» MOURINHO ÉTAIT UN MENTOR, UN AMI, UN PÈRE « 

En Afrique du Sud, il est (presque) aussi populaire que Nelson Mandela. Il a remporté la Ligue des Champions avec le FC Porto sous la direction de José Mourinho et pourtant, Benni McCarthy était fou de joie lorsqu’on lui a proposé de devenir adjoint à Saint-Trond.

« C’est comme si une bombe avait explosé et que j’avais fait une crise cardiaque « , dit Benni McCarthy lorsqu’on lui demande de décrire le sentiment qui l’a envahi lorsque son ami Chris O’Loughlin, ex-équipier de son frère en Afrique du Sud et nouvel entraîneur de St-Trond, lui a demandé de devenir son adjoint, début septembre.  » Ce fut un choc mais je n’ai pas hésité longtemps. J’avais déjà effectué des stages d’observation au Celtic Glasgow et au FC Hibernian, entraînés par Neil Lennon et Alan Stubbs. La saison dernière, j’avais également passé dix jours à Saint-Trond mais à chaque fois, c’était du bénévolat. Ici, il s’agit de mon premier vrai job d’entraîneur. La saison dernière, l’Ajax, dont j’ai porté le maillot, m’avait proposé d’entraîner les jeunes mais je ne me sentais pas prêt. Bien sûr, je possède le diplôme UEFA B mais je suis encore les cours pour le A et je dois encore obtenir la licence pro. Il n’y a que deux ans et demi que j’ai arrêté de jouer, je suis encore en pleine transition. C’est pour ça que j’ai voulu faire des stages auprès de Lennon et de Stubs, deux anciens joueurs de Premier League : je veux marcher sur leurs traces. Mais avant cela, je veux apprendre mon métier avec Chris.  »

Après une carrière bien remplie au cours de laquelle vous avez sans doute bien gagné votre vie, vous pourriez profiter de la vie. Pourquoi tenter votre chance dans un petit club comme Saint-Trond pour un salaire tout à fait normal ?

BENNI MCCARTHY : En 2013, lorsque j’ai pris ma retraite et que j’ai déménagé à Edimbourg pour faire plaisir à mon épouse (NDLR : un top model écossais), j’ai pris quelques mois de vacances. Mais je suis vite devenu fou. Le football me manquait, c’était la seule chose que j’avais connue dans la vie. Chaque matin, je me sentais mal et j’ai dit à ma femme : ‘Pars en vacances si tu veux, je retourne au football, je veux devenir entraîneur’. Stacey a bien compris, elle sait que, si nous vivons bien, c’est grâce au football. Elle viendra me rejoindre à Saint-Trond après le Nouvel An car notre fille de deux ans vient d’entrer à l’école en Ecosse.

Mes quatre filles (NDLR : il en a trois d’un mariage précédant) me motivent. Je veux leur servir d’exemple en travaillant dur, pas en traînant à la maison à l’image de nombreux anciens joueurs.

Quand vous étiez joueur, vous songiez à devenir entraîneur ?

MCCARTHY : Oui, j’avais déjà ça en moi. Avec l’âge, il m’arrivait de plus en plus souvent de replacer mes équipiers. Cela en énervait d’ailleurs certains, qui disaient ‘Shut up, tu n’es pas le coach’. Moi, je voulais juste les aider… Lorsque j’ai arrêté, j’ai demandé conseil à quelques ex-entraîneurs, dont José Mourinho, à qui je téléphonais et j’envoyais souvent des messages. Je lui ai demandé s’il me voyait bien devenir entraîneur et il m’a répondu : ‘Benni, tu as une très bonne vision du jeu, tu comprends les joueurs, tu peux devenir un grand entraîneur’. Là, je me suis dit que je devais le faire. Car quand José dit ça… Sam Allardyce, mon ex-coach à Glasgow, m’a dit que mon caractère devait changer. Sur le terrain, j’étais un monstre mais en dehors, je rigolais sans cesse, je ne me plaignais jamais. J’étais un bon gars. Trop gentil, trop mou pour être entraîneur, selon Sam. Pourtant, je peux me montrer dur. Demandez-le à ce joueur égocentrique à qui j’ai dit l’autre jour qu’il ferait bien de retirer son doigt de son cul (il rit).

 » INCULQUER AUX ATTAQUANTS CE QUE PENSENT LES DÉFENSEURS  »

Quelle est votre ambition en tant qu’entraîneur ?

MCCARTHY : (sans hésiter)Arriver en Premier League. Et si possible à Manchester United, mon club favori depuis que je suis petit. Lorsque j’étais joueur, j’ai eu l’occasion d’y signer un contrat mais Blackburn n’a pas voulu me vendre. Je veux donc réaliser ce rêve en tant qu’entraîneur.

Vous vous donnez combien de temps ?

