourinho joue sa peau

Le coach portugais rêve d’offrir à l’Inter le plus prestigieux des trophées européens, le premier depuis 45 ans mais doit commencer par vaincre l’ex-club londonien de son cour.

Après ses déclarations d’amour au football anglais lors de la période de Noël, José Mourinho (46 ans) va-t-il devenir (ironiquement) le salvatore – le sauveur – de sa nouvelle patrie d’adoption ? Il ne fait aucun doute que l’Italie a besoin d’un bon résultat sportif, que ce soit en Ligue des Champions ou en Coupe du Monde, pour arrêter la spirale négative et l’impression que ce Calcio si cher aux Italiens est sur le chemin du déclin.

Si l’entraîneur de l’Inter aura peu d’impact sur la prestation de la Squadra Azzurra en Afrique du Sud, c’est lui qui occupe le siège de pilote lorsqu’il s’agit de mener les ambitions italiennes en Ligue des Champions. Son équipe devra d’abord éliminer son précédent club de Chelsea en deux temps – ce 24 février à San Siro et le 16 mars à Stamford Bridge.

Le tirage au sort de décembre dernier avait immédiatement incité le coach portugais à effectuer une visite d’espionnage à Londres, ce qui a généré dans la presse une série de commentaires sur la passion qu’il porte au football britannique et le fait qu’un jour il retournerait aux Iles. Mais que les fans de Chelsea ne crient pas trop vite victoire, comme nous le rappelle une des nombreuses interviews festives données par Mourinho. C’était à la RAI, la télé publique italienne, qui lui demandait ce qu’il pourrait apporter au football italien. Réponse de Mourinho :  » Et bien, selon ce que je lis et j’entends ici, très peu ou rien du tout. Mais je ne suis pas venu en Italie pour transmettre quelque chose à votre football. Je suis venu ici pour gagner des trophées avec mon club.  »

La succession de Mancini

Depuis que Mourinho a remplacé à la surprise générale Roberto Mancini à l’été 2008, quelques jours après que ce dernier ait remporté son troisième titre consécutif en Serie A avec l’Inter, on sait très bien quel trophée convoite le président Massimo Moratti, le magnat du pétrole, à la tête du club nerazzurro. Et Mourinho, qui a remporté la Coupe UEFA et la Ligue des Champions avec le FC Porto, a été engagé pour mener à bien cette conquête de la plus prestigieuse des coupes d’Europe, celle qui manque au palmarès de l’Inter depuis 45 ans.

A une question de la RAI qui lui demandait comment aborder la double confrontation avec Chelsea, Mourinho donna une réponse inhabituellement prudente, qui ne l’engage pas :  » La Ligue des Champions est pleine de points d’interrogation. Cela dépend de tellement de facteurs. C’est vrai que Chelsea est une équipe qui a très peu de secrets pour moi. Nous avons tiré une des pires équipes possibles… Mais eux aussi n’ont pas eu de chance au tirage. Rappelez-vous ceci : en football, les vieux amis n’existent pas pendant 90 minutes.  »

A la même époque l’an dernier, l’Inter fut sorti sans gloire par Manchester United, (0-0 en Lombardie et 2-0 à Old Trafford), au même stade des huitièmes de finale et après une campagne automnale qui avait vu les Interistes courber l’échine contre le Panathinaikos et contre Brême. Et ceux qui ont vu Barcelone balayer l’Inter en novembre dernier au Camp Nou seraient tentés de conclure que peu de choses ont changé depuis la saison dernière. Ou que l’Inter mène la danse dans une Serie A dévaluée mais n’est qu’un tigre de papier sur la scène européenne.

Toutefois, ce tableau est incomplet. La différence significative entre la saison passée et celle-ci est que l’Inter a su gagner deux matches capitaux pour sa survie en LC, en Ukraine au Dynamo Kiev puis à domicile contre Rubin Kazan. Rappelons quand même que le groupe était très serré avec Barcelone qui a terminé en tête avec 11 points, soit le total le plus faible des huit poules.

Pour une équipe milanaise qui n’a jamais vraiment bien joué en Europe en 2008-2009, la bonne nouvelle est que la malédiction pourrait donc être levée. Si l’Inter a paru dominer son sujet lors du dernier match remporté 2-0 contre Kazan, la partie à Kiev (1-2) avait quant à elle tout l’air d’un baroud d’honneur, d’un combat déterminé -même si pas toujours élégant- pour venir à bout de coriaces Ukrainiens. Ce n’est pas pour rien que Mourinho considère ces deux rencontres comme fondamentales pour sa saison, louant la  » personnalité  » affichée par son équipe à ces deux occasions.

