Mourinho fait ch…

Trois experts du foot européen attachés à BeTv, Jean-François Remy, Manu Ferrera et Frédéric Waseige, décortiquent le jeu des Allemands et des Italiens…

Que sera le scénario du bouquet final de la Ligue des Champions ? José Mourinho coulera-t-il un béton armé plus solide que celui d’ Helenio Herrera ou de Raymond Goethals ? Louis van Gaal saura-t-il faire preuve de patience ou cherchera-t-il à voler dans les plumes de son adversaire lombard ? Diego Milito aura-t-il plus de réalisme et d’ardeur qu’ Ivica Olic ? L’absence de Franck Ribéry sera-t-elle prépondérante ? JavierZanetti trouvera- t-il le moyen de neutraliser Arjen Robben ? Daniel Van Buyten aura-t-il une parade face à la vitesse des Italiens ? L’entrejeu de l’Inter se méfiera-t-il assez de la rage de vaincre de Mark v an Bommel et Bastian Schweinsteiger ? Lucio et Samuel pourront-ils contenir Thomas Mûller durant 90 minutes ?

Waseige : J’espère que l’arbitrage sera à la hauteur. Ce n’est pas facile de diriger l’Inter qui monte sur le terrain pour gagner à tout prix. C’est une qualité, Mourinho fait chier tout le monde mais il est en finale. L’Inter devant et dans son rectangle, c’est terrible. Mais cette image-là fait aussi partie du football de 2010. Contre l’Inter, le Barça a eu 86 % de possession du ballon. Les Catalans ont réussi 660 passes, les Italiens se sont contentés du dixième : 66 bons ballons. Le Barça était obligé de gagner mais n’a commis que 15 fautes. Et 66 passes valables seulement ont permis à l’Inter de passer : c’est pour cela que l’Inter est une grande équipe. Le Bayern devra se méfier comme de la peste de cette efficacité ahurissante. Je me demande si l’Inter ne s’est pas qualifié pour la finale en juin 2009…

Ferrera :… quand Zlatan Ibrahimovic a pris le chemin de Barcelone et Samuel Eto’o celui de l’Inter. Eto’o accepter de décrocher, de reculer jusqu’au poste de back. Ibrahimovic ne le ferait pas.

Waseige : C’est exactement cela. Chapeau car Mourinho arrive à faire cela avec des monstres sacrés. Cela ne veut pas dire qu’il soit un génie. Il n’a rien inventé mais il transforme de grands joueurs en ouvriers. Il n’apporte rien au football, il apporte à son club. Il n’a pas battu Pep Guardiola tactiquement. Tout le monde joue comme cela contre le Barça mais Mourinho a les hommes qu’il faut. Autre fait intéressant : l’Inter et le Bayern arrivent à leur pic de forme. Juste avant la finale de la Ligue des Champions. C’est voulu…

 » Je plains van Gaal…  » (Manu Ferrera)

Remy : Pour le Bayern, c’est bien de retrouver l’Inter plutôt que le Barça en finale. Même si ce sera forcément délicat, le jeu des Italiens lui convient mieux que celui des Catalans. Même si Mourinho a l’adhésion et l’écoute de ses joueurs : là, c’est un champion du monde.

Ferrera : Défendre, ne pas sortir sauf au bon moment. Je plains van Gaal, il aura des problèmes. Faire le jeu n’intéresse pas Mourinho. Le Bayern aime contrôler la circulation du ballon. Les Italiens le savent et laisseront ce luxe à leur adversaire. On ne change pas la nature d’une équipe du jour au lendemain. Mais van Gaal aura retenu les leçons du Barça : il fera tout pour faire que l’Inter sorte. Et s’il y arrive en début de match, c’est toute la philosophie de la finale qui basculera. Le Néerlandais est trop malin pour se contenter de 86 % de possession et rien d’autre. Il sait que les contres de l’Inter sont ravageurs.

Remy : C’est tout à fait exact. Mourinho mesure aussi que si la défense du Bayern a un petit défaut, c’est le manque de vivacité de l’axe central sur de petits espaces. Milito peut embarquer Van Buyten ou Martin Demichelis en un crochet court. Tous les deux se retournent difficilement sur de petits espaces. Big Dan a ce défaut mais il compense par plein de qualités.

Waseige : L’Inter va laisser l’initiative au Bayern. Milito et Eto’o sont capables à eux seuls de donner des cheveux blancs à toute la défense du Bayern.

Ferrera : Les Milanais émergent quand ils volent le ballon à leur adversaire. A Barcelone, ils l’ont chipé assez bas.

Remy : A mon avis, ils procéderont de la même façon en finale mais plus haut. Mark van Bommel est un grand footballeur mais il n’est pas à l’aise quand on le met sous pression.

Ferrera : Tout à fait et l’Inter ira le chercher chaque fois qu’il aura le ballon.

Remy : Si on met en exergue la science de Mourinho, on doit aussi souligner la qualité du travail en profondeur de van Gaal. Ses débuts n’ont pas été faciles. Il a eu des problèmes relationnels, a été discuté. Robben et van Bommel l’ont défendu. Mais il doit aussi son maintien au fait que le Bayern est dirigé par d’anciennes vedettes. Il a trouvé l’équilibre lançant des jeunes du centre de formation comme Müller, entre autre. Il a placé PhilipLahm à droite, Schweinsteiger au milieu, etc. Rien que des trouvailles.