MCCARTHY : Trois, quatre, cinq ans ? Je n’en sais rien. Le football est imprévisible, on ne peut pas faire de plans. Actuellement, la seule chose qui m’intéresse, c’est Saint-Trond. Je veux aider Chris à faire de ce club une valeur sûre du Top 5 belge. Ce n’est pas simple mais La Gantoise a bien décroché le titre alors que personne ne s’y attendait.

Quelle valeur ajoutée apportez-vous en tant qu’adjoint ?

MCCARTHY : Sur le plan footballistique, je peux aider nos attaquants à ne plus penser qu’à marquer. Chaque jour, je les fais travailler la finition, le placement, les mouvements… J’essaye de leur indiquer ce que pensent les défenseurs. Je martèle les choses jusqu’à ce qu’ils en aient assez, que ça devienne une deuxième nature. Sur le plan mental, mon expérience me permet de cerner facilement les joueurs. Ils ne m’attendriront pas avec de fausses excuses, je les repère tout de suite. La plus grande qualité d’un coach, c’est peut-être bien de comprendre ses joueurs, de tisser des liens avec eux. C’est pourquoi j’essaye d’apprendre chaque jour quelque chose de nouveau sur un joueur, sa vie privée, sa famille… Je veux qu’il voie que je ne m’intéresse pas seulement à lui en tant que joueur mais aussi en tant qu’homme. Si c’est le cas, il sera prêt à se battre, à mourir pour moi même dans les moments difficiles. L’entraîneur qui réussit à faire cela est tout-puissant.

 » MOURINHO PRESSENTAIT LE MOINDRE PROBLÈME  »

C’est l’héritage des années passées sous la direction de Mourinho au FC Porto ?

MCCARTHY : Tout à fait. Tout le monde cherche le mot exact pour le décrire mais on ne saisit la portée de sa puissance qu’une fois qu’on joue sous ses ordres. A Porto, tout le monde allait au feu pour lui, même les joueurs avec qui ça a coincé au début. Parce que Mister Mourinho, comme on l’appelait, prenait toujours notre défense, que ce soit auprès de la direction lorsque nous réclamions des primes plus élevées, ou des médias lorsqu’ils nous critiquaient. Je n’ai jamais connu un entraîneur qui se glissait aussi facilement dans la tête des joueurs. C’était un mentor, un ami, un père. Il pressentait le moindre problème. Au moindre mauvais entraînement, il m’appelait et disait : ‘Benni, que se passe-t-il ?’ Je répondais : ‘Rien, je vais bien’. Et lui : ‘Quelque chose ne va pas, raconte’. Je finissais alors par lui avouer que je m’étais disputé avec ma copine ou que je me sentais fatigué.

Mourinho passe pour un maître en matière de motivation. Comment s’y prenait-il avec vous ?

MCCARTHY : Avant un match important, il lui arrivait souvent de donner un DVD de cinq minutes à chaque joueur : deux avec des phases de son adversaire personnel et trois avec un best of de lui-même. Il me montrait, par exemple, comment j’avais pris le meilleur sur Rio Ferdinand, John Terryou Paolo Maldini. Du coup, je n’avais plus peur de personne. D’autant que Mister Mourinho me parlait : ‘Après le match, il va te demander ton maillot, il n’oubliera jamais l’attaquant qui l’a tué’. J’avais l’impression de mesurer deux mètres de plus. Si ça ne marchait pas, parce que je ne suivais pas ses instructions, Mourinho demandait à un équipier de me transmettre un petit papier : ‘Benni, à deux reprises, tu n’étais pas au premier poteau sur un corner. Si ça arrive encore une fois, je te sors’. Ou bien : ‘Benni, je te donne encore dix minutes pour marquer, sans quoi tu viendras t’asseoir à côté de moi’. Dans ces cas-là, croyez-moi, je me donnais à fond (il rit).

Contrairement à Mourinho, vous avez été un grand joueur et on dit souvent que ceux-ci ne font pas de bons entraîneurs. Pourquoi réussiriez-vous ?

MCCARTHY : Un grand joueur qui a beaucoup misé sur son talent et entame une carrière de coach pense souvent qu’il sait tout et ne doit pas travailler dur. C’est le meilleur moyen d’échouer et ça ne m’arrivera pas. Je veux prendre le temps d’apprendre et je vais le faire jusqu’à ce que j’y arrive. Je travaille avec des joueurs qui sont moins talentueux que moi ? Ce n’est pas un problème, au contraire : je suis très satisfait de voir des joueurs comme Rob Schoofs et Edmilson Junior progresser de la sorte. Je n’ai pas besoin de remporter la Ligue des Champions pour être heureux. Pas encore, du moins (il rit).

Que pouvez-vous apporter à ces jeunes, avec votre expérience ?