De nouvelles convictions

Si l’Inter a une seule raison d’espérer pouvoir franchir l’obstacle de Chelsea, c’est bien celle d’avoir retrouvé ce nouveau sens des responsabilités sur la scène continentale. Les espérances des tifosi reposent bien sûr aussi sur les changements intervenus dans l’équipe l’été dernier et lors du mercato d’hiver. Le club a beau avoir perdu son buteur charismatique suédois Zlatan Ibrahimovic parti au Barça, l’apport des cinq nouveaux joueurs clés – le défenseur brésilien Lucio, le médian néerlandais Wesley Sneijder, le milieu brésilien Thiago Motta, le buteur argentin Diego Milito et l’avant camerounais Samuel Eto’o – suggère que l’Inter est plus fort que jamais.

Les résultats des Nerazzurri en championnat semblent confirmer ce sentiment. En décembre 2008, l’Inter étaient en tête avec 42 points, soit six de plus que la Juventus et neuf de plus que le Milan AC. Alors qu’au 15 février, l’Inter comptait déjà 54 points, 7 d’avance sur la Roma, 9 sur Milan et déjà 15 sur Naples, le 4e. Et avec quelques performances brillantes et convaincantes, comme les doubles victoires 4-0 (août 2009) et 2-0 (en janvier 2010) contre les rivaux milanais. Le début d’année a donc confirmé la forme affichée avant Noël avec notamment des victoires contre Chievo en l’absence de titulaires incontestés comme Eto’o, Motta, Dejan Stankovic et Esteban Cambiasso. Devoir accompli, donc, en championnat avec le cachet Mourinho, c’est-à-dire un jeu pas toujours élégant ou impressionnant, mais diablement efficace au niveau des résultats. Entre-temps, pour pallier l’absence d’Eto’o pendant la CAN, l’Inter s’est attiré début janvier les services du talentueux buteur Goran Pandev. Avec l’arrivée du Macédonien, l’Inter dispose d’une force de frappe supplémentaire, puisqu’il a déjà inscrit 3 buts et donné quelques assists décisifs. En attendant, Mourinho se focalise sur ses deux objectifs principaux : la qualification en Ligue des Champions et l’obtention d’un cinquième scudetto de rang, ce qui serait une première depuis la grande équipe de Turin dans les années 1940 (cinq titres entre 1943 et 1949 avec un championnat annulé en 1944 et 1945).

Quant aux fameuses escarmouches entre Mourinho et ses collègues ou les médias, elles ne semblent pas affecter la concentration de ses joueurs. Les fans de l’Inter et les joueurs eux-mêmes ont compris que les incartades de leur coach à l’encontre de Claudio Ranieri ou de Carlo Ancelotti, des arbitres ou qui que ce soit, n’ont qu’un seul but : diminuer un tant soit peu la pression subie par les joueurs. L’un des épisodes les plus fameux de ces Mourinhades, survint après un match nul à l’Atalanta Bergame en décembre dernier, un match où Sneijder fut exclu. Après le match, le coach portugais prit place dans le bus des joueurs, ruminant encore la prestation médiocre des siens.

Furieux de voir le journaliste Andrea Ramazzotti du Corriere dello Sport envahir l’espace privé réservé aux interviews pour la chaîne TV du club, Inter TV, il sauta hors du bus et demanda énergiquement, voire violemment selon certains, au journaliste de dégager. Dans les jours qui suivirent,  » l’affaire Mourinho-Ramazzotti  » fit couler beaucoup d’encre jusqu’à ce que le Portugais présente ses excuses à sa manière, en ajoutant à la blague que jusqu’alors il ne connaissait qu’un seul Ramazzotti célèbre en Italie, à savoir le chanteur Eros du même nom, mais qu’à présent il y en avait deux. Bien vu de la part du fin stratège puisque dans le même temps on accorda beaucoup moins d’attention à la mièvre prestation sportive de l’Inter.