Waseige : Mais l’absence de Ribéry est lourde, même s’il a souvent été blessé…

Remy : Le Bayern s’est battu jusqu’au bout pour qu’il puisse jouer. A mon avis, il en faut plus pour ébranler van Gaal. Il a des solutions avec Hamit Altintop et d’autres. Autre détail : si les joueurs de l’Inter vont au feu pour Mourinho, les Bavarois adorent van Gaal qui est un joyeux drille. Le Néerlandais aime faire la fête. Paternel mais autoritaire quand c’est nécessaire, il est aussi proche de ses joueurs que Mourinho.

Ferrera : Van Gaal a été champion d’Europe avec les teenagers de l’Ajax. Il faut mettre les stars dans sa poche. S’il n’y a pas de climat positif ou porteur, les vedettes partent. Deux mots de travers et elles s’évadent… Van Gaal connaît Mourinho. Quand van Gaal est arrivé au Barça dans le temps, Mourinho était là. Bobby Robson l’avait amené en tant que T3 et traducteur. Van Gaal n’a pas utilisé ses services mais ils se sont croisés au Camp Nou.

Waseige : Mourinho, c’est la gagne et il y a plein de Sud-Américains à l’Inter. Ce sont des guerriers. Ils n’ont eu aucune pitié pour Lionel Messi…

Remy : Ce sera une finale très serrée. Qui peut faire la différence pour le Bayern ? Robben…

Ferrera : Il ne faudrait pas oublier Olic.

Waseige : Sensationnel : il ne lâche rien, chasse tous les ballons, inquiète les défenseurs de la première à la dernière minute de jeu. Au-delà de cela, si le Bayern souffre, il perd. L’Inter tient encore mieux la route quand l’équipe est à la rue. Elle souffre et jouit. A 10 à Barcelone, d’autres auraient pesté, l’Inter y a trouvé une raison de plus pour niquer les Catalans : -On est un en moins mais on va y arriver.. .

Ferrera : C’est décevant mais Mourinho peut se le permettre. Si le Portugais était abondamment copié les stades seraient déserts. Il est seul à jouer comme cela.

 » Mourinho sait que son équipe ne gagne pas en jouant l’offensive  » (Remy)

Remy : J’ai vu cette année les deux derbies milanais. Et lors d’une de ces affiches, l’Inter a brillamment assumé le jeu. La semaine suivante, l’Inter retrouvait ses habitudes défensives. Mourinho sait que son équipe ne gagne pas en jouant l’offensive. C’est sa conviction…

Ferrera : L’Inter va tout fermer, c’est sûr… C’est sa force, cela pourrait paradoxalement être son talon d’Achille. Au Barça, l’Inter a offert trois énormes occasions à son adversaire. Bojan aurait dû marquer et notre Frank De Bleeckere a été le seul à voir un hands. A 2-0, on ne parlait plus du génie de Mourinho…

Remy : On ne va pas voir un Bayern déconcentré ou uniquement offensif comme cela arrive parfois. Tout le monde va défendre en finale.

Ferrera : L’Inter attendra…

Waseige : Cette équipe n’assume jamais le jeu. Quand un joueur de l’Inter perd le ballon, c’est dans un contre un, à 60 ou 70 mètres de ses bases. L’organisation défensive a tout le temps de se replacer.

Ferrera : A un moment, le Bayern va se croire supérieur. Et ce sera dangereux car cela conviendra aux Italiens.

Remy : La Ligue des Champions est plus importante que la Coupe du Monde. Toutes les stars sont ici et en rêvent. La Ligue des Champions a pris une place incroyable.

Waseige : Si l’Inter est horrible, il n’y a pas pire que van Bommel. Lui, il va en mettre des râteaux.

Remy : Pour gagner, le Bayern devrait jouer comme l’Inter.

Ferrera : Impossible…

Waseige : L’Inter est tellement bien discipliné, organisé et efficace. Je n’ai jamais entendu un joueur se plaindre de Mourinho. Il va entrer dans les livres de statistiques, pas dans la légende. Il n’aura jamais de place dans l’imaginaire des joueurs et des amoureux du beau jeu. Je l’ai interviewé. Il parle cinq langues. La classe, mais son équipe est froide…

Ferrera : Il a misé sur son don des langues pour s’ouvrir les portes du métier. C’est Michel Preud’homme qui l’a lancé à Benfica. Il y a 1 % de connaisseurs. Ces spectateurs-là décortiquent le jeu de Mourinho. Les autres (99 %) s’intéressent à autre chose, au charisme de ce coach. Pour ces 99 %, c’est son image qui compte.

Remy : Il n’a pas révolutionné son équipe. Sur le plan du jeu, l’Inter actuel est le même que celui d’autrefois. Mourinho s’est fondu dans cette culture comme il s’était intégré à Porto ou à Chelsea. C’est un signe de grande intelligence…

Ferrera : On lui demande peut-être l’impossible. Au cours de ces 30 dernières années, un coach seulement a révolutionné le football : Arrigo Sacchi à l’AC Milan. Au Barça, Guardiola continue sur la lancée de Johan Cruijff. Sacchi gagnait en beauté.

Remy : Mourinho est plus caméléon que van Gaal : cela peut être important en finale…

par pierre bilic et thomas bricmont – photos: reporters

Mourinho n’apporte rien au football mais apporte à son club. (Waseige)

La Ligue des Champions est plus importante que la Coupe du Monde.

(Remy)

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