MCCARTHY : Je veux qu’ils comprennent que, quelle que soit la renommée qu’ils atteindront peut-être plus tard et les sommes d’argent qu’ils gagneront, il est très important de toujours rester humble. Que vaut un type riche que personne ne peut voir en peinture parce qu’il est arrogant et ne respecte personne ? Le problème de nombreux jeunes joueurs, c’est qu’ils pensent qu’en gagnant autant d’argent, ils possèdent le monde. Ils bombent le torse comme des enfants gâtés en disant ‘I’m the man’ ! Ils n’écoutent personne et finissent par se perdre.

Vous aussi, vous êtes devenu riche du jour au lendemain.

MCCARTHY : Oui, je jouais pour des cacahuètes à Seven Stars, en Afrique du Sud, et quand j’ai signé à l’Ajax, je me suis mis à gagner des dizaines de milliers de dollars, plus que mes parents sur toute une vie. Heureusement, j’ai été bien conseillé par les gens de l’Ajax. Notamment par mon équipier et mentor, Sunday Oliseh, qui m’a mis en garde contre toutes sortes de tentations. Tous les membres du staff m’ont également enjoint de rester humble, respectueux et, surtout, d’avoir toujours soif de football parce que ma carrière ne faisait que commencer. Ceci dit, j’en étais bien conscient aussi, je savais que je ne pouvais pas laisser passer ma chance et que je devais travailler encore deux fois plus parce que je ne voulais pas retourner en Afrique du Sud, je ne voulais plus connaître ce que j’avais vécu avant.

 » ON RÊVAIT D’ÊTRE GANGSTER PLUTÔT QUE MÉDECIN  »

Votre jeunesse n’a pas été facile.

MCCARTHY : Non. J’ai grandi dans un town ship du Cap, où les enfants ne rêvaient pas d’être médecins mais plutôt gangster ou dealer. Chaque jour, des bandes rivales s’affrontaient. Sauf le dimanche, lorsqu’elles jouaient dans ce qu’on appelait la Bundesliga – les bundes étaient les blocs du town ship. Le lundi, les meurtres, les attaques à main armée et les bagarres reprenaient. J’avais onze ans lorsqu’un de mes meilleurs amis a été abattu sous mes yeux. Plus tard, on m’a aussi mis un pistolet sur la tempe parce qu’on pensait, à tort, que je faisais partie d’un gang rival. J’ai eu la frousse de ma vie. Pour ma part, il m’arrivait de voler des fruits dans une ferme et de monter dans le train sans payer mais je n’ai jamais été impliqué dans des affaires criminelles. Dans le town ship, un enfant sur cent songeait à une carrière de footballeur professionnel. C’était moi et je voulais travailler dur pour y arriver.

C’est aussi cette mentalité qui vous a permis de survivre à une période difficile au Celta Vigo, après avoir quitté l’Ajax.

MCCARTHY : Les négociations avaient eu lieu sur la plage, au soleil, par 30 degrés, alors que je venais d’Amsterdam. C’était fantastique. Puis vinrent les premiers mois. Victor Fernandez m’a donné ma chance mais en dehors du terrain, j’étais seul et je ne pouvais demander de l’aide à personne car je ne parlais pas espagnol. Mes équipiers m’avaient même fait croire que hijo de puta (NDLR : fils de pute)voulait dire brave gars. Du coup, je saluais tout le monde en disant Hello, hijo de puta et je me faisais insulter (il rit). J’ai appris l’espagnol tout seul, grâce aux programmes sous-titrés à la télévision. Et surtout, j’ai continué à travailler dur jusqu’à ce que Mourinho et Porto m’offrent une bouée de sauvetage.

Il faut donc savoir choisir le bon club, ne pas se laisser séduire par de faux arguments comme la plage.

MCCARTHY : Pourtant, je ne regrette pas ce choix. Il m’a permis de devenir adulte plus rapidement. A l’Ajax, j’étais surprotégé, je ne devais m’occuper de rien. Au Celta, j’ai dû me débrouiller seul. Comme je rouillais sur le banc, je me disais que j’étais dans la jungle, entouré de lions et de serpents, avec rien d’autre qu’un couteau pour me défendre. J’en suis sorti vivant et cela m’a permis de survivre à d’autres moments difficiles au cours de ma carrière. Aujourd’hui encore, quand ça ne va pas trop, je repense à ces moments-là et je me dis : ‘Benni, tu as survécu au Celta, tu es donc capable de tout’. Même de devenir un grand coach, oui (il rit).

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS BELGAIMAGE – LUC CLAESSEN

 » Mourinho me transmettait un papier sur lequel il avait écrit : ‘Benni, tu as encore dix minutes pour marquer, sans quoi tu viendras t’asseoir près de moi’.  » BENNI MCCARTHY

 » Le problème de nombreux jeunes joueurs, c’est qu’ils pensent qu’en gagnant autant d’argent, ils possèdent le monde.  » BENNI MCCARTHY

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