 » Un agent provocateur naturel « 

Il y a déjà bien longtemps que les commentateurs de football ont remarqué que Mourinho utilise les médias pour détourner la critique ou l’attention envers ses joueurs. En ce sens, c’était gratifiant d’entendre Milito dire à la Gazzetta dello Sport :  » Il n’y a aucun entraîneur comme lui lorsqu’il s’agit de sortir du bois pour défendre tout le monde, ce qui réduit la tension à supporter par l’équipe lorsque les résultats sont moins bons. On constate d’ailleurs qu’avec lui, l’Inter se rétablit toujours très vite après une défaite. Tout cela est dû à Mourinho.  »

L’intéressé expliqua ce phénomène dans une interview à la RAI fin décembre :  » Ecoutez, j’ai un problème, quelque chose qui pour certains constitue une force et pour d’autres une faiblesse. Lorsque je dois défendre mes joueurs, je me fous de moi-même et de mon image. Je veux faire tout ce qui est nécessaire pour défendre mon club et mon staff. Leur affection et leur respect, c’est tout ce qui compte pour moi.  »

Les petites invectives avec les journalistes et les collègues entraîneurs sont une chose, mais l’apparente love story de Mourinho et du football anglais en sont une autre. Il fait peu de doutes que de nombreux supporters interistes ont interprété les marques d’affection de Mourinho envers le foot anglais lors de sa visite éclair à Stamford Bridge comme une preuve que le coach portugais n’apprécie pas l’Italie et le foot italien. Ils ont conclu qu’il ne tarderait pas à faire ses valises pour retourner en Premier League. Les professionnels du Calcio voient les choses différemment.

L’ancien international italien Tarcisio Burgnich affirme que Mourinho est un  » agent provocateur naturel  » qui s’amuse à semer le doute. Et l’ex-international et joueur de l’Inter Roberto Boninsegna d’ajouter :  » Je serais vraiment surpris s’il venait à quitter Milan avant la fin de son contrat. Je ne vois aucune raison que les choses se passent différemment.  »

Le sérieux, gage de succès ?

Un autre ancien grand d’Italie et de l’Inter, Alessandro Altobelli, donne plutôt un avis contraire. S’il reconnaît  » le sérieux et le succès  » que Mourinho apporte à son club, il rejoint l’opinion de nombreux fans en disant :  » Mourinho n’aime rien de l’Italie « . La perception, construite sur rien du tout, d’une love story entre Mourinho et l’Angleterre était telle qu’il crut bon de s’en expliquer en janvier, avant le match contre Chievo.

 » Pour la dernière fois, je vais vous expliquer l’histoire « , commença-t-il passablement agacé.  » Oui, j’aime le football anglais et l’idée de retourner vivre en Angleterre. Je veux y retourner mais je n’ai aucune idée de quand ce sera et en plus je ne quitterais jamais un job à moitié terminé. J’ai un contrat jusqu’en 2012 et après cela, qui sait ce qui se passera ? Je pourrais rester ici, je pourrais aller au Japon ou à Riyad. Je pourrais aller partout et peut-être ne retournerai-je pas immédiatement en Grande-Bretagne. Cependant, un jour je retournerai en Angleterre, ça c’est certain à 100 %, je ne sais juste pas quand. Quand j’ai signé à l’Inter je ne l’ai certainement pas fait avec l’idée de quitter le club trois mois après. « 

Tout au long de sa carrière, que ce soit à Porto, à Chelsea ou à l’Inter, Mourinho a laissé l’impression que la seule chose qui l’intéresse est de gagner, que ce soit de façon impressionnante ou pas.

Lorsqu’il évoque son contrat  » honnête  » ( NDLR-quelque 12 millions d’euros par an) avec l’Inter, dans une interview accordée au quotidien portugais Publico, le message est clair : nous ferons tout pour ramener au stade Giuseppe Meazza le trophée que Moratti et l’Inter convoitent le plus, à savoir la Ligue des Champions. Oui mais voilà, la tâche n’est pas aisée. Dans une Serie A qui a vu déjà 10 coaches remerciés avant la nouvelle année, la patience ne semble pas la plus grande vertu. Une élimination des £uvres de Chelsea pourrait venir contrecarrer les meilleurs plans et mener à une séparation précoce entre Mourinho et l’Inter. Pour reprendre un euphémisme, on peut dire que la pression est tangible.

par paddy agnew, world soccer – photos: reporters

Les vieux amis n’existent pas pendant 90 minutes.